<<< Précédemment.20. Un endroit calme pour la nuit.C'est à la tombée de la nuit que Kronh, Sump et Wace quittèrent la piste principale qui menait au nord du comté de Nelys, en direction de Jarvron, pour en emprunter une autre qui bifurquait vers l'Ouest. Moins large mais assez bien entretenue, elle conduisait jusqu'à une petite auberge bien réputée dans le comté.
L'Auberge des Joyeux Fêtards.Il s'agissait d'une mignonne petite bâtisse faite en rondins de bois clair devant laquelle une paisible petite rivière coulait dans un relaxant bruit de clapotis. Un petit pont plat, fait avec le même bois que la maisonnette permettait de la traverser.
Sump regarda le mince filet de fumée grise qui s'échappait de la cheminée du bâtiment et huma l'air. Une bonne odeur de viande en train de cuire lui titilla les narines et fit gargouiller son estomac.
Aussi, quand, du coin de l’œil, dans les hautes herbes qui encerclaient la piste et l'auberge, il aperçut un criquet d'un vert livide de la taille d'un index tranquillement posé sur un long brin, Sump manqua de bondir de sa selle afin attraper l'insecte pour le gober.
Mais il décida de résister à ses pulsions.
Les deux miliciens qui l'accompagnaient allaient certainement bientôt lui fournir un bon gros repas comme les ailes de Tiroli du déjeuner. Ce n'était donc, pour l'instant, plus la peine de se ruer sur la moindre source de nourriture qui se présentait.
En s'approchant un peu plus de l'auberge, Sump put entendre des sons bizarres qui s'échappaient de la bâtisse. Des voix, certes, d'hommes principalement d'ailleurs, mais aussi autre chose...Le Gobelin n'avait jamais entendu ses sons là. Instinctivement, il se raidit sur sa selle, qui lui faisait d'ailleurs un mal de chien au postérieur et ses oreilles pointues se dressèrent.
"Ahh, enfin ! Je vais te dire, Grenouille... le meilleur endroit dans tout Nelys, et ben tu l'as devant toi !" fanfaronna Kronh en engageant son fier étalon noir sur le petit pont.
"Arêtes de l'appeler comme ça..." râla Wace, à l'arrière après avoir bruyamment soupiré.
Cette dernière n'avait pas adressé la parole à Kronh depuis leur petite dispute sous le sapin. Sump ne comprenait pas trop pourquoi. Le milicien n'avait pourtant rien fait de mal. Pour une fois...
Kronh lui avait expliqué en riant qu'elle "boudait". Le Gobelin, bien que ne sachant pas ce que cela signifiait, ne prit pas le risque de lui demander. Pour l'instant, le colosse le laissait tranquille et ça lui faisait des vacances.
Une fois le pont traversé, les voix et les bruits étranges s'entendaient très distinctement et la nervosité du Sekteg s'en trouva accrue.
Les trois cavaliers attachèrent leurs chevaux à la barre de bois prévu à cet effet sur la façade gauche de l'établissement derrière laquelle se trouvait un abreuvoir. Plusieurs bêtes étaient déjà attachées là. Principalement des chevaux mais aussi pas mal de poneys.
Pendant que Sump, étant encore un novice en la matière, finissait tant bien que mal son nœud, les deux miliciens déchargèrent les sacoches de cuir qui contenaient l'eau, la nourriture et quelques objets de premier secours indispensable pour le voyage jusqu'à la Ferme Abandonnée de leurs montures respectives afin d'éviter de se les faire voler par un éventuel voyou.
Après quoi, Kronh, opérant toujours dans la discrétion, ouvrit la porte de l'auberge en poussant un formidable et tonitruant :
« Salut les filles, je suis de retour ! »Le Gobelin quant à lui, mit un peu plus de temps à entrer dans l'auberge que l'imposant milicien, qui avait d’ailleurs l'air d'être une véritable vedette en ce lieu.
En effet, après qu'il eut ouvert la porte et hurlé son entrée en scène, il fut acclamé :
« Eh, comment va, monsieur l'milicien ?» lança un des hommes attablés aux tables rondes disséminées dans la pièce en levant son verre, les yeux hagard et le nez rougit.
Kronh répondit en écartant les bras :
« Vous m'avez aussi manqué, bande de Gnolls puants!»
Sur ce, il s'assit sur un tabouret haut et serra la main du Hobbit au cuir chevelu imposant et très bouclé qui était derrière le comptoir. Sûrement l'aubergiste.
« Kronh, par Gaïa, ça fait un bail ! » s'écria le Sinari avec une voix drôlement fluette.
« Alors, mon vieux Paton, les affaires ? »Pendant que « Paton » lui répondait, le Gobelin pénétra timidement dans l'auberge juste derrière Wace, qui semblait plus agacé que jamais et qui ignorait royalement les saluts poli mais peut-être un peu lourd de regard sur sa silhouette, qu'on lui adressait.
Sump se contenta de la suivre à travers les tables. Il était un peu désorienté avec tout ce boucan qui lui vrillait ses sensibles tympans mais il réussit enfin à voir d'où venaient les sons étranges qu'il n’arrivait pas à identifier.
Sur une petite estrade, en effet, plusieurs individus tapaient, grattaient et soufflaient dans de drôles d'objets fait, pour la plupart, en bois.
Le Gobelin nota que les sons qui sortaient de ces choses n'étaient pas si désagréables à entendre que ça, la preuve, sur le petit espace libre devant l'estrade, des couples de Hobbits ou d'Humains gesticulaient bizarrement en riant et en criant.
Alors, sans prévenir, un vieux souvenir se fraya un chemin dans l'esprit du jeune Sekteg. Un souvenir lointain, presque oublié. Un des rares que Sump conservait encore de son ancienne vie au sein de son défunt clan.
C'était une nuit de pleine lune. Des dizaine de ses semblables s'étaient rassemblés autour d'un feu et effectuaient une danse en l'honneur de quelque chose, mais il ne savait plus quoi. Les danseurs poussaient des longs cris aigus en martelant le sol de leurs pieds nus et sales. Certains étaient décorés de plumes et de peintures tandis qu'un autre, le plus grand, portait une couronne d'ossements et de lianes sur sa tête.
Perdu dans ses pensées, le Gobelin s'ébroua soudain lorsqu'une odeur plutôt forte agressa son sensible odorat.
En effet, en passant à côté d'une table, l'odeur du liquide qu'avait un des hommes dans son verre parvint, malgré lui, jusqu'à ses narines.
(Mais qu'est-ce qu'ils boivent ? De la pisse de troll ?)Lorsque la milicienne et le Gobelin arrivèrent jusqu'au comptoir, le Hobbit les salua, non sans avoir jeté un regard étonné à Sump.
« Ahh, Paton, si tu savait ce que... » commença Kronh, qui avait remarqué la surprise sur le visage de son ami. Mais Wace lui coupa sèchement la parole :
« Avez-vous des chambres de libre cette nuit, monsieur « Paton » ? »Ce dernier, un peu décontenancé par le ton de la jeune femme acquiesça hâtivement en sortant une clé en métal de sous le comptoir, comme par magie :
« Prenez la dix-huit, il y a un lit pour vous et un fauteuil pour le petit gars. »« Petit gars » étant le Gobelin. Ce dernier fut d'ailleurs étonné de se voir si « bien » accueilli. Du peu qu'il connaissait de sa race, il savait elle ne plaisait pas à tout le monde, loin de là.
Devant l'attitude particulièrement docile du Hobbit, Wace se radoucit un peu, désigna Kronh d'un léger mouvement de la tête en prenant bien soin de ne pas le regarder et ajouta :
« C'est que... il nous en faudrait deux... » Le colosse éclata d'un rire épais :
« Ah non, poupée ! Sache que moi, quand je viens ici, je ne prend jamais de chambre si tu vois ce que je veut dire...»Elle lui lança un regard consterné et ébahi :
« Tu ne vas quand même pas boire alors qu'on est en mission ? »« Ben tiens, je vais me gêner ! Je vais même me prendre une de ces bitures ! Ça fait tellement longtemps ! »Plusieurs personne levèrent leurs verres suite à cette déclaration en poussant un "Ouais !" ou en rigolant, s'attirant un regard noir de la part de la jeune femme.
Puis, cette dernière fixa un instant le milicien puis leva rageusement les yeux au ciel en tournant les talons et lança froidement au Gobelin :
« Aller viens, Sump. Nous, on va finir les ailes de Tiroli. »Ce dernier, qui était en train de contempler l'impressionnant étalage de bouteilles exposé sur les étagères derrière le dénommé Paton, s'apprêtait à la suivre sans discuter, heureux de quitter ce raffut mais Kronh en décida autrement. Il le saisit par le col de sa tunique avec une de ses grosses mains, le souleva de terre comme s'il n'avait rien peser et lui posa brutalement les fesses sur le tabouret à sa gauche, l'éloignant de sa collègue :
« 'Manquerait plus que ça, tiens ! Qu'il se tape de vieilles ailes de Tiroli alors que Paton fait les meilleurs Urikan d'Imiftil...au moins ! T'es comique ce soir dis donc ! »La milicienne se retourna farouchement et fit quelques pas en direction de son collègue, une flamme de colère dans les yeux, telle une féline voulant protéger sa progéniture. Sump crut même apercevoir un reflet orangé dans ses yeux :
"Kronh, maintenant tu arrêtes !" siffla-t-elle d'une voix aiguë.
Alors, sans crier gare, Kronh se leva brusquement, faisant tomber son tabouret et s'approcha dangereusement de la jeune femme qui recula, une mine surprise et presque terrifiée sur le visage. Il la désigna calmement du doigt et c'est avec la même voix dure et froide qu'il avait utilisé lorsque Sump ne voulait pas monter sur le cheval qu'on lui proposait
aux Écurie de Monsieur Ampe qu'il parla, écrasant la jeune milicienne de toute sa hauteur et de toue sa carrure.:
"C'est toi qui vas arrêter, c'est clair ? Et pendant que t'y es, tu vas aussi me lâcher un peu."Cette dernière, la bouche entrouverte essayait de cacher la crainte qu'il lui inspirait et soutenait son regard tant bien que mal.
Le géant la fixa dans les yeux pendant quelques secondes puis, se rendant compte du silence gêné qui s'était soudain abattu sur l'Auberge, se racla la gorge et ramassa son tabouret.
"Tu peux te joindre à nous si le cœur t'en dit." lança-t-il à sa collègue d'un ton désinvolte et comme si rien ne s'était passé en se rasseyant.
Puis il donna un léger coup de coude au Gobelin qui avait assisté à la scène en retenant son souffle tout comme le reste de la population de l'auberge et lui murmura :
"Tu vas voir, Grenouille, l'Urikan, y a que ça de vrai !"