La Besogne de l'HéritierLe Camïu du Prodrome
Agadesh avait sombré dans l'inconscience et se réveillait une nouvelle fois en sursaut, en sueur et déboussolé. Il lâcha une grande respiration, comme si le sommeil l'étranglait. Une douleur particulièrement désagréable tourmentait le derrière de son crâne, un sentiment d'écrasement qui s'estompa vite avec ses premiers mouvements.
L'endroit dans lequel il se réveillait lui était totalement inconnu. Il était assis sur une literie avec un matelas de paille, dans une petite salle sans fenêtres aux murs de pierres grisâtres. Un meuble miteux en bois de cèdre trônait pitoyablement contre le mur d'en face. Sur celui-ci, une bassine d'eau, deux bougies allumées qui éclairait faiblement la pièce et un miroir ovale simple aux côté de son sabre et de sa gourde qui avaient été posé là sur ce qui semblait être des vêtements propres. Une porte entrouverte au bout de la pièce laissant passer la lumière extérieure témoignait qu'il n'était pas prisonnier en ces murs, ce qui était déjà plutôt rassurant.
Agadesh n'avait aucune idée de l'endroit où il était, mais si une chose était sûre, c'est qu'il n'était plus dans le désert bleu.
Malgré son ignorance, il était quelque peu rassuré. Il avait le clair sentiment d'en avoir enfin fini de toutes ses visions cauchemardesque et du traumatisant épisode des ruines souterraines et cela le soulageait grandement.
Ses derniers évènements ont été particulièrement éprouvants, et il décida qu'il valait mieux pour lui de se reposer encore un peu avant d'avoir à subir de nouvelles épreuves physiques ou morales. Il se recoucha sur le dos quelques instants, les yeux ouverts et songeur. Il cherchait à faire le vide dans sa tête. Toutes ces informations à engranger en si peu de temps le laissaient dubitatif.
Le sort de ses compagnons, l'explication de tout les évènements de la grotte, la volonté des ancêtres, l'histoire de Xenair et sa situation actuelle étaient autant de fait auxquels, à ce moment précis, il souhaitait que son esprit fasse abstraction, ne serait-ce que pour quelques instants.
Hélas sans succès, de nouvelles questions émergeaient en lui. Il essaya de refermer les yeux, tentant de s'endormir, mais les visions sanglantes de Xenair refaisaient surface. Il se concentra donc sur des choses plus terre-à-terre, renonçant à un peu de repos pour se requinquer un peu.
Il jugea ses vêtements, sales, déchirés et encore tâchés de sang. La vue de son brassard à trois yeux le renvoyait à son pénible devoir. Il regarda brièvement la cicatrice que lui infligea le véroce, remarquant que sa blessure s'était bien rétablie et ne lui donnait plus aucune douleur.
Il se leva et s'avança doucement face au miroir, regardant son reflet harassé avec un ironique sourire de satisfaction sur ses lèvres. Il contempla l'eau de la bassine qui semblait claire et pure et en but lentement trois pleines mains, pas une de plus, en se disant avec un certain humour noir que cela faisait bien longtemps qu'il n'avait pas bu une eau qui ne le transporte dans un nouveau délire ésotérique.
Il en profita pour remplir sa gourde et constata que les vêtements posés étaient, à en voir le style, typiquement du peuple de Varrock avec lesquels il avait déjà été amené à participer à des rencontres marchandes. Ces humains trapus au front proéminent et à la peau pâle étaient de farouches négociateurs et avaient le commerce dans le sang. Malheureusement pour eux, les troqueurs des dunes qui dirigeaient les caravanes l'étaient aussi et en résultait toujours finalement un échange acceptable entre les deux peuples. Ce n'était pas comme les orgueilleux fils de Whiel, qui, malgré un physique de guerrier plus respectables, faisaient preuve d'une impatience dont il était aisément facile de profiter pour que le marchandage prenne une tournure d'escroquerie. Les vêtements étaient en fait un pantalon en toile beige clair et une tunique blanche. Ce genre de vêture occidentale lui déplaisait un peu, mais il ne pouvait rester avec son boubou qui lui tombait en guenilles.
Il essaya les vêtements propres. Bien que le pantalon ne le dérangeait pas outre-mesure, lui qui était habitué depuis des années à porter un large boubou qui lui touchait à peine la peau et lui tombait jusqu'aux genoux se retrouvait maintenant dans un vêtement serré qui lui donnait une impression de pression et de légèreté gênante. Cela lui semblait même plutôt déshonorant de se retrouver dans des habits d'occidentaux ; sa fierté de fils des dunes venait d'en prendre un coup. Pour ne pas tout perdre, il décida de garder tout de même son turban, le seul de ses habits encore relativement propre.
C'est ainsi vêtu qu'il reprit ses affaires et décida d'entamer la visite du lieu, avec tout de même une certaine dose de méfiance. Rien n'affirmait que ceux qui l'avaient amené ici ne lui voulaient que du bien.
Il ouvrit sa porte et observa son environnement. Sa chambre était au fond d'un couloir dont la luminosité n'avait pour origine qu'une grande fenêtre juste à côté de lui. Il profita de celle-ci pour repérer où il était.
Le décor extérieur était d'une beauté et d'une étrangeté étonnante. Au premier plan s'affichait sur un sol de terre orangé et caillouteux une petite végétation d'herbes sèches, d'arganiers, de cèdres de l'atlas et d'un ensemble de figuiers de barbaries qui se répandait sur de bonnes dimensions. Derrière celle-ci, une pente douce où un chemin semblant peu emprunté et rongé par la nature descendait au loin vers un désert, le désert, avant d'y disparaître, complètement engloutis par le sable céruléen. Et au fond, un ciel éclatant et sans nuages affichait un grand soleil déjà haut dans le ciel. Agadesh, qui avait quelque peu perdu la notion du temps et savait lire l'heure solaire en profita pour se repérer un peu. Celui-ci semblait avoir dépassé son zénith depuis environ une heure. Agadesh se jugea donc en total décalage par rapport au rythme du jour et de la nuit, lui qui a d'habitude besoin de si peu de sommeil.
La présence du désert non loin le rassurait un peu, mais il était maintenant hors de question d'y retourner avant qu'il ait accompli la tâche qui lui incombait. Balamon avait affirmé lui avoir dit tout ce qu'il savait, donc retourner dans le désert lui aurait été inutile. Il aurait tout de même bien aimé dire au revoir à ses amis et sa famille et savoir quel fut le sort de ses compagnons des derniers jours, mais il se reprit en se disant que faire ceci serait une faiblesse. Et puis, les ancêtres lui avaient confié une noble tâche qui pourrait bien faire de lui un de ces héros de légende que l'on se transmet de génération en génération. C'était un grand honneur, et retourner en arrière pour une simple question d'attachement et d'inquiétude s'avérait être un obstacle au bon déroulement de sa quête qu'il pouvait aisément éviter. S'aventurer seul dans le désert sans savoir d'où l'on part et vers où l'on se dirige était un risque inutile. Alors autant aller de l'avant et voir ce que le reste de ce monde qui lui était totalement inconnu pouvait bien lui apprendre. Les réponses à ses questions devaient bien s'y trouver. Il restait juste à savoir comment les trouver.
Il se retourna dans le couloir, qui était parsemé d'autres portes. Il en ouvrit une, pour voir ce qu'elle contenait. Une autre chambre, semblable à celle où il s'est réveillé, vide de toute présence mais propre et rangé. Il en ouvrit un autre, puis une autre, puis toutes. Même décor. Curieux.
De nombreuses personnes devaient loger ici, mais pas un bruit ne résonnait et tout était étrangement vide. Il fallait pourtant bien que ce soit quelqu'un qui l'ai guidé ici, et l'entretien devait aussi être assuré par quelques femmes. Peut-être était-ce la demeure d'un grand seigneur à l'harem impressionant. Oui, ce devait être ça. Et il a dû sortir avec ses femmes.
Agadesh ouvrit enfin la porte à l'autre bout du couloir et découvrit qu'il était à l'étage d'une grande pièce très éclairée. Un escalier en bois descendait vers celle-ci. La salle était remplis d'objets de bois sculptés comme il n'en avait jamais vu. Une femme s'attelait à nettoyer une de ses tables avec un chiffon. Le voyant arriver, celle-ci lui lança :
"Ah, et bien le voilà enfin réveillé notre mystérieux endormi ! C'est une sacré sieste que vous avez fait dites-donc, vous deviez être franchement fatigué ! Faudra que vous me racontiez ce qui vous est arrivé pour qu'on vous ait retrouvé dans cet état !"La femme en question était bien une trentenaire, digne représentante du peuple des dunes à la peau mâte et aux cheveux longs et noirs, mais elle était habillé à l'occidentale et son comportement était bien loin de celui d'une femme soumise du désert. Parler avec autant de familiarité à un inconnu est habituellement proscrit.
"Silence, femme, cela ne te regarde pas ! Va plutôt me quérir le seigneur des lieux, j'ai à lui parler !"La femme leva les yeux au ciel dans un sourire ironique, en soupirant de manière caricaturale le terme de seigneur des lieux et d'aller vers une porte du fond de la salle et y clamer ses quelques mots :
"Hey, le dormeur s'est réveillé du pied gauche et il demande à te voir, monsieur le seigneur des lieux !""Ah, ça y est il est réveillé ? Très bien je vais le voir."Un homme d'une quarantaine d'années apparu. Lui aussi était un fils du désert, mais habillé à la Varrockienne et avec un embonpoint conséquent. Alors qu'il s'approchait de lui, Agadesh lui tint ses quelques mots.
"Bonjour seigneur. Si je peux me permettre, votre femme est bien impudente de m'avoir adresser la parole avant vous."L'homme prit cette phrase à la rigolade, voyant bien à quel genre de personne il avait à faire. Agadesh lui faisait remonter des souvenirs de lui-même il y a une vingtaine d'année. Il avait dû quitter le désert pour une sombre histoire de querelle familiale et s'était retrouvé seul et sans guide à devoir tout apprendre de la culture occidentale et de tout ce qu'elle comprenait. L'homme prit une chaise et s'assit. Agadesh, plus habitué à s'assoir sur le sable ou sur des coussins au sol l'imita en faisant maladroitement semblant d'être habitué.
"Je vois... Vous, vous n'êtes jamais sorti du désert n'est-ce pas ?""En effet. J'ignore même comment je suis arrivé ici.""Vous l'ignorez ?! Et bien pour tout vous dire, nous vous avons retrouvé hier matin au pas de la porte de notre auberge avec juste votre gourde et votre épée bleu sur vous. Un camïu était en train de vous lécher le visage. Comme je ne savais pas s'il vous appartenait, je lui ai donné à boire et à manger. Il dors dans la lingerie en ce moment. Enfin bref, nous vous avons porté jusqu'à une chambre et voilà.""Vous êtes en train de me dire que je dors depuis plus d'une journée ?!""Oui oui, pendant un moment vous nous aviez même inquiété on pensait que vous étiez mourant. A ce propos, vous devez certainement avoir très faim. Fakina ! Prépare donc un cochon boueux pour notre hôte et une bonne bouteille de do-dafi ! Bon, reprenons, qu'est-ce qu'il vous est donc arrivé ?""C'est une longue histoire. Je suis à la recherche de certaines informations introuvables dans le désert.""Quel genre d'information ?""Sur une magie rare. Très rare.""Ah. Et bien dans ce cas-là je vous conseille d'aller voir du côté de la bibliothèque de Tulorim. S'il y a un endroit où l'on peut trouver toute sorte d'information, c'est bien là-bas.""Où se trouve cet endroit ?""Et bien, à environ deux jours de marche, vous avez Yarthiss. De là-bas, il y a bien une route qui mène à Tulorim mais elle a été englouti par les marais... Je sais que ça en empêche pas certains de s'y aventurer, mais à mon avis il est mieux de longer la rivière jusqu'au lac brumeux. A partir de là, il y a une bonne route qui mène jusqu'à Tulorim. De cette manière, il vous faut compter à peu près une semaine pour arriver de Yarthiss à Tulorim. Personnellement, c'est le chemin que j'emprunte lorsque j'ai besoin d'y aller.""Au fait, votre palais, bien que modeste, me semble étrangement vide. Où sont vos gens ? Et vos autres femmes ?"Fakina, s'approchant en portant un plateau, se mêla de la discussion :
"Ses autres femmes ? Humpf, lui qui a déjà tant de mal à s'occuper de moi !"L'homme fit mine de ne pas entendre la réaction de sa concubine et se lança patiemment dans son explication.
"Ce n'est pas un palais... Il s'agit d'une auberge. C'est un endroit fixe où les voyageurs peuvent dormir et manger en échange de quelques yus. Moi et ma femme sommes seuls à l'entretenir. Il n'y a que nous.""Bien alors où sont ces fameux voyageurs ? Je n'en vois aucun !""A qui le dites-vous !""Il se trouve qu'il y a très peu de voyageurs ayant le cran de s'aventurer dans le désert... A part quelques rôdeurs solitaires et des marchands, on n'a guère souvent de monde ici."Agadesh se retrouvait servis et contempla son plat. Dans une assiette était servi une viande inconnue noyée sous une curieuse sauce brune très épaisse avec peu d'aisance. Il n'était pas habitué à manger dans cette position, et encore moins avec des couverts.
L'aubergiste lui expliqua alors le bon fonctionnement de certaines choses dans la culture occidentales qui l'avait choqué à l'époque et en profita pour lui racontait ses premières impressions.
Agadesh l'écoutait parler en terminant tranquillement son repas, remercia l'aubergiste des informations qu'il lui prodigua, respecta le principe d'auberge en payant son dû et partit sur la route.
A sa sortie, un camïu qui s'amusait à gratter terre sablonneuse cessa son activité pour le regarder, grandes oreilles dressés au-dessus de sa tête avant de se mettre à prudemment le suivre.
Agadesh, n'ayant pas remarqué la scène qui se jouait derrière lui avançait d'un bon pas. Le prochain objectif à atteindre était donc Yarthiss.
Les Terres Sèches