Sans trop réfléchir, encouragé, galvanisé, exalté par l’adrénaline qui bouillonne dans mes veines et fait battre le sang à mes tempes en une mélopée de tambours de guerre, j’enchaîne coup après coup tel un forcené, cognant comme un sourd sur mon adversaire improvisé armé d’une lourde francisque à deux mains qui ne lui est guère utile pour parer les frappes dont je l’étourdis à répétition : fauchant avec l’ardeur d’un agriculture coupant le blé et donnant du boutoir à la manière d’un cheval qui rue, je prends de court mon opposant qui se retrouve étonnamment rapidement avec sa carcasse osseuse sévèrement amochée de-ci de-là au niveau des bras et des côtes sans pour autant que son intégrité physique soit pourtant remise en cause, ce qui ne m’empêche pas de poursuivre mon assaut tempétueux, si pris dans la fougue du moment que je ne brûle sur l’instant que de voir mon vis-à-vis réduit en morceaux. Toutefois, le mieux est parfois l’ennemi du bien, et la situation présente me le démontre de manière très parlante bien qu’avec une perfide sévérité lorsque, par excès de zèle, je rate fort laidement un moulinet qui envoie le manche de mon yari buter contre ma propre cuisse. Heureusement, aucun dommage de ce côté, mais malheureusement, le mort-vivant au visage figé dans un rictus cruel n’attend pas que je me sois remis en position pour saisir l’occasion, s’empressant de redresser son outil à double tranchant en une passe d’arme d’une vivacité inattendue qui me prend de court et me passe littéralement à travers le bras. Littéralement, car absolument aucun stigmate physique ne se dessine sur la trajectoire de ce gros instrument de massacre, tissus et peau restant intacts au contact de la lame d’argent de l’affreux, au contraire de mes chairs dans lesquelles il me paraît sur le moment avoir été injectée une colonie de fourmis rouges en feu imbibées de sake qui s’empressent de ronger avidement l’intérieur de mon membre sur toute sa longueur.
Inutile de préciser que je laisse échapper un glapissement de souffrance peu glorieux mais bien légitime, la douleur s’accompagnant toutefois de la rage d’un combattant qui ne peut admettre la défaite, m’apportant un soudain regain de forces me donnant l’énergie nécessaire pour couper les effets du sac d’os alors qu’il s’apprête à abattre sa hache et à le faire reculer d’un pas sous le choc tandis que moi-même je me recule prudemment. Ce faisant, je me retrouve momentanément avec un point de vue moins localisé sur le champ de bataille, et je peux m’apercevoir que bien que les choses soient loin de tourner au désastre, elles ne prennent pas une aussi bonne tournure que j’aurais pu l’espérer : à mes côtés, mes alliés luttent sans parvenir pour autant à obtenir de meilleurs résultats que moi, et ce n’est pas faute d’y mettre du cœur à l’ouvrage comme l’indique leurs mines résolues, haineuses ou colériques. Cependant, dans tout ce tohu-bohu guerrier, un détail a vite fait de m’interloquer : où est donc Silmeï que j’imaginerais mal être de ceux qui se sont défilés devant le danger, lui précédemment si vaillant, si bouillant, si prompt à la vengeance ? D’un bref coup d’œil qui me permet d’envisager plus globalement la situation tout en gardant mon ténébreux adversaire dans ma ligne de mire, je fais en sorte d’apporter une réponse à cette quelque peu inquiétante question, et je ne tarde pas à découvrir ma réponse sous la forme d’une sorte de grosse boule de métal sur laquelle Gléol pousse comme un bœuf pour la précipiter à bas d’un des degrés de l’amphithéâtre colossal, le torkin ne se souciant guère des coups qui ne font que ricocher sur son plastron décidément indestructible. Je n’ai même pas le temps de me demander à quoi ce petit manège peut bien rimer que, comble de l’étonnement, les efforts du combattant des montagnes sont rejoints par ceux de nul autre que l’ours que j’avais précédemment aperçu, celui-ci se ruant sur l’aldryde caparaçonné, pattes en avant, l’envoyer culbuter en choeur avec le barbu roux.
C’est ainsi que je comprends qu’avec une témérité qui frise l’inconscience, le petit être en grande armure a choisi de se reconvertir pour l’occasion en missile métallique de gros calibre, son audacieuse tentative n’aboutissant hélas à rien de probant puisque la cible du lancer, plus agile que son apparence cadavérique au dernier degré ne pourrait le laisser supposer, esquive d’un bon le bruyante boule de métal qui fait beaucoup de bruit pour pas grand-chose. Mais voilà qu’une nouveauté arrive sous la forme d’un picotement qui me parcourt la peau de manière si inattendue que j’en baisse ma garde, occasion que mon larron d’opposant ne manque pas de saisir en se jetant sur moi hache en avant…pour reculer aussitôt sous le choc d’un arc électrique bleuté qui parcourt ses os d’obsidienne, cet enchantement inattendu s’avérant ainsi un prodigieux renfort au lieu d’une malédiction. Qui est notre bienfaiteur, je ne peux pas le savoir, mais cela n’empêche qu’il m’a évité une vilaine frappe en traître, me permettant en prime l’avantage d’une contre-attaque, et pour cela, je ne peux que le remercier avec une muette effusion se reflétant dans la détermination dont je fais montre lorsque je reprends une prise plus ferme sur ma lance, mordant sur ma chique pour faire fi de la douleur qui m’handicape et me concentrer d’autant mieux sur la bataille en cours. Je peux de cette façon voir que la situation n’est pas si défavorable que l’on aurait pu le croire, la plupart des personnes restées à l’arrière ne restant pas inactives, leurs actions concordant diligemment avec mes directives en une pluie de projectiles féroces sur la Cornue qui, en dépit de son habileté et de sa solidité naturelle, se retrouve avec l’épaule et le tibia percés, de même qu’une impressionnante boule de feu sur le torse, prodige pyrotechnique signé Aëlwinn. Surcroît de bonne fortune, ces assauts ont l’air de l’avoir suffisamment malmenée pour qu’elle ne soit plus capable de se concentrer, et aucune menace ne se manifeste donc en provenance de notre ennemie jurée qui ne paraît toutefois pas prête de flancher. De fait, les mages et les archers seuls ne peuvent suffire à la mettre à bas, et si nous voulons creuser cet avantage que nous avons commencé à acquérir, il va falloir que les combattants de mêlée se joignent à de tels efforts !
Cependant, cette idée audacieuse présente de nombreux défauts, j’en suis conscients, les moindres n’étant pas que non seulement nous risquons de nous faire écharper en essayant de franchir en force le barrage des squelettes, mais en plus ces derniers risquent de profiter de notre absence pour s’en prendre au rang arrière. Qui plus est, Silmeï paie cher sa bravoure puisqu’il est désormais à peu près laissé à lui-même au milieu d’une masse d’abominations sans pitié, et la perspective de voir mon pauvre ami maltraité à mort sous les armes des morts-vivants m’étreint le cœur d’une crainte effroyable ! Pourtant, nous ne pouvons décemment pas nous contenter de cet espèce d’inquiétant statu quo qui va franchement en notre défaveur puisque l’armée adverse est sensiblement plus nombreuse que la nôtre, la faute en revenant à des désistements par trop nombreux de la part d’individus qui auront du mal à se regarder dans un miroir…si tant est qu’ils s’en sortent. En parlant de ces derniers, je vois que le petit brun a vite fait de prendre conscience de son inaptitude à la lutte et s’empresse donc de se carapater sur un mot d’adieu qui laisse à ma charge son ennemi sur un prétexte peut-être légitime mais apparemment quelque peu vaseux. Je crois donc m’être retrouvé confronté à deux fois plus de ces monstruosités par la faute de la retraite anticipée de cet adolescent quand un rire tonitruant digne d’un fou furieux me détrompe, celui-ci appartenant à un géant drapé dans un grand manteau de cuir dont la prestance vulgaire, le chapeau, l’œil unique, le crochet, le sabre ainsi que la jambe de bois l’identifient sans doute possible comme étant un membre éminent de bateau des pirates. Le gaillard a l’air pressé d’en découdre et confiant dans ses capacités, et ça tombe bien étant donné que s’il est aussi compétent qu’il s’en donne l’air, il pourra possiblement avantageusement me remplacer ainsi que ceux qui voudront bien –et pourront- m’accompagner, son statut d’unijambiste ne le prédisposant de toute façon guère à un assaut éclair.
Car oui, j’ai définitivement bien l’intention de lancer la charge directement sur la Cornue, pour la raison que je suis convaincu que c’est dans son élimination que réside notre plus grande chance de succès, et par conséquent que c’est en ce sens qu’il faut faire peser tous nos moyens. Puisse Silmeï me pardonner d’avoir suivi une telle intuition au lieu de courir à son secours si celle-ci s’avère erronée, mais si je vois juste, le combat finira quand la sorcière tombera puisque l’on dit bien que lorsqu’une ensorceleuse meurt, ses maléfices meurent avec elle : « Morte la bête, morte le venin. ». Pénétré d’une énergie flamboyante, environné d’une fulgurance électrisante, avoisiné par de tumultueux bruits de lutte, mon cœur bat la chamade, cognant contre ma poitrine avec une vitesse et une force qui pourraient faire craindre le coup de sang, et tous les immenses dangers de l’instant présents me paraissent secondaires face à l’importance du but que je me suis fixé. Je ne sais si j’y parviendrai ni d’ailleurs si mon entreprise sera fructueuse ou même si utile que ça, mais dans la situation où nous sommes, le moment est plus que jamais venu pour l’héroïsme, et j’agirai en mon âme et conscience, ma charge dût-elle être un baroud d’honneur. Je crains l’étreinte de Phaïtos tout autant que quiconque, je ne m’en cache pas une seule seconde, mais Zewen m’en soit témoin, je veux avoir jusqu’aux ultimes instants préféré donner ma vie pour le bien commun plutôt que de la sacrifier pour mon égoïste sauvegarde. Quoi qu’il en soit, je ferai tout pour que ma tentative aboutisse le mieux possible, car elle doit aboutir pour notre salut à tous, et si Rana que je vénère avec une indéfectible ferveur veut bien m’accorder sa grâce, elle aboutira ! Déesse des Vents, Pourvoyeuse de Sagesse, Souffle Divin, puisses-tu guider mon arme vers mon ennemie, et pareillement guider les frappes de mes alliés vers leurs cibles de tes courants céruléens, ton humble et dévoué serviteur jusqu’à la mort Léonid Archevent t’en prie désespérément ! C’est après cette prière prononcée plus ardemment que jamais et sans un bruit par le mouvement de mes lèvres dans le vide que je me mets véritablement en action, armant Bushido de manière aussi compétente que j’en suis capable avant de m’écrier puissamment, rayonnant de toute la fougue de ma conviction :
« C’est à la racine que l’on traite le mal ! Avec moi, sus à la Cornue ! »
L’intéressée m’a probablement entendu étant donné le volume de ma harangue, mais dans l’état dans lequel je suis, je n’en ai cure, toutes mes énergies étant dirigées vers l’éradication de la monstruosité écailleuse et celle de tout ce qui se dressera entre elle et moi. Poussant un cri de guerre digne d’un kiai qui achève de me mettre véritablement dans une espèce de fureur pétrie d’indéfectible volonté, je me mets alors à frapper avec une violence renouvelée, changeant cette fois-ci de méthode pour attaquer par de grands moulinets féroces afin de repousser autant que possible les morts-vivants qui m’environnent et faire place nette pour atteindre l’horreur inhumaine.
_________________ Léonid Archevent, fier Soldat niveau 11 d'Oranan et fervent adorateur de Rana. En ce moment en train de batailler follement en compagnie d'une vingtaine d'autres aventuriers dans une gigantesque salle contre une humanoïde reptilienne géante au service d'Oaxaca, conclusion d'une rocambolesque quête.
Dernière édition par Léonid Archevent le Mer 2 Déc 2009 06:12, édité 1 fois.
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