L'elfe hybride cracha et sa salive était rouge.

"Tu crois que je vais parler ? Et surtout à toi ?"

Malgré la douleur qui devait irradier dans tout son corps à partir de son épaule transpercée, ses mains plaquées sur le poignet de Kay qui continuait de retenir son cou dans un étau ferme, rendues sans force par la blessure, il releva à demi la tête et lui cracha dessus. La maître d'armes regarda avec mépris cet envoie saliveux qui ne l'atteignit même pas. Elle se redressa et s'appuya davantage sur la dague. L'autre grimaça.

"Oui, je le crois."

Elle approcha son visage de celui qui s'était tantôt voulu son tortionnaire et qui était désormais celui sous le fer. Ses cheveux noirs, encore courts, encadrait son visage à la teinte cendrée et ses oreilles qui dressaient fièrement leur pointe vers le ciel. Son souffle était encore rapide et chaud - tout comme celui de son adversaire.

"Et tu sais pourquoi ?"

D'un brusque mouvement de poignet, Kay déchira tout l'intérieur de l'épaule de sa victime, la lame taillant la chair et l'os de la clavicule qu'elle racla affreusement. Le sbire d'Averenn transpirait et gémissait.

"Parce que moi je te laisserai en vie. Allons, parle !"

Peut-être de frustration, peut-être de rage, peut-être aussi et bien qu'elle ne voulût le reconnaitre, bien qu'elle s'en voilât la face, parce qu'elle appréciait cette situation, de savoir son ex-bourreau à sa merci, de pouvoir faire mal en ayant le bon droit avec elle. Kay se ressaisit de la dague d'Estë, l'extirpa de la blessure sanguinolente, se déporta légèrement vers la gauche et vint la planter à nouveau, dans l'épaule gauche, éraflant au passage les mains de demi-Shaakt qui toujours enserraient son poignet. Le cri qu'elle arracha ce faisant ne lui fit aucun effet.

"De... de toute façon, c'est trop tard..."

"Qu'est-ce qui est trop tard ?"

"L'a... l'attaque sur votre misérable camp, près de Mertar. Les.. Les Garzoks sont déjà en marche..."

Soudain, Kay devint blanche. Ses mains perdirent de leur force. Elle ne parvint qu'à bredouiller piteusement.

"Co... comment... ? Qui... ?"

Mille pensées se déversaient avec violence sous son crâne. Près de Mertar se trouvait Clair de Lune qui était une des citadelles de l'Ordre des Danseurs d'Opale. Cette place forte avait toujours été très bien cachée - elle-même avait eu du mal à y parvenir. Surtout, elle était réservée aux Danseurs ce qui signifiait deux choses, tout aussi graves l'une que l'autre. La première, c'est que Averenn connaissait désormais l'emplacement de cette citadelle. La deuxième ; qu'il savait que l'Ordre s'était de nouveau épanoui sur les terres de Nirtim et qu'il agissait sciemment contre lui. Sa présence à Kendra Kâr ne devait donc pas être loin d'une coïncidence. La jeune guerrière leva des yeux perdus en direction d'Estë. Les deux Danseuses échangèrent un regard où elles se partagèrent leur mutuelle inquiétude.

Après un dernier regard empli de mépris envers le demi-Shaakt, Kay se remit sur ses pieds et, Estë la précédant, se dirigea vers la porte. Elle allait la passer quand, dans un dernier élan désespéré, l'elfe aux sangs mélangés, dépassant sa douleur en même temps qu'il remettait la main sur sa dague que Kay lui avait imprudemment laissée gisante à ses côté, se jeta sur elle pour l'attaquer dans le dos. Heureusement, la guerrière n'était pas en manque de réflexes ; elle pivota brusquement et sa main vint d'elle-même enfoncer l'arme qu'elle portait toujours dans le bas-ventre de son adversaire. Celui-là eût un sursaut et, finalement, il s'effondra sur le sol, agonisant. Kay abaissa lentement les yeux vers la lame empourprée de sang qu'elle tenait. Puis, sans un mot, elle reprit son chemin.