Fardet se réveilla alors qu’un véritable opéra opérait. Il entendait des cris de toute part, la panique avait pris place à bord. Des femmes couraient en tous sens tandis qu’une voix masculine hurlait des ordres sans queue ni tête :
« Souquez les artimuses ! Soyez combatives mes chères ! Enfin si vous ne voulez pas rejoindre la grande bleue ! Montrons leurs à ces marins d’eau douce !»
Ne voyant pas Larousse, Fardet se hâta de rejoindre la cabine du vieux loup de mer afin de comprendre la raison de tout ceci. Il devait sans cesse esquiver les femmes qui dans leurs empressements ne faisaient guère attention. Après quelques chocs brutaux, il arriva enfin devant la cabine, le capitaine s’y trouvait, il dirigeait la barre.
Fardet s’approcha avec appréhension, il savait que la situation était grave. Le loup de mer trop occupé à vitupérer l’équipage ne remarqua pas le jeune lutin. Il dut escalader le petit meuble qui encadrait la barre pour pouvoir espérer être entendu par ce dernier. « Capitaine… Que se passe-t-il donc ? »
Il regarda Fardet, le visage cramoisi.
« Toi ! Si je ne devais pas te livrer au bon soin de ton futur capitaine je te jure que je te ferais passer par-dessus bord ! Un gros navire, ça ne te rappelle rien ? »
« Mais… La Grande Prostituée n’est pas censée être plus véloce ? »
« Bien sûr que si ! » dit-il, bombant le torse. « Mais là n’est pas la question ! Je me serais décarcassé pour être loin mais pensant faire un trajet paisible je n’ai pas jugé bon de… Et je n’ai pas à m’justifier ! Dégage maintenant tu n’fais que me perturber ! »
Fardet, déconfit à l’entente de ces mots justifiés jugea bon d’écouter et s’éloigna prestement du capitaine.
Il retourna sur le pont et vit ce navire à l’approche, toute voile dehors… Il laissait un sillon dans son passage, fendant les flots avec puissance. Fardet pouvait se targuer d’avoir une vue perçante, mais ce qu’il vit ne le fit que se sentir plus mal encore… Des hommes amenaient sur le pont des gros blocs de pierre. Ils les entassaient près du bord orienté vers nous. Le navire ennemi n’était plus qu’à une dizaine de mètres. Larousse arriva quelques secondes après et me voyant seul sur le pont m’attrapa par le col pour me jucher sur son épaule.
« On dirait que les emmerdes commencent à peine ! Faut prévenir les filles qu’des mages s’préparent à nous bombarder ! »
« Et Garriar ? Ne faut-il pas le prévenir également ? »
« Il ne sait même pas que certaines d’entre nous sont mages ! Ne perdons pas de temps. »
Elle commença à courir en direction des soutes, empruntant un petit escalier, empruntant une porte pour déboucher dans une petite réserve. Deux femmes s’entrelaçaient affectueusement. Elles étaient plus menues, une bonne quarantaine d’années chacune.
« Allez Aphro, Dyte toi aussi t’es de la partie ! L’ennemi est tout proche, vous ferez vos calins plus tard ! »
Les deux femmes se relevèrent aussi sec, une flamme brûlant dans leurs regards respectifs. Larousse courut vers le pont supérieur flanquée des deux mages. Durant ce laps de temps le navire ennemi s’était encore approché de quelques mètres… Bientôt il serait à portée de tir précis et mortel pour un bateau comme la Grande Prostituée.
Larousse se campa devant les deux amantes, ordonnant à celle de gauche de se tenir prête pour dévier les projectiles avec sa maîtrise de l’air. L’autre fut envoyée à la poupe afin d’accélérer la vitesse grâce à son contrôle de l’eau.
Le bâtiment qui nous poursuivait sembla alors perdre en vitesse, enfin c’était plutôt nous qui en gagnions grâce à la magie.
Larousse se porta aux bastingages afin d’anticiper les projections. Ce que Fardet vit perché sur son épaule le laissa pantois. Trois encapuchonnés semblaient convulser à côté des rochers. Ils remuaient les bras, des gestes qui devinrent saccadés, avant de s’arrêter. Ils s’interrompirent subitement. Fardet eut une lueur d’espoir, peut-être s’étaient-ils tous trompés.
Au lieu de ça, les rochers commencèrent à s’élever en parfaite cohésion. Avec fulgurance ils s’élancèrent contre le navire.
Larousse s’écria :
« Dyte, c’est l’moment de balancer tout c’que t’as ! »
La susmentionnée hurla avec rage avant de psalmodier des paroles incompréhensibles. Elle tendit les bras et aussitôt de fortes bourrasques de vent se levèrent. Fardet dut se cramponner au col de Larousse, effrayé à la perspective de tomber dans l’eau. Elle hurla une nouvelle fois et c’est avec d’autant plus de violence que le vent s’éleva !
Deux des roches furent déviés et finirent leurs courses avalées par la grande bleue. La dernière heurta la proue du bateau, ce qui eut pour effet de le faire tanguer dangereusement… La distance commençait à se creuser mais les mages avaient probablement le temps de lancer encore deux salves. Ils recommençaient déjà… Fardet regarda en direction de Dyte, elle était en âge, le visage empreint d’un teint écarlate. (Comment pourrait-elle parer à une nouvelle attaque…)
« Larousse ! J’ai une idée ! Et si Dyte allait rejoindre Aphro à la poupe ? Elles pourraient combiner leurs efforts pour que l’on puisse s’éloigner au plus vite ! » D’un ton bas il rajouta « Elle semble déjà épuisée, je ne suis pas certain qu’elle puisse de nouveau dévier plusieurs projectiles… Autant tenter le tout pour le tout. »
Larousse opina de la tête et demanda à Dyte d’aider Aphro. Cette dernière afficha un air ravi avant de courir en direction de son amante.
« Il n’y a plus qu’à espérer… »
Les trois projectiles fendirent l’air à une vitesse alarmante. L’un d’eux percuta une nouvelle fois la proue, des bouts de bois volaient en tous sens ! Un autre s’abattit sur le pont, à quelques pas de Larousse… Le dernier termina sa course en passant par-dessus, sans doute avait-il été projeté avec trop de force.
Mais ce temps, bien que dangereux, fut également bienvenue. La Grande Prostituée avait atteint une distance respectable et continuait de s’éloigner.
« Eh bien… Il faut prier qu’Aphro et Dyte tiennent encore un peu, que l’on puisse être hors de vue et espérer s’échapper. »
Pendant quelques heures éprouvantes pour le moral, Fardet put voir le navire ennemi. Mais peu à peu il ne fut plus visible que par intermittence, jusqu’à disparaître totalement.
Le loup de mer sortit alors sur le pont, vociférant qu’il fallait fêter ça. Quand les femmes lui rappelèrent qu’ils n’avaient eu le temps de s’approvisionner en boissons, il fondit en larme. Pestant contre le mauvais œil qui s’acharnait sur lui…
Tout l’équipage était encore sous tension. L’attaque en avait remué plus d’une. Larousse décida de prendre le premier quart et alla jusqu’à la poupe pour surveiller la ligne d’horizon. D'autres s'affairaient à jeter à la mer la roche qui se trouvait encore sur le pont. Fardet n’était pas coutumier de ce genre d’expérience et ne trouva pas mieux que de s’endormir, toujours juché sur l’épaule de Larousse.
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Chaque lumière crée une ombre,
Chaque ombre dissimule un secret,
Chaque secret détient une vérité. Brent Weeks
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