Une petite lueur traversa les persienne et illumina la petite pièce. Le vent avait malmené les volets et à force, n'étaient retenus en place que grâce aux charnières, laissant entrer plus de lumière qu'à l'origine. Belle dormait toujours, recroquevillée en position foetale. Hrist quant à elle n'avait pas connu de lit propre et sec depuis des semaines et bien qu'elle ne se sentait pas fatiguée, le sommeil est venu la cueillir dès les premiers instants.
Belle se leva douloureusement avec la mine de ceux qui venaient de passer une nuit trop courte. Elle se dirigea vers une petite assiette creuse qui contenait de l'eau et entama un semblant de toilette. Après s'être toutes deux préparées et dûment habillées, elle se dirigèrent vers la salle commune qui, contrairement à ce qu'elles pensaient, était complètement vide. Le foyer n'avait pas été alimenté et sous la cendre, les braises avaient l'aspect de petites veines qui émettaient une faible lueur.
Belle entendit quelque chose qui n'alerta pas immédiatement Hrist mais qui ne tarda pas à lui venir à l'esprit. Dehors, on n'entendait aucun bruit de forge ni même des ordres qu'un maître lançait à son apprenti, l'agitation s'entendait toujours, mais elle était différente. Poussées par un élan de curiosité, elles traversaient le couloir silencieusement jusqu'à s'être rendue dans la cour extérieure.
Les ouvriers et le personnel d'entretien étaient amassés à la sortie du porche, ils se protégeaient de la pluie et du froid serrés les uns contre les autres en observant quelque chose. Mais quoi ?
Il fallut à Belle et Hrist un instant avant de pouvoir traverser la foule qui s'était agglutinée dehors. Tous observaient un nouvel exode, des Elfes blancs et bleus entraient en ville, certains n'avaient rien, ne portant sur le dos que de petites chemises de lin, d'autres avaient pu embarquer sur des chariots quelques meubles, peu de provisions, quelques moutons perdus, deux trois poulets affolés et un veau loin de sa mère. Quelques chevaux étaient tirés sous la pluie par de pauvres hères blessés.
" Par Gaia, que s'est-il passé ? "
Un homme bâti comme un roc au tablier de forgeron répondit tout en faisant taper son marteau sur le plat de sa main :
" Des villages ont été attaqués cette nuit. Les loups et les orques. "
Quelques murmures paniqués s'élevèrent dans l'assemblée. Dans les rues, les réfugiés s'entassaient à même le sol sous le regard curieux des habitants qui ouvraient peu à peu leurs fenêtres, étonnés du spectacle de si bon matin.
" Et cette pluie qui n'en finit pas. Il gèle et il pleut en même temps. C'est pas normal. Quelque chose se trame. "
Un autre prit la parole : " Gol a raison ! Ca doit être la magie noire des orques qui veulent ruiner nos récoltes ! Les champs sont inondés et les grains pourrissent. Regardez ! " Le petit homme tira d'un sac de lin autour de son cou une poignée de graines noircies et flétries. " Elles sont pourries. Infectée du milou. Il y a quelques années, je n'en aurai pas donné à mes cochons mais aujourd'hui, je peine à trouver mieux. "
Jofre qui était dissimulé dans l'assemblée prit à son tour la parole.
" On a de quoi tenir avec la chasse et ce que l'on trouve à cueillir, mais s'il faut nourrir tous ces réfugiés... " Il observa désemparé le flot incessants de sinistrés silencieux qui entraient dans la ville. Les gardes étaient totalement désemparés.
Hrist se retira en silence. " C'est assez surprenant. S'il y avait un informateur ici, il aurait probablement été au courant de l'attaque. Et à ma connaissance, la milice se trouve à deux pas et il n'aurait eu aucun mal à donner l'alerte. Et les veilleurs ? Qu'est-il advenu des veilleurs ? Ils auraient pu voir le loup et les soldats. "
Elle observa le ciel. D'épais nuages noirs venaient de recouvrir l'ensemble de la voûte et la pluie tomba plus fort encore. La ville était assez silencieuse, les réfugiés ne parlaient pas, ils avaient tous la mine basse, contemplaient l'étendue de leur désolation et soignaient au mieux les blessés.
Une autre personne sortit alors de la guilde. Une jeune femme, elfe et enceinte jusqu'aux oreilles, Hrist se souvint alors des dires de la petite Belle et compris vite qu'il s'agit là de la propriétaire de la guilde. Les autres se dispersèrent et commencèrent à travailler timidement mais aucun n'y mettais de cœur à l'ouvrage. La jeune elfe bleue observa ce qui se passait et avec un visage déconfit rentra après s'être brièvement adressée à son chambellan qui s'avérait être l'elfe qui avait validé son entrée dans la guilde la veille.
Hrist vit même Adèle, la jeune servante qui pleurait adossée à un poteau devant les sinistrés qui entraient, encore et encore jusqu'à ce que les rues de la ville en soient pleines. La boue montait jusqu'aux molles des marcheurs et les essieux s'embourbaient facilement et bloquaient parfois l'accès aux ruelles les plus étroites.
Les miliciens ne tardèrent pas à être déployés. Ils réquisitionnèrent les granges, les caves, les entrepôts qui de toutes façons, ne contenaient plus assez de réserves de farine ou de fèves. Le capitaine de milice avait même ordonné que les navires soient amarrés pour loger les derniers sinistrés ce qui avait valu une forte protestation des pêcheurs qui étaient le dernier rempart de Lebher contre la faim. La ville ne comptait pas assez de bons chasseurs comme Osmald et Jofre pour satisfaire tous les besoins.
Quelques cavaliers s'en allèrent aux différentes villes et villages alentours pour demander des vivres et de l'aide. Et soudain, elle le vit.
Hrist vit le milicien qui était à bord de l'engin volant elfique. Le même homme. La même voix et le même symbole à l'épaule qu'était le blason de Kendra Kâr. Même si elle estimait qu'il était impossible qu'il la découvre, elle tourna la tête et se hâta d'entrer dans la maison.
Belle était retournée dans le dortoir où elle sanglotait. Hrist n'osa pas entrer, il lui suffisait de passer devant la porte pour comprendre qu'elle s'inquiétait pour sa famille, elle n'avait pas reconnu les siens parmi les survivants et les blessures de certains avaient été choquantes pour une jeune femme si prude.
Norel bouscula Hrist en passant dans le couloir, il avait été assez furtif malgré sa carrure chose qui ne manqua pas de surprendre la tueuse. Elle ne dit rien et l'observa s'éloigner, elle passa le bout de ses doigts entre ses jambes pour vérifier que le fil qui tenait son arme était toujours bien tendu et qu'elle ne s'échapperait pas.
" Ca sent bon le chaos. Un plan génial ? " " Je n'en ai aucune idée. Je devrais peut être essayer de trouver quelques informations à la milice, qu'en penses-tu ? " " Pourquoi pas, ils ne vont pas ouvrir leurs portes aux réfugiés et les gardes auront fort à faire pour y rester. "
Hrist se trouva une tâche à faire, de préférence répétitive et qui ne lui demandait pas trop d'attention de manière à pouvoir continuer de penser. Elle commença par frotter les tables et nettoya le fond des cheminées éteintes pour empêcher les cendres d'étouffer les futures braises, découpa quelques carottes et s'aperçut avec effroi que le fond de la marmite était bien maigre et qu'avec les centaines de nouveaux estomacs en ville, il se pourrait que tous se mettent à souffrir de la faim.
Les dernières nouvelles tombèrent petit à petit. On apprit que le veilleur de nuit du haut de la tourelle en face de la guilde avait fait une mauvaise chute en glissant sur la boue et qu'il s'était cassé le cou sur un tonneau. Que les orques avaient attaqué un village situé beaucoup plus loin et que la présence du loup n'était pour certains qu'une coïncidence, pour d'autres un mauvais présage qui annonçait le malheur sur Lebher et pour les plus pragmatiques, un loup d'orque qui s'était perdu et était venu crier son désarroi aux portes de la ville. Quoiqu'il en était, les orques avaient dérobés chaque moulin et les fermes pour s'emparer de toute la nourriture trouvable.
Jofre, Osmald, Larzul, Norel et l'inconnu étaient à table en compagnie des forgerons et des apprentis chasseurs. Certains fumaient tandis que les autres ruminaient simplement leurs sombres pensées.
" Faudrait envoyer toute l'armée pour les déloger. " Dit le forgeron en tapant du poing sur la table. Face au silence des autres, il continua : " On a fabriqué assez d'armes, chaque enfant mâle peut en porter une et aller leur flanquer une bonne correction ! "
" Les orques sont bien protégés... Même l'armée du roi peinerait à traverser les murs de Pohélis. Sinon ils ne se terreraient pas derrière. Et que faites-vous des treize et de leurs créations abjectes. On dit qu'il transforment les vivants et même les morts pour les asservir. Il en faudrait des gars hardis avec les tripes solides pour vaincre ce fléau. "
Larzul dit avec toute la philosophie que lui accordait son âge : " T'façons, c'est toujours le menu fretin dans notre genre qui trinque."
Hrist de son côté, comprenait doucement.
Les orques n'avaient pas mis au point une magie pour faire pleuvoir sans arrêt et saccager les récoltes, même si l'idée était intéressante, le forgeron se trompait car les orques volaient la nourriture des paysans, c'était donc qu'eux aussi commençaient à éprouver des difficultés à se nourrir. Et si les chefs de meute étaient un rien intelligent, les assauts allaient continuer, profitant que les soldats et les gardes soient débordés par l'exode de façon à amasser davantage de nourriture.
Hrist quitta la pièce, laissant les hommes à leurs réflexions.
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