Le haut prêtre les salua une dernière fois, leur faisant ses adieux, preuve que cette mission s'annonçait des plus périlleuses. Earnar ne s'embarrassa pas de plus de cérémonies, l'inquiétude de Hergand était plus portée envers ses deux disciples qu'envers sa propre personne, ce qui était logique. Il admirait la bravoure d'Adeon et Méline, peu de personnes communes iraient au devant du danger et surtout pas en la présence d'un elfe. L'assassin omit volontairement de leur préciser qu'il ne venait pas de ce monde, estimant que cette information devait être gardée secrète, ses possesseurs se devant d'éviter trop d'interactions entre Yuimen et Elysian, quant bien même leur simple présence sur ce monde suffisait à bouleverser la balance des pouvoirs et l'échiquier politique. Il en voulait comme preuve la nomination de la reine d'Illyria et les changements apportés par les royaumes de Valmarin et de Sihle. Accompagné de ses deux acolytes fin prêts pour cette périlleuse quête, ils déambulèrent sur les quais jusqu'à trouver le navire personnel d'Hergand, l'Aube Rouge. Des marins avaient été envoyés pour transporter une lourde cargaison: la fameuse cloche de plongée que l'earion avait demandé. Montant à bord du navire de l'Ordre de l'Aube, les marins se dépêchaient déjà d'aller l'installer tandis que d'autres s'évertuaient à ramer pour faire sortir du port le bateau. Le bâtiment s'ébranla et quitta le port d'Illyria, l'earion songea que la prochaine fois lorsqu'ils allaient rentrer, s'ils étaient toujours vivants, l'embarcadère pourrait se retrouver envahi de vaisseaux ennemis et un blocus pourrait s'installer comme à Arden. En ces temps troublés, la folie des Hommes n'avait aucune limite, un nouveau Crépuscule pourrait renaître si rien n'était fait, il en était infiniment convaincu.
Lorsque l'Aube Rouge prit la direction des eaux tumultueuses de la mer, les marins mirent les voiles dehors, poussées par le vent, le navire pourvu de vastes cabines s'élança vers l'île de Meriarvi. Alors que Méline et Aedron s'installèrent dans les cabines jouxtant la sienne, il croisa Aedron qui lui remit en main propre le petit carnet de ce fameux marin qui s'était approché de l'île aux courants marins imprévisibles. Prenant possession de l'ouvrage, il remercia le jeune Aedron et se dirigea à son tour dans sa cabine pourvue d'un hamac et d'un lit, d'une table, d'une chaise et d'un grand coffre. Rares étaient les bâtiments à être aussi confortables. Earnar, habitué au roulis des vagues, prit place autour de la table et tourna soigneusement les pages du carnet de ses mains palmées.
Il y apprit que le voyage avait été effectué il y a de cela trente ans, les notes du capitaine étaient des plus détaillées comme on pouvait s'y attendre d'un navigateur. Position par rapport aux étoiles, changement climatique, changement de direction du vent, tout y était. La partie la plus intéressante restait l'approche de l'île, la mer semblait y être agitée, les vents violents et les orages dévastateurs. Le capitaine s'en était approché pour décrire une île couverte de grands arbustes touffus avant d'écrire qu'il s'en était écarté pour éviter un naufrage. Atteindre l'île ne sera pas chose aisée et des sacrifices seront sans doute nécessaires avant de pouvoir entrer dans l'antre de la déesse Meriarvi. Perdu dans ses pensées, l'assassin n'entendit pas Aedron et Méline entrer dans sa cabine.
Lorsqu'il les entendit rentrer, il leva un instant ses yeux vides fixant les deux invités. Les deux souriaient, grisés par l'envie d'aventure, loin de tout, loin de tout ce qui était connu pour entrer dans l'inconnu. Jeune, il avait déjà de nombreuses fois expérimenté cette sensation, aujourd'hui elle était plus ténue et laissait place à une extrême prudence doublée d'une volonté de fer de survivre. Aedron annonça que le voyage durerait trois jours si les vents leur étaient favorables. Nul doute qu'ils le seraient si on se référait au voyage du capitaine il y a trente ans de cela. Pensant qu'il en avait fini, il fit juste un signe de la tête pour signifier qu'il avait compris, cependant le jeune homme s'approcha pour lui demander la raison de la sortie de leur réclusion, à eux earions, et le questionna également sur son intérêt sur l'île de Meriarvi.
Cette fois-ci il releva les yeux en direction des jeunes gens et leur répondit:
- Le roi de Sihle, le roi de Valmarin, la reine d'Arden et même la nouvelle reine d'Illyria sont aveugles à ce qui se passe sur ce monde, ils ne comprennent pas les risques qu'encourent Elysian au-delà de leur petit intérêt personnel et de leur vulgaire querelle. La réclusion des elfes est à mon sens une erreur mais je la comprends à défaut de la partager, si je décide d'agir c'est également pour sauver mon peuple. Après tout nous faisons tous partis de ce monde. Quant à mon intérêt pour l'île de Meriarvi, je suis lié à l'océan et donc à la Déesse, j'ai perçu ses émotions, sa douleur à travers la dague et elle peut me montrer la véritable raison du Crépuscule des Dieux.
Il se tut un instant avant de lui retourner la question.
- Pourquoi l'Ordre de l'Aube s'intéresse-t-il autant à cette île et quelles sont vos raisons pour m'avoir rejoint pour ce voyage, cela a-t-il un lien avec la Larme de la Déesse ?
Il était très curieux à propos de raisons personnelles qui avaient poussées ces jeunes gens à rejoindre sa folle quête. De nouveau, c'est Aedron qui lui répondit après mûres réflexions. Ils étaient à la recherche d'artéfacts pour se rapprocher des Dieux, Earnar comprenait parfaitement cela pour l'avoir vécu personnellement. Leur conviction d'atteindre l'île de Meriarvi s'attachait à la présence de la dague auparavant sur l'île et à présent entre ses mains.
- C'est en effet probable, de plus anciennes civilisations que les humains ou les elfes ont disparu depuis le Crépuscule, je me suis rendu dans ces vestiges et il est possible que leur avancée leur ait permis d'atteindre l'île de Meriarvi, cependant les artéfacts choisissent leur propriétaire et non l'inverse.
Passant à un autre sujet de conversation, il les questionna à propos de l'origine de l'Ordre de l'Aube.
- La reine d'Illyria semble vous prendre pour des illuminés, cependant j'ai plus l'impression que votre Ordre est plus au courant de ce qu'il se passe qu'elle-même. Quel est le lien de votre Ordre avec les anciennes divinités, quelle est l'origine de sa fondation ?
Cette fois-ci, la réponse vint de la sœur qui semblait amère. Elle rappela que les dirigeants les prenaient pour des fous à cause de leur conviction du retour des Dieux, de leur résurrection prochaine, cette théorie pouvait expliquer le rôle de l'artéfact de Caelès et le phénomène de drainage. Elle évoqua la théorie selon laquelle les Dieux ne pourraient revenir d'un coup sur Elysian, toujours en stase à la recherche de leur énergie fluctuante mais qu'elle espérait que leurs prières pourraient les ramener parmi eux.
- Ramener les Dieux sur Elysian pourrait causer des cataclysmes à la chaîne de par leur essence divine mais peut-être que l'évolution d'Elysian doit se faire dans ce sens, nous verrons bien assez tôt cela sur l'île de Meriarvi. A ce propos, quand nous approcherons de l'île, prions pour que la coque et que le mât ne se brisent pas lors de la tempête, je vais essayer de communiquer avec l'esprit de la déesse mais il me faudra un bac d'eau de mer où je pourrais m'y émerger ou au moins un seau d'eau salée pour cela.
Après avoir discuté avec eux, Earnar se décida de quitter la cabine pour rejoindre le pont et observer l'océan.
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