Un genou au sol, la Larme de la Déesse tendue vers le manche ornementé du buste de la Déesse des Flots déchaînés, l'ancien earion tendit une main frêle et hésitante au-dessus de la poignée, une émotion aussi puissante qu'un raz-de-marée agitant son esprit avant que de ses yeux opalins ne coulent un torrent de larmes sans pourtant que le gardien ne sanglote. Ses larmes portaient en elles le fruit de la tristesse et pourtant également d'une certaine magnificence. Un tel être accablé par le chagrin devait avoir perdu beaucoup et Earnar ne fit le lien entre son chagrin et la dague que tardivement, lorsque celui-ci prit enfin l'objet, ses doigts fébriles à la peau parcheminée semblant caresser le visage de la femme qui ornait la poignée de l'arme. Lorsque l'earion comprit, ses yeux semblables à deux perles accrochèrent le regard du gardien. Le gardien n'était autre que l'amant de la déesse Meriarvi, il ne s'agissait donc pas d'un humain sauvé par la déesse suite à la destruction de sa famille mais d'une idylle entre une divinité et un elfe bleu.
Le gardien tenait à l'évidence énormément à la Larme de la Déesse et le servant de Meriarvi qu'il était ne le pressa pas. Rien ne devait rompre ce moment. Pourtant, à son grand étonnement, l'elfe aux yeux encore humides des larmes versées tendit à nouveau la dague. Earnar s'en saisit respectueusement avant de ranger l'objet source d'une grande peine pour le vieil earion.
Celui-ci ne tarda pas à s'exprimer à nouveau, affirmant qu'aucun mal ne sera fait ni aux deux aventuriers, Aedon et sa sœur, ni aux marins de l'Aube Rouge et qu'ils pourraient repartir en toute tranquillité dans leur cité côtière. Cela le rassura un peu, l'assassin avait fini par apprécier certains humains, ne les voyant plus tous comme les héritiers des meurtriers de sa femme et de son enfant.
Le gardien marqua une courte pause avant de le remercier et de considérer que l'amour qu'il ressentait envers la Larme de la Déesse ou Meriarvi elle-même, il ne sut, n'était plus digne d'elle. Earnar voulut rétorquer le contraire, mais il préféra laisser le vieil earion accepter sa peine avant qu'il ne décide de le mener dans un bâtiment en ruine, le même duquel il était sorti.
L'assassin nota quelques aménagements pour rendre le lieu plus vivable, mais lorsque l'humidité et le temps grignotaient une demeure, il n'y avait plus grand chose à faire. Pendant ce temps, Earnar écoutait la voix d'Aaria lui fournir des informations, informations entrecoupées par les interférences de l'île de Meriarvi. De ce que l'assassin put décrypter, l'agaçant sindel avait localisé un second artéfact situé sur le territoire d'un amiral, donc potentiellement sur une île et qu'il allait le récupérer. Quant à l'obligation de mettre en commun les découvertes, l'earion considéra que ce n'était ni l'heure ni le moment. De plus, il n'était même pas certain de pouvoir communiquer avec Aaria'Weïla.
Oubliant l'appel de la reine des sylphes, il s'installa autour du table avec Aedon et Méline pendant que le gardien leur servait du thé. Earnar le remercia avant de se saisir de sa tasse, buvant avec délice son thé tout en l'écoutant parler. Selon le gardien de Meriarvi, il attendait sa venue depuis longtemps, depuis la mort de Meriarvi lors du dernier Crépuscule, soit une attente de plus de trois mille ans, une attente interminable même pour une vie d'elfe. Meriarvi qui était son épouse, lui a confié la tâche de le guider personnellement pour sauver ce monde d'un nouveau Crépuscule. Ce qui marqua le plus l'assassin fut d'entendre ses propres paroles dans la bouche du vieil earion faisant écho soudainement à son douloureux passé. Était-il seulement digne d'être le servant de Meriarvi alors que lui avait toujours cherché la vengeance, l'oubli de la mort de sa tendre épouse, quémandant la mort et tout cela en à peine un siècle ? L'époux de Meriarvi, lui, avait dû supporter la solitude et la mort de sa promise pendant plusieurs millénaires, attendant l'hypothétique élu.
Le gardien s'apprêtait à prononcer les derniers mots confiés par la déesse, mais avant, il voulut s'assurer de l'engagement pris par lui envers Meriarvi.
Earnar réfléchit un instant, un léger doute transparaissant dans son regard, la tête basse, observant les ridules à la surface du thé. Cela constituait une parfaite symétrie avec les ridules parcourant la surface de sa peau, un don offert par Elysian et par les Aigails en un sens. Était-il légitime à protéger ce monde autrefois sous la garde de la Déesse Meriarvi ? Pouvait-il le sauver ? Était-il digne de la déesse, lui l'assassin ? Tout comme les ondes parcourant le thé, l'assassin se rappela que chaque action ou inaction entraînait son lot de conséquences. Plus un être était puissant, respecté ou craint, plus ses propres actions affectaient le cours du monde.
Au bout de longues minutes, Earnar releva la tête, plongeant son regard dans celui du gardien.
- La première fois que j'ai entendu la voix de Meriarvi à travers la Larme de la Déesse, j'ai eu envie de protéger ce monde, de le sauver. Je suis venu sur cette île en ayant à l'esprit que je pouvais mourir à chaque instant lors de la traversée et lorsque je suis tombé à l'eau, balloté par la marée, et échouant sur cette plage, je ne ressentais aucune peur parce que je savais que je pourrais devenir le servant loyal de la Divine Meriarvi.
L'assassin se tut un instant avant d'affirmer solennellement:
- J'irais jusqu'au bout pour ma Déesse, pour sauver son monde et ses habitants. Je serais son serviteur tant qu'une étincelle de vie animera mon corps. Je serais sa Lame et sa Volonté.
Earnar ne doutait plus, il était enfin prêt à accomplir son destin, qu'importe les conséquences de son acte présentement. Il gagnerait la dignité de sa déesse par ses actes dans ce monde et le sauverait.
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