Seuls nous ne sommes rien, ensemble tout est possible. C’est la pensée qui me vint à l’esprit lorsque tête baissée, suite à ma petite explication de notre présence en ces lieux, j’entendis mes compagnons de route renchérir mes propos. Chacun tentait de son argument de convaincre, du mieux qu’il le pouvait, le gros reptile écailleux. Ce dernier, attentif à nos propos, attendit patiemment la fin de nos plaidoyers avant de passer à l’action. Je levai ma tête pour apercevoir son premier geste qui fut de se tourner vers le Nord afin de dissiper, grâce à son souffle puissant, le brouillard qui maintenait caché la grande tour.
Puis de nouveau face à nous, il nous regarda d’un œil sévère avant de prendre la parole. Alors qu’il ouvrit la bouche, on put voir un petit panache de vapeur verdâtre qui semblait venir du plus profond de sa gorge, tout comme sa grave voix. Ses paroles étaient dures à notre endroit, il nous reprochait notre immense orgueil et doutait de notre réussite, même s’il semblait savoir que nous pouvions faire quelque chose pour sauver son île. Après nous avoir prévenus qu’un faux pas de notre part signerait notre arrêt de mort, il agrippa son petit et prit son envol. Devant nous se dressait désormais un étroit chemin fait de roches coupantes.
Oui, pleins d’orgueil nous l’étions, moi en premier. Je voulais montrer à ce noble dragon, que malgré ma petite taille, j’étais capable d’accomplir de grandes choses. Je ne savais pas comment je m’y prendrais, mais je n’étais pas seule, et ensemble avec toute la détermination et le courage dont nous faisions preuve, j’étais persuadée que nous allions réussir notre mission.
Je regardai le long chemin sinueux qui nous mènerait à la tour, puis je regardai mes pieds. Blessée, je savais que je ne saurais marcher tout le trajet, je n’en aurais pas la force. Je jetai un coup d’œil à mes compagnons de route pour constater qu’ils étaient eux aussi blessés, sinon exténués et affamés.
Puis j’observai un instant le ciel. Si Fael était là, je pourrais le monter et ensemble nous volerions jusqu’à la tour. Mais Fael étant le faucon familial, il était demeuré, là où était sa place, la maison de mes parents. Je pensai alors à M. Porsal qui avait la chance d’avoir un compagnon de vie bien utile : Cheshire, un caméléon calme et fidèle. J’aurais aimé, moi aussi, posséder un compagnon de cette envergure. Avec un tel animal, je ne serais pas à la merci de qui veut bien me porter et j’aurais toujours un ami pour me tenir compagnie et me protéger.
(Me protéger…et me rendre service.)Et c’est à ce moment que me revient en mémoire une phrase prononcée par mon vieil ange gardien M. Porsal au sujet des pouvoirs d'invocation de la rune que j'avais trouvée. :
« Quant à l’animal, apparemment, c’en est un tout nouveau, tout beau qui apparaît littéralement de nulle part, complètement obéissant, et tout ce qu’il y a de plus matériel »(Complètement obéissant, mais sans aucune idée de sa race)En effet, il pouvait aussi bien s’agir d’un ver de terre que d’un énorme chat, ou pire encore une baleine. Enfin, je devais prendre ce risque.
J’en étais la à mes réflexions lorsque Sirat m’empoigna par le col et me souleva de terre. Le grand humoran me regarda droit dans les yeux et me sermonna, m’expliquant qu’il ne voulait pas me perdre de nouveau. D’ordinaire, je n’aurais pas supporté que l’on m’empoigne ainsi sans d’abord m’en faire part. Mais là, j’étais si heureuse de retrouver mon grand ami que je croyais perdu dans la maison des contraires que je ne me préoccupai pas de ce petit détail de politesse. Je le fixai à mon tour et mes yeux s’emplirent d’eau encore. Cette fois-ci par contre, c’était des larmes de joie qui menaçaient de quitter mes yeux. Trop émue, je me contentai de lui faire mon plus beau sourire.
À ma plus grande joie, il me déposa sur son épaule, et je me précipitai immédiatement vers son oreille, et lui chuchotai tout doucement :
« Vous m’avez manquée aussi. » Et puis, impulsivement, comme une petite fille qui exprime sa tendresse à son papa, je lui déposai un petit baiser sur le bout de l’oreille, pour ensuite m’asseoir sur son épaule sans me douter qu’un autre heureux événement n’allait pas tarder à se produire. Sirat se tourna prestement et se jeta dans les bras d’une jolie dame toute maculée de terre.
« Lilo ! »Trop absorbée par la menace de l’énorme reptile, je n’avais pas vu la grande dame bleue arriver. Je ne comprenais pas pourquoi ses vêtements étaient si sales, et comment elle était arrivée jusqu’ici, mais cela importait peu, elle était là. Sirat la souleva elle aussi et la fit tournoyer dans les airs. Je savourais moi aussi ce doux moment de bonheur, sans perdre des yeux ma grand amie aux cheveux bleus. Nous étions réunis tous les trois et j’en étais très heureuse.
Puis Sirat nous déposa sur le sol nous demandant si l’une de nous avait trouvé l’artéfact tant convoité.
Tout en tapotant doucement la sphère se trouvant dans mon sac, je répondis :
« J’en ai récupéré un. Il m’a été remis dans cette maison des contraires. »Tout comme un preux chevalier, le guerrier s’offrit comme monture. Je regardai tour à tour Lilo et Sirat. Puis je sortis une petite roche singulière de mon sac.
« Je vous remercie de votre offre, mais je vais tout d’abord tenter d’invoquer une monture. » Je plaçai la petite roche dans le creux de ma main et je soulevai celle-ci à la hauteur de mes yeux puis solennellement et d’une voix forte, je proclamai :
« Aoy »Dès que j’eus terminé de prononcer ce mystérieux mot, la rune s’illumina faiblement puis intensément jusqu’à devenir une petite boule de lumière au creux de mes mains. Cette sphère pris de l’altitude puis se posa sur le sol face à moi, c’est alors que l’intensité lumineuse s’intensifia au point de m’aveugler avant de disparaître complètement et de laisser à sa place un magnifique spécimen animal à la robe charbon et aux exquis yeux d’ambre. Je ne pouvais nier la beauté de cet animal, mais je ne pouvais cacher ma déception, ni ma peur. La bête que j’avais moi-même invoquée pour me servir n’était nul autre qu’un chat, une des espèces que je redoutais le plus.
Je voulais m’approcher de lui, mais mes jambes refusaient de m’obéir, puisque d’instinct je craignais cet animal. Après un petit moment, pendant lequel j’avais tenté de me raisonner, je lui donnais mon premier ordre d’une voix douce.
« Je t’appellerai Arak et tu me serviras de monture. »Le chat obéissant se coucha immédiatement devant moi pour sans doute faciliter ma montée sur son dos. Je m’approchai prudemment en clopinant avec ma cheville blessée munie d’une attelle improvisée. Pour me donner du courage, j’évitai de lui regarder le visage, croyant que j’oublierais plus facilement qu’il s’agissait d’un chat, un de mes pires ennemis. Sans trop de difficulté, je grimpai sur son dos. Pour assurer ma stabilité, je m’agrippai au petit collier noir très discret qu’il portait en prenant soin de ne pas tirer trop fort pour ne pas le blesser. Une fois en place, je lui demandai de se lever et l’animal s’exécuta immédiatement. J’étais enfin prête à me mettre en route. Même si Arak, nom donné en mémoire du nain roux disparu, faisait partie d’une race que j’abhorrais, je ne pouvais nier qu’avec sa souplesse et son agilité féline, il devenait un atout de taille pour franchir ce chemin escarpé nous menant à la tour.
Ezak prit la tête des opérations et nous suggéra de se déplacer deux par deux en prenant soin de laisser le minotaure fermer la marche. Sa stratégie était acceptable.
«Moi, Sirat et Lilo seront les suivants. » puis me tournant vers mes comparses je leur demandai :
« Si vous voulez bien de moi bien sûr. »