Sigdral marmonnait, il avait quitté la compagnie du Shaak et se tenait à côté d'elle, devant le feu. Rose se pencha pour voir ce qu'il faisait, tête baissée vers le bas, et constata sans émotion qu'il avait plongé sa torche éteinte dans l'âtre, pour la raviver. Il avait l'air pensif, son visage n'était égaité par aucun mouvement convulsif, ce qui la trompa d'abord. Ce n'est que quelques instants plus tard, lorsqu'il secoua légèrement la tête comme pour chasser une idée, une image qu'il refusait, que l'elfe remarqua que ses yeux étaient incertains et reflétaient souvent un tremblement qui montrait combien peu tranquille il était. Le court état de torture intérieure qu'avait subi Rose un instant auparavant avait, curieusement, diminué sa perception, amoindri l'acuité de sa vue et de son écoute. En recouvrant progressivement, avec la clarté d'esprit, la capacité d'entendre, elle comprit que c'était à elle que s'adressait le semi-elfe. (Partir... Oui, et au plus vite. Mais... Sigdral, je serai encore moins discrète sous cette cape, mon corps élargi de ce large et lourd morceau d'étoffe. Mais ce n'est rien, faisons ainsi...) Elle ne lui répondit pas. Ne pouvant regarder le reste de le pièce, elle était incapable de savoir si l'elfe noir était tourné vers eux ou pas, et n'osait donc se risquer à prendre la cape. Elle observa distraitement le semi-elfe, seul élément qu'elle pouvait percevoir sans se mettre en danger ; son visage était rougi par le feu, dans ses yeux se reflétaient les brusques sursauts des victimes, les branches, et des bourreaux, les flammes. Ne sachant comment deviner la position ni l'attitude de l'homme sombre qu'ils avaient rencontré, elle restait là, incertaine. Toute action lui était interdite. Puis, le signe qu'elle attendait, l'incide dont elel avait besoin, lui tomba sous ls yeux comme par enchantement. Sigdral venait de faire un geste, un infime mouvement, qu'elle pouvait interpréter. Il avait baissé les yeux de côté et haussé légèrement l'épaule gauche, il devait sentir la présence terrible du colosse, mais surtout... le regard, il sentait probablement son regard posé dans son dos, ce qui aurait légitimement provoqué ce mouvement des yeux vers l'arrière de la pièce et cette contraction du dos, où devaient se poser les yeux du bourreau. Il était tourné vers eux, elle ne pouvait donc rien faire. cet indice la rassura quelque peu, la sortir de son incertitude. Il fallait que Sigdral se déplace, car elle-même ne le ferait pas et l'on ne savait qu'attendre de leur... hôte. Mais personne ne disait mot, les deux hommes étaient statiques, comme paralysés. Cet état dura un moment. Le guerrier avait remarqué la gemme bleue, lui aussi, cela se voyait à son regard fixe posée sur elle avec une insistance suspecte. Il leva la main en direction de la gemme, Rose tressaillit.
(Il va se faire... je ne sais quoi, tout ce dont est capable notre hôte sombre. C'est étrange, j'aurais cru que si mon attention était aussi fortement attirée par cette pierre, c'était que le... la magie invisible qui émanait d'elle trouvait sa résonance dans ma propre magie, certes fort faibles mais réelle quand même. Si elle ne l'était pas, je ne serais pas capable de produire quelque phénomène étrange que ce soit. Mais pour cet homme, ce guerrier, quel est le fluide, le sortilège latent qui le fait tendre ainsi la main vers la pierre? Ou alors c'est un artefact dont le pouvoir est de fasciner. Ne touchez donc pas à cela, guerrier !)
Heureusement, il renonça, comme après un difficile combat entre deux instances de son esprit. Arrachant son regard de l'objet désiré, il recula de quelques pas et fit volte-face sans brusquerie. A son discret soupir de soulagement, Rose comprit que l'elfe noir n'était pas menaçant. Elle entendit, en écho des pas de Sigdral sur la pierre brute, un autre rythme : le shaak se déplaçait. Par chance, il entra dans le champs de vision de l'enfant ; elle pouvait distinguer un morceau de son armure, il était probablement tourné vers sa roue tournante au chant si peu euphonique. Sigdral s'éloignait doucement vers la porte, l'allure incertaine.
(Je veux quand même voir cette pierre, non pas la prendre mais savoir, comprendre de quoi elle est faite et ce qui, en elle, provoque cet effet puissant et... dangereux. Si elle est là, c'est qu'il doit y avoir une raison précise, hélas je ne la connaîtrai sans doute jamais. Le bourreau ne regarde pas... Un instant, seulement, je la reposerai après.)
Elle allait saisir la pierre, imprudemment découverte à la vue de qui regarderait dans sa direction, quand une idée la frappa et l'amena à se rasseoir.
(Et si... et si ma curiosité était une fausse raison? Je veux seulement savoir, oui, c'est l'objet qui m'intéresse, la magie qu'il renferme, et non sa possession. C'est ce que je crois, et dont je pense être certaine. Mais, si c'était une ruse de mon esprit pour m'autoriser à la prendre parce qu'elle exerce sur chacun, et aussi sur moi, un attrait particulier? Alors il faudrait absolument se l'interdire, quelque soit le prétexte, même avec la meilleure des raisons du monde. Comment savoir? Je ne pense pas que ce soit cela, je veux seulement l'examiner. Pour m'en assurer, pour éviter d'être fascinée comme vient de l'être le guerrier, je vais compter. Au bout de trente, je devrai impérativement la reposer. Quitte à m'arracher les mains pour ce faire, au bout de trente la pierre sera remise à sa place. C'est encore trop risqué... Alors non, je ne la prends pas. Je la laisse là où elle est. Je la prend dans ma main, sinon je ne puis rien voir, mais je ne la déplace pas. Si je ne suis pas capable de découvrir quoi que ce soit en l'observant de près, je n'en tirerai pas davantage à un examen plus proche.)
Et c'est ce qu'elle fit. S'assurant que l'homme lui présentait toujours son dos et non sa face, l'enfant bondit silencieusement de son recoin, le cœur battant, et se pencha au-dessus de la cheminée, dégageant prestement la gemme de son abri pierreux. Elle eut quelque mal, le minéral était solidement incrusté dans le mur ; mais elle y parvint bien vite. Elle l'approcha de ses yeux, calme mais oppressée, et y put distinguer... des choses qu'elle n'aurait jamais imaginé. Elle allait la reposer, surprise de ce qu'elle avait vu, lorsqu'elle entendit un craquement de l'autre côté de la pièce. Elle se hâta de retourner se dissimuler dans son recoin, toute en alerte, le souffle coupé. Mais le bruit ne se reproduisit point, par chance, et l'on ne l'avait pas vue. La jeune fille tressaillit en se rendant compte que ce qu'elle avait entendu était probablement le faible et rauque gémissement de l'une des créatures couchées sur les tables... Attrapant la cape de Sigdral qui reposait sur le sol, elle sortir de sa cachette et s'approcha silencieusement de la sortie, les yeux rivés sur l'armurier.
(Ne vous retournez pas, je ne vous veux aucun mal... Il faut sortir d'ici, sortir au plus vite. Cet homme, il a quelque chose de... de surnaturel. Mais c'est vraiment la dernière personne qui je nuirais. Ah, mais qui parle de nuire? Et puis je... Ah! Non! La pierre, je l'ai gardée! Je ne voulais pas, j'ai eu peur de bruit et je l'ai prise... Ah, maudite je suis, mais je ne volerai pas, ce caillou est le trésor d'un homme malheureux, et moi, je le lui laisse. Il suffit d'être précis, et peu importe si ce geste entraîne la colère, la violence et la mort.)
Se retournant silencieusement après quelques pas, Rose lança d'un geste souple et court, la pierre bleue en direction de la cheminée. Par bonheur, elle ne manqua pas sa cible, et la gemme tomba sur le manteau de la cheminée, et roula un instant. Rose regardait cela, le cœur battant, le souffle court et le pouls rapide, il ne fallait pas qu'elle tombe, cela pourrait l'abîmer, le bruit du heurt alerterait le bourreau, il ne fallait pas...
La pierre ne tomba pas. Elle arrêta son dangereux mouvement, oscillant sur le bord, puis recula légèrement et s'immobilisa, tressaillante.
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