Elle se réveilla au milieu de la nuit, transie par le froid, recroquevillée sur le sol dur. Au dehors le vent soufflait, sifflait même, s'introduisant par la cheminée éteinte. La bougie avait fini de se consumer, si bien que la seule source lumière provenait de la nuit sombre, les rayons lunaires se glissant difficilement par la fenêtre aux lourds verres.
Victoire se releva, se frottant les bras avant de se diriger vers son lit. Elle était toujours habillée, la maille ne l'ayant pas quittée de la journée, pesant sur ses épaules et son dos, l'acier froid n'aidant pas à la réchauffer. Elle n'eut pas la force de l'enlever cependant, se contentant de défaire le fourreau de son épée, le gardant en main néanmoins.
Elle se retrouva debout devant le lit, les souvenirs faisant une nouvelle fois surface, malgré le demi-sommeil. Elle prit une profonde inspiration avant de tirer la couverture et de se glisser sous les draps, lentement. Elle ferma de nouveaux les yeux, le fourreau toujours à la main, rationalisant du mieux qu'elle le pouvait. Elle ne risquait rien, pas cette nuit, même si tout son être lui criait le contraire.
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Le réveil fut douloureux, chacun de ses muscles la tiraillant affreusement. L'une des premières choses qu'elle fit fut de retirer enfin la cotte de maille. Elle constata ensuite les dégâts de la veille, toutes ses robes gisant sur le sol, empêtrées dans un fouillis digne d'un camp orque. Au petit matin la chambre n'avait plus cet aspect inquiétant, ne lui rappelait plus la tentative de meurtre et de viol, ne la traumatisait plus. Elle se sentait même stupide de s'être laissée aller à telle panique.
Elle prit le temps de ranger, avant de se choisir une tenue digne d'une duchesse. Cela lui fit laissa une impression étrange que de quitter les chausses et le pourpoint pour une robe bleue élégante, aux manches de dentelles. Elle avait l'impression de redevenir la petite fille qu'elle était, plus d'une mois et demi auparavant, bien avant de rencontrer Lydia et de lutter contre son frère.
La matinée fut chargée: Victoire devait rencontrer un prêtre de Gaïa, pour s'assurer du soutien local des religieux, mais aussi faire le point avec le trésorier ducale des finances du domaine, qui avaient été laissées à l'abandon depuis la mort de Pierre. Celles-ci étaient loin d'être en parfait état, le coût de l'attaque des orques et des valoriannais s'élevant à plusieurs milliers de yus, somme qui ne pourrait pas être investie dans l'armée. Le trésorier était optimiste quand à l'exportation de vin et de fer, mais une guerre en l'état serait ruineuse.
La jeune fille ne voulait pas augmenter les impôts comme premier acte officiel, ce qui lui attirerait l’incompréhension du peuple et probablement le rejet. Qu'il était simple de lutter contre ses ennemis en s'introduisant de nuit dans leur château... La gestion du duché risquait en tout cas d'être bien plus complexe qu'elle n'aurait pu l'imaginer. Le trésorier lui suggéra de faire l'inventaire total des richesses du duché, profitant de la présence de la plupart des seigneurs pour obtenir les informations rapidement.
Ce fut là le douloureux exercice de l'après midi, la duchesse faisant venir un à un les nobles de son domaine dans le cabinet de son père, prenant en note l'étendu du patrimoine et des ressources de chaque seigneurie. Bien entendu, chaque seigneur ne comptait pas les terres et les finances de la même façon, certains n'incluant par exemple que les terres cultivables ou les ressources totale de l'année en cours, d'autre parlant des terres dans leur ensemble et des stocks actuels et non totaux.
Une nouvelle fois, le soir vint rapidement s'installer, la jeune fille étant affligée d'une migraine douloureuse. Pourtant, elle n'avait passé en revue que le tiers des ressources, devant encore passer le lendemain à ce laborieux exercice. S'entrainer avec Lydia n'était pas si douloureux, une fois remis en perspective...
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