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Temple de MouraLes pages de mon vieil ami le grimoire se mirent à crisser légèrement alors que je le remontai, le calant dos sur mon avant-bras, sentant sa couverture rigide reposer contre mon torse. Sur le chemin de pierre menant au temple, je voyais de plus en plus d'humanoïdes s'avancer, contribuant à me faire progressivement perdre l'envie d'assister à la cérémonie de la matinée. D'un autre côté, j'avais déjà prié Moura et me sentais suffisamment calme pour me permettre de m'en passer. Ceci dit, je ne pouvais pas rester ici et prendre racine, quand bien même l'endroit était plaisant. Un bruit d'éclaboussure me parvint et je tournai la tête, distinguant les silhouettes des enfants jouant dans le lagon au milieu des plantes aquatiques. Ils avaient relevé leur tunique, dévoilant en dessous un court pantalon de toile, lui-même retroussé au-dessus de leurs genoux. Mes yeux clairs captaient les projections de l'élément liquide qui, suite à un mouvement de bras de l'un des petits, en déséquilibrèrent un autre.
Petit à petit, alors que je percevais parallèlement le grondement de la cascade proche, une idée toute simple me vint.
(
Compter sur la force de l'eau pour palier sa non-existence chez soi, cela semble pratique... )
Je fronçai bientôt les sourcils, en proie à une réflexion découlant de cette pensée. La veille, j'avais tenté de me débarrasser de mon assaillant en le repoussant à la force de mes bras et de mon fidèle grimoire. Mon visage se tourna légèrement vers mon épaule droite, repensant aux coups de dague. Je pouvais affirmer sans détour que cela avait été loin de fonctionner efficacement. Je n'avais pas la force physique nécessaire pour faire reculer un adversaire au corps à corps et je le savais pertinemment. En revanche, je savais aussi que mon être recelait une puissance qui ne se trouvait pas dans la force brute. C'était d'ailleurs cette même puissance qui me permettait de faire jaillir un filet d'acide bien utile. Dégageant mon bras libre de sous ma cape, je déroulai lentement mes doigts d'écorce, apposant mon regard sur ma paume. Peut-être que si je me concentrais suffisamment sur les fluides d'eau qui couraient en moi, j'arriverais à en faire un usage pratique ?
L'idée de pouvoir manipuler moi-même cet élément insaisissable qu'était l'eau, domaine de prédilection de la déesse que je venais de prier, me mis dans un état proche de l'excitation. Je me rappelais très bien lorsque l'ancien vénérable faisait jaillir ce liquide de ses doigts dans le petit potager commun. Sauf que mon idée était un peu plus ambitieuse, davantage destinée à être utilisée contre une entité belliqueuse. Ma décision prise, je me mis en quête d'un espace hors du chemin menant au temple. Si je devais m'exercer, autant éviter tout risque de blessure sur les passants. Mes pas, devenus rapides et traduisant mon impatience, me portèrent jusqu'à une petite clairière proche du cours d'eau. Quelques arbres massifs encadraient en silence un lourd rocher semblant émerger du sol. Quelques tâches de terres éparses me donnaient l'impression que ce même terrain tentait de le ravaler.
En me retournant, je pouvais voir le temple au milieu de son îlot au pied duquel les enfants, sans doute des novices maintenant que j'y réfléchissais, continuaient de barboter.
Retenant d'une main ma cape, je la déplaçai sur le côté, m'asseyant en tailleur dans l'herbe humide puis je la relâchai. Par où commencer mon apprentissage ? Le fait qui me vint immédiatement en tête fut que je devais d'abord matérialiser de l'eau. Je plissai les yeux, en proie à un doute puis me concentrai.
Mon esprit se vidait peu à peu, laissant de côté mon environnement. Je devais maintenir ma réflexion sur une seule chose et visualisai un léger courant, sans couleur bien définie, tirant sur des tons un peu pourprés. Mon corps, lui, semblait se rappeler qu'il ne contenait pas que de ce gluant fluide de vie qui parcourait mes canaux. Progressivement, je sentais une
force naître dans ma poitrine et l'imaginai, poussée par ma volonté, à descendre au creux de ma main gauche. Pendant une fraction de seconde, je revis le visage du bandit auquel j'avais projeté de l'acide. Cet insignifiant moment d'égarement fut suffisant pour que le fil de ma pensée se fasse moins net. Il en résulta un brusque retour de la magie vers ma poitrine, me causant un souffle agacé.
"
Tsss..."
Le reflux fut désagréable. Pas douloureux, juste frustrant, comme si le fluide avait été animé d'une volonté propre et s'était mis à bouder parce que je ne lui accordais pas toute mon attention. Je secouai la tête, chassant de mon esprit ce visage non désiré.
Je repris ensuite ma concentration, m'obligeant à faire le vide, ce qui me demanda de longues minutes. Lorsque je sentis le bon moment approcher, je pensai à ce courant pourpré puis le matérialisai au bout de l'index et du majeur gauches que je tendais vers le roc. Il ne me fallut qu'un court instant pour comprendre que j'avais fait fausse route. Tombant d'une sphère au diamètre dépassant à peine les quelques centimètres, transparente mais aux reflets violacés, de petites gouttes vinrent atterrir sur des brins d'herbe proches. Cessant la matérialisation, je me penchai afin de confirmer mes craintes. Oui, c'était bien cela. Au vu des traces sur la pauvre plante, je n'avais pas fait couler de l'eau mais bel et bien de l'acide.
Posant mon bras contre ma jambe, je réfléchis un moment. J'avais pris cette mauvaise habitude de générer de l'acide en modulant mon fluide magique avant même qu'il n'atteigne mon avant-bras. Cette façon de procéder m'était restée, n'ayant jamais eu besoin de me servir d'un sort d'eau auparavant.
Ma toute première tâche n'allait donc pas être de faire jaillir de l'eau comme je le pensais mais de désapprendre cette étape presque naturelle pour moi. Mon impatience se mua rapidement en sérieux et en réflexion. Il fallait que je parvienne à ressentir le fluide d'eau pour ce qu'il était, sensation que j'avais l'impression d'avoir oublié. Que faire ? Je me concentrai à nouveau un long moment, visualisant l'ondulation pourprée dans mon esprit, percevant presque sa nature corrosive. Un indice, j'avais besoin d'une piste. Je me retournai alors vers le cours d'eau et glissai sur le sol dans sa direction. Tenant fermement mon grimoire d'une main, je me penchai vers la surface, y plongeant la main libre. Je percevais le courant, l'onde qui s'avérait effectivement plus rapide, plus vive que celle que je visualisai précédemment.
Gardant la main dans l'eau, je repris ma
concentration.
Combattre mon instinct n'était vraiment pas simple. A chaque fois que je visualisai l'onde d'eau, celle-ci finissait par se teinter de pourpre. Sentant la frustration poindre, je reportai mon regard vers la blancheur bleutée du temple.
(
Et si... Pourquoi pas... )
Lentement, je fermai les yeux, imaginant l'onde magique dans ma poitrine. D'abord sans couleur, comme mon liquide de vie, elle se teintait de bleuté sombre, légèrement verdâtre et avec des reflets ivoires à mesure que je la poussai vers ma paume. Mais surtout, elle était lisse et me fis un instant entrevoir sa fraîcheur. Je retirai ma main de l'eau, allant reprendre place face au rocher sec et terreux. Je le fixai, tendant ma paume gauche dans sa direction. Le fluide d'eau était là, à la jonction de mes doigts d'écorce. Mais lorsque je tentai de le pousser vers l'extrémité de mes doigts, je le sentis se détériorer. Je cessai immédiatement de le manipuler. En le sentant vers le bout de ma main, j'avais inconsciemment envisagé de pulvériser de l'acide. Je fixai alors cette main avec une mine dubitative.
(
C'est à croire que ma main gauche lui fait barrière... Oh mais alors... Oui, peut-être ! )
Un regain d'intérêt me submergea et, calant mon grimoire entre mes cuisses, je déroulai ma main droite, la collant à sa jumelle sous mes yeux. Ma main directrice étant la gauche, jamais je n'avais tenté de concentrer ma magie dans son opposée. Il n'était jamais trop tard pour commencer. Je rassemblai alors mes idées, les unissant avec l'objectif de manipuler ce fluide d'eau que je percevais dans ma poitrine. Autant la voie dans la main gauche était aisée, autant celle vers la droite était constellée d'obstacles. J'alternai les instants de concentration intense et de pause car à certains moments, lorsque je poussai la magie dans mon bras, je pouvais sentir une tension physique interne désagréable. Au bout de quelques minutes, je tentai de forcer le fluide jusqu'à mon poignet.
"
Ah ! Gh... Hum..."
Mauvaise idée, confirmée par la douleur vive qui perça mon poignet comme si on n'y avait enfoncé une large aiguille. J'avais perdu un instant patience, ce qui ne me ressemblait pas du tout. A trop me précipiter, je risquai simplement de me frustrer d'avantage. Décroisant les jambes, je me laissai tomber dans l'herbe humide et fermai un instant les yeux. Manipuler cette force intérieure était une chose, vouloir la contrôler à des fins particulières en était une autre. Je tendais l'oreille, laissant la voix de l'eau m'apaiser un peu, percevant encore par moments les échos des jeux des novices. Mes yeux clairs finirent par se rouvrir, se rivant à un nuage grisé.
(
Patience... Patience Mythanorië. On ne brutalise pas les fluides, pas plus qu'on use de force envers l'eau elle-même... Mais par contre... )
Je me rassis, secouant un peu la tête.
(
On peut la guider, la canaliser... )
Ma main droite s'étendit, émergeant de dessous la cape, se dépliant doucement. Petit à petit, essai après essai, je parvins à faire aboutir le fluide à ma main, sentant presque l'humidité sous mon écorce. Tendant la paume vers le rocher, je laissai le fluide se matérialiser. Cette fois-ci, ce fut bien de l'eau qui s'écoula contre ma peau végétale, à faible débit. Je poussai un soupir satisfait. Au moins, cette étape-ci était réglée.
Je secouai ma main, chassant les gouttelettes qui s'y accrochaient.
(
Bien... Et maintenant... Si je veux projeter de l'eau avec assez de force pour faire reculer quelqu'un, j'ai d'abord besoin d'en avoir une plus grande quantité... )
Mon esprit s'apaisa, rassemblant les diverses pensées et les tournant vers un nouvel objectif. L'onde magique parcourait mon bras droit avec un peu plus d'aisance mais j'étais pour le moment incapable de mobiliser rapidement cette puissance. Je repliai ma main sur elle-même, retenant ainsi le fluide au coeur de ma paume et le laissais s'accumuler de longues minutes. Au bout d'un moment, pensant avoir généré suffisamment de puissance, je la matérialisai. D'un seul coup, avec une force sauvage, une boule d'eau écarta mes doigts de ma paume. Le claquement douloureux fut supplanté par la surprise de voir cette masse liquide littéralement se déchirer entre mes doigts, étirant terriblement ma peau d'écorce au passage. Le condensé aqueux finit sa course en une flaque juste devant mon genou.
Immédiatement, je ramenai ma main meurtrie contre mon torse, la plaquant avec une certaine frayeur, serrant les mâchoires. Je restai immobile quelques minutes, le temps pour ma sève de reprendre un rythme normal et la pointe de panique de se dissiper. Alors que je reprenais mon souffle, massant ma main meurtrie, je tentais d'analyser ce qui venait de se produire.
(
Aie... Une boule aqueuse plus large que ma main... J'ai du la faire apparaître trop vite... Stupide tête de bois ! Matérialiser autant de matière... Evidemment, que tu allais perdre le contrôle ! )
Je me faisais mentalement la morale, percevant la frustration liée à cet échec. Ma main victime du retour de force grinçait alors que je la mouvais sans la regarder. Je me passai sa jumelle sur le front, changeant cette mauvaise surprise en pensées d'abord réprobatrices puis encourageantes. Point positif, j'avais les capacités pour faire naître une boule aqueuse. Point négatif, j'avais la certitude que cet indicent allait perturber ma manipulation du fluide. Pesant le pour et le contre, je décidai de faire une pause et me laissai à nouveau tomber sur l'herbe, soufflant sur une mèche végétale qui me chatouillait la joue. J'étendis les bras de part et d'autre de moi, le regard se perdant dans les nuages gris clair. Je ne pensais plus à rien de précis, imitant l'un des arbres proche. Muet, présent, vivant et pourtant à peine remarqué.
Je me permis de rêvasser un peu, lissant finalement des doigts les herbes qui m'entouraient. Cette sensation était agréable et apaisante, au point qu'il me fallut une bonne quinzaine de minutes pour avoir envie de me rasseoir.
(
Allez, n'abandonne pas. )
Lissant de la main gauche la couverture de mon grimoire, je tendis la droite vers le rocher toujours aussi impassible. Comme précédemment, je canalisai parallèlement mes pensées et le fluide d'eau qui se mouvait en moi. Avec prudence, j'essayai de doser la quantité d'eau que j'accumulais dans ma paume puis, avec résolution, je relâchai vivement le barrage formé par mes doigts. Une vive déception s'empara de moi lorsque je vis un spectacle pathétique émaner de cette extrémité végétale.
Non seulement la quantité d'eau était dérisoire mais en prime elle coulait comme si j'avais retiré une passoire d'une bassine, autrement dit, en un tas de faisceaux de tailles diverses. Petit à petit, je commençais à percevoir de la lassitude, sans doute liée à la manipulation quasi continue de mes ressources. Pourtant, je m'entêtai, ayant la certitude que je n'étais pas loin de réussir. Secouant la tête, prenant un air décidé, je pointai une nouvelle fois une paume menaçante vers le rocher, prolongeant le temps de concentration pour accumuler de l'eau. Lâchée ensuite, cette dernière me fit le bonheur de constituer un seul faisceau uniforme. Le seul problème était que cette pseudo projection ressemblait bêtement à une cascade coulant de ma main vers le sol. Il me manquait encore quelque chose. Mais quoi ?
(
Si j'ajoute de l'eau, c'est mon contrôle qui en pâtira... La retenir plus longtemps en moi ne servira à rien. Une fois libérée, elle coulera comme n'importe quel liquide venant d'un contenant débouché... )
Si près du but... Si près du but et pourtant je ne voyais pas ce qui clochait. Je tournai et retournai la question dans ma tête. Accompagner le lâcher d'un mouvement de bras ? Cela ne ferait qu'avancer le point de départ sans modifier la force de l'eau. Influer sur sa course une fois matérialisé ? Impossible, l'élément aqueux généré n'était plus influençable une fois hors du contact avec ma paume. De dépit, je me levai, époussetant avec lenteur les brins d'herbe collés à ma tenue. Je revenais sur mes pas, entendant bientôt des éclats de voix flous. La cérémonie à Moura devait s'être achevée vu la quantité de personnes que je distinguai franchissant le pont. Est-ce que cela faisait vraiment si longtemps que je m'étais lancé dans cette entreprise magique ?
Je m'arrêtai un instant, ne voulant pas me retrouver dans le flot vivant, et reportai distraitement mon attention sur les novices. Le trio était trempé, les mains fripées formant des puits dans le lagon, soulevant cette petite quantité d'eau dans leurs poings.
"
Tiens ! Prends ça !"
La fillette qui m'avait percuté fit alors un geste simple. Elle resserra vivement les mains l'une contre l'autre, ne laissant à l'eau qu'un mince espace où passer. La pression exercée était telle que le petit jet transparent parcourut un bon mètre avant d'atterrir dans la figure d'un de ses compagnons de jeu. Mes yeux s'écarquillèrent à cette scène alors que je réalisai à quel point certains problèmes étaient "enfantins".
(
Imbécile... La réponse était tellement simple...)
Mon bras droit était lourd mais je ne m'en souciais pas. Je me tournai bientôt vers la clairière, tendant le bras vers ce rocher moqueur. Dans ma paume, le fluide s'accumulait. Dans mon bras, je le forçai à se presser, le poussant contre mes doigts. La pression augmentait peu à peu.
(
Patience... Patience... Ca y est presque...)
Je sentis le fluide bloqué, menaçant presque de partir en sens inverse si je relâchai la poussée de volonté que je lui donnais.
(
Maintenant ! )
Cet ordre mental s'accompagna d'une brusque ouverture de la main au diapason de la matérialisation de l'eau. Un jet de cet élément émergea de ma paume comme un animal trop longuement retenu, faisant trembler mon avant-bras sur toute sa longueur. Le trait liquide fila droit devant lui pendant à peu près deux secondes, venant frapper le pied du rocher. La pression avait diminué avec la distance mais elle parvint tout de même à chasser une trace de terre de la surface minérale. Un instant incrédule, je vacillai puis me laissai tomber à genoux. Je tremblais. D'excitation ? De fatigue ? Je l'ignorais, sentant à peine un sourire étirer mes lèvres sombres, car là n'était pas le plus important.
Ce que je savais par contre, c'était que j'avais atteint mon but. Certes, cette projection aqueuse n'avait rien de spectaculaire mais j'avais bien progressé en ces quelques heures. J'avais compris le principe de base. Il ne me restait plus qu'à me perfectionner. Sauf que dans l'état de fatigue où je me trouvais, je n'avais qu'une envie, aller prendre un peu de repos sous un toit solide. Les nuages grisés semblaient devenir de plus en plus noirs. Me remettant difficilement debout, chancelant alors que je mettais un pied devant l'autre, je repris le chemin de dalles de pierres en direction de l'auberge.
[[[ Tentative d'apprentissage du sort de combat évolutif d'eau "
Projection aquatique" ]]]
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L'auberge de l'Au-Delà