D’abord, il se bute aux deux portes qui donnent sur la cour. Plus précisément, il pousse doucement l'une qui refuse obstinément de s’ouvrir. Trop occupée par les plantes qui s’incrustent partout en ces lieux. Clodomir se dit que si les gens imitent ce geste, elle pourrait se libérer de ses végétaux. Cependant, peu de personnes visitent ce temple et les rares franchisent plutôt l'entrée valide sans se poser de questions. Ce qu’il exécute avec une légère déception.
(Cet endroit serait tout de même plus accueillant les deux portes grandes ouvertes. De plus, c’est probablement la dernière fois j'ai l’occasion de faire ce geste inutile.)
La nostalgie s’ajoutant au mélange d’émotions, il décide de prendre son temps et de contempler tous les végétaux. La plupart arborent les couleurs vertes et quelques-unes présentent des touches de rouge, orange, jaune ou mauve. L’une d’elles se démarque du lot par son teint complètement bleu. Elle dégage une forte fragrance de menthe très agréable. Les feuilles, presque ovales, soutiennent de petites gouttes d’eau qui ajoutent des reflets de lumière et forment une illusion. Les rainures paraissent plus grosses qu’en réalité. Satisfait de cette pause, il se dirige maintenant vers la salle de prière. Comme la coutume l’exige, il dénude ses pieds avant d’y pénétrer.
La seule chandelle de la place illumine légèrement la pièce au complet et la corpulence de Clodomir jure dans ce décor minuscule. La coulée d’eau qui sinue près de l’autel émet un son faible, mais parfaitement audible dans le silence qui règne. La mousse ronge les murs et grimpe sur l’autel avec la terre. Elle émet cet effluve désagréable qu’on retrouve partout dans la ville. Cependant, dans ce temple, il aime cette odeur. Il se dit que toute cette végétation rend hommage au Dieu de la terre et de la nature. Il s’assoit par terre, près de l’autel. Puisqu’il n’y a personne, dans la salle, il entame sa prière à voix haute.
''Yuimen, Dieu de la terre, de la nature et de la vie. Votre nom est connu de tous et vous veillez sur nous avec bonté. Votre volonté nous transporte vers de nouveaux horizons. Que votre générosité et celle de mes ancêtres nourrissent mon peuple. Que votre indulgence ramène les égarés sur le bon chemin. Nous vous aimons Yuimen.''
Puis, il utilise une formule personnalisée.
''Je m’adresse à vous avec toute humilité et je vous témoigne mon amour. Puissiez-vous me guider vers de nouveaux horizons et m’accompagner lors des jours difficiles. Que la route qui se dresse devant moi m’amène bonheur et sérénité. Nous vous aimons Yuimen.''
Satisfait, il se recueille quelques instants puis entend des bruits de pas. Anxieux, il se lève avec une main sur son bâton et s’exclame :
''Identifiez-vous, car je ne tolère aucune violence dans ce lieu!''
''Ce sont de sages paroles pour un Yuiméniste. Vous connaissez bien les préceptes de notre religion Clodomir.''
Reconnaissant la voix du prêtre, le Wiehl se détend.
''Vous m’avez surpris.''
''Vous m’en voyez désolé. Il se passe si peu de chose ici que j’ai pris la liberté de vous observer. J’espère que vous n’y voyez pas d’inconvénient.''
''Non. Je vous remercie de votre franchise.''
''Je comprends que vous partez en voyage?''
À ces mots, le prêtre s’approche d’un pas solennel. La lueur éclaire désormais son vieux visage ridé. Le vieil homme malgré sa difficulté à marcher tente de garder sa dignité. Ce qui fonctionne plutôt bien, car la sagesse dont il fait preuve suffit à amadouer Clodomir. Il porte une simple tunique vert foncé et des souliers légers. La distance réduite, le Wiehl sent maintenant le septuagénaire. Celui-ci utilise un parfum lors de son bain hebdomadaire. Subtil, mais suffisant pour dissimuler les autres odeurs corporelles habituelles. Son haleine dégage une légère trace de menthe ce qui rappelle au Wiehl cette magnifique plante et aussi que quelqu'un s’adresse à lui.
''Effectivement, je compte me rendre à Tulorim afin d’y mener une meilleure vie. Auriez-vous des conseils à me prodiguer?''
''En effet, lorsque vous serez dans cette ville, allez visiter le Temple de Yuimen et de Gaia. Il est mieux entretenu qu’ici. De plus, pour votre voyage, je voudrais vous remettre ceci.''
Le prêtre déplace un pli de sa tunique et révèle un sac assez gros pour recueillir des parchemins. Il insère sa main et retire trois feuilles bleues. Surpris, Clodomir remarque qu’il s’agit de celles de la plante mentholée qu’il adore tant. Le vieux ajoute en souriant :
''Je vous ai vu admirer cette merveille. Elle a un bouquet particulier n’est-ce pas? Insérez-en deux sous vos pieds. Elles parfument ceux-ci et lorsque vous retirez vos souliers, le fumet est beaucoup plus agréable. Utilisez la troisième comme bon vous semble.''
''Merci beaucoup. Cela est fort généreux. Comment vous remercier?''
''Contentez-vous de prier comme vous le faites. Ceci est ma récompense.''
Ému, il remercie de nouveau le prêtre et rebrousse chemin dans les Ruelles d’Exech.
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