1 er jour de voyage.


Nous sortons de Kendra Kâr et son activité débordante. Sur l'attelage arrière la discussion entre les deux se poursuit alors qu'un calme parfait est dans le nôtre. Seyra veille et fait du zèle, se méfiant de chaque marcheur ou attelage étranger. La route est fréquentée, nous prenons celle de droite, vers Shory. Nous progressons sur une route pavée bien entretenue, entre les fermes et petits hameaux entourant la grande ville. Rien n'est à signaler, le soleil brille entre deux passages nuageux, un vent venant de la mer emporte une odeur d'embrun.

A quelques kilomètres de Kendra Kâr nous passons un fleuve assez grand qui descend des montagnes au nord. Un grand pont de pierre l'enjambe. Il coule calmement, sur ses berges quelques pécheurs tentent d'attraper des poissons à la ligne. Seyra sur le passage du pont est descendue et s'est placée entre les deux attelages afin de sécuriser le convoi. Rien à signaler, une fois passé de l'autre coté, elle remonte à mes côtés et nous poursuivons à vitesse raisonnable.

Plus nous progressons et moins nous rencontrons de monde. Ce n'est pas désert, loin de là, mais cela change de la circulation de la ville et aux abords de celle-ci. Derrière nous les deux autres nous suivent et sont toujours dans leur conversation animé, je commence à apprécier cet humain de nous avoir provisoirement débarrassé du torkin. Nous nous arrêtons en milieu d'après midi sur une plage de sable, en prenant garde de garer les attelages sur un sol ferme avant la plage. Ils ont à disposition des broussailles se trouvant là à manger. Et je réussi à avoir l'autorisation d'un fermier, pour prendre de l'eau douce coulant dans un des petits canaux et servant à l'irrigation de champs, situé de l'autre côté de la route.

Nous profitons de quelques minutes de repos au bord de la mer. L'homme refuse de s'assoir à même le sable, ne voulant pas abimer ses affaires. Le torkin lui dédaigne la mer et préfère se préparer une belle tartine de salaisons ainsi qu'une choppe de bière. Nous prenons aussi un repas, en étant plus économe que le torkin, qui trouve encore à redire à notre collation... Nous repartons ensuite, reprenant la route. Nous passons en début de soirée sur un second pont au dessus d'un autre fleuve et la route s'éloigne alors de la mer pour passer entre les champs.

Avant que la nuit ne tombe un incident se produit, l'essieu de l'attelage du torkin et du noble se brise, sans doute à cause du poids bien plus lourd, entre l'homme, le torkin et toutes les provisions et la boisson ! Nous mettons l'attelage sur le bord de la route et tentons de calmer le nain qui fait une crise, insultant tout le monde et s'énervant contre la piètre qualité des choses Kendranes. Un autre attelage s'arrête et un homme nous propose d'arranger le notre. Nous acceptons, mais le torkin refuse de participer au payement du brave homme.

Soudain un cris de femme, nous décidons d'aller voir ce qu'il en est...

Nous trouvons une jeune femme assise tremblante dans la forêt, un morceau de fourrure dans sa main. Devant elle bouge un être félin fait de métal. La surprise est totale ! Le chat cherche à récupérer la fourrure alors que la fille tente de s'en échapper reculant sans se relever, terrorisée par sa vision. Seyra décoche une flèche qui rate la bête qui nous repère et charge Seyra, je m'interpose, prenant en main mon épée. Je le rate, il en profite pour me griffer et tenter de m'égorger, je le repousse en le lassant contre un arbre, mais il est trop rapide, parvenant à s'y accrocher. Ses yeux brillent d'une lumière rouge et nous vise, je m'écarte précipitamment, entrainent Seyra. L'endroit visé s'enflamme un instant, roussissant l'écorce d'un arbre.

Notre compagnon d'aventure n'a pas bougé, choqué par la vision, le nain n'est pas venu, nous allons devoir nous en charger tous les deux avec Seyra.

(Aakia, c'est quoi ça ?)

(Je n'en suis pas sûre ! Mais attention !)

le chat de métal saute de son arbre et va tranquillement vers la femme apeurée qui tiens toujours la fourrure de la bête. Je cours vers lui, tentant de le faucher de la rapière, mais l'animal esquive le coup et me griffe un mollet avant de me grimper dessus dans le dos en tentant de me griffer. Il appose ses deux pattes avant sur mon épaule et me provoque un violent choc dans tout mon corps. Je tombe à la renverse, éloignant la bête. Seyra a pris ma nouvelle épée sombre et charge la bestiole qui esquive les coups et tente de la griffer.

(Et si il suffisait que la femme lui redonne sa fourrure ?)

(On peut essayer, il est trop rapide pour nous !)

"Seyra stop ! On ne l'attaque plus, recules-toi." Puis parlant à la dame. "N'ayez pas peur et lâchez la fourrure, je crois qu'il ne veut que ça !"

En effet le chat de métal se dirige à nouveau vers la femme en miaulant de façon étrange. La femme lui lance la fourrure et la bête l'attrape et s'enfuit dans la forêt.

"Dame, cela ira ?" le noble réagit enfin et va à la rescousse de la fille.

"C'est quoi cette horreur ? Il semblait si mignon ce chat abandonné dans la forêt !"

Je prends la parole : "Nous ignorons son origine, l'essentiel est qu'il ne nous a causé aucun tord... Il n'a répondu qu'à nos attaques... Néanmoins... sa nature est des plus étrange et inquiétante. Depuis combien de temps l'avez-vous vu ?"

"Depuis trois jours il ère autour de chez nous, il semblait perdu, alors je lui ai posé de l'eau est quelques restes de gibier à l'écart... Mais il ne les a pas touché. Aujourd'hui alors que je cherchais des champignons je l'ai vu étendu sur une pierre dans une clairière, prenant le soleil. Je l'ai alors approché et il n'a rien dit, je l'ai touché... Il était si doux, alors il a ronronné... de façon bizarre, je n'ai pas fait attention à ça et je n'ai pas été prudente ! Je l'ai ensuite caressé et... quelle horreur... La fourrure c'est détachée d'une drôle de façon et je l'ai eue dans ma main... Alors j'ai crié et vous voila..."

"Je vois... Étrange chose, vous vivez dans les alentours, nous pouvons vous proposer de vous raccompagnez chez vous."

"Oh merci, ça ira, vous êtes des voyageurs ? Oui suis-je bête ! Mais vous avez de belles choses, êtes-vous nobles ?"

"Moi je le suis ma Dame." fait notre compagnon.

"Quand à nous deux nous sommes père et fille, tous deux membres de la milice de Kendra Kâr."

"Et moi aussi." fait timidement l'homme.

"Je suis honorée de faire votre rencontre, je ne suis que fille de paysans et de bucherons."

"Nous devons partir ma Dame, un dernier compagnon nous attend à notre convoi, nous avons un attelage accidenté." dis-je.

"Oh, si vous êtes accidenté vous n'irez pas loin ! Venez avec moi, mon père vous aidera, vous ne pouvez pas rester comme cela !"

"Nous vous en serions reconnaissants." fait ma fille poliment.

Nous suivons alors la fille et arrivons quelques centaines de mètres plus tard à découvert, en dehors de la forêt il y a quelques battisses où vivent deux ou trois familles de paysans. Les battisses sont en bon état, le chaume semble frais sur les toits. De la fumée sort d'un des bâtiments et le bruit d'un marteau sur l'enclume se fait entendre. La fille se présente à l'entrée de la forge.

"Père, voici des voyageurs bien embêté et à qui je suis redevable."

"Nahlis, qu'as-tu fais ?" Le père arrête son travail et sort dehors, la figure rougie et en sueur, un tablier de cuir autour de sa taille et son marteau à la main. Un homme de taille moyenne, mais à la carrure d'un travailleur émérite.

"Ils m'ont sauvés d'une créatures étrange : un chat fait comme ces fers à chevaux, de métal !"

"Allons donc, je n'ai jamais entendu pareille chose ! Tu est certaine ?"

"Oui père, je ne mentirai pas, et ces deux hommes et cette petite fille peuvent te le dire, ils l'ont combattu et m'ont sauvés !"

"Monsieur, elle dit vrai, c'est une créature de métal dont nous avons eu à faire. Nous avons pu la faire fuir. Mais je suis impoli, je ne me suis pas présenté : je suis Lelma Noteema et voici ma fille Seyra, nous sommes milicien de Kendra Kâr."

"Et je suis Haured Gerrach, moi même milicien et noble de Kendra Kâr."

"Et bien merci d'avoir sauvé ma fille de cette étrange chose. Je suis Heals Casti, chef de famille, paysans et bucheron de mon temps. Je vous suis redevable tout autant que ma fille, que puis-je faire pour vous rendre la pareille ?"

"Et bien père, ce sont des voyageurs et leur convoi a eu un accident, un de leur attelage est brisé, ils ne peuvent pas avancer, ils faut les aider !"

"Bien, alors on va voir ça, je vous suis messieurs."

L'homme pose son marteau, quitte son tablier et nous suit. Nous repartons alors vers la route, retraversant le bois. Le nain n'a pas bougé du coté de la route et c'est assoupi sur le bas coté, de la mousse de bière dans sa barbe.

Chuchotant vers le père j'explique que le Torkin est un de nos compagnons et qu'il est... assez pénible. Il sourit. Kagnar se réveille et lance un "Couns ! C'est maintenant que vous revenez ?"

"Où est la personne qui c'est arrêté ?"

"Quoi, ce voleur voulait de l'argent, je l'ai renvoyé, qu'un vaurien, mais ça ne m'étonne pas, un Kendran ! Tous les mêmes !"

Je chuchote à nouveau vers monsieur Casti : "Je vous avez prévenu..."

"Allons, calmez-vous, voici un autre homme qui ne vous prendra aucun de vos précieux yus." dit monsieur Casti. "Je suis Heals Casti, un homme du coin qui vient à votre aide."

Le torkin est surpris et réplique plus calmement : "Ah, c'est gentil à vous monsieur Casti, vous êtes raisonnable."

"La nuit va tomber, nous devons apporter les attelages chez nous, je vous réparez. Transvaser le contenu de celui accidenté dans celui qui est entier, je m'occupe du reste."

Nous nous exécutons. Le paysan se débrouille pour faire quelques chose de provisoire afin de pouvoir rentrer chez eux. Nous reprenons la route au pas, quelques centaines de mètres plus loin, un chemin perpendiculaire à la route traverse le bois que nous longeons. Nous prenons ce chemin, relativement bien entretenu et nous arrivons enfin au petit hameau. La nuit est bien tombée, mais nous pouvons facilement nous diriger malgré la faible luminosité.

"Voila, vous devez avoir faim et être fatigué, vous passerez la nuit ici, mais un bon repas avant tout !" fait monsieur Casti. Madame Casti attendait à la porte : "Oh nous avons des invités, entrez donc, nous allons dresser la table ! Quatre couverts de plus Damhi !" Un jeune homme d'une douzaine d'année sort de la cuisine chargé d'assiettes et répond : "Oui maman, tout de suite !"

Peu de temps après nous sommes à table. Nahlis est entre le noble et moi même, Kagnar se prend d'amitié pour monsieur Casti et parlent de forges et d'art du métal. Seyra à mes coté est aussi à coté du jeune frère de Nahlis et échangent quelques paroles convenues. Mme Casti fait le service, nous apportant de délicieux champignons de la veille - Nahlis n'ayant pas fait de récolte aujourd'hui - cuits aux herbes. De délicieuses tranches de pains maisons accompagnent ensuite une soupe d'orties et le traditionnel jambon est descendu de son séchoir pour de généreuses part. Nahlis est fortement intéressée par notre compagnon et ne cesse d'essayer d'en savoir plus sur lui, il est rouge comme un coquelicot et prétexte être devant l'âtre pour se justifier timidement. Quand à moi je reste tranquille, m'inquiétant d'avantage sur la présence d'une telle créature dans le royaume. Plus tard monsieur Casti s'absente quelques minutes et reviens avec quelques bouteilles de vin de noix, son nouveau copain le nain est ravi. La soirée se termine tard et alcoolisée, après le vin de noix s'ensuit la liqueur de prune, puis de poire. Et enfin pour se déshydrater - dixit Kagnar - la bière maison est servie dans des choppes. Je reste raisonnable sur la boisson, prétextant que Seyra doive dormir pour m'éclipser moi aussi. Madame Casti nous montre où dormir : la réserve à foin et nous rassure en disant qu'elle s'est occupée des chevaux et qu'ils ne manquent de rien. La remerciant encore je me couche aux cotés de Seyra et nous nous endormons. Le noble nous rejoindra au cours de la nuit en bougonnant. Et nulle trace du nain avant le petit matin.

le lendemain, alors que le coq chantait depuis plusieurs minutes, je me réveille et sors. Monsieur Casti est au travail et s'occupe de notre attelage accidenté. Il me salut en me voyant et me dit qu'il a presque fini et que je peux me restaurer à la maison. Seyra me rattrape et nous trouvons alors le torkin dormant dans un fauteuil d'osier. Madame Casti nous apporte du pain, du beurre et du miel et nous explique qu'il a passé la nuit là et a veillé très tard avec monsieur Casti. Nous déjeunons en paix. Le noble arrive plus tard et déjeune lui aussi. Finalement tout est près pour le départ. Kagnar se réveille et demande une bière. Nous sortons tous, reposé et restauré et je remercie très vivement cette famille formidable. Tous sont là pour nous dire aurevoir. Monsieur Casti me chuchote : "Le torkin est formidable, apprenez à le connaitre et plus jamais vous ne le jugerez mal." Nahlis n'a d'yeux que pour le noble et Damhi sourit à Seyra qui feint de pas le voir.

Nous reprenons notre voyage, retrouvant le chemin à travers le bois, puis la route pavée...