Inscription: Mer 27 Oct 2010 20:28 Messages: 6658 Localisation: :DDD
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Le regard sincère de sa mère le fixait, aucune hésitation n'était visible dans son regard au bord des sanglots :
- Bien sûr mon petit que je te pardonne. Et toi, me pardonneras-tu d'avoir ainsi gâchée ta vie ?
Sur ces mots, elle versa une dernière larme avant de disparaître. Sa silhouette se changea en minuscules grains de sables ballotés par le vent. Sirius eut la sensation de la perdre à nouveau. Sa tristesse, son écrasante solitude, fut très vite remplacée par un hurlement de rage lancé à l'adresse des dieux.
- Pourquoi ?! POURQUOI ?!! Pourquoi vous me faites subir tout ça ? Qu'est-ce que j'ai fait pour mériter ça ? Qu'est-ce que vous attendez de moi ?! Répondez-moi !!!
Des larmes et un poing furieux frappèrent le sable, la poussière s'éleva jusqu'au ciel. Le silence pesant qui s'ensuivit fut très vite rompu par un tremblement singulier, un chaos inexplicable. Le sable s'était mis à bouger, à danser violemment autour d'Heartless, non, partout, les grains de sable s'envolèrent, formèrent des tours, des montagnes, des océans à un rythme déchaîné avant de s'enfoncer plus loin dans les entrailles de la terre pour resurgir à nouveau. Dans les cieux transparents, la silhouette lointaine du petit garçon qui courait, tenant la toile du désert sous un bras et le trident dans l'autre, était clairement visible, comme un fantôme. Sirius était dans la toile et le trident avait disparu, il savait qu'il devait en sortir pour la prendre au reflet de son passé. Heartless n'avait aucune idée de ce qu'il devait faire, mais il commençait à entrevoir le chemin invisible qu'il devait emprunter. Il se releva avec difficulté, le regard fixé sur l'horizon, ses larmes séchées, balayées par le vent terrible.
- ... Peu importe. Il y a des gens qui m'attendent à l'extérieur.
Après avoir fait le vide dans son esprit et silencieusement fait le deuil de sa mère, le naufragé se mit à courir droit devant lui, sans savoir si il se perdait où si il courait vers son objectif. Il ne pensait qu'à briser la cage qui le retenait prisonnier, une cage dans laquelle il s'était enfermé lui-même en expiation de ses péchés. Tandis qu'il se hâtait, en évitant les giboulées de sable qui lui tombaient sous la tête, les geysers qui menaçaient de lui briser les os, il entendit ses propres pensées et ses souvenirs qui volaient à ses côtés et lui sifflaient dans les oreilles.
Il se souvint de ces nuits passées à parier son futur navire aux jeux de hasard, à enchaîner ses rêves et ses idéaux à son porte-Yus, en se demandant chaque jour si la providence lui accorderait le droit de naviguer de son propre chef. Il se souvint des navires sur lesquels il avait servi en tant que moins que rien, sans jamais songer à se mutiner, à saisir sa chance. Il se souvint des femmes qui ne lui apportaient qu'un réconfort illusoire et coûteux, une fausse chaleur. Il se souvint des histoires que sa mère lui contait jadis.
Matler le justicier qui périt en défendant les faibles seul face à une horde de cent Garzoks. Sigur l'élégante, maîtresse d'armes invincible à la rapière, capables de découper toutes les feuilles tombées d'un arbre avant qu'elles ne touchent le sol. Koushuu le divin. Roi éternel de Yuimen qui se sacrifia dans un combat féroce contre Oaxaca et son dragon...
Heartless avait grandi avec leurs légendes et désirait plus que tout leur ressembler. Avec le temps, il finit par croire que ces héros appartenaient à une ère depuis longtemps révolue.
Pourtant, il avait entendu parler de héros partageant son époque. Cromax de la Rose, escrimeur à la beauté aussi redoutable que le fil de son épée. Lothindil la Gardienne de Yuimen qui, selon la légende, aurait massacré plus de monstres à elle seule que l'armée Lebhrienne en dix ans de raids incessants. Daio le redoutable qui serait prétendument capable de faire fuir un troll rien qu'avec la férocité de son regard...
Il y en avait toujours, des héros, ou du moins, des personnes méritant d'être connues. Alors pourquoi Sirius n'avait jamais songé à les poursuivre ? Il lui semblait qu'il attendait, oisif, un événement qui n'arriverait peut-être jamais et qui le libérerait de la torpeur dans laquelle il s'était plongé. La rencontre avec Gallion Thunderhead bouleversa sa vie, bien qu'il ne s'en était pas rendu compte sur le moment. C'était cette brute qui lui avait fait quitter son monde d'illusions. A bien y réfléchir, sa trahison... son départ... avait apporté quelque chose de bénéfique. La capture de la Laide-les-Maines avait constitué sa première véritable victoire, mais cela avait attiré sur lui les foudres de la terrifiante Erzébeth et peut-être aussi, des dieux eux-mêmes.
Heartless se souvint du jour où, tout petit, à peine dans sa dixième année, il avait osé frapper au visage une brute de deux mètres de haut qui voulait lui voler son pain dans une avenue menaçante d'Exech. Il y avait des gens autour de lui mais il n'était pas protégé par les badauds, ces lâches. Sirius prit son courage à deux mains et sauta pour frapper d'un coup de poing ridicule le menton de son agresseur. Cet acte qu'il considérait comme extrêmement courageux de sa part, qu'il avait eu tant de mal à réaliser... personne ne l'avait remarqué. On l'avait regardé, sanglant et pleurant, se tordant sur le sol, avec mépris. Le gamin avait compris, au travers de cette souffrance, qu'un acte de courage, qu'un acte héroïque pouvait passer inaperçu, et même se voir travesti comme une preuve d'arrogance, un acte motivé par l'orgueil. Les héros qu'il vénérait n'étaient pas de grands enfants à la poursuite d'un nom ou de la célébrité. Ils étaient des héros, voilà tout.
Heartless n'était pas un héros, il le savait au fond de lui. Un homme aux motivations si égoïstes n'avait rien de légendaire, et pourtant il jalousait ces Matler, ces Cromax, tous ces gens-là qui semblaient nés pour accomplir de grandes choses et qu'on n'oublierait jamais. Enfin, tout cela était ridicule. Après tout, le borgne n'avait jamais entendu parler d'un conte épique où le personnage principal était un matricide. Pourquoi continuer à courir en vain ?
"Tu devrais penser à fonder une famille."
Ces mots lointains ne l'emplissaient plus de dégoût mais de remords. Il avait déjà essayé par le passé. Une belle fille, des amis, une demeure. Il avait eu tout ça, pendant un court instant, jusqu'à ce que ses ambitions s'éveillent à nouveau. Son père, à cette fille, possédait un trésor qu'une des connaissances douteuses du marin d'eau douce convoitait. Sirius se laissa prendre au jeu par appât du gain, il avait presque mis la main sur le bijou mais le père de sa fiancé le prit en flagrant délit. Le combat se termina par un accident qui mit le feu à la maison. Le père brûla, Sirius et la fille s'en sortirent de justesse. Mais la belle savait tout, elle rejeta son amant qui partit, dans un acte de rédemption, tuer la vipère qui lui avait inspiré cette idée. C'était un tueur sanguinaire, Sirius n'avait jamais compris ce qui l'avait poussé à ruiner leurs vies, à lui et à elle. Il n'y avait sans doute aucune raison, cet homme était juste un malade qui avait entendu parler du conte du Heartless, le matricide qu'il avait été, et avait décidé d'en écrire une suite encore plus sanglante. Ce malade s'était baptisé "Faucheur d’Âmes", il décorait son salon en ruine avec les têtes de ses victimes désabusées, il avait une folle admiration du matricide sans-cœur qu'il croyait avoir en face de lui, et il jalousait sa femelle. Leur combat au château abandonné de Von Lermersh atteignit des sommets de barbarie. Le "Sans-Coeur" fit tomber son agresseur de la falaise et remporta la duel, mais au prix d'un œil. Depuis ce jour, il n'avait jamais remis les pieds en Exech.
Pourtant, lorsqu'il revit sa tutrice en cette ville, aucun de ses souvenirs pénibles n'avait surgi en son esprit, car il avait recouvré l'ivresse de l'aventure. Et c'était ça, sa raison de vivre, ça et la responsabilité que lui incombait son rang de capitaine, ces gens qu'il connaissait à peine mais ne voulait pas abandonner. Il était grand temps d'avancer, et même de se ruer vers l'avenir, ce que faisait le borgne au milieu du désert, empoignant son couteau d'argent qui était planté dans le sable, parcourant la mer rugueuse.
Il devait sortit d'ici, il était à bout de souffle, quand verrait-il la lumière au fond du tunnel ?
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Dernière édition par Heartless le Lun 17 Sep 2012 15:07, édité 1 fois.
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