L'Univers de Yuimen déménage !


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 Sujet du message: Re: Les arcades
MessagePosté: Mar 21 Aoû 2012 17:18 
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Sirius mit la main sur le trident et le souleva sans difficulté, bien que son poids se faisait sentir dans son poing. En le voyant, il sentit ses pulsions combatives prendre le dessus et il battit l'air avec les pointes du trident. Cette arme... était fantastique. Elle ne payait pas de mine au premier abord mais une fois au contact du vent, on la sentait légère, incontrôlable, comme si elle pouvait glisser à tout moment de sa main, alors qu'elle ne bougeait pas d'un pouce. C'était une vieille arme depuis trop longtemps mise au placard et assoiffée de sang. Heartless le sentit, cette arme était bien plus ancienne que lui, sa confection remontait à des temps immémoriaux. Sa couleur bleue marine et les minces écailles ornant le bout de l'arme étaient la preuve irréfutable d'une fabrication éarienne. Une arme que pourrait jalouser même un prince, mais que seul un arpenteur des mers, un amoureux de Moura, pouvait exploiter à son plein potentiel.

Le pirate se sentit tout puissant, il fit tournoyer l'arme autour de ses hanches, de son épaule, au-dessus de sa tête, il sentit la puissance invisible qui l'habitait mais qui n'était pas la conséquence de fluides magiques. Elle était juste tellement fine, tellement robuste, tellement effrayante, tellement carnivore que l'on ne se rendrait compte de sa vraie force qu'une fois qu'elle aurait déchiré la chair. Son maniement était complexe mais elle demandait à son porteur une emprise plus féroce qu'une lame d'escrime et elle semblait coller au mains du marin tant elle était faite pour être maniée par quelqu'un comme lui. C'était une arme humble, moins noble que l'épée, mais moins sournoise que le couteau. Après qu'il eut fini de jouer avec, Heartless la plaqua contre son épaule, il sentit le long manche qui irritait sa nuque, et c'était, ça aussi, une sensation grisante. Il n'avait plus qu'à partir. Il ressentit encore une fois ce sentiment étrange de culpabilité. Il se souvint de cette scène familiale pathétique à laquelle il n'aurait jamais droit, et il n'avait eu aucun regret lorsqu'il repensa à ce père ivrogne et indigne qu'il avait enseveli sous des sables chauds. Il avait arraché l'enfant à cette morosité domestique, à cette cruauté paternelle. Au fond, il pensa qu'il agissait comme son propre père en abandonnant l'enfant au désert, en le forçant à se débrouiller seul. D'une certaine manière, son père lui avait rendu service en le condamnant à une vie d'aventure, en le privant de toute famille après la mort de sa mère.

Il accorda un ultime regard à la peinture qui, pour répondre à ses remords, bougea. Le dessin ondula, se modifia. Le petit Sirius avança quelques pas dans le cadre, lui sourit et lui fit un clin d’œil avant que sa silhouette ne se perde dans les coups de pinceau invisible qui fouettaient la toile. Le désert se changea en une plaine verdoyante et ensoleillée parsemée de champs florissants et d'un gigantesque pommier. Cette image, le pirate s'en souvenait, mais dans ses souvenirs elle était déformée.

C'était chez lui, la première vision qui s'offrait à lui lorsqu'il sortait de sa ferme natale pour jouer dans les champs. Pourtant, dans sa mémoire, c'était un jour noir de pluie et d'orage hurlant comme ce jour maudit. Mais pourtant c'était idiot. Cet arbre sur lequel il aimait grimper avait été abattu alors qu'il n'avait que cinq ans. Ce paysage n'avait jamais été obscurci par la pluie, jamais été témoin de cette scène atroce, son esprit l'avait noirci, corrompu. Il apparaissait désormais sous son vrai jour, comme il devait l'être, beau, coloré, vivant. Heartless en avait terminé de ressasser son passé et de songer à la mort de sa mère. Au lieu de ça, il pensait aux jours heureux qu'il avait vécu auprès d'elle, à jouer dans les champs, salir ses habits jusqu'à se faire gronder, écouter ses belles histoires avant de s'endormir... C'était le passé qu'il devait garder gravé dans sa mémoire.

Heartless passa par la grande place ronde et ondulante où il avait commencé son errance, Mazhui était toujours près des étals de marchands d'arts alors que la nuit étendait son rideau au-dessus de la ville. D'ailleurs, cette ville, il ne fallut pas longtemps au borgne ayant recouvré ses esprits pour la reconnaître, c'était Nosvéria, jadis. Il y a des siècles, peut-être des millénaires, la mystérieuse citée gelée avait cet aspect-là qui rappelait par endroits l'architecture de Kendrâ Kâr dans les toits, les colonnes, les rues pavées...

Mazhui ne prêta pas la moindre attention à l'arme imposante de son compagnon, mais qu'importe, il n'était qu'un rêve.

- Tiens, où vas-tu comme ça, Sirius, mon ami ?
- J'vais bientôt vous rejoindre,
répondit-il avec son sourire plein d'assurance, z'avez intérêt à préparer de bonnes cuisses de sirènes grillées pour mon retour.
- Je n'y manquerai pas.

Puis le noble Ynorien disparut en fumée, sans que cela n'effraie personne. En marchant encore un peu, sa route fut barrée par une main rugueuse et puissante qui lui tendait une figurine qui avait un air de déjà vu. Ce loup tout griffes et crocs dehors qui semblait protéger quelque chose de cher. Sirius la prit, la regarda d'un peu plus près. D'une certaine manière, il voyait en cet acte un certain héroïsme mais aussi une touchante naïveté, comme si le loup croyait vraiment que le monde s'écroulerait si il ne défendait pas corps et âme ce en quoi il croyait, ce qu'il voulait préserver à tout prix des dangers du monde. Cela résonna comme une tendre moquerie de l'idéal héroïque qui faisait, depuis toujours, rêver l'aventurier.

- Ha ! Très drôle !

Il jeta négligemment la petite statuette au marchand qui la rattrapa de justesse car elle glissait entre ses doigts comme du savon. Derrière Heartless, la statue blanche surplombant la fontaine qui était sensée représenter Yuia la déesse des glaces dont il avait violé les règles sacrées de sa cité, lui souriait tendrement. En guise de réponse, le pirate tapota de ses doigts le manche de son trident et reprit sa route.

Dans le ciel étoilé, une apparition aussi claire qu'un ciel sans nuage était visible. Une fenêtre sur le monde réel. De l'autre côté, Sirius y vit le gigantesque monstre de glace qui, lui aussi, attendrait son retour et serait le premier à l’accueillir. Cette vision l'impressionnait toujours mais il n'y avait plus de place pour la peur dans le cœur d'Heartless. A la place, il ressentit une excitation qui hérissait ses cheveux sur sa tête et faisait couler un sang magmatique dans ses veines glacées. Le marin d'eaux très troubles mesura de loin la taille de son ennemi entre ses doigts puis il les rapprocha de son œil avant de fermer son poing avec une brûlante ardeur.

- D'ici, il a pas l'air si grand. A nous deux, tête d'enclume !

Sur ces mots, Heartless se mordit la lèvre et hâta le pas en direction du colosse.
Et d'Heartless il garda le nom. Car il avait décidé depuis ce jour que jamais il n'adopterait le nom de son père. Le prénom que lui avait donné sa mère suffisait. Ça, et Heartless, le nom qu'on retiendra parmi tous, dans les livres d'Histoire.




Fin de l'Arc I


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Dernière édition par Heartless le Lun 17 Sep 2012 15:17, édité 1 fois.

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 Sujet du message: Re: Les arcades
MessagePosté: Jeu 23 Aoû 2012 11:44 
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Approchez, les enfants, placez-vous en cercle autour de mon siège, et laissez-moi vous racontez l'histoire... non, pas celle du Chevalier de la Rose Sombre... pas celle de la Gardienne de Yuimen... ni celle de Lion Rouge le demi-homme, ou encore celle de Tri-Âme, le shaakt aux trois visages... Non, non non, je ne vais pas vous parler d'un héros sans peur et sans reproche qui affronte les forces du mal. L'histoire que je vais vous raconter n'est autre que celle d'un homme qui poursuivait le rêve de ressembler à ce genre de héros. L’Homme dans toute sa splendeur, l'homme lâche, l'homme orgueilleux, l'homme égoïste... l'homme valeureux, l'homme généreux, l'homme moral.

Car les héros sont célébrés pour être nos mentors, nos guides, leurs idéaux et leur courage embrassent notre esprit pour qu'on suive leur exemple. Mais qu'est-ce qui fait d'eux des êtres au-dessus du lot ? Pourquoi leur vie mérite-t-elle de traverser les âges au travers des récits que l'on fait aux générations futures ? Parce qu'elles nous lient, qu'elles nous unissent ? L'exemple des valeureux soldats morts en défendant leurs valeurs nous encouragent à faire l'ultime sacrifice pour ce qui nous est cher, ne me croyez-vous pas ? L'homme dont je vais vous raconter l'histoire écoutait, comme vous, ces contes glorieux des temps passés, et comme vous, il a désiré ressembler à ses personnages pleins de morale et de sens.

Mais cet homme-là n'est pas un héros. Cependant, de héros il s'est entouré. Est-ce que vous voyez ce que je veux dire, les enfants ? Non ? Je m'en doutais. Avez-vous déjà entendu parler de Nosvéria ? Oui, la Citadelle des Monts Éternels, la ville sacrée de Yuia sculptrice de glace, la cité de givre. Eh bien c'est ici que commencera mon récit. Oui... au milieu des vestiges figés dans le flot du temps...

Il fut un temps immémorial où les hommes étaient proches des dieux. Au sommet des Monts Éternels, un peuple uni composé de plusieurs races d'Hommes, d'Elfes, de Thorkins et de Sinaris réussit la prouesse de bâtir une majestueuse cité en l'honneur de la déesse du froid. Ils s'habituèrent au climat rude et aux dangers de la montagne pour créer le joyau qui ravirait leur déesse favorite. Ce joyau aux ruelles blanches, à l'architecture splendide, à la beauté sans pareille fut appelée "Nosvéria". Après des centaines de créations et de sacrifices en son honneur, la déesse Yuia, emplie de joie par l'amour de ces êtres, descendit les rencontrer au sommet du mont. Mais c'était sous-estimer la bêtise des mortels qui voulurent à tout prix les garder auprès d'eux, faire d'elle leur reine toute-puissante. Elle refusa et les habitants de la cité s'obstinèrent, à tel point qu'ils tentèrent de la retenir en captivité. Mais on ne capture pas une déesse. Pour se venger cet impardonnable affront né de l’orgueil démesurée de ces espèces démentes, Yuia les maudit grâce à sa toute-puissance glaciale.

Tous les Nosvérians furent emprisonnés dans l'étreinte frigide de l'objet de leurs incessantes prières et changés en de froides statues. Entre la vie et la mort, à la frontière de l'éternité, dans les cages qu'étaient devenue leurs corps. Les hommes, les femmes, les vieillards et les enfants furent tous sacrifiés à la déesse, condamnés à vivre ainsi pour l'éternité. Néanmoins, dans sa miséricorde, Yuia leur accorda un jour tous les six mois au cours duquel ils seraient libres de vivre à leur guise et de festoyer jusqu'à la fin de la nuit où leur peau reprendra une teinte bleutée. Cette période fut appelée le Hïenbless.

De nombreuses années passèrent pour les Nosvériens, et pour nous, des siècles. Et c'est ainsi que commence notre histoire...






Arc II : Dans les livres d'Histoire.




L'autrefois magnifique cité de Nosvéria s’élevait encore au plus haut sommet de la plus haute montagne du continent Nosvéris qui s'étend au-delà des terres du Nirtim, loin au nord, où un vent glacial balaie la neige dans la ville solitaire. Il s'était écoulé six mois depuis le précédent Hïenbless et celui qui montrait le bout de son nez aurait été un réveil comme un autre si deux imposantes statues ne s'étaient pas ajoutées entre-temps à la collection sordide de la divine sculptrice. "Mais quel est donc ce formidable géant qui reste immobile au centre de notre cité ?" songea le sonneur, réveillé avant tous les autres pour annoncer le jour du Pardon de Yuia. Guettant le monde au sommet de la grande tour de Telahv, ancienne demeure du premier hérétique à avoir été sacrifié à la déesse et désormais siège en ruines de l'académie des mages de Nosvéria, Peleas, le doyen chargé de faire vibrer la cloche qui réveillerait tous les éternels endormis, gravit les escaliers du monument jusqu'au clocher.

Un son grave et puissant émana de la tour de Telahv et les habitants du dessous perdirent peu à peu leur peau de givre pour revivre à nouveau. Les pleurs des nourrissons se mêlèrent aux cris de joie des adultes. Il ne fallut pas longtemps pour que la foule, prête à festoyer, se masse autour de ces deux statues étranges qui se tenaient debout au milieu de la place principale, toujours immobiles. Ils semblaient des dieux furieux prêts à s'entretuer mais freinés par la malédiction de Yuia. Du haut de la plus grande tour de la cité, le vieux Peleas surveillait la scène avec anxiété. "Ils n'étaient pas là, il y a six mois. Il n'y a qu'une explication à leur présence. Ils ont tous deux violé la Règle de Yuia : celui qui portera atteinte aux habitants de cette ville sanctuaire sera forcé de partager leur sort jusqu'à la fin de l'éternité.".

Les deux statues s'attirèrent la fascination des citadins. L'une d'elle était gigantesque, c'était un géant de glace dont la taille surpassait celle d'une maison à deux étages. Il n'avait pas de cou et pas de tête à proprement parler, juste une bosse entre ses deux épaules, hérissée de pics de glace. Ses quatre membres étaient tels des massues. Bloqué comme il était, il donnait l'impression de vouloir écraser la seconde statue, de taille humaine, avec son bras meurtrier, même bras qui avait, semblait-il, provoqué la destruction de quelques maisonnées alentour. Cette œuvre de Yuia de taille humaine avait adopté, elle aussi, une posture belliqueuse. Malgré la différence de taille plus qu'évidente entre lui et le colosse, le visage guerrier figé dans l'étreinte de Yuia sculpte-glace ne montrait aucune peur, juste un sourire moqueur et arrogant à l'adresse de son ennemi. L'humain n'était pas des plus grands pour son espèce, son œil gauche était recouvert d'un bandeau servant à dissimuler une ancienne blessure et il arborait un long manteau orné qui semblait témoigner de son appartenance à un rang élevé. Sa tête était surmontée d'un chapeau tricorne comme ceux des capitaines de navires, comment un marin avait-il pu se retrouver sur Nosvéria, qui était pourtant si loin de la mer ? Au nord, il n'y avait que de la banquise...

Ce qui faisait naître tant de questions dans les pensées des locaux, c'était surtout les deux armes qu'il tenait dans chacune de ses mains. La première était un long sabre au fil tranchant qui n'avait rien d'anodin, mais la seconde dégageait une impression particulière. C'était une arme étrange, un longue lance qui faisait le double de la longueur de son bras, avec à son bout trois pointes qui semblaient faites d'écailles de poisson. Une arme bien peu pratique pour un abordage, qui ne semblait pas avoir le pouvoir d'éviscérer ses opposants, mais à quoi pouvait-elle bien servir si ce n'est à se battre ? L'autre fait singulier était que c'était la seule arme du borgne qui n'était pas gelée, comme si quelqu'un l'avait mis là après que la malédiction l'aie figé. Comment était-ce possible ? Le doyen Peleas arriva au milieu du trouble, écartant de ses bras ruinés les badauds.

- Ne restez pas plantés là ! Écartez vous ! Laissez-moi passer, par la déesse !

"Bonté divine !" fut la première chose qui lui vint à l'esprit lorsqu'il se plaça juste devant ces deux sculptures avec un insoupçonnable éclat de vie. Mais c'était l'arme étrange qui retenait toute son attention.

- Est-ce là un signe des dieux tout-puissants ?

Lorsque le sage s'avisa prudemment de dérober l'objet à son porteur, il entendit le claquement rude d'un poing qui resserrait son emprise autour du manche du javelot. Ce mouvement inattendu surprit Peleas qui trébucha en reculant par réflexe. Mais à part ce simple mouvement, la statue ne battait même pas du cil. Sa décision fut prise, ces deux étrangetés n'étaient pas les bienvenues dans la cité, autour d'elles, les maisons étaient défoncées et le sol ébranlé par endroits. Il se retourna et donna un ordre avec sa voix enrouée et autoritaire :

- Appelez les gardes et les charpentiers ! Que l'on abatte ces choses et qu'on les jette par la montagne, confions-les à la mer du Nord. Que l'on écarte nos enfants et nos demeures du danger ! Yuia ne nous punira pas une deuxième fois alors que nous défendons sa citadelle !

Sur ces mots, Peleas tourna les talons, scinda une nouvelle fois la foule commère en deux. Mais avant qu'il n'ait pu s'en aller trop loin, un enfant maladroit dans les bras de sa mère laissa tomber son ballon qui roula jusqu'à la cheville de l'aventurier gelé, qui se fissura au contact du jouet. Un long tremblement parcourut la montagne et secoua Nosvéria. En face du marin, le géant de glace se mit à bouger. Le rocher énorme qui lui servait de pied se leva et fouetta le sol si puissamment que s'en leva la poussière neigeuse. L'autre roc qui était son bras se plia au-dessus de sa tête et revint près de son torse. La neige qui s'était accumulée sur ses épaules en déchut et sa silhouette colossale redevint droite avant de se tordre une nouvelle fois pour réitérer le coup meurtrier que Yuia avait arrêté en plein mouvement. La massue titanesque remua dans les airs tandis que les citoyens couraient vers leurs maisons ou n'importe quel abri.

Pendant ce temps, la couverture de glace qui gardait le pirate emprisonné continua à se fissurer en partant de sa cheville jusqu'à ce que tout son corps soit parsemé de craquelures. Le géant abattit sa frappe monstrueuse, le trident émit un bref éclat puis la glace se brisa autour du borgne qui eut le temps de sauter à l'abri de la mort. L'attaque fut tellement écrasante qu'un vent terrible fit voler la poussière neigeuse dans toutes les directions, et la silhouette du marin, soufflée par le choc, fila comme un pantin désarticulé à travers le nuage. Pour ralentir sa course, le guerrier planta son trident dans le sol mais ne laissa qu'une courte trace dans la neige avant d'enfoncer la porte d'une des maisons et de disparaître à l'intérieur.

C'était une petite baraque dans laquelle s'était réfugiée une grande partie des habitants de Nosvéria, ainsi que Peleas le bien avisé. Ils virent le corps du manieur de trident s'écraser contre un des murs de la maison et retomber lourdement en soupirant, lâchant son arme inefficace. Son épée le rejoignit peu à près en filant dans l'air tel un éclair pour que sa pointe s'enfonce dans le mur où elle resta parallèle au sol, à côté de la tête sonnée de l'accidenté. "Il s'est évanoui ?" pensa Peleas qui, en faisant signe aux autres de ne pas le suivre, approcha le borgne et, après avoir contemplé un instant son visage et ses vêtements recouverts de neige, de boue et de poussière, il tendit une main prudente vers son précieux bien. Une telle action semblait, à tous les coups, réveiller le marin qui donna un violent coup de pied dans le manche de son arme pour qu'il se relève et retombe dans sa main. Son œil droit s'ouvrit et fixa l'ancien qui fut un instant terrorisé par la violence de son regard bleu marin. Un instinct sauvage le dissuada de tenter de prendre possession de la lance singulière. Sa voix s'éleva et résonna comme le premier ordre qu'on donnait au doyen de la ville.

- Pas toucher !

Après avoir tapé le sol avait le bout de son arme imposante, l'étranger se leva en s'en servant comme canne et dépoussiéra son manteau. Ses cheveux, longs et gras, apparurent bruns oscillant vers le noir et sa peau moins rouge que celle des habitants du froid, les plus proches de l'astre solaire. A le voir, il n'avait rien d'une Phalange de Fenris, ce peuple d'humains primitifs vivant dans la montagne, près de Nosvéria. Il n'avait rien d'un montagnard non plus. On devinait facilement qu'il venait de contrées lointaines, Nirtim, ou peut-être Imiftil, plus au sud ? Et cette allure, il était tellement relâché dans sa posture, et pourtant il dégageait quelque chose d'intimidant et de charmant à la fois, une sorte de magnétisme dont on ne pouvait expliquer l'origine. Il y avait aussi cet œil couleur de la mer, au regard indomptable dans lequel il avait la férocité du tigre sauvage et la sotte tranquillité d'un chat domestique.

- Qui... Qui êtes vous ? demanda Peleas.

L'insolent ne lui montra qu'un rictus malicieux avant de se plaquer contre une des fenêtres du repaire, observant attentivement la monstruosité qui vagabondait dans les rues à sa recherche. Cette fois, il arbora un large sourire carnassier et moqueur. Son visage fut déformé par l'excitation et la terreur entremêlées.

- Ha ! Il ne sait pas où je suis. Décidément ce monstre n'a pas de cervelle.

Quelque chose le frappa soudain comme un éclair traversant son esprit, le borgne regarda sa main droite et fut montra un air surpris, comme si il avait perdu quelque chose qui s'y trouvait avant. Il n'y avait rien, sa paume était vide et vierge de tous sévices. Mais il dut rapidement revenir à la réalité, une femme qui partageait son abri se rua vers la sortie en voyant que le monstre fracassait les habitations nosvériannes une par une.

- Non ! Mon frère est à l'intérieur ! AIDEZ-... !

Son cri fut stoppé net par la main que l'inconnu avait placée contre sa bouche, avec une violence telle que l'arrière de sa tête heurta le mur. Ses cris de douleur et ses insultes étouffés s'échappèrent timidement de sa gorge tandis que l'injonction du marin tonnaient contre elle :

- Silence, femme !

La femme se débattait, elle gifla son agresseur qui, agacé par son geste, retint son poignet et la poussa un peu plus contre le mur pour être sur qu'aucun cri ne filtre entre ses lèvres. La main de l'homme avait le goût salé de l'eau de mer. Abattue par sa peine, la jeune femme se laissa tomber à genoux et commença à pleurer. Les réfugiés furent révolté par un acte si cruel, mais Peleas avait compris son motif : si elle avait fait trop de bruit, elle aurait attiré le golem vers eux et aurait précipité la mort de plusieurs dizaines de personnes. Cependant, l'acte pouvait aussi être purement égoïste, et le borgne ne se souciait peut-être que de sa propre sécurité. L'ancien se remit à questionner l'homme étrange :

- Qu'allez-vous faire, l'affronter ? Vous pouvez le vaincre ?

Son interlocuteur se retourna et ne put empêcher de rire en entendant ces mots.

- Hahahahaa, tu es fou, vieillard ! As-tu vu la taille de ce monstre ? Vous me prenez pour un demeuré ?!
- Vous allez... fuir ?

Après ces paroles, l'inconnu rabaissa un peu son sourire, il s'adossa contre un mur et jeta un rapide coup d’œil au colosse qui réduisait les bâtiments en poussière à sa recherche, puis il fit la moue.

- Peut-être bien...

Un bruit assourdissant résonna dans la maison, et le plafond fut déformé par la massue du colosse. Il en était arrivé à cette maison. Les réfugiés ( qui étaient constituées par beaucoup de femmes et d'enfants ) se mirent à hurler, pleurer, à implorer Yuia. La crainte du géant était visible sur la face du borgne, après tout, ce n'était qu'un homme. D'ailleurs, cet homme se dirigeait déjà vers la sortie, il semblait vouloir courir jusqu'aux portes de la ville pour laisser les Nosvérians à leur triste sort... La femme qu'il avait frappée pour son silence renonça aussi sa propre douleur pour prier la déesse. Ce spectacle des faibles impuissants qui demandaient vainement la protection d'un dieu piqua une réaction de l'inconnu qui les foudroya tous du regard. Furieux, il saisit Peleas par le col alors qu'il était en train de prier à genoux et le gronda. L'insolence du guerrier, qui traitait le vieux sage comme un simple paysan, n'était plus à prouver, mais il y avait de la raison dans ses paroles.

- Bande de lâches ! C'est comme ça, vieux fou, que tes sujets défendent ta ville ? Surprenant qu'elle ait survécu pendant toutes ces années ! Où sont tes soldats ?
- La déesse... la déesse !
- Comme si Yuia pouvait nous être d'un secours quelconque ! Où sont tes hommes ?!


Avant que le pieux homme ne puisse répondre, les coups sur le toit s'étaient arrêtés. En observant par la petite fenêtre, le porteur du trident vit que les archers Nosvérians s'étaient déployés dans la rue et sur les toits pour cribler le monstre de flèches. Mais c'était bien vain, une telle créature ne pouvait être défaite par de si petites armes. Tant vaillants étaient les héros qui luttaient contre le golem, ils ne pouvaient pas le tuer avec leurs flèches, alors ils tentèrent de gagner du temps en l'agaçant.

En attendant, l'adversaire du golem cherchait une solution, puis il remarqua les cordes et les rênes de chevaux au fond de la salle.

- Ce sont des écuries ?

Peleas, effrayé par la violence de ses paroles, acquiesça d'un hochement craintif de tête.

- Où sont les chevaux ?
- Il n'y en a qu'un... en-dessous, je vais vous montrer.


Puis il le guida jusqu'aux écuries, dans lesquelles un cheval vieux et solitaire hennissait sans raison, s'affolait, défonçait l'enclos de bois qui le retenait, paniqué par le chaos ambiant. Il fut très vite calmé par Peleas qui connaissait les mots et les caresses pour l'apaiser.

- Calme, Simon, calme...

L'aventurier le précéda, portant un amas de corde sur son épaule.

- Qu'allez-vous faire avec tout cela ?
- De la broderie.
- Ah bon... Avec un cheval ?
- ... C'est une plaisanterie.
- Oh...


Après avoir jeté un regard plein de doutes sur le vieillard sénile, le pirate tenta de se hisser sur le dos du cheval mais n'y parvint pas. Il fit une seconde tentative, puis une troisième avant de lancer un sourire gêné à Peleas qui lui renvoya ses yeux pleins de sarcasme.

- Vous ne savez donc pas monter à cheval ?
- Je n'ai jamais prétendu le contraire ! Pourquoi ce regard ? Aidez-moi au lieu de me regarder comme un idiot !


Bon gré mal gré, l'ancien fit la courte échelle au borgne pour qu'il enjambe le dos du cheval. Une fois cette chose de faite, le pirate émit un petit gémissement et empoigna son entre-jambe avec une expression presque pathétique sensée refléter la douleur extrême. Il se retint à peine de jurer :

- P-Par les Enfers !
- C'est ce qui arrive la plupart du temps quand on oublie de mettre la selle...


Peleas savoura sa petite vengeance alors que le piètre cavalier calmait sa douleur.

- Espèce de... P-Passez moi la corde... vite !
- Voici.


L'étranger passa la corde en bandoulière sous son bras et se saisit de son trident avant d'ordonner au cheval d'avancer. Là encore, c'était un échec. Le canasson ne réagissait pas, c'était presque comme si il n'y avait personne sur son dos.

- Hue !... Ha !!... Au galop !... Avance !... A l'attaque !!...

Ce fut la dernière petite cruauté du vieux sage que de mettre une claque sur l'arrière-train du cheval pour qu'il se rue vers la porte de la grange et la défonce pour sortir au grand air, emportant l'infortuné marin avec lui.

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