Attentif, je guette la voix masculine qui brise le silence de cet ouvrage. J'ai beau tenter d'imaginer un faciès de lutin, le type de ton employé brise complètement cette image. J'arrête bientôt d'y réfléchir quand le visage de ce traître de petite taille me revient en mémoire. La réponse de mon interlocuteur me fait perdre le mince sourire naissant étirant mes lèvres. Non seulement il confirme que les shaakts peuvent vouloir le faire prisonnier, mais en prime qu'il s'agit de ses frères. Autrement dit, je suis en train de parler à un grand bipède sombre, dont la réputation n'est plus à faire. Ceci dit, je me moque pas mal des oui-dires. Tant que cette créature, que j'imagine gigantesque, ne tente rien contre moi, ce que le monde en pense m'est indifférent.
A sa proposition de réfléchir ensemble à des réponses, je reste un moment muet. Coopérer avec un individu dont j'ignore les intentions me semble totalement imprudent. D'un autre côté, si c'est la seule façon de se tirer de ce guêpier, je n'ai guère le choix.
Est-ce à cause de mon silence ? Toujours est-il que le shaakt, si je me fie à mes déductions, se met à rire puis se présente.
Là, je hausse le sourcil gauche, affichant une moue dubitative. Depuis quand un être d'un peuple relativement mystérieux donne son nom au premier venu ? Soit il est stupide, soit il ment. Dans les deux cas, du moment que je peux cracher sur un nom, cela me va. Pendant un bref instant, je perçois un mince filet de compassion. Le shaakt, Hekell quelque chose, a aussi eu des démêlés avec des femelles. Je décide de prendre sur moi et de lui répondre. L'idée d'utiliser un de mes anciens noms, imposés tous deux par des créatures honnies, me rebute. Aussi, avec une pointe de fierté, je m'adresse à lui.
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Nessandro, c'est mon nom. Et c'est bien NE-SSAN-DRO, pas de diminutif horripilant. Ce genre de choses n'est bon que pour les humains débiles ou les femelles ridicules."
Je manque de peu cracher les derniers mots. M'obligeant à inspirer profondément, je lâche un soupir sonore puis reprend la parole.
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Des montagnes, hum ? Le moins qu'on puisse dire c'est que ce livre voyage. Et si j'en crois mes oreilles, il le fait en volant."
Pendant un instant, j'écoute le son des battements d'ailes de l'oiseau qui nous emporte. Je finis par formuler une réflexion à voix haute.
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Qu'est-ce qui peut pousser un oiseau à se comporter ainsi ? Cela n'a aucun sens... Sauf si..."
Je marque une pause, cogitant assez rapidement. Maintenant que j'y songe, je doute que cet accident soit vraiment une coïncidence. Le seul moyen de le savoir, c'est d'en parler à mon interlocuteur. Au moins, le fait de ne pas le voir me permet d'échanger avec lui un peu plus calmement. Il est vrai que s'il se trouvait en face de moi, je l'ignorerais superbement, voire me moquerais de lui. Un bipède de grande taille coincé dans un bouquin, voilà une image risible.
Retenant un souffle nasal amusé, je m'adresse au shaakt. Maintenant que je sais qu'il ne s'agit pas d'un aldryde ou d'un lutin, je n'ai plus de raison de me montrer courtois.
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Eh ! Hekell ! Est-ce qu'avant d'être coincé ici, tu aurais vu un animal, comme un oiseau sombre ? "
Grattant du bout des ongles le papier, je balaie du regard la page contre laquelle je suis coincé. Peut-être qu'en sachant comment nous sommes tombés dans ce piège, il sera possible de trouver la méthode pour en sortir.