Route entre Eniod et la Sororité de Selhinae

Il s'agit de longer les côtes, jusqu'à arriver au territoire des humaines de la Sororité. Refusant les représentants masculins des races humanoïdes sur leur territoire, il leur faudra ruser d'ingéniosité pour ne pas se faire repérer, et souvent quitter le sentier surveillé.

Durée du trajet à pied ou sur monture sur le continent d'Imiftil

L’esprit de Lilie était ailleurs. Elle avait pourtant réussi à bien se restaurer durant ses méditations nocturnes. Mais son énergie semblait mobilisée vers l’objectif que représentait sa première destination, sans que ses pensées ne puissent se livrer au vagabondage. Rejoindre la terre des Humaines était une véritable épreuve en soi, au-delà même du fait de rechercher les Ermites, si bien que la Taurion ne se permettait pas de se disperser.

Ainsi, la Shaman passait de long moment à fixer l’horizon de la mer d’un regard morne et vitreux, sans vraiment chercher à comprendre les détails de ce qui se présentait à ses yeux. Voir de si grande étendue d’eau aurait pourtant dû fasciner la jeune elfe, mais son état second ne la disposait pas à de telle contemplation. Tout son être semblait se préparer à une véritable lutte, celle de tenir bon face au poids qui pesait sur ses épaules et à la menace de l’imprévu et de l’angoissant inconnu qui allait jalonner son parcours.

À dos de cheval, la jeune rousse n’avait mis que quelques dizaines de minutes à atteindre la route longeant les côtes d’Eniod. Le paysage inspirait quiétude et sûreté si bien que toutes tensions superflues avaient été rejetées par Lilie. Elle se laissait simplement porter par le rythme posé de sa monture et ne prêtait plus attention à rien.

Ses perceptions endormies, la jeune elfe verte ne perçut pas le corps immergé dans les eaux, alors même que ses yeux balayaient inlassablement les remous de la mer côtière. Il ne s’agissait là que d’un élément du décor parmi d’autre et une douce pensée évanescente vint lui souffler qu’il s’agissait probablement d’un rocher.

Ce fut Marno qui réagit le premier. Le claquement de ses sabots sur le sable terreux s’était fait plus hésitant et il avait brusquement changé de direction, sans même en avoir reçu l’ordre. Il avait aperçu quelque chose qui avait retenu son attention et ce ne fut qu’à ce moment-là que la Taurion se tira de son état de veille intérieure.

« Qu’as-tu donc, brave bête ? », avait-elle demandé en se mettant soudainement à scruter les alentours. Une fraction de seconde plus tard, elle aperçut un autre cheval sur le côté de la voie, près du rivage. C’était ce congénère solitaire qui avait attiré Marno et il devait vraisemblablement avoir senti une certaine forme de malaise de la part de ce dernier.

C’est alors que lui revint à l'esprit l'aspect de ce rocher étrange qu’elle avait aperçu à la surface de l’eau quelques instants avant. Une décharge d’énergie si bien emmagasinée durant ce premier temps de voyage la fit alors bondir de son cheval qui avait fini par se stopper net. Elle s'était alors élancée vers la plage de cailloux et cherchait ce corps. Il n’y avait aucun doute, ce devait être le propriétaire de la bête et il était hors de question de laisser quelqu’un se faire engloutir par les flots sans qu’elle n’ait tenté de l’en sortir.

« Ne bouge pas Marno ! Je reviens très vite ! », avait-elle crié à son cheval prêté tandis qu’elle mettait déjà les pieds dans l’eau jusqu’au haut des cuisses, se déplaçant tant bien que mal en direction de l’individu paressant en réel danger. De l’endroit où elle se trouvait, il lui semblait que le corps était inerte et l’inquiétude avait fini par la submerger à son tour, si bien qu’elle en avait presque oublié qu’elle ne savait pas nager.

« Je peux vous aider ! Vous n’êtes plus seul ! »

Mais elle avait peu de chance d’obtenir une réponse, alors elle pénétra un peu plus encore dans les houles de la mer glaciale, lui arrachant des frissons de peur et de froid qu’elle n’avait pas été en mesure de réfréner. Elle craignait à la fois de se faire emporter par l’eau et de ne pas parvenir à secourir cette personne qu’elle se pensait pourtant en mesure de sauver. La tranquillité du paysage était finalement bien trompeuse...

Lilie fut soulagée de constater que là où le corps flottait à la surface, elle avait encore pied. Se retrouver dans cette incroyable masse de liquide avait de quoi effrayer la jeune elfe, mais elle n’était pas en droit d’écouter ses peurs, en cet instant. Tandis que l’eau affluait et se retirait tour à tour, manquant à chaque instant de faire choir la Shaman enfoncée jusque sous la poitrine dans la mer, elle put constater que cette personne était une femme à la belle chevelure sombre. Son visage était parsemé de ces magnifiques cheveux ondulés et d’instinct, la Taurion dégagea ses voies respiratoires dans l’espoir de la voir respirer. Son attention fut alors attirée par un tatouage qu’elle arborait sur son bras, lumineux, représentant un grand bâtiment entouré de vague. Il était étrange que cette femme ait failli se noyer alors qu’elle semblait familière de l’eau, mais elle ne pouvait se poser plus de questions, elle devait agir.

Ne voulant perdre un seul instant, l’elfe verte entreprit de tirer la rescapée hors des eaux tumultueuses. Ses vêtements lourds l’avaient glacée jusqu’aux os et elle manquait de force. Pourtant, sa volonté se refusait à céder et elle décida simplement de se défaire de tous les habits superflus, laissés dans le sable. Elle aurait bien le temps de s’en occuper plus tard, une fois la femme définitivement sauvée de la noyade.

Mais que fallait-il donc faire, une fois la corps extirpé de l’eau ? Lilie n’avait jamais eu à faire à une telle situation et elle se retrouvait à nouveau confrontée à un problème que son manque de connaissances sur le monde lui empêchait de résoudre. Activant sa réflexion elle aussi engourdie par le froid qui lui collait à la peau, Lilie arriva bien vite à la conclusion que ses poumons devaient être gorgés d’eau, et qu’il fallait donc les vider au plus vite.

Sans tarder, elle plaça le corps de la femme sur le côté et entreprit de presser de toutes ses forces sur sa cage thoracique, après lui avoir ouvert grand la bouche. Quelques gargouillis intérieurs se firent entendre, puis des jets d’eau salés témoignèrent à Lilie le succès de son entreprise. Le temps semblait s’écouler comme du sable fin entre les doigts de la jeune elfe verte telle la vie de l’humaine qui ne tenait plus qu’à un fil.

« Réveillez-vous ! Yuimen, aidez-la, si je me suis trouvée sur sa route, c’était parce qu’elle ne devait pas encore mourir ! »

La Taurion ne sut jamais si ce fut le résultat d’une intervention divine, mais elle vit les yeux de l’humaine s’ouvrir brusquement, avant qu'elle ne prît une incroyable bouffée d’air salvatrice. Sans même se demander si ce comportement était bien adapté à une telle situation, Lilie se jeta contre elle pour la serrer fort dans ses bras.

« Vous êtes vivante ! Merci… », murmura-t-elle, avant de se reculer immédiatement pour observer les traits de la personne qu’elle avait sauvée. Un profond soulagement habitait son cœur et elle était tout simplement heureuse d’avoir pu empêcher un être de périr. En son for intérieur, une prière sincère animée par toute l’émotion du moment fut adressée à son dieu et à toutes les autres éventuelles divinités bienveillantes qui avaient pu intervenir en cet instant, même si elle ignorait tout de leur existence.

« Loués soient les Dieux ! Mais que vous est-il donc arrivé ? Racontez moi tout...

La logique voulait que des explications lui soient données et elle attendit donc, dans l’espoir d’obtenir des réponses. Au dessus d'elles, le cheval de l'humaine les avait rejoint et il avait posé son museau humide sur ses cheveux innondés. Ne restait plus qu'à esperer que Marno ne s'était pas enfuis, bien que Lilie n'y songeait pas encore, trop préocupée par les propos qu'allaient tenir cet être encore si faible et confu.

L’elfe verte n’en finissait plus de la remercier d’être en vie. Comprenant que cette femme était originaire de la Sororité, elle n’en était que plus heureuse. Elle allait pouvoir la guider sur le chemin et en échange, Lilie veillerait à sa santé. La situation semblait finalement moins grave que ce que la Taurion avait cru au départ, puisque la dénommée Elliana avait rapidement retrouvé tous ses esprits.

« Je suis Lilie. Moi aussi je suis en mission, celle de regrouper des personnes pour venir combattre les Shaakts dans la forêt dense. Je suis contente d’entendre que le projet de conquête de ces êtres abjects ne s’intéresse pas à votre territoire mais moi je veux avant tout protéger la nature… »

L’elfe verte se recula quelque peu de la rescapée pour lui présenter ses vêtements qui ne pouvaient être que ceux d’une fidèle de Yuimen et de ses créations. Ses bottes de cuir délicates, ses habits verts, ses brassards de plumes. Tout chez elle témoignait de sa loyauté envers son Dieu.

Mais lorsqu’Elliana reprit la parole pour lui expliquer ce qui avait bien pu lui arriver, la joie de Lilie s’estompa rapidement. Elle n’y connaissait pas grand-chose en matière de chevaux, pourtant, elle avait l’intime conviction que le comportement de celui-ci n’avait rien eu de conventionnel. Il semblait si docile et attentif à sa maîtresse. Pour avoir risqué de mettre la vie de la Sœur en danger, il avait sans doute dû être témoin d’une scène ou d’un évènement très perturbant.

« Comme ça, sans raison ? Il a foncé sans que vous ne le lui ayez demandé ? C’est pour le moins curieux et inquiétant… »

C’est seulement après avoir soulevé ces interrogations qu’une réflexion lui vint en tête. Apparemment, Elliana était passée par le temple de Yuimen et sa marque n’était peut-être pas un simple tatouage signalant son appartenance à la Sororité. Lilie devait donc effectuer un test pour vérifier son hypothèse. Tendant sa main gravée par celle du Dieu de la nature en direction de la jeune femme pour l’aider à se relever, elle attendit sa réaction, constatant avec inquiétude le sang qui avait roulé de sa chevelure sur la main de l’humaine. L’heure n’était finalement pas encore aux présentations intimes.

« Bon, restez assise, il faut faire quelque chose, je suis navrée mais…vous saignez ! »

Lilie n’avait aucune idée des premiers soins d’usage à prodiguer à une accidentée, mais elle fit le tour de cette dernière pour observer la plaie en écartant les cheveux. Elle n’était pas profonde, mais suffisamment étendue pour saigner abondamment. Sans perdre un seul instant, elle arracha un bout de vêtements de la Sœur encore humide pour venir lui faire une couronne recouvrante de tissus. Le rendu n’était pas des plus esthétiques, mais Lilie espérait que la blessure allait ainsi pouvoir arrêter de couler.

« Voilà qui est mieux, je vais vous aider à monter sur votre cheval. Il reste deux jours encore, je crois, avant la Sororité… Alors autant ne pas tarder si l’on veut que vous puissiez être dûment soignée ! »

Une fois encore, elle tandit sa main vers l'humaine et observa une éventuelle réaction. Au fond d'elle, une petite voix lui avait murmuré de ne pas aborder directement le sujet de front, mais elle était bien incapable de garder sa langue dans sa poche et avait fini par craquer...

«Mais dites, vous ne serriez pas une Ermite de Yuimen ? Ce tatouage, caché sous votre manche... Le mien est ici ! Le voyez-vous ? En connaîtriez-vous d'autre, par hasard ? »

Ainsi, les choses étaient faites, puisque la Taurion s'était résolue à ne pas perdre de temps. Elle ésperait donc simplement maintenant que cette situation ne jeterait pas un froid à leur relation toute nouvellement établie...

Lilie avait très envie de demander le nom de famille de cette personne, mais elle savait également que l’entendre ne lui serait pas nécessaire. Si elle était bel et bien la seule Ermite de Yuimen de la Sororité, alors elle était la femme qu’elle s’était mise en quête de rechercher. Dans le malheur de cette Sœur, il y avait donc eu du bon, pensa la Shaman sans mot dire.

« Je devais passer par chez vous, ça fait partie de mon parcours. Ne vous en faites donc pas, tout tombe bien ! »

Sa voix était résolue mais dans sa tête, l’elfe verte grimaça. Si elle lui demandait de se joindre à sa cause et à celle de Sarah, ne refuserait-elle pas du fait du surmenage dont elle parlait ? Lilie pensait que sa tâche ne consistait qu’en la recherche de ces personnes qui lui avaient été recommandées, mais elle comprenait à présent qu’il était aussi question de convaincre à se rendre disponibles pour la cause.

Ainsi, elle préféra ne pas aborder le sujet dès à présent, se contentant de monter Meno après s’être assurée que l’humaine était bien en place sur son propre cheval. Elle vit également les sacoches de ce dernier, signe qu’elle avait de quoi survenir à ses besoins le temps du trajet. Tout semblait donc aller pour le mieux et les deux Ermites de Yuimen se mirent en route sans plus tarder. Lilie avait décidé de n’aborder la question de son aide qu’une fois la nuit tombée, au moment où elles durent faire une pause pour permettre à tous de se reposer : montures comme cavalières.

« Est-ce que ça va toujours, Elliana ? », déclara-t-elle pour engager la conversation alors qu’elle installait son sac de couchage, prête pour entrer dans de longues heures de méditation en position allongée. Ses muscles la tiraillaient et elle avait l’impression que c’était elle qui avait passé sa journée à courir le long de la côte. Ses yeux se portèrent sur les deux chevaux qui semblaient reconnaissants du repos qui leur avait été accordé.

« Je saurais pas dire qui de nous quatre est le plus fatigué ! », continua-t elle en bayant, un sourire sur les lèvres à peine perceptible. Elle avait pris le temps de manger un peu de pain et de légumes qui lui avaient été confiés et se sentait inexorablement attirée par le sommeil.

« Elliana, Sarah et moi avons besoin de votre aide. Comme je vous l’ai dit tout à l’heure au moment de notre rencontre, je suis en mission. Mon rôle est de réunir un maximum d’Ermites au temple d’Eniod, pour participer à la grande guerre lancée par les Shaakts contre la nature. Regardez… »

Elle sortit de ses affaires le parchemin que la prêtresse du temple de Yuimen avait rédigé à l’attention de connaissances qu’elle avait. Il y était expliqué tous les détails de cette guerre et l’humaine put à son tour comprendre que ce n’était pas le territoire d’Eniod qui était tant en jeu que celui de la vie de la forêt. Lilie espérait donc que cette révélation suffirait à la faire se joindre à leur cause.

« Vous ne devez pas vous sentir pressée. Le rendez-vous au temple de la Terre n’est que pour dans deux semaines à Eniod. Vous aurez tout le loisir de vous remettre de vos blessures. Yuimen a besoin de nous tous… »

Son visage empreint d’espoir et de fatigue à la fois, ses yeux ne tardèrent pas à se fermer et son esprit ne resta éveillé que le temps d’entendre la réponse d’Elliana…

Lorsque Lilie méditait, sa perception du temps se figeait et elle ne voyait pas le temps passer. Seuls les premiers rayons de l’astre parvinrent à la ramener à la réalité, reprenant peu à peu conscience de son corps, de la température frisquet du matin et du bruissement de la mer que l’on entendait au loin. La veille, les femmes avaient commencé à s’écarter des côtes pour suivre une route dont le sol se faisait plus solide. Le sable avait fait place à de la terre relativement meuble.

Un léger contact sur son épaule rappela à l’esprit de la Shaman l’existence de la Sœur de Selinae à ses côtés. Sans sursauter, Lilie ouvrit les yeux et laissa l’éclat du soleil les pénétrer avec difficulté.

« Bonjour Elliana. Tu as raison, tu as bien fait, je sortais doucement de ma méditation elfique mais ça aurait pu prendre encore du temps si tu n’étais pas intervenue ! En route ! »

La veille, Elliana s’était mise à la tutoyer sans prévenir, à l’instar de Sarah lorsqu’elle avait découvert que Lilie était une Ermite de Yuimen, choisi par lui-même. Elle en fut donc moins choquée et adopta elle aussi le ‘tu’ qui lui était pourtant si difficile à employer lorsqu’elle connaissait peu les personnes rencontrées.

Puis, un effort de volonté lui fut demandé pour se redresser. C’est avec dépit que Lilie constata les douleurs musculaires qui étaient toujours là dans son dos, ses jambes et son fessier. Se massant brièvement, elle s’occupa ensuite de refermer son sac de couchage et d’avaler quelques bouchés de pain avant de remonter sur Marno.

Ce dernier semblait en pleine forme et la Taurion l’enviait d’avoir pu aussi bien récupérer durant la nuit. Elle songea au fait qu’il devait être entraîné aux voyages depuis longtemps et que comme lui, elle parviendrait bientôt à s’habituer à ce nouveau train de vie. Du moins, elle l’espérait ardemment.

« A quoi ressemble la Sororité ? Je n’ai jamais voyagé et tout est nouveau pour moi… »

C’était le sujet de conversation qui avait été lancé par la Shaman, parce qu’elle sentait l’engourdissement de la nuit encore présent dans son esprit. Il lui fallait absolument échanger pour se réveiller totalement et la question l’intéressait tout particulièrement. Cela l’aidait à mieux se préparer psychologiquement.

Les deux Ermites de Yuimen s’étaient remises à avancer, poussant les chevaux à une vitesse raisonnable qui leur permettrait de bien supporter cette nouvelle journée de trajet. Lilie était maintenant totalement familiarisée avec les commandes de sa monture et avait donc l’esprit totalement libre de s’évader durant le voyage. Peut-être qu’avec un moins grand besoin de concentration, sa fin de journée serait un peu moins rude, se disait-elle pour se rassurer.

La description qu’Elliana lui avait faite de la Sororité de Selinae la faisait rêver. Le plaisir que l’humaine avait éprouvé en lui parlant de son chez elle était communicatif, mais un sombre nuage vint assombrir ce beau portrait qui lui avait été fait : elle allait sans doute devoir quitter son lieu de vie pour une période plus qu’indéterminée. Quelque part, Lilie se sentait coupable car elle était à l’origine de tout ceci. Chassant rapidement ces idées négatives qui ne pouvaient, au final, rien changer à la situation présente, elle essaya de se représenter le monastère. Elle ignorait d’ailleurs la signification de ce mot, mais cela n’avait pas d’importance. Elle savait juste qu’il s’agissait d’une grande bâtisse et là était l’essentiel.

« J’ai hâte d’y être ! Ça sera magnifique, j’en suis sûre, mais c’est étrange que tu ne me parles que de femmes. Tu sais, moi, je n’ai jamais été nulle part, et même si ça avait un jour été le cas, je n’aurais pas pu m’en souvenir. J’ai perdu la mémoire. Je ne peux que remonter quelques semaines en arrière… Et pourtant, en quelques semaines, beaucoup d’évènements incroyables me sont arrivés. Toutes ces découvertes que tu as vues écrites sur ce parchemin... Sans parler des révelations que j'ai eues sur moi-même...»

La Shaman fut à son tour transportée dans le passé et la réalité se mélangeait à elle durant ce début de voyage. Le paysage de plus en plus verdoyant et dense lui rapellait la forêt d'Eniod et tous ses nombreux secrets. Mais songer à ce que toute cette beauté originelle puisse un jour être détruite par la magie des Shaakts lui fit soudainement accélerer la cadence de sa monture, énervée comme elle l'était à présent devenue.

« J’espère que mon travail sera fini à temps...», avait-elle dit pour conclure sur ses pensées.

Lilie rit franchement en entendant le discours de son interlocutrice. Elle n’allait pas remettre en cause le fait que les femmes étaient bien capables de se protéger toute seule, mais pour elle, un monde équilibré était un monde où tous vivent ensemble en harmonie, apprenant à tolérer les différences de chacun en respectant les autres. Par ailleurs, elle garda ses considérations personnelles secrètes pour ne pas froisser Elliana. Elle avait perçu dans sa voix une sorte de revendication guerrière qui soulignait que le sujet des hommes devait être tabou.

Parler de sa mémoire passée n’était pas non plus un élément des plus réjouissant, néanmoins, pouvoir se confier à quelqu’un sur le sujet lui faisait toujours du bien. Lilie était en train de se construire une nouvelle vie, avec de nouveaux souvenirs et ne pouvait pas être nostalgique de ce qu’elle avait l’impression de ne jamais avoir vraiment connu.

« Un beau jour, je me suis retrouvée à demi-nue en pleine forêt dense, avec cette épée et ces boucles d’oreilles pour seuls témoins de ma vie passée. Une lettre se trouvait à mes côtés et elle était écrite par ma mère. »

Lilie s’inquiéta soudainement d’avoir toujours le parchemin sur elle et fouilla en hâte ses affaires, avant de se rassurer. Il était toujours là.

« Il me donnait mon nom, la raison pour laquelle je me trouvais là. Durant ma vie d’avant, j’avais vécu dans un village sous la forêt, qui avait pour rôle de la révérer et surtout, de la soigner par en-bas, par la terre et les racines. J’ai été envoyé à la surface dans le but de devenir une gardienne de la forêt, pour apprendre le monde. C’était ma volonté et ce à quoi je m’étais toujours préparé, disait la lettre. Ma mémoire a été effacée pour que je n’aie jamais à me retourner sur ma vie d’avant. »

Une larme s’était mise à perler le long de ses joues. La perte de mémoire n’effaçait pas l’amour que l’on pouvait éprouver à l’égard de personnes que l’on chérissait par le cœur. Seule la pensée en avait été affecté…

« Je te remercie pour ton soutien, Elliana. Vraiment… »

La Taurion évita de croiser le regard de l’humaine, son visage était parcouru par la tristesse des êtres qu’elle avait perdu. Elle devait se montrer digne de la confiance qu’ils avaient placée en elle, c’est pourquoi elle essayait toujours de regarder en avant, mais c’était un idéal qu’elle ne pouvait atteindre. Elle était, comme tout être vivant, parfois imparfaite…