Dès lors qu'elle venait de pousser la porte d'entré entrouverte, une odeur insupportable la gifla, un fabuleux cocktail de puanteurs diverses et variées, assez de quoi faire vomir un nain enrhumé. L'image d'un nain rendant ses tripes lui vint à l'esprit et elle entra avec un sourire niais et embarrassé aux lèvres. Fort heureusement, l'activité en salle était si dense que personne ne faisait vraiment attention à son entrée. Elle se planta comme un arbre à quelque pas du comptoir, là où les gens étaient suffisamment tassés pour lui permettre de balayer la pièce d'un seul regard. Il y avait beaucoup d'humains, par chance ou l'inverse, il y avait de bonnes chances qu'Eledran et son complice soient ici. Mais où. Une petite question s'imposait. Elle regardait vers le comptoir. Un géant au crâne chevelu et au frond haut ruisselant de sueur essuyait de larges chopines servant à contenir là bière. Au comptoir il ne fallait pas espérer retirer beaucoup d'informations crédibles, la plupart causaient entre eux et étaient pourvus d'un niveau d'alcool déjà très fort pour cette heure.
Le vieil homme de la veille, lui avait indiqué qu'ils se chargeait tous deux des affaires d'argent, et que par conséquent, le meilleur moyen de les trouver, c'était d'avoir de l'argent. Elle l'avait, restait à trouver quelqu'un pour la renseigner, elle opta finalement pour l'homme massif qui tenait le bar pour poser ses questions. L'homme ruisselait de sueur, sa chemise était trempée et ouverte, elle laissait apparaitre une épaisse toison à la poitrine trempée. Il leva son visage aux traits vulgaires et fixa la jeune femme tel un bovin furieux. Elle engagea la conversation, elle ne voulait pas se perdre dans des paroles inutiles tout était clair : " Où je peux trouver Eledran ? "
L'homme sans même répondre, pointa du doigt, à l'autre bout de la salle une porte gardée par deux hommes armés. Sans même remercier le géant, elle se frayait un chemin au travers de cette masse humaine hurlante et assoiffée. Une fois devant la porte, un homme en brigandine de cuir s'interposa et tendit la main en signe de halte. L'autre levait la main pour interpeler le géant qui n'avait pas quitté le bar, celui ci acquiesçait d'un simple signe de tête renfrognée en guise d'autorisation. L'homme s'ôta du passage et ouvrit la porte. Il demanda si elle savait qui trouver, elle demanda Eledran. Les deux gardes sourirent, ils devaient à coup sûr le connaître, le second garde lui souffla qu'elle le trouverait probablement à table à boire en ramassant les paris obtenus dans la nuit, et préparer deux trois sorties avec son équipe.
Elle descendit un escalier en pierre mal éclairé. Elle avançait avec prudence sur ce sol infâme et glissant, gorgé de mousse et d'eau. Une odeur âcre d'humidité prenait la gorge et au bout de quelques marches se trouvait la porte qu'un homme non armé cette fois ci tenait fermée. Il ouvrit à la simple vue de la jeune femme, offrant ainsi l'entrée à une grande salle éclairée de torche et bougie où une cohue titanesque s'agitait. Des combats de chiens. C'était étonnant qu'on ne puisse pas les entendre du premier étage, ils faisaient un tel barouf. Il fallait trouver une table, et deux hommes, et ce parmi les enragés assoiffés de sang de chien. Quelle élégance.
Lorsqu'elle passait parmi les sanguinaires, elle entendait le couinement d'un chien en train de se faire dominer par un autre. Par pure curiosité elle jeta un regard dans la fosse qui faisait office d'arène pour les chiens. Un chien relativement maigre, probablement un chien trouvé dans la rue, était à terre tandis qu'un énorme molosse mordait sa gorge dans un grognement sourd. Les couinements du chien frêle cessèrent. Les parieurs étaient le liesse. Certains entrechoquèrent leurs chopines répandant une mousse de bière crémeuse sur le sol terreux. Les excités s'éloignèrent peu à peu de cette fosse pour se diriger vers une autre où allait se dérouler le combat prochain. Cette fois ci des hommes.
Elle trouva son bonheur assez rapidement une fois son entourage dégagé. Une table éclairée de trois bougies où étaient assis deux hommes armés et en armure devant des bourses posées sur table. L'un étaient en train d'écrire sur un long parchemin les sommes posées devant eux tandis que l'autre comptait, et lui indiquait où en était la fortune. Une approche? Quelque chose à dire ? Il y avait deux pièces de cuivre par terre. Elle les ramassa et s'approcha à pas de loup de la table des deux compères. Il y avait une grande pile de pièce qu'un des deux dressait au fur et à mesure qu'il comptait. Elle jeta alors les deux pièces de cuivre sur la table renversant la longue pile qui tomba lamentablement sur la table devant le regard des deux hommes, des pièces roulèrent et s'échouèrent ça et là sur le sol. Ils levèrent alors le regard vers Silmeria de façon synchronisée. L'un deux portait sous l'œil droit un tatouage, le visage était rasé de près comme celui de son compagnon. Ils étaient tous deux bruns, aux cheveux courts mais l'un d'eux avait une cicatrice sur la tempe qui allait jusqu'aux cheveux. L'homme au tatouage était armé, une dague à la ceinture à côté d'une épée de taille moyenne, et une petite hache dans le dos, on distinguait le manche à portée de main derrière l'épaule droite. Un droitier. Il portait son épée à gauche, la main droite portait donc l'épée et la gauche la hache, la dague devait servir à manger ou remplacer la hache en fonction des circonstances. L'autre à la cicatrice se dressait en posant la main sur l'épaule de son collègue. Silmeria ne le quittait pas des yeux mais elle observait néanmoins son armement, elle avait appris à le faire sans quitter la personne des yeux. Une épée de même facture que le tatoué, deux dagues de chaque côté de la poitrine. Droitier également. Deux droitiers, parfait. Reste à les faire sortir avec elle. Elle n'avait pas de poisons pour les tuer en offrant à boire. Et tenter de les assassiner ici serait purement suicidaire, et elle ne mourait pas d'envie de finir en pâture dans un enclos pour chien enragés.
Une idée lui vint. L'homme avait les sourcils froncés, il avait le ton grave et agressif :" Vous trouvez peut être ça marrant."
Silmeria sourit, tira une chaise et s'installa avec eux en croisant les jambes. Elle regarda les deux hommes et déclara d'une voix enjouée : " A vrai dire oui, mais je visais votre œil, à défaut j'ai touché votre petite tour de pièce. Il faudra les ramasser d'ailleurs, c'est pas les voleurs qui manquent ici."
L'homme qui venait de se dresser reprit son assise. Ils se regardèrent ne sachant trop quoi penser de cette visiteuse imprévue. Le chahut recommençait à l'autre bout de la pièce. Les chiens venaient d'être détachés. " Nous n'avons pas le temps de plaisanter avec vous mademoiselle, revenez donc plus tard. Maintenant partez. Les chiens aboyaient, les hommes au fond les encouragèrent, des grognements, des encouragements donnés à des bêtes féroces. Des couinements, des buveurs qui hurlaient des sommes en pariant sur le chien qui sortirait vainqueur ou qui serait tué. " Je crois que les chats et les chiens veulent que les hommes fassent la guerre. Quelqu'un va essayer de vous tuer." Les deux hommes se regardèrent de nouveau; avec plus d'intensité dans le regard. Le tatoué n'avait pas encore ouvert la bouche. Eledran était probablement celui qui dirigeait les opérations; " Beaucoup de monde voudrait nous tuer, cependant, voyez par vous même, nous sommes toujours bien portant. Vous avez peur pour nous peut être? C'est ridicule, nous ne nous connaissons même pas." Silmeria ne releva pas la plaisanterie, elle déclara d'un ton tranchant : " Eledran taisez-vous et écoutez" C'était effectivement lui, elle avait eu de la chance, c'était un coup à perdre toute crédibilité et passer pour folle. A son prénom l'homme parût étonné, mais sa surprise était de courte durée, elle venait de capter l'attention, il fallait continuer à les envouter : " Il y a un homme, un éleveur de cochons qui veut se venger de vous, il a payé un assassin qui se trouve chez lui à cette heure. Lorsque je suis passé devant chez lui par hasard, il a cru que c'était moi qu'il avait engagé. Or dans sa détresse il m'a conté ce qui allait se passer. Je suis venue vous prévenir en échange d'une récompense. Accompagnez moi chez lui, tuez l'assassin et faites ce qu'il vous plaira du vieillard et de sa progéniture. En échange de cet avertissement je demande quinze Yus. Pour le reste je vous accompagne, quelque chose m'intéresse là bas. Vous marchez avec moi?"
Elle n'avait pas hésité dans son mensonge. Tout était clair, l'appât était plus ou moins intéressant. C'était un peu étrange comme propos, mais les hommes se plaisent à entendre ce qu'ils veulent entendre. Ils se regardèrent et discutèrent silencieusement. Silmeria pourrait si elle le voulait entendre ce qu'ils se disaient, mais elle préférait jouer la carte de la coopération, se faire amie plutôt que perturbatrice. Elle observait le groupe autour des chiens hurlant à la mort. Le compagnon d'Eledran frappa deux fois sur la table à l'aide d'une pièce pour capter l'intention de l'Elfe. Il s'adressa pour la première fois à Silmeria : " Qu'est ce qui peut bien intéresser une femme comme vous dans ce taudis ?"
Elle souria et dit d'une voix moqueuse : "Qu'est-ce donc qu'une femme comme moi pour vous messeigneurs ? J'y trouverai mon affaire, et pour vous il est là l'occasion de se défaire d'un parasite qui cherche à vous nuire, si j'en avais été capable, je me serai chargée de l'homme pour lui soustraire ses armes et son argent, mais je ne suis qu'une jeune femme. Un assassin aurait tôt fait de me neutraliser, et que sais-je encore."
Les deux hommes recommencèrent à parler entre eux. Ils semblaient ne rien faire l'un sans l'autre, un véritable travail d'équipe. L'entretien fût plus long cette fois ci. Eledran dit au bout de quelques minutes qu'ils retrouveraient Silmeria dans la rue où se trouvait l'éleveur de cochon le soir même. Elle viendrait avec eux, mais n'entrerait dans la maison qu'une fois cette histoire réglée. Si ce qu'elle disait était vrai elle toucherait vingt Yus au lieu de quinze et pourrait se servir parmi ce qu'ils ne prendraient pas sur les corps et dans la maison. Si au contraire, elle mentait, Eledran lui assura qu'elle ne serait jamais en sécurité à Tulorim. Eledran :"Maintenant, partez !"
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