Suite à ma proposition qui s’est vue accompagnée d’un air rayonnant de confiance et d’un beau sourire chaleureux, un silence d’une troublante perfection plane sur le pont, uniquement troublé par le clapotis des flots sous la puissante armature du gracieux vaisseau, me faisant craindre un bide monumental avec une assurance de plus en plus angoissante au fur et à mesure que les secondes s’écoulent sans que personne ne semble disposé à prendre la parole. Heureusement, avant que je puisse considérer me jeter dans les flots pour me sauver de la honte, la voix fluette mais suffisamment forte pour se faire entendre du personnage ailé miniature rompt la chape de non-réponse avec un allant qui me soulage pour me transmettre ses bons sentiments et décliner à son tour son identité ainsi que ses talents, non sans une humilité qui lui fait honneur : « quelques fluides de glace » ? Par Rana, je suis infoutu d’avoir une maîtrise d’aucune sorte sur la magie, et rien que d’être capable de faire apparaître un glaçon paraîtrait déjà un prodige en comparaison avec mes talents bassement physiques ; non pas que je ne sois pas fier de mon habilité au domaine sans cesse perfectible de l’archerie, mais on sera d’accord que tirer des flèches est tout de même moins spectaculaire que faire descendre subitement la température de l’atmosphère à un degré potentiellement létal. En revanche, là où je suis plus déstabilisé c’est en ce qui concerne ce qui se rapporte très logiquement à l’appartenance raciale du dénommé Silmeï : « aldrid » ? Parfaitement inconnu au bataillon, défaut de connaissance qui ne se révèle au fond pas si surprenant que ça étant donné que je ne me suis jamais vanté d’être un érudit aux savoirs aussi polyvalents que poussés, ni de m’être spécialisé dans un autre domaine que celui du combat à distance, aussi je me contente de répertorier ce titre parmi celui des tant d’autres espèces qui peuplent le vaste monde qu’est Yuimen sans chercher à me triturer la cervelle à chercher dans ma mémoire une occurrence de cette appellation, car s’il n’est pas impossible que j’aie par hasard entendu pareil mot au cours de ma presque-vingtaine d’années, je peux affirmer avec la plus grande certitude que je ne possède aucune information valable à ce sujet. Affaire classée donc.
« Ne soyez pas si modeste, Silmeï. Je suis certain que votre magie nous sera plus utile que vous semblez le croire. » Lui réponds-je avec obligeance, accompagnant mes paroles d’un sourire engageant.
Le premier de ces messieurs ayant satisfait ma curiosité, mon bienfaiteur d’il y a un moment prend la parole, toujours avec la même verve et le même enthousiasme, se targuant de capacités aiguisées d’adaptation en milieu forestier, ce qui ne risque malheureusement pas de nous être bien utile en pleine mer, ainsi que de polyvalence de manière plus généralisée, ce qui cette fois ne peut qu’être bénéfique à la survie de l’équipage. De son côté, son cousin au regard perçant et à l’arc travaillé finement se montre moins loquace, optant pour une concision qui ne joue nullement en la défaveur de la conviction qui émane de son phrasé, la véracité de sa parole se faisant aisément ressentir lorsqu’il déclare offrir pour notre sécurité les foudres de son arc dont les traits doivent effectivement pouvoir s’avérer diablement efficaces lorsque envoyés par des mains expertes comme m’ont tout l’air de l’être celles de mon confrère dont la dextérité s’est fait ressentir lorsqu’il m’a saisi le poignet tout à l’heure. Sur ces entrefaites, le tour passe à la présence féminine du bord, dont les attributs magiques ne se révèlent pas trompeurs, celle-ci se revendiquant pleinement comme une pyromancienne, et une pyromancienne aguerrie si l’on en juge par le temps qu’elle a passé à exercer le prestigieux poste de capitaine, ses années de service atteignant d’après elle le chiffre pour moi étourdissant de dix dizaines de douzaines de mois ! J’aurai beau me dire que les elfes ne sont pas à prendre sur le même plan que les humains en ce qui concerne l’espérance de vie, je crois que j’aurai toujours un peu de mal à avaler la pilule le moment venu, devant dans le cas présent faire un effort de maîtrise pour ne pas laisser ma mâchoire se décrocher à la pensée de tout ce qu’il serait possible de faire en une période aussi considérable. A la mention d’une cinquième version, je ne peux m’empêcher de me demande ce qu’il a bien pu advenir des quatre précédentes, et la pensée polissonne m’effleure impromptuement qu’il s’agit peut-être de fausses manœuvres réitérées de la part de cette magicienne des flammes qui auraient pu causer le naufrage des précédents prototypes ; réflexion que je m’empresse d’écarter de mon esprit de peur qu’une idée d’une telle insolence puisse se lire sur mon visage qui ne doit montrer rien d’autre que du respect face à celle qui est, comme on dit communément, la seule maîtresse à bord après Moura. Lorsqu’elle cite son gros bras attitré, je penche un peu la tête pour discerner une créature qu’on aurait de la peine à concéder à classifier parmi les elfes tant elle possède effectivement de gros bras, sa carrure étant capable de faire passer Aïyalon-sensei pour un maigrelet alors que la musculature de ce dernier est pourtant assez formidable à voir ! Je n’en reviens pas qu’un être vivant puisse avoir un physique aussi colossal : ce n’est pas possible, il doit avoir de l’acier là-dessous, ou il s’est fait injecter du sang de minotaure, je ne sais pas, mais le fait est que même si, contrairement à ce qu’argue notre chef d’équipage, je n’ai pas pu bénéficier d’un aperçu –ça m’apprendra à avoir été autant retardataire tiens-, je ne crois pas en avoir besoin pour me rendre compte de la force de taureau qui bouillonne sous cette peau apparemment dure comme du bois. De plus, détail appréciable, l’armoire à glace ne donne l’impression d’être ni une brute épaisse ni un fanfaron, se montrant aussi réceptif à ce qui a été dit à son égard que le meuble susmentionné et qui pourtant n’a pas pu lui échapper : soit il est sourd, soit il est tout simplement naturellement stoïque, mais dans l’un ou l’autre cas, la sérénité statuesque dont il fait preuve est quelque chose de frappant à voir. Pour finir, c’est au tour de l’elfe qui, je dois l’avouer, n’est semblable à nul autre que j’aie pu rencontrer jusqu’ici –non pas que j’en aie rencontré beaucoup mais bon-, sa peau ainsi que ses cheveux présentant une teinte bien particulière qui évoque de manière saisissante le bleu de l’océan, cette couleur suave renforçant l’air doux et dépourvu de hargne qu’il aborde, et dont le pacifisme apparent se trouve confirmé dans les talents qu’il dit posséder, ceux-ci n’ayant rien de la compétence martiale d’une fine lame ni de la finesse d’un roublard, mais ne présentant pas moins un intérêt indéniable, autant par la qualité de son art que j’ai pu constater sans malheureusement pouvoir l’apprécier que par l’effet apparemment surnaturel de sa musique si j’en crois les propos passés de notre habile combattant des bois. Et pour parachever les présentations, c’est à un félidé que revient le mérite de fermer la file, le matou s’acheminant avec cette nonchalance propre aux chats devant les pieds de son maître pour y poser son séant et nous toiser placidement, manifestement indifférent à nos préoccupations. A voir ce représentant des quadrupèdes domestiques, je ne peux m’empêcher de penser au vieil Hachi, et de cette évocation du foyer de mon enfance découlent les souvenirs des moments que j’y ai passés, ce qui m’amène également à me demander ce que peuvent bien faire Lewis et papa à l’heure qu’il est…
C’est une voix perçante qui rompt le fil de mes réflexions, et si le discours est aussi frappant que l’était le calme d’Ergoth, le discoureur est lui tout sauf serein, s’agaçant sans s’en cacher de ce qu’il considère de toute évidence comme de futiles mondanités, nous rappelant à l’ordre d’une façon cinglante pour attirer notre attention sur la déconfiture que nous subissons. Pensant au premier abord que cet homme monte sur ses grands chevaux pour rien, je me joins au mouvement général pour me tourner en direction des autres participants de la chasse au trésor, et me vois bien forcé de reconnaître en jurant entre mes dents que le bougre dit dans le vrai : par un inexplicable prodige dont l’effet frise l’infernal, le Vaisseau-lune s’achemine avec une lenteur qui donne à désespérer, paraissant saisi d’une grande charité envers le monumental transbordeur nain qui le pousse à calquer son rythme de navigation sur cette coquille de noix géante cernée d’instruments de mort inquiétants à voir. L’équipage torkin amassé sur la rambarde fait preuve d’une ingratitude bien blessante envers le compatissant bateau, puisqu’il accueille nos difficultés avec de désobligeantes manifestations d’hilarité… du moins à ce qu’il semble, car à la distance où nous nous trouvons, les solides gaillards des montagnes se voient réduits à des formes floues aux expressions faciales difficilement discernables. Mais bref, comme le fait remarquer notre leader, ce n’est pas le moment de se préoccuper d’autre chose que du problème auquel nous avons désormais affaire ! L’ennui est que la cause de notre fâcheuse immobilité ne se présente par aucun signe discernable, le trois-mâts ayant l’air de faire du sur-place comme par enchantement, ce qui me fait d’abord penser justement à quelque sortilège de grande ampleur qui nous collerait sur place, mais étant donné que ni Silmeï ni la Capitaine ne font de remarque à ce sujet, je peux raisonnablement supposer que la menace ne vient pas de là. D’où vient-elle alors ? Il n’y a pas trente-six solutions à ce problème en vérité : soit une machine diabolique ou tout autre objet empêcheur de tourner en rond a été glissé à bord, soit nous sommes retenus par la coque… soit c’est un effet purement invisible qui pèse sur nous. Mais plutôt que de partir en suppositions échevelées, autant se pencher sur ce qu’il est possible de faire sans tarder, et comme l’intérieur de ce navire m’est complètement inconnu, je me juge plus qualifié pour aller mener un examen par le dessous, car même si je ne suis pas un très bon nageur, je sais me servir de mon corps plutôt habilement, et devrais ainsi être capable de mener une telle entreprise à bien sans trop d’anicroches.
De toute évidence, Dôraliës (ou « Dora » pour faire plus court) a eu la même idée que moi car il manifeste avec entrain des velléités d’explorateur mais, courageux mais pas téméraire, demande pour cette entreprise possiblement délicate le concours d’un partenaire afin de cumuler les efforts fournis, office que je m’annonce prêt à remplir :
« Dans ce cas, je viendrai avec vous. Pendant ce temps, je crois qu’il serait bon de vérifier l’intérieur du navire pour s’assurer que la raison de notre enlisement ne se situe pas à ce niveau. »
Discourant ainsi, je m’apprête à retirer mes vêtements les plus encombrants de manière à ne pas me surcharger inutilement afin de ne pas couler bêtement comme un lest de plomb, jugeant plus sage d’entasser tout matériel superflu en sûreté entre deux tonneaux de manière à être ainsi certain de le retrouver dans le même état en toute tranquillité de conscience. Ne pouvant me résoudre à me séparer des incarnations enchantées de ma Déesse, je prévois toutefois de garder sur moi la peu gênante Empreinte de Rana ainsi que son Ongle glissé dans mon pantalon qui sera mon seul vêtement pour mener à bien cette manœuvre acrobatique. Toutefois, afin d’éviter de me déshabiller inutilement, je ne manque pas de quérir tout d’abord l’aval de l’autorité du bateau, me tournant vers la capitaine pour lui demander :
« Qu’en pensez-vous ? »
_________________ Léonid Archevent, fier Soldat niveau 11 d'Oranan et fervent adorateur de Rana. En ce moment en train de batailler follement en compagnie d'une vingtaine d'autres aventuriers dans une gigantesque salle contre une humanoïde reptilienne géante au service d'Oaxaca, conclusion d'une rocambolesque quête.
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