Œuvre II :
L'Héritage de Kendra
La Femme au Diadème Blanc
Goetius franchit la porte sans savoir à quoi s'attendre mais, pour lui, l'histoire ne devait pas en finir là. Le conte se terminait sans lui avoir livré tout ses secrets et, bien qu'il fut las de toutes ses épuisantes péripéties, il espérait que sa souffrance trouve quelques consolations plus importantes. Tomber sur le narrateur responsable de ses tourments, apprendre de lui de gré ou de force les arcanes de ses pouvoirs, la magie ayant donné vie au conte... Ne serait-ce que le pouvoir du sinari, de pouvoir trouver issue où qu'il soit, était déjà incommensurable ! Le moindre indice, la moindre miette...
Mais il n'en fut pas ainsi. La porte traversée, il se retrouva dans une ruelle à l'atmosphère poisseuse, un coupe-gorge assombri par la hauteur des bâtiments l'encerclant. Pourtant, plus haut, les rayons d'un soleil puissant s'infiltrait et lui laissait deviner qu'il faisait jour. Ce peu de lumière suffit pourtant à dérangeait sa vision, qui venait de passer de la nuit factice du conte à la luminosité du monde réel.
Il regarda derrière lui et ne vit à la place de la porte qu'un mur de pierre grise et humide. Personne ne l'avait suivi et ceux qui l'avait précédé avaient déjà disparu. Au sol, des rats couinaient de peur, fuyant se cacher sous des tas d'immondices et de déjections puantes envahis par la vermine. Ces déchets devaient être jetés depuis les fenêtres visibles plus hauts, où étaient alors étendus, sur quelques ficelles, du linge à sécher. Il en perlait quelques gouttes venant choir sur son crâne nu, une sensation désagréable.
Tel fut son retour au monde réel : aveuglant, malodorant et inconvenant.
Mais le plus gênant pour lui était sans doute le bruit étouffé mais dérangeant de la foule qui devait se trouvait à quelques rues de là.
Une foule n'a jamais été qu'un regroupement d'imbéciles au comportement absurde et dangereux, un chaos humain dont il était impossible de percevoir un ordre logique, où le moindre être pouvait avoir un comportement inattendu, où le péril pouvait arriver à tout moment, de n'importe où. Une horde de nuisibles de taille humaine n'ayant même pas la décence des cafards de s'agiter en silence et de s'écarter sous ses pas. De pitoyables gueulards et autres faiseurs de bruit qui vivaient de buts futiles, comme s'ils ignoraient qu'un jour il leur faudra mourir. Tous étaient des gens qu'il détestait à force d'incompréhension. Comment pouvait-il s'aveugler au point de ne pas percevoir, à chaque seconde, la main de Phaïtos pesant sur leurs épaules. Le dieu qui avait le dernier mot, qui mène les âmes à sa guise aux enfers, au néant ou à la damnation. Quel sacrilège était-ce toujours de les voir ainsi vivre, se réjouir, s'amuser dans leurs futiles existences et retarder le noble silence dans lequel le monde était destiné à revenir !
Mais il n'était pas l'heure des plaintes et de la haine. Il devait quitter cet endroit.
Telle une bête étrangère à cette humanité, il se sentait obligé d'éviter ces veines surpeuplées.
Il releva sa capuche comme si elle pouvait le rendre invisible aux regards, et, en avançant vers la rue perpendiculaire à la sienne, il comprit se situer dans les ruelles de quelques maisons de bourgeois. A sa droite, il vit au fond la foule passant dans une grande avenue et préféra donc continuer droit devant lui, dans les petites rues désertes. Il se sentait tellement fatigué... Son expérience dans le conte l'avait laissé sans répit. La faim et le sommeil le tiraillait, il se sentait faible. Il ne savait pas où il se trouvait, il était inquiet et savait ne pas pouvoir continuer longtemps de la sorte. Il avait toujours évité les villes, la civilisation ne lui était pas un signe de survie et s'y rendre était autant absurde que de se jeter du haut d'une falaise. Il n'était donc pas adapté à elles, il ne savait que faire. Il se sentait coincé.
Finalement, il se rabattit sur un espoir idiot. Celui de pousser la première porte devant lui qui ne soit pas verrouillée et d'espérer que les résidents du domicile ne s'y trouve pas. Trouver quelques denrées à soustraire, de l'eau si Zewen le voulait et, bien que l'idée lui semblait risquée, un endroit discret où sommeiller en paix durant quelques heures. Si quelques quidams venaient à troubler ce plan, il les éliminerait.
Un raisonnement simpliste et risqué, mais qui lui paraissait totalement justifié sur l'instant.
Relevant sa capuche dans la discrétion des ruelles, il alla à la rencontre de quelques poignées qui se refusèrent à l'ouverture. Il changeait rapidement d'objectif, espérant chaque fois n'avoir attirer l'attention de quiconque. Mais, assez rapidement, l'une d'elle n'opposa nulle résistance et le laissa y pénétrer...
Prenant soin de se mouvoir en grand silence, il ferma doucement la porte derrière lui et se retrouva dans une petite salle sombre. Seule filtrait la lumière d'une ouverture non loin, donnant sur une salle dont il ne pouvait alors voir qu'un mur de bibliothèque. Se devinait à ses côtés, rangés sur des étagères, des silhouettes d'objets curieux et homogènes, auxquels il ne prêta qu'une brève attention. Il s'avança doucement vers la lumière, à l'affût du moindre bruit pouvant trahir une présence dans les lieux. Mais seul le bruit de ses pas lents et de sa respiration inquiète troublait le silence. Sortant doucement de cette salle pour parvenir à l'autre, il tourna, inquiet, son regard vers les alentours. Hélas, celui-ci se confronta à celui d'une jeune femme, assise dans un coin, un livre à ses genoux, qui le regardait avec incompréhension. Elle était vêtue d'une robe élégante et de longs gants blancs couleur crème, parée d'un discret collier entourant légèrement son cou... Mais le plus intriguant était sans doute ce diadème blanc, brillant de mille feux, qu'elle portait sur sa chevelure châtain cendrée.
Elle était belle, mais Goetius n'entendait rien à la beauté humaine et était aveugle au concept d'attirance. Elle n'était qu'un danger de plus sur sa route.
Après l'avoir dévisagé quelques secondes, la jeune femme leva les yeux au ciel et referma son livre l'air contrarié. Elle se leva, eu un regard inquiet vers la vitrine qui lui faisait face, et s'avança rapidement vers lui :
"Bon sang ! C'est la grande prêtresse qui vous envoie ? Vous n'auriez pas pu trouver un accoutrement plus discret pour venir ici ? Je vous rappelle que personne ne doit savoir que je suis des vôtres ! Une chance que mon mari ne soit pas là, imaginez si vous étiez tombé nez-à-nez avec lui !"Goetius fut un instant intrigué par ce discours. Elle ne semblait pas du tout avoir peur de lui. Mais cela ne saurait tarder.
Il s'avança rapidement vers elle, lui empoigna le cou et la plaqua contre un mur de bibliothèque, d'où tombèrent quelques livres sur le sol. Alors qu'il la détenait ainsi, la fixant dans les yeux sans mot dire, il laissa ses fluides obscurs envahir sa main constrictrice.
"Ne jouez pas à ça avec moi..."Aussitôt dit, la main droite de sa victime s'inonda d'une lumière blafarde.
Une magie étrange, qu'il ne connaissait pas. Cette vision l'inquiéta et il commençait à s'empresser dans son mouvement. Avançant d'un pas, serrant plus sa main. La tuer avant qu'elle ne puisse faire quoi que ce soit.
Mais il fut trop lent. Elle lui lança un sort qui lui fit l'effet d'une charge en plein ventre, le faisant voltiger jusqu'à l'autre bout de la salle. Alors qu'il se tordait de douleur sur le sol, elle s'avança vers lui. Sa main était toujours inondée de cette magie grisâtre et elle lui dit :
"C'est la grande prêtresse qui vous a envoyé me tuer ? Parlez."Ne préférant rien dire de lui, Goetius continua à se taire.
"Très bien, ne dites rien."Elle s'accroupit à la hauteur de sa tête, lui enleva la capuche et regarda sa nuque.
"Vous n'avez pas la marque. Vous n'êtes pas du temple... Alors qui êtes-vous ? Pourquoi vouliez-vous me tuer ?"Dans un geste confus, Goetius tenta de lui envoyer un coup de poing qu'elle évita facilement. Énervé de ce geste, elle se leva et lui envoya à son tour un coup de poing dans le visage. Se faire humilier par cette jeune fille chétive désespérait le fanatique.
"N'essayez plus jamais de me toucher avec vos mains répugnantes. La prochaine fois, je jure que je vous tuerais."Elle marqua un silence, semblant réfléchir.
Elle semblait vraiment inquiète de savoir qui pourrait lui vouloir du mal et pourquoi. Elle examinait Goetius en quête d'indices.
"Quelle face dévastée que vous vous trimballez... Pas étonnant que vous vous sentiez obligé de vous en prendre ainsi aux jeunes filles... Ah, et impressionnante, la cicatrice que vous avez au cou, mon cher... Difficile d'imaginer qu'on puisse survivre à un égorgement pareil. Êtes-vous donc un ressuscité ?"Cette dernière question intrigua particulièrement le fanatique, qui ne put s'empêcher de lui répondre :
"Un ressuscité ?""Ah ! Monsieur est enfin décidé à délier sa langue. Alors, dites-moi pourquoi vous vouliez me tuer.""Je cherchais un refuge où éviter la foule. Votre porte était ouverte et je ne voulais pas être vu.""Bien sûr, vous êtes arrivé ici par hasard. Prenez-moi pour une cruche. Et puis pourquoi éviter la foule d'abord, vous êtes recherchés par la garde ?"Refusant de s'expliquer davantage, Goetius se renferma dans le mutisme.
"Êtes-vous un tueur à gage ? La grande prêtresse pensait vraiment que me faire tuer serait si facile que ça ? Je penserais bien qu'elle s'y attellerait un jour ou l'autre, mais là, c'en est presque insultant !"Elle fixa le fanatique, qui continuait de se taire.
"Bien ! Le magasin va fermer plus tôt, nous allons rendre une petite visite à votre employeuse qu'elle n'oubliera pas de sitôt !"Les Idolâtres du Grand Chthonien