Hrist se releva, peu de temps avait passé depuis sa chute mais il était impossible de trouver le Gobelin. Avait-il pu s'éclipser en escaladant la paroi ou avait-il fait demi-tour dans le tunnel pour tenter sa chance ailleurs ? A l'heure qu'il était, Hrist s'en moquait, elle avait toutes les clefs en main pour regagner la surface avec ou sans le gobelin. Sa cuisse et sa cheville étaient douloureuses mais elle pouvait encore avancer sans trop boiter. Elle traina un peu la patte, avançant totalement à découvert dans la plaine de pierre souterraine.
La sensation était amusante, la pierre ponce s'écrasait sous ses botte et lui donnait l'impression d'avancer sur de la neige, plongeant ainsi la femme dans quelques heureux souvenirs où elle parcourait le monde de jour comme de nuit. Dans sa distraction, elle s'enfonça un peu plus la jambe et tomba en avant. Le bruit résonna dans toute la caverne et à cet écho, alors qu'elle se relevait, répondit un bruit inconnu.
Hrist se stoppa net. A quelques mètres en face d'elle, du plus gros orifice de la caverne, elle eut l'étrange impression de voir quelque chose bouger. Retenant son souffle et déglutissant douloureusement, elle resta à quatre pattes, le regard rivé vers la fissure pendant de longues minutes.
Un crissement se fit entendre non loin d'elle, cette fois-ci, la menace venait de la droite. Sur le côté, la tueuse vit un petit être furtif, maigre mais tout en muscles, blanc comme un cadavre et à peine bipède, longer la rive grisâtre de la chambre souterraine. Sa façon de se déplacer, vive et oblique évoquait celle d'une proie traquée depuis longtemps. Son corps nu portait de nombreuses cicatrices. La créature s'arrêta aussi en entendant que le bruit continuait. La bête ressemblait aux créatures albinos qui hantaient les souterrains, quoique celle-ci semblait plus ancienne encore.
Un frisson traversa sa colonne, sa vue se troubla temporairement et son sang ne fit qu'un tour, glaçant ses tempes et faisant suer sa peau. Sans s'en rendre compte, elle avait enfoncé ses doigts dans le sol par crainte et mordu ses lèvres. De la fissure, s'extirpa huit immondes pattes velues qui s'articulaient autour d'un corps épais et large comme un char à bœuf.
(" Ahahahaha... C'est la merde.") (" Dis moi... Non. Je peux pas manquer de chance à ce point. ")
La créature bipède poussa un cri strident qui résonna dans toute la caverne et meurtri de nouveau les oreilles de Hrist. La bête paniquée agitait une arme de fortune devant l'araignée mais celle-ci fondit sur la créature des profondeurs avec une vitesse époustouflante. Perdue entre les huit pattes et écrasé sous les mandibules qui éparpillaient ses membres, le cri strident cessa.
(" Large comme elle est, tu pourrais peut-être trouver un abri dans un de ces trous là bas. J'espère que tu as de bonnes jambes... ")
Profitant que le monstre arachnéen ne dévore la diva stridente, Hrist se leva et prit ses jambes à son cou, enfonçant ses bottes dans la pierre ponce qui craquait et faisait résonner toute la grotte, attirant l'attention de l'immondice à huit pattes qui terminait à peine son repas.
In-extremis, Hrist s'enfonça dans un trou si petit qu'elle eut du mal à se retourner dedans. Elle pataugeait dans des restes d'ossement, des épaisseurs visqueuses de toile d'araignée regorgeant de cocons mortuaires, au sein desquels pourrissaient des cadavres de rats, d'oiseaux ou de gobelins.
" On dirait une brioche aux raisins, comme celles qu'on trouve à Kendra Kâr. En plus dégueulasse. " Commenta la femme qui avait passé trop de temps sans manger. L'air chargé de gaz de putréfaction était presque irrespirable, Hrist s'approcha doucement de la sortie de sa petite grotte mais la bête lança son corps contre la roche, faisant tout trembler et essaya de faire passer ses pattes à l'intérieur. Hrist recula à toute vitesse, presque acculée. Le monstre grattait, emportant avec lui de la toile et des cadavres parcheminés et secs. Ses pattes agiles étaient contre toute attente lardées d'épines noires et sur chacune des articulations avait poussé un oeil. Celui en face d'elle l'observait droit dans les yeux lui renvoyant un profond malaise.
La tueuse se pencha et vomit tout ce qu'elle avait dans l'estomac. Sa flaque nauséabonde coula entre ses doigts et reprenant ses esprits, elle se redressa tant que possible, mettant ses genoux sous son menton et observait la patte qui grattait devant elle. L'oeil globuleux la fixait toujours, sachant pertinemment que sa proie était coincée et qu'elle n'irait pas plus loin. Comme si ce scénario cauchemardesque ne suffisait pas, de nombreuses petites araignées noires s'échappaient des cocons de toile remués par l'heureuse maman. Les petites avançaient dans toutes les directions, névrosées et débiles, elles s'enfuyaient ou grimpaient le long des parois, des cocons, des pattes de sa mère ou des bottes de Hrist avec une maladresse égale. Hrist complètement ahurie tira sa lame argentée et entama le lent massacre de ces insectes. Elle n'y mettait même pas de conviction, coupant les pattes ces petites saloperies sans même esquisser un semblant de sourire.
" Ca sent vraiment pas bon, dans tous les sens du terme. Tu as vu cet oeil ? Me met presque mal à l'aise, crève le pour voir ! " " Oublie. Tu as vu la taille des épines. Pfeuh. "
Hrist enfonça la pointe de la lame dans un bébé araignée qui gesticulait dans tous les sens. Une décharge, plus faible que les précédentes vint quand même chatouiller son bras. " Si seulement je pouvais faire une gigantesque boule de feu... " " Si seulement en plus de ça, tu avais la présence d'esprit de ne pas le faire dans une grotte surchargée de gaz de putréfaction... "
Hrist retira de derrière elle un caillou qui lui meurtrissait le bassin. Elle regardait son reflet dans la lame apparat couverte de sang d'araignée, une patte encore accrochée au fil du rasoir. " Non mais vraiment. Ça me prendrait quoi ? Deux secondes ? Un claquement de doigt ? Deux boules de feu bien placées ? Un immense pic de pierre qui lui tomberait dessus ? Un blizzard de stalactites ?" " Certes, mais là, à défaut de claquer des doigts, tu devrais vite trouver une solution pour éviter que Dame Tarentula ne fasse de toi un chouette coussin de soie. Tu as vu à quelle vitesse elle a dévoré l'autre gueux des cavernes ?" " Oui... Deux secondes. Un claquement de doigt. De plus, avec cette malédiction... "
Le monstre continuait de gratter opiniâtrement devant les bottes de Hrist, espérant pouvoir mettre la proie à portée des deux pinces que le monstre agitait au bout de sa guibolle lardée de dards poilus dont le regard rendait sa victime mal à l'aise.
Le regard de Hrist se perdit alors jusqu'à ce qu'elle ne comprenne. La petite araignée qu'elle venait de blesser en lui coupant deux pattes gisait toujours devant elle, incapable d'avancer correctement, elle restait en place ou essayait de clopiner très maladroitement jusqu'à un abri.
Hrist eut alors un éclair de génie.
Elle essuya la lame sur le pan de sa robe raide de crasse et posa les genoux au sol, accroupie et mal à l'aise, elle avait toutefois cette détermination nouvelle à se sortir de cette situation chaotique. L'oeil s'agitait, observant tantôt sa lame brillante, tantôt ses yeux, eux aussi brillants d'une lueur animale, fauve et cruelle.
" Petite petite petite petite... "
D'un coup d'un seul, elle frappa la patte crochue et fit tomber à terre quelques épines velues, un peu de chitine avait cassé et rebondi contre la paroi de la petite grotte. L'oeil convulsé gesticula dans tous les sens et la patte gratta de plus belle, agitant ses deux crochets dans un cliquetis désagréable et de mauvaise augure. Hrist frappa de nouveau, manquant de peu à chaque fois la patte agile qui bougeait dans tous les sens. Trois échecs plus tard, Hrist parvint enfin à frapper un des crochets et l'arracher à la patte. Un cri s'entendit plus loin, la chose avait senti quelque chose, de la douleur.
N'aimant pas cette réaction, Tarentulla retira sa patte de l'abri et ne fit plus un bruit. Enfin seule, Hrist pu avancer un peu à quatre pattes jusqu'à ramasser le crochet perdu. Le portant à ses narines, elle constata qu'il ne dégageait aucune odeur particulière et examina davantage. " Il est noir, poli et brillant... Derrière on voit qu'il est articulé, ça j'avais remarqué mais on dirait une grosse pince de crabe. " " Tu arrives vraiment à songer à ton estomac dans un moment pareil ? " " Elle est solide, cette griffe, mais elle n'est pas creuse, il n'y a pas de poisons. C'est pas une mandibule au bout d'une patte, c'est déjà ça. Elle doit s'en servir pour griffer ou accrocher." " Griffe ou crochet, elle en a sept autres... "
L'affreuse créature s'étant retirée, Hrist avança jusqu'à l'embouchure de son abri et écouta attentivement le bruit mat et gras que faisait Tartentula non loin d'elle. La tueuse savait que la bête jouissait d'un instinct de chasseur hors pair et d'une patience incroyable. Son estomac aurait tôt fait de l'achever avant que la bête ne se lasse et ne déguerpisse.
D'après le bruit qu'elle faisait et le silence soudain, Hrist comprit que la bête attendait patiemment au dessus de l'entrée de son tunnel, prête à lui tomber sur le râble lorsqu'elle pointerait le bout de son nez.
La femme essaya de se redresser et se cogna la tête contre le plafond de pierre anguleux. Elle essaya de s'installer en tailleur dans la mesure du possible, la promiscuité lui malmenait les lombaires, les épaules et la nuque. Dans l'ordre.
« Bon... Fichue. » Sentenca Hrist. « Cette saloperie peut bien attendre des jours sans crever de faim. Moi j'ai déjà de l'acide dans l'estomac faute de n'avoir rien avalé. »
Cèles apparut sur ses genoux sous la forme d'une petite femme brune à la peau claire et aux yeux de violette, un peu comme sa maîtresse à la différence qu'elle suintait l'éther et la magie. Elle posa une demi-fesse sur le genou de la femme et imita le visage boudeur de la tueuse. « 'Franchement... Tout ça pour faire la peau d'un gobelin. Pourquoi on lui court après, déjà ? »
« Lui arracher les yeux ? » « Ah, oui. Pour gagner notre passage à Kendra Kâr. Tu es sûre que c'est une bonne idée, Kendra Kâr ? » « C'est une mission intéressante et qui pourrait me faire gagner un peu de prestige. » « Surtout très dangereuse, le prestige n'est utile que pour les vivants. »
Hrist regarda autour d'elle. Il faisait moite et froid au fond de ces cavernes. Au loin, quelques ombres de ces créatures bipèdes approchaient à la vitesse de la peur, prestes et silencieux. Ils arrivèrent assez vite pour remorqueur leur camarade tombé sous les mandibules de Tarentula qui finalement, trouvant ce festin plus facile et abordable, se laissa glisser le long de la paroi dans un froissement de pierre et de poussière pour aller attraper le premier venu.
« Elle sort d'où, cette saloperie ? Et eux ? » « Tarentula c'est une créature d'Aerq. Eux, ce sont d'anciens gobelins ou des elfes qui vivaient sous terre. Appelons les Croques. » « Les créatures d'Aerq s'attaquent aux gobel.. Croques ? » « Oui ma vieille, les gobelins et orques sont certes la main d'oeuvre des Treize mais ce n'est pas pour autant qu'ils leur porte beaucoup d'affection. « ... » Hrist s'approcha de l'embouchure et jeta un œil rapide. La Tarentule déchiquetait joyeusement un Croque sous des hurlements stridents.
« Pour tout le monde sur cette terre, les gobelins, les orques et les monstres sont au service du mal. Des serviteurs zélés, sanguinaires, tortionnaires et affamé, ayant le goût des os broyés et des giclées de cervelles. Quelques uns ont pu survivre à l'extérieur dans des clans indépendants, d'autres au service des Kendrans mais presqu'aussi esclaves qu'ici. »
« Je ne suis pas tout à fait d'accord, un gobelin adulte a bien été un gobelin marmot, avec des berceuses gobelin marmot des biberons gobelin marmot et des mamans gobelins en cloque. Certes, je ne raffole pas des chiards mais une espèce ne peut pas s'en sortir grâce à sa seule bestialité. Il y a toujours des zones démilitarisés, des cultes, des soins et des éducations. Regarde, ce gobelin dans les rues qui vent des poupées pour enfants ? »
« Le sorcier qui vend des poupées ensorcelées pour maudire à distance une victime ? » « ... » « Ici et depuis quelques millénaires que je vis » Lança Cèles avec un rien d'exaspération dans la voix. « Il n'y a pas de mélanges. Le grand vaut mieux que le petit. L'homme que la femme. Le blond que le brun. Le riche que le pauvre. Le bien né que l'enfant trouvé. Le beau que le laid et les gobelins et orques, eux, ne valent rien. Voilà. Quand on a des bonnes qualités, on vit entre soi et quand à l'inverse on ne les a pas, on vit encore plus entre soi. Et si, par miracle un grand et beau mâle blanc reconnaît un certain charme à une vilaine petite au teint trop foncé, on trouve alors un côté philosophique comme quoi, même la plus insignifiante petite merde peut avoir une utilité à un moment donné. Avec un peu de chance, la populace s'esbaudit, on fait une fête, on égorge un cochon et après l'avoir bouffé, on retourne à ses serviettes. Sauf les gobelins et les orques qui eux, sont des torchons. »
Lorsque le premier croque eut terminé de crier, Tarentula s'attaqua au second qui beugla davantage. Le cri strident résonna dans toute la caverne et dissuada sans doute les autres Croques dissimulés dans l'ombre de venir chercher les blessés.
Hrist s'extirpa de son trou et commença maladroitement à courir vers ce qui semblait être l'ouverture menant à la sortie, celle la même que son ombre empruntait plus tôt. La pierre ponce vitrifiée, brisées et dentelée lui écorchait les genoux et coupait les doigts et les avants bras lorsqu'elle s'essayait à l'escalader. Derrière elle, les cris cessèrent de nouveau et le bruit mat approcha.
La bête d'Aerq avait terminé de déchiqueter le Croque et maintenant avançait à toute vitesse sur Hrist qui n'eut d'autre choix que de sauter à pieds joints dans une autre galerie creusée dans la roche et chuta lourdement à terre. Son abri avait plus l'aspect d'une crevasse qui donnait sur une poche souterraine bien plus large que la précédente, elle pouvait s'y tenir debout et s'étalait sur quelques mètres. Le sol comme précédemment était recouvert de cadavres pris dans la soie et couverts de poussières et de petites araignées mortes, si sèches qu'elles craquaient et se réduisaient en poussière lorsque la femme marchait dessus.
Au dessus, Tarentula vexée de voir son repas s'échapper, labourait la surface et faisait entre deux longues pattes qui raclaient la roche, envoyant voler dans tous les sens poussière et boulette de roche vitrifiée. Hrist évita les spasmes énervés des longues pattes en reculant de quelques pas. Encore cette fois, une pair d'yeux lovés dans la chitine de la bête observait la femme.
« Je déteste ça... » Fit doucement la tueuse. Les yeux la mettait mal à l'aise, elle avait l'impression d'y voir quelque chose d'humain. Quelque chose qui n'avait rien à voir avec la bête contre laquelle elle se battait. Hrist se pencha et ramassa une grosse pierre et la jeta de toutes ses forces contre une des pattes qui évita sans mal le projectile. Furieuse de cette résistance, Tarentula tendit davantage la patte, mettant son précieux œil à portée de la tueuse qui d'un coup d'un seul, envoya une estafilade traverser l'iris noir et globuleux.
La patte rebroussa chemin mais aucun cri cette fois-ci. Tarentula immobilisa ses deux horribles pattes et Hrist vit contre toute attente une paupière épaisse se refermer sur l'oeil crevé, versant maintes larmes épaisses et ensanglantées. Lorsque la paupière s'ouvrit de nouveau, l'oeil était parfaitement intact, comme s'il n'avait jamais été blessé.
« V'la autre chose. »
Hrist se mordit la lèvre de frustration et s'approcha d'un pas. Les deux yeux observaient chacun des mouvements de la femme, rivés sur les pattes immobiles. (« Si j'avance, elles vont me tomber dessus, m'accrocher ou m'empaler sur leurs épines... Cette salope joue une vrai guerre des nerfs »)
Hrist approcha avec une tactique en tête. Elle écarta les bras pour paraître plus grande et transpirait à grande eau. Nerveuse, elle mesurait chacun de ses pas et lorsqu'une des pattes se décida à attaquer, elle se laissa tomber en arrière et dans sa chute, frappa un coup sec sur la patte, l'entaillant profondément sans pour autant la trancher.
Tarentula retira sa patte blessée et passa dans la fissure des deux mandibules luisants. Hrist provocatrice leva un doigt en direction du monstre, monstre qui lui cracha un jet de salive gluante en pleine face, l'envoyant à terre.
Suffocante, Hrist se débattait pour arracher de son visage l'épaisse mélasse qui l'empêchait de respirer. Tombée à terre, elle avait soulevé un nuage de poussière qui était venu se fixer sur son masque gras et épais. Aveuglée, elle taillait à l'aveugle de sa main valide dans l'épaisse toile et entendit Tarentula qui redoublait d'effort pour envoyer ses pattes l'accrocher et la traîner hors de son abri.
La tueuse parvint finalement à déboucher ses voies respiratoires et ses yeux. Ses cheveux et le reste de sa bouche, encore collants, elle verrait plus tard. Ivre de rage et profondément vexée de cette attaque, Hrist envoya une pierre directement dans les mandibules de la bête qui recula brièvement avant de défoncer sauvagement la paroi qui l'empêchait jusqu'à présent de passer. Des débris et des gravas éclatèrent dans tous les sens et Hrist, profitant de voix une patte pendre dans le vite, frappa de toutes ses forces, deux fois sur le bas d'une patte, là où la chtine semblait plus fragile et à sa grande stupéfaction, elle coupa net la patte. Cette fois, Tarentula lança un cri suraiguë qui fit reculer Hrist, la forçant à se protéger les oreilles.
Fourbe qu'elle était, Tarentula cracha de nouveau sa salive chaude et épaisse qui entoura les bottes de Hrist ainsi que le bas de sa tenue. Cette fois-ci, la soie avait été tendue entre elle et l'araignée monstrueuse. Tarentula accrocha le fil de bave avec ses pattes et arracha Hrist à son abri, l'envoyant tomber plus bas, le long de la paroi, toujours prise dans la toile et sonnée de sa chute.
Les jambes dans la soie grasse et la tête dans le coton, Hrist remarqua qu'elle voyait rouge. Littéralement. En la faisant passer comme une lettre dans une boîte par la crevasse, Tarentula avait frappé le corps fragile de la femme contre la roche et par conséquent, éclaté une arcade. Le sang coulait déjà abondamment et aveuglait son œil gauche mais derrière ce rideau rougeâtre, Hrist distinguait parfaitement la forme animale qui avançait droit sur elle. Hrist avait toujours en main son arme et commençait déjà à découper la toile tandis que l'adrénaline lui martelait le cœur. La gigantesque araignée boitait suite à la perte d'une patte. Ne restait plus à Hrist de tailler une seconde patte assez profondément pour qu'elle ploie sous le poids de la bête et que le monstre soit ensuite assez handicapé pour ne plus pouvoir attaquer.
Hrist donna l'ultime coup de lame dans son entrave et pu se libérer de ce piège mortel au même moment où Tarentula lui tombait dessus. La gigantesque araignée était rapide et précise. Elle tenta de tuer Hrist en l'empalant sur ses mandibules et ne récoltant que de la pierre et de la poussière, comprit que sa proie était sous son abdomen.
Alimentée par une peur panique et par le dépit, Hrist enfonça sa lame entre les deux membres de l'araignée géante, précisément dans le pli cartilagineux qui maintenait le corps et l'arrière train. La bête se retourna brusquement, arrachant à Hrist son arme toujours fichée dans la carapace de Tarentula. Coincée sous une pluie de pattes agitées et lardées d'épines, Hrist roula non sans mal jusqu'à éviter les crochets et les mandibules de son fléau à sept pattes et demi.
A côté d'elle gisait un Croque et un autre encore à quelques mètres. Tout tartiné qu'il était sur la pierre ponce, les membres éparpillés et les loques de cuir dispersées. Dans ce capharnaüm d'os, de dents et sur la sanie vitrifiée, Hrist vit un espoir nouveau. La lance du Croque, un bout de métal rouillé n'ayant jamais été affûté que sur des cailloux mais le métal brillait à la lueur du néant. Hrist à quatre pattes rampait pour s'emparer du précieux instrument de mort mais au moment où ses doigts glissèrent le long du manche de l'arme, Tarentula s'envoya un coup de patte dans le flanc de la tueuse, lardant sa peau de ses épines dont l'une d'elle resta fichée sous ses côtes. Pliée de douleur, Hrist se remit du choc de la chute et de la chitine enfoncée dans sa chair. Le souffle coupé, elle luttait contre les frelons blancs de l'évanouissement jusqu'à ce que Tarentula ne s'approche de nouveau. Hrist frappa une fois dans le vide, la seconde, elle pu frapper la patte qu'elle avait déjà fragilisé au début.
Furieuse, Tarentula recula, recroquevillant ses pattes sur elle même et cracha un autre mollard de toile, épais et collant qui recouvrit totalement la femme. Hrist coincée sous ce masque étouffant gesticulait la tête et essayait de déchirer la toile en frottant son visage par terre contre la roche dentelée.
Tarentula prenait son temps, elle n'attaquait pas tout de suite mais traina plutôt son butin jusqu'à une galerie plus large et entreposa Hrist dans son cocon de toile. La prisonnière avait pu, non sans mal, user assez la toile au niveau du visage pour y laisser passer un maigre filet d'air. L'adrénaline retombant, la tueuse réalisa à quel point son corps la faisait souffrir. L'épine enfoncée dans sa chair lui faisait un mal de chien. Elle avait une crampe à la cuisse, une douleur cinglante au poignet qui laissait entendre qu'elle venait de se le tordre sans parler des nombreuses coupures superficielles qui avait taillé sa peau des mains, jambes, bras et usé sa tenue. Sous son sein, sa main armée arrivait à peine à bouger, Tarentula l'avait collée sur place. Ce n'est qu'au bout de longues minutes de patience et de travail minutieux que Hrist parvint enfin à bouger un peu le bout de ses doigts mais sans résultat.
Elle resta un moment immobile et faute d'une meilleure idée, commença à croquer la toile qui la retenait prisonnière avant de la mâcher pour en faire une boule. Le goût inconnu, âcre et gras aux vapeurs qui évoquaient celles d'un alcool artisanal lui donna instantanément envie de vomir. Ce qu'elle fit dans son cocon. La bile chaude et malodorante avait été stockée dans le col de toile, coulant le long de son menton et de sa gorge.
Les odeurs âcres des gaz de putréfaction et l'odeur de sa propre bile n'aidant pas, elle essayait de contracter son corps, écarquillant les yeux rouges et larmoyants, vomissant toute la bile que contenait son estomac. Le front perlé de sueur, Hrist continua moins vite à mordre dans la toile. Petite bouchée par petite bouchée, elle crachait des boulettes blanchâtres légèrement rougies par le sang qu'elle avalait sans s'en rendre compte. Sa lèvre inférieure avait crevé et un mince filet de sang barrait son visage en compagnie de l'arcane qui venait à peine de coaguler.
Au bout de quelques minutes, Hrist pu se libérer une main, les doigts entrepêtrés dans la soie collante, elle eut besoin d'encore quelques ultimes minutes pour arracher son autre main à l'entrave. Une fois libre, elle pu découper avec plus de mal le cocon déjà durci qui lui liait les jambes.
« J'vais lui... La... Salope. » « Souviens toi. Maudite, impossible de tuer. » « Salope quand même. » Lâcha la femme rouge de colère et sale de sang.
Tarentula n'était pas dans la galerie, elle festoyait en dévorant les cadavres flaques des Croques qui gisaient là où elle les avait laissés. Soulevant une lourde pierre au dessus de la bête, Hrist n'écoutait plus que sa hargne.
Mais les nombreux yeux de Tarentula étaient comme autant d'espions et la créature recula maladroitement, laissant la pierre s'éclater au sol dans un bruit de gravas. Le monstre d'Aerq était blessé, elle couinait et ne tenait déjà presque plus debout. C'était le moment fatidique. Hrist avait parfaitement identifié la stratégie, il fallait entailler une dernière patte, le faire assez fort pour qu'elle ne puisse plus tenir debout et qu'elle soit forcée de reculer.
La tueuse serrait son arme si fort que ses articulations viraient au blanc. Tarentula grimpa avec l'aisance d'un gros cloporte la paroi de pierre et présenta son immense corps à l'entrée de la galerie. Elle tenait appui avec les six pattes qui lui restait et agitait ses mandibules avec un air menaçant. Envoyant une patte frapper sa proie, elle manqua de peu la tueuse qui glissa sous les dards et les yeux agités pour s'approcher encore du monstre. Hrist frappa un coup sec dans une patte qui prenait appui dans le renfoncement de pierre ponce. Assez fort pour casser la chitine et l'empêcher de prendre appui. Tarentula poussa de nouveau son cri suraiguë et avant de ne chuter et de s'écraser en bas de la caverne, Hrist glissa ses doigts autour de l'arme argentée toujours fichée dans son cartilage. Le poids du monstre tombant en arrière faisant le travail pour elle, Hrist récupéra son arme couverte de sang flasque et collant.
En bas, Tarentula gesticulait dans tous les sens, crachant de la toile de manière saccadée et poussant des hurlements à faire trembler la pierre. Hrist toisait son adversaire des hauteurs des galeries et tremblait comme une feuille. Blessée de toute part, elle avait enfin pu franchir le dernier obstacle qui la séparait de la sortie.
Restait qu'une chose à faire. Songea la femme en se mordant la lèvre déjà ouverte et ensanglantée. « Rastaganarak... »
_________________
Dernière édition par Silmeria le Mer 30 Sep 2015 03:45, édité 1 fois.
|