Talonnant nos chevaux comme si toutes les créatures les plus viles de Yuimen nous coursaient, nous quittâmes l’entourage direct d’Omyre. Nous étions un peu plus à l’abri d’un possible raid de récupération. J’avais cependant des doutes concernant la situation de nos camarades qui risquaient de retourner en ville et se feraient attraper par les sbires restants de Liam.
Non, ils n’allaient pas se jeter volontairement dans la gueule du loup. Ils s’étaient battus pour obtenir leur liberté, ils allaient fuir comme nous mais peut être pas dans la même direction que nous. Nous n’avions pas choisi la route la plus simple, nous allions devoir traverser les bois sombres, une forêt qui avait une aussi mauvaise réputation que le camp dont nous venions de nous enfuir.
- « A quoi penses-tu Aenaria ? »- « Les bois sombres. »- « Et ? »- « Tu n’en as jamais entendu parler ? »- « Non, ça ne me dit rien du tout. Pourquoi cela devrait me parler ? »- « J’ai entendu les plus folles rumeurs au sujet de ces bois, des rumeurs à l’image de celle que j’avais pu entendre sur le camp dont nous venons de nous échapper. »- « On est sorti du camp, nous nous sortirons de ce nouveau mauvais pas. »- « Pour cela nous devons dormir. Je ne pense pas que les gardes de la ville se mettront en quête des fuyards immédiatement, ils seront trop occupés à voir l’étendue des dégâts au camp et attraper les fugitifs proches de la cité. La nuit n’est pas encore trop avancée, nous allons cravacher quelques heures afin de rejoindre le pont de pierre qui se trouve à une heure de la lisière de la forêt. Nous pourrons nous abriter en dessous pour prendre du repos. »- « Bonne idée mais il y a un hic, nous avons beau être des elfes tous les deux, nous ne voyons pas grand chose, une solution ? »Je claquai les doigts de ma main droite et aussitôt une boule de lumière fit son apparition juste à côté de moi, nous permettant de voir devant nous. Enfin voir, tout était relatif, on ne voyait pas à deux cent mètres à la ronde mais juste assez pour éviter les obstacles et suivre ce qui ressemblait à une route.
- « Pas mal, on y verra mieux ainsi. Allez, ne traînons pas trop dans le coin. Si l’un de nous ressent la fatigue, on s’arrête quoi qu’il arrive. »- « Et la pluie ? »- « Crois-moi, elle ne devrait pas tarder à s’arrêter. »Faerlyn fit claquer ses rennes afin de relancer sa monture et je fis de même, me doutant bien qu’il savait plus de chose que moi sur les nuages. Nous galopâmes sur ces terres hostiles pendant au moins trente minutes avant que la pluie ne cesse définitivement, comme l’avait prédit l’éarion.
Les trente minutes suivantes nous permirent de sécher quelque peu ce qui était plutôt bien car je commençai sérieusement à greloter sous ma cape elfique. La fatigue commença à m’assaillir, mes yeux se fermaient malgré moi mais je devais tenir encore un peu plus longtemps.
Nous devions galoper à vive allure depuis presque deux heures maintenant, nous pouvions ralentir et trouver un lieu pour prendre du repos, même si j’aurais préféré être au pont de pierre. La boule de lumière se mit à éclairer de gros arbres qui longeaient la rivière. Parfait pour s’arrêter.
Je sifflai afin de faire se retourner Faerlyn dans ma direction avant de lui indiquer les quelques arbres sur ma gauche. Il comprit et ralentit aussitôt l’allure tout comme moi avant de tirer les rennes de sa monture pour la diriger vers la rivière. Je choisis un arbre avec un large tronc permettant la plus grande couverture et avec le premier niveau de branchage le plus élevé.
Je fis faire demi-tour à ma monture et la guidai avec les rennes vers le dernier arbre que nous venions de passer. Sur place, je fis passer mon cheval sous les branchages et constatai par la même occasion que je pouvais tenir sur la scelle sans toucher les feuilles. C’était parfait car nous pourrions faire un feu sans risquer de mettre feu à l’arbre avec un minimum de surveillance évidemment.
Je posai pied à terre et Faerlyn me suivit rapidement. Il récupéra les rennes de mon moyen de locomotion et attacha les rennes au sien.
- « Alors que fait-on ? »- « Tu récupères des pierres dans le rivière suffisamment grosses et tu formes un cercle pendant que je vais couper avec mon épée les branches au-dessus de nos têtes. »Il acquiesça de la tête et se mit à l’ouvrage. Je rejoignis le tronc et récupérai mon épée. Je fis une encoche dans le bois au niveau de mon genou puis une au niveau du haut de ma cuisse, une autre au niveau de ma taille et une dernière au niveau de ma poitrine, me créant ainsi un escalier afin de grimper dans l’arbre.
Remettant mon épée dans son fourreau, j’utilisai mes prises afin de prendre un peu de hauteur. Je me mis à califourchon sur la première branche que je trouvai et repris mon épée en main afin de couper les branches au-dessus de moi. Il me fallut plusieurs coups avant de faire tomber une grosse branche non sans prendre des feuilles dans la tête. Je n’étais plus totalement lucide et mes réflexes laissaient quelque peu à désirer.
Je m’attaquai à une deuxième grosse branche afin d’avoir suffisamment de bois pour toute la nuit. Mes oreilles captèrent des bruits de branches que l’on casse, aussitôt mon regard descendit sur Faerlyn qui avait commencé à couper tant bien que mal les ramures. J’accélérai le mouvement afin de le rejoindre dans sa besogne.
Une deuxième branche sur le sol, je rengainai mon épée et tenant fermement la branche sur laquelle j’étais assise, je me laissai tomber en arrière, me retenant avec mes bras avant de lâcher prise pour tomber doucement sur le sol. Je rejoignis Faerlyn et coupai les branches rapidement de ma lame. Je dus m’y reprendre à plusieurs reprises pour couper certains morceaux, mes forces m’abandonnaient progressivement.
L’éarion porta les premiers morceaux et les feuilles dans le cercle de pierre qu’il avait rapidement constitué. Il déplaça le reste rapidement et fit une pile avec la dernière partie des branches.
- « Et maintenant. »Je mobilisai mes fluides de feu qui semblait être bien vide mais ma réserve fut suffisante afin de lancer une simple boule de feu dans le tas de bois. La première tentative échoua, mes fluides refusant de m’obéir. Je secouai ma main et mobilisai de nouveau mes fluides de feu qui cette fois-ci répondirent en formant une boule dans ma main qui je lançai rapidement.
J’attendis de voir si le brasier prenait correctement avant d’enlever ma cape pour la sécher le plus possible. Faerlyn s’assit en tailleur près du feu, les mains vers lui pour se réchauffer. Je tournai ma cape pour la sécher le plus possible le tout en baillant à m’en décocher la mâchoire.
- « Bien, je prends le premier tour de garde et toi le second. »- « Non Aenaria, tu as livré un combat beaucoup plus rude que moi. Je suis juste fatigué magiquement, toi tu es fatiguée physiquement et magiquement. Tu tiens à peine debout. Va dormir, je te réveille avant que le soleil ne se lève. »- « Même si tu te bats avec ta magie, je te laisse quand même mon épée et mon bouclier au cas où. Cette région n’est pas sûre. »- « Nous sommes à côté d’une rivière, je n’ai peur de rien. Repose-toi jeune sindel. »Il ne m’en fallut pas plus. Je m’allongeai près du feu, posai ma cape sur moi et, une fois en boule, me laissai aller au sommeil, un sommeil bien mérité, un sommeil synonyme de liberté.
*****
Je fus réveillée par Faerlyn quelques heures plus tard. En ouvrant les yeux, je pus constater que le soleil commençait tout juste à poindre le bout de son nez à l’horizon. Je me levai, m’étirai et tendis ma cape à Faerlyn qui l’accepta volontiers.
- « J’ai dormi combien de temps ? »- « Je dirais quatre bonnes heures. »- « Je te réveille dans quatre bonnes heures alors. Repose-toi bien. »Il acquiesça de la tête, s’enroula dans la cape et s’allongea près du feu. Sa respiration se calma rapidement, son torse se levait et se baissait plus doucement. En regardant autour de moi, je distinguai clairement le cours d’eau dont l’onde semblait pure et fraîche. Le soleil continuait sa course vers son zénith, je n’aurai donc plus besoin d’alimenter le feu.
Je gardai mon épée et mon bouclier à portée de mains et rejoignis la rivière afin de me rafraîchir. Me laver correctement était une illusion mais enlever quelques stigmates de la nuit que nous venions de passer n’était pas impossible. Mon regard tomba sur mon reflet dans l’eau, je pus voir à quel point mes traits étaient tirés par la fatigue de ces derniers jours.
Rapidement ce reflet se brouilla pour laisser apparaître une scène familière, le salon de la maison d’Ehemdim avec mon cher et tendre qui faisait quelques passes d’armes. Il avait bien récupéré enfin c’était ce que je croyais. Lorsqu’il se tourna vers le point à partir duquel je le voyais, je vis un voile blanc devant ses yeux.
(Oh non !)(Que se passe-t-il ?)(Ehemdim a rechuté, la maladie de Kendra Kâr le touche de nouveau.)(Attends, ce n’est pas à cause de cette maladie qu’il t’a fait ta cicatrice dans le dos ?)(Si.)Je reportai mon attention sur la vision que j’avais dans l’onde claire et là qu’elle ne fut pas ma surprise en voyant un visage familier entrer dans le salon. Tamìa ! Je n’avais qu’une hâte, qu’Ehemdim la coupe en petits morceaux pour ce qu’elle nous avait fait subir à tous les deux.
Mais ce que j’attendais avec impatience n’arriva pas, à la place mon cœur rata un battement lorsque je vis cette vipère embrasser à pleine bouche mon fiancé.
(Ce n’est pas son fiancé à la base ?)(Si mais le problème ne vient pas de là. Il m’a juré qu’il ne voulait plus avoir à faire avec elle. En plus de cela, elle n’a pas la même couleur de cheveux. Attends une minute, elle ressemble beaucoup à l’elfe qui avait embrassé Ehemdim alors qu’il était atteint pour la première fois de la maladie de Kendra Kâr !)(Tu m’expliques ?)(Lorsque j’ai retrouvé Ehemdim à Kendra Kâr, il a été attaqué par les sbires de mon frère, je l’ai fait soigner et je suis partie pour l’île volante. Tu me suis ?)(Oui, jusque-là j’ai bon.)(Une fois sur cette île, j’ai eu une vision d’Ehemdim qui fricotait avec une elfe grise brune dont le visage me disait quelque chose mais je n’avais pas réussi à mettre le doigt dessus à l’époque. C’était Tamìa en brune !)(Oh je vois… En fait pas du tout !)(A l’époque, à mon retour de l’île, j’avais cru que c’était « cette elfe » qui était la raison de sa maladie, mais j’avais tort, il avait attrapé la maladie qui sévissait dans la ville à l’époque. Il avait un voile blanc devant les yeux et ne semblait pas me reconnaître. Nous nous sommes battus, il m’a fait cette blessure dans le dos et je l’ai fait soigner. Griffin et Milian ont trouvé un remède et je suis repartie pour la région d’Oranan pour la mission des Amants.)(A partir de là, je n’ai pas besoin d’explication puisque je suis entrée en contact avec toi à cette époque.)(Donc là, imagine un peu le tableau : Tamìa, un voile blanc devant les yeux d’Ehemdim, mon fiancé qui embrasse une elfe qu’il a clairement répudié. Comment veux-tu que je réagisse ?!)(Reste calme c’est tout ce que je peux te dire.)(Comment veux-tu que JE RESTE CALME !!!)J’avais toujours les yeux rivés à l’onde et ma faera choisit ce moment pour se matérialiser devant moi, me cachant par la même occasion cette vision cauchemardesque.
(Regarde-moi Naria.)(C’est ce que je fais.)(Suis-moi du regard.)Je m’exécutai et levai les yeux vers l’horizon où le soleil pointait le bout de son nez. Les premiers rayons me touchèrent le visage. Je fermai les yeux et respirai profondément, sentant une vague de calme m’envahir.
(Merci Crysti.)(Toujours. Maintenant, mets-toi en tailleur et médite avec les rayons du soleil, cela te reposera encore un peu.)Ma faera me connaissait bien, les exercices de méditation m’avaient toujours fait du bien. Les jambes en tailleur, je posais mes mains sur mes genoux, paumes vers le ciel et commençai à respirer en cadence tranquillement. Inspiration, expiration, inspiration, expiration…
Les premiers rayons du soleil me transportèrent des années en arrière lorsque je faisais ce même exercice de concentration et de respiration à Faronia. C’était père qui m’avait dit que cela m’aiderait au combat pour retrouver mon calme et après la bataille pour évacuer toutes les horreurs.
Je restai ainsi pendant de longues minutes, me concentrant seulement sur les battements de mon cœur et sur ces rayons de soleil. Je devais évacuer cette vision de mon esprit sinon je risquai une nouvelle « crise magique ».
(Pense à des choses apaisantes.)(Ma mère.)(Pourquoi tu associes apaisant à Fanìa ?)(Tu sais à quel point j’étais proche de mon père ?)(Tu l’es encore plus aujourd’hui.)(C’est vrai, dis-toi que j’étais encore plus proche de ma mère. Elle était toujours là pour moi lorsque j’en avais besoin. Par exemple, nous avons un magnifique jardin au manoir et elle adorait passer du temps à s’occuper de ses roses.)(Elle avait la main verte.)(Comment tu sais ça toi ?)(Vu la manière dont tu en parles, il ne faut pas avoir fait de grandes études pour le comprendre !)(Mouais. Bref, elle adorait me donner le nom scientifique de ses plantes, les différentes fragrances qui s’exprimaient en fonction des saisons, les différentes variétés qui poussaient. C’était un espace de bonheur sans pareil, j’adorais ces petits moments volés entre filles. Elle me manque tellement, j’aurais tant besoin de ses conseils aujourd’hui.)Sans que je ne le contrôle, une larme roula le long de ma joue. J’effaçai sa trace d’un revers de main et ouvris les yeux afin de voir que la moitié du disque solaire avait fait son apparition à l’horizon.
(Continue de me parler de tes parents, cela semble t’appaiser.)(Ma mère était une prêtresse de Sithi, une ithilna pour être précise. Elle faisait partie des membres les plus importants au sein du temple de Balsinh. J’avais eu l’occasion de la voir pratiquer une cérémonie une fois et j’avais été fascinée… Elle avait dansé afin de célébrer la lune, notre astre vénéré, elle était tellement gracieuse dans sa robe blanche, si voluptueuse. On aurait dit une enchanteresse, mais une bonne rassures-toi.)(J’ai déjà eu l’occasion d’assister à de nombreuses cérémonies religieuses par le passé, étant plutôt du genre à m’attacher à des pacifistes. Les cérémonies du culte de Sithi m’ont toujours fasciné, les sindeldis qui officient sont toujours d’une beauté presque divine dans la lumière de la lune.)(Tu connais bien ton dossier, de toute évidence je n’ai que peu de chose à t’apprendre sur le sujet.)(Continue de me parler de ta mère.)(Elle était douce mais pourtant elle savait lever la voix lorsque nous faisions des bêtises avec Aenarion. Elle était dotée d’une grâce naturelle et d’une beauté insolente pour certaines sindeldis qui la jalousaient pour cela. Mais elle arrivait à passer outre cela, accomplissant son devoir envers sa déesse. Et à côté de cela, elle aimait passer du temps au manoir à s’occuper de notre éducation. Elle m’a ouverte à la lecture et à l’écriture, elle m’a montré la beauté de ce monde lorsque mon père m’a montré la noirceur de l’âme.)(Deux mondes différents qui se retrouvent sous le même toit en quelque sorte.)(Tu as très bien cerné le sujet. Sauf qu'en présence de ma mère, mon père était transformé, c’était un autre elfe. Il aidait ma mère dès qu’il le pouvait, complétant notre éducation à mon frère et moi. Il nous a appris des rudiments sur la géographie de notre planète, sa faune et sa flore, les différentes races qui la peuple et principalement les liens qu’elles ont entre elles. Il savait pertinemment que l’un de nous serait un soldat et l’autre un diplomate, il faisait cela pour notre avenir.)(Tes parents étaient prévenants envers vous deux, pas de distinction j’ai l’impression.)(Avec un peu de recul, je peux te dire que j’ai passé plus de temps avec mes parents que mon ignoble jumeau. Peut être que c’est là qu’a commencé l’envie de mon frère de prendre la place de mon père, montrer à tout le monde qu’il devait être le centre d’intérêt de la famille.)(Ne te sens pas fautive, il a peut être délibérément voulu se séparer de vous et n’a fait que ce que vos parents vous demandaient pour ne pas éveiller de soupçons de votre part à tous les trois.)(Tu as sans doute raison. Mais quand je pense qu’il est potentiellement responsable de ce qu’il m’est arrivé dans ce camp de malheur, je n’arrive toujours pas à le réaliser. Comment peut-on aller à de telles extrémités pour essayer d’obtenir l’amour de quelqu’un ? Quand je pense que c’est Tamìa l’arme de la vengeance d’Aenarion, beurk.)(Doucement Aenaria, reste calme s’il-te-plaît.)(Ne t’inquiète pas, je me maîtrise suffisamment. C’était juste pour pointer du doigt cette relation absolument invraisemblable entre les deux, je me demande même si ce n’est pas une relation d’opportunité.)(Qu’est-ce que tu veux dire par là ?)(Je me demande si ils ne sont pas alliés parce qu’ils avaient un but commun, Ehemdim et moi. Tamìa veut récupérer Ehemdim, Aenarion me veut dans son lit, donc concrètement, ils veulent nous séparer. Regarde, je suis séparée d’Ehemdim par Aenarion et Tamìa s’occupe d’ensorceler d’une manière ou d’une autre Ehemdim tout en gardant un œil sur moi pour Aenarion, pour Aenarion…)(J’en connais une qui a une idée derrière la tête.)(Ce n’est qu’une supposition mais réfléchis à cette question : pourquoi est-ce Tamìa qui est venu vérifier mon état de santé et non pas mon frère ?)(Parce qu’elle obéit aux ordres de ton frère ?)(Oui mais pas seulement. Elle était aussi la plus proche géographiquement de moi ! Je pense que mon frère n’est pas sur Nirtim à l’heure où nous discutons mais plutôt au-delà de l’océan.)(Tu le penses vraiment ?)(Oui et j’en suis persuadée. Il aura laissé Tamìa gérer la situation ici, depuis Kendra Kâr.)(Si tu rentres suffisamment vite, il y a des chances pour que tu la rattrapes ?)(C’est possible, mais il reste encore un jour et demi à cheval sans compter le temps de vol depuis Oranan. Qui sait si nous n’allons pas rencontrer des peaux vertes en route ! La zone en regorge, souviens-toi notre retour de chez Grantier.)(Oui, je vois de quoi tu parles.)(Bon allez, bougeons nos fesses.)(Parle pour toi !)Je fis une grimace pour répondre à ma faera avant de me lever et de regarder un peu plus en détail ce qui m’entourait avec la lumière de l’astre solaire. Il avait déjà bien entamé sa course dans le ciel, ma discussion avec ma faera avait fait passer le temps plus vite que je ne l’aurais cru.
Le bruit d’une charrette sur la route arriva jusqu’à mes oreilles, je tournai ma tête dans la direction d’où semblait provenir ce son. Il provenait de la lisière de la gauche, donc des bois sombres. Plus le bruit avançait, plus il changeait. Il n’y avait pas qu’une charrette, il y avait d’autres paires de sabots.
Je ne connaissais pas la qualité du sommeil de Faerlyn mais j’osais croire que vivre près de la mer avec tout le bruit que cela pouvait engendrer, il ne se réveillerait pas avec le bruit des sabots approchant. Je rejoignis la route non sans avoir remis mon épée et mon bouclier dans mon dos au cas où ce convoi chercherait des ennuis.
Plus ce dernier avançait et plus une impression de déjà vue s’emparait de moi. Je me postai sur le bord de la route et plissai les yeux afin de comprendre d’où me venait cette impression. A mesure que le convoi s’approchait, je pus discerner plus clairement le visage du conducteur de la charrette. Et là, je compris.
Vladir.
(Tu m’expliques ?)(C’était avant toi. Lorsque j’ai débarqué à Bouhen à la recherche de mon frère, j’ai fait la route entre Bouhen et Kendra Kâr à cheval. Sur la route, un marchand avait sollicité mon aide pour rejoindre en toute sécurité la cité blanche.)(D’accord. Et donc tu penses que c’est lui ?)(J’en suis sure, je n’oublie jamais un visage. C’est lui mais va-t-il me reconnaître ?)(Tu as changé à ce point ?)(Ma tenue, non, mon équipement oui.)(On verra bien.)Le convoi ralentit à mon approche, l’un des cavaliers se porta jusqu’à moi et sortit sa lame de son fourreau comme une menace à mon égard. Je levai un sourcil de surprise avant le rabaisser. Je croisai les bras sur mon torse et attendis que le cavalier ne mette pied à terre. Il s’approcha doucement de moi non sans penser à mettre la main sur le pommeau de son épée.
- « Que nous voulez-vous ? »- « Absolument rien, vous voyiez je ne suis qu’une voyageuse qui ne fait que surveiller le sommeil de son ami. »- « Votre tête ne me revient pas. »Dans ses yeux, je pus lire la décision qu’il venait de prendre. Il sortit son épée de son fourreau mais j’avais été un poil plus rapide que lui, lui présentant ma lame sous son menton. Je fis non de mon index gauche alors que la charrette s’arrêtait à notre hauteur. J’avais vu juste, c’était bien le marchand de Bouhen qui la conduisait.
- « On ne joue pas avec un adversaire dont on ne connaît pas la force, n’est-ce-pas Vladir ! Je ne savais pas que tu avais étendu ton secteur d’activité ! »- « Aenaria ! Jamais je n’aurais cru te croiser ici. Qu’est-ce que tu fais dans le coin ? »Je rengainai mon épée et rejoignis mon interlocuteur afin de lui serrer la main.
- « Si tu savais ! Je fuis Omyre pour faire simple. »- « Pourquoi cela ? »- « Version courte : je viens de mener une rébellion dans le camp de déportation d’Oaxaca, les prisonniers sont libres et probablement sur toutes les routes autour d’Omyre et ma tête va être mise à prix pour avoir tuer Liam de Falek. »- « Tu ne fais jamais les choses à moitié ! »- « Et non ! Donc soyez prudents lorsque vous arriverez aux portes de la ville. Je pense que les contrôles vont être plus intensifs. »- « Merci de l’information. Qu’est-ce que je peux faire en retour ? »- « Dis-moi que tu as des pommes dans ta charrette ? »Vladir siffla entre ses dents et aussitôt le second garde monta dans la charrette et récupéra une caisse de pommes qu’il me présenta. Vladir me fit un petit clin d’œil.
- « Profites-en bien ! »- « Merci et soyez prudents. »- « Allez les garçons, en route. »Le garde qui avait voulu m’agresser me fit un signe de tête avant de remonter en selle. Il talonna sa monture et le convoi s’ébranla pour repartir vers Omyre. Prions le ciel pour que rien ne leur arrive. Je regardai dans la cagette que j’avais gagné et y trouvai des pommes rouges et jaunes qui nous permettraient de manger Faerlyn et moi. Parfait.
Je rejoignis notre campement et donnai une pomme à chaque monture histoire de les motiver. Nous avions suffisamment de fruits pour faire la route sans avoir à nous arrêter dans les bois sombres, ce que je cherchais à tout prix. Je posai la cagette près du feu et me postai en tailleur les yeux rivés sur la route. J’avais encore une bonne heure à attendre.
*****
Une bonne heure plus tard, je me relevai, m’étirai et rejoignis Faerlyn. Je lui touchai l’épaule avant de le secouer légèrement. Il sortit du sommeil rapidement et se leva me rendant ma cape par la même occasion.
- « Bien dormi ? »- « Comme une souche. Rien d’intéressant ? »- « Regarde près du feu. »Il tourna la tête et tomba sur la cagette de pommes.
- « Tu m’expliques ? »- « Sur la route. Mettons les fruits dans les sacoches de nos selles et partons. »Faerlyn acquiesça et m’aida à tout ranger. Il se tourna vers les braises encore fumantes et lança une boule d’eau dessus afin de les éteindre définitivement. Je montai sur la selle de ma monture et l’éarion fit de même. Nous reprîmes la route à une allure me permettant de lui raconter le passage de Vladir.
Cette discussion nous permit d’arriver à la lisière des bois sombres. Je ralentis l’allure afin de donner des recommandations à Faerlyn.
- « Bien. Nous allons traverser la forêt sans nous arrêter. Cela devrait nous prendre une journée. Nous alternerons entre route à cheval et route à pied histoire de ménager nos montures. Nous n’irons pas trop vite à cheval histoire de pouvoir entendre ce qui se passe autour de nous. J’ai peur que l’on se fasse attaquer par une bande de gobelins ou d’orques voir les deux. Soyons sur nos gardes quoi qu’il arrive. »- « Je te suis Aenaria. »En avant dans les bois sombres.