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Dans le chapitre précédent, Haple se vit bannie d'Anorfain suite à une violente dispute familiale, au cours de laquelle la petite précipita la mort de sa mère. N'éprouvant aucun remord, elle accueilli avec enthousiasme la perspective de devoir traverser les montagnes de Nirtim et affronta l'environnement inhospitalier avec détermination, et une bonne dose de chance, jusqu'à tomber sur un mystérieux Fujonien, appelé Bharf. Après avoir affirmé sa domination hiérarchique sur la petite, celui-ci fourvoya l'enfant sur le chemin d'une grotte sans l'avertir des dangers qui l'y attendraient. Elle y affronta des élémentaires de glaces et ne s'en sortit que d'extrême justesse grâce à un étrange phénomène au cours duquel ses fluides terrestres semblèrent opérer d'eux-mêmes et la transformer en statue de pierre suffisamment longtemps pour détourner l'attention des créatures de glace. Tombée inconsciente, Haple fut secourue par le Fujonien qui la conduisit hors de la zone de haute-montagne jusque dans la demeure d'une amie à Amaranthe. Lorsque Haple sortit de son coma, le Fujonien lui expliqua que la grotte était un lieu où les Fujoniens venait tester leur capacité à dominer leurs émotions et qu'elle-même semblait avoir passé l'épreuve avec un relatif succès. Il l'invita finalement à le rejoindre lorsqu'elle aurait recouvré ses forces car maintenant il devait partir d'urgence et la laisser au soin de son amie)))
Dure comme la Pierre
Le lendemain, Haple eut le plaisir de se réveiller avec l'odeur alléchante d'un petit-déjeuner au lit. Son hôtesse était revenue dans la pièce et se dirigeait vers la fenêtre pour rabattre les volets intérieurs contre le mur de pierre. Malgré le bas plafond et l'étroitesse de la fenêtre, une éclatante clarté envahit aussitôt la pièce et l'enfant ensomeillée plissa les paupières sous le coup de l'éblouissement. Lorsqu'elle les rouvrit, une fraction de seconde plus tard, la jeune femme se dirigeait vers le lit de la convalescente. Un halo doré la suivait, remarqua l'elfe, avant de réaliser qu'il s'agissait en fait de ses boucles blondes dansant gracieusement au rythme de ses pas dans la lumière du jour. Haple ne l'avait entrevue que rapidement la veille avant son entretien avec le Fujonien. Elle découvrait maintenant une humaine d'une trentaine d'année, guère plus haute qu'une enfant, mais marchant avec l'assurance d'un vétéran de l'armée de la Reine. Elle en avait également l'endurance songea la petite à la vue de ses bras musclés. Et, résultant de ce contraste entre la grâce délicate de son visage et une prestance toute virile, l'hôtesse dégageait finalement une aura androgyne des plus dissonantes.
Lorsque celle-ci s'assit lourdement sur le bord du lit, se fut donc avec surprise que Haple l'entendit s'exprimer d'une voix cristalline et maternelle :
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Tu ne manges pas ?Le fumet du petit-déjeuner lui revint aussitôt à l'esprit et Haple suivit le regard de la montagnarde vers le plateau placé sur la table de chevet. S'y trouvait placé avec attention un assortiment de mets simples et nourissants : des pommes jaunes coupées en fines tranches, une épaisse miche de pain accompagnée d'une baratte de beurre doré, un verre d'eau et une bouillie d'avoine tiède dont s'échappaient langoureusement de délicats volutes de vapeur... En somme, un véritable festin pour la petite aventurière !
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Voilà qui est mieux... commenta la jeune femme en voyant son invitée se jeter sans la moindre retenue vers le bol de gruau aux raisins secs et au miel.
Les fruits viennent du jardin. C'est moi qui les fais sécher tu sais. Je suis ravi de voir que tu les apprécies...?Le ton de la jeune femme s'était infléchi sur la fin, comme pour rappeler à l'enfant que si son mutisme et sa voracité étaient compréhensibles, ils n'en étaient pas moins malvenus et impolis.
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Oui. Délicieux. Et posant la cuillère en bois dans un bruit sourd, l'enfant se recomposa une mine civile :
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Merci de votre accueil, Madame...?-
Pas de "Madame" avec moi, répondit l'intéressée avec un sourire pincé.
On m'appelle Roche. L'air de la pièce s'épaissit l'espace d'un instant alors que la conversation faiblissait. Haple avait l'étrange sentiment d'avoir fait un faux pas sur un terrain miné sans vraiment comprendre pourquoi...
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Notre ami commun se permet même de me donner du Pierre lorsqu'il veut vraiment m'énerver...! ajouta-t-elle pour elle-même, comme plongé dans des souvenirs récents, partagée entre peine et tendresse.
Continue, continue...Mange tant que c'est chaud, l'invita-t-elle finalement.
Et entre deux goulées de bouillie, la petite relança par curiosité, la jeune femme sur cet aparté :
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Mais Pierre, c'est un prénom de garçon chez vous n'est ce pas...?Pour toute réponse, la montagnarde lui jeta un regard de marbre, derrière lequel transparaissait cependant une colère froide, de celle qui naît de blessures mal refermées.
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Il se fait tard. Tu as dormi trop longtemps. Bharf m'a laissé des instructions pour toi. Quand tu auras fini de manger, nous discuterons... de la marche à suivre.Derrière la dureté apparente de sa voix, Haple perçut un certain trouble lorsque fut évoqué le message du Fujonien la concernant. Et un désagréable pressentiment la saisit... car la montagnarde ne semblait être le genre de femme à être déstabilisée par le moindre nuage à l'horizon. C'est donc avec un certain malaise qu'elle regarda son hôtesse se remettre debout avec un sourire forcé et prendre la porte avec un dernier regard soucieux vers l'enfant au lit.
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Je reviens.Aussitôt seule, Haple rabattit ses couvertures et bondit hors du lit... avant de se rappeler avec une grimace qu'elle s'était foulée la cheville lors de ses péripéties sur le glacier. Passant progressivement son poids d'un pied à l'autre, elle évalua l'ampleur des dégâts. La douleur persistait mais ne l'incapaciterait plus autant que dans les rudeurs climatiques du Col Blanc. En revanche, son attelle de fortune s'était desserrée et ne soutenait plus grand chose. L'enfant tendit alors un bras vers la table de chevet et se saisit du couteau sur le plateau du petit-déjeuner ainsi que de sa tunique de lin. Et d'un coup sec, elle perfora le tissu dans la manche avant de le déchirer de part en part en tirant avec ses mains jusqu'à en tirer une bande d'une longueur de bras. Défaisant les restes de l'attelle usée, elle s'affaira ensuite à la remplacer avec le couteau pour tuteur et le tissu fraichement coupé comme bandage. Le résultat la satisfaisait, pour autant qu'elle pouvait en juger dans les conditions favorables d'une chambre douillette de... Mais où se trouvait-elle? Le Fujonien lui avait seulement dit qu'il l'avait conduite chez des "amis" pour qu'elle se refasse une santé. Poussée par un besoin impératif de savoir où elle avait mis les pieds, Haple se hâta vers la fenêtre. L'ouverture donnait sur une ruelle en terre qui serpentait vers une rue plus importante en contre-bas. Là-bas, elle apercevait de rares passants allant leur chemin sous le soleil de plomb. Leurs tenues étaient modestes ; ils portaient de solides vêtements de bure dont le but était clairement de résister à l'usure du temps et des travaux du quotidiens. Mais quelques touches de couleurs venaient tout de même égailler la jupe épaisse d'une mère avec son enfant ici, et là-bas, un ruban cintrait avec soin le chapeau d'un modeste gentilhomme. Haple ne se trouvait certainement pas dans une capitale de la mode, mais pas non plus dans une bourgade miséreuse. Oui, à regarder les toits de paille chauffés par le soleil de l'après-midi et les murs en pierre de taille des habitations de la ruelle, cette localité avait tout d'une paisible ville de province où il faisait bon vivre pour les bonnes gens et les honnêtes travailleurs. Mais la jeune fille ne savait pas encore si elle pouvait ranger son hôtesse dans cette catégorie...
Comme pour répondre à son interrogation, la porte de la chambre grinça sur ses gonds, laissant entrer la dénommée Roche. Celle-ci portait dans ses bras une pile de vêtements, pareils à ceux que portaient les passants de la grand-rue, et vint les placer sur le lit. Elle commença par déplier un justaucorps tissé dans une laine épaisse, le tendit à bout de bras, son regard allant de l'enfant au sous-vêtement, et finalement hocha du chef.
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Voilà qui t'iras très bien, dit-elle d'une voix satisfaite.
Tiens, change toi. Il y a également des chausses, une chemise et un surcôt, ajouta-t-elle dans un sourire affable.
Mais l'enfant elfe se contenta de regarder le justaucorps tendu avec suspicion... Elle n'avait de toute évidence pas l'intention d'obtempérer ce qui fit froncé le sourcil clairsemé de la blonde.
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Et bien ma petite, qu'est-ce que tu attends?(
Petite...vraiment?)
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Mes habits me conviennent très bien, merci, répondit-elle avec mesure...
Et ceux-ci seraient bien trop chauds pour les gens de mon espèce, surtout par ce temps estival.-
Pas pour le trajet qui t'attend non. J'insiste, Haple c'est bien ça...? Change toi maintenant, conclua la jeune femme d'une voix respectueuse mais ferme.
Cependant, derrière son masque de tempérance, son interlocutrice n'en avait pas fini :
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Et... comment se fait-il que j'ignore tout de cette destination où je suis censée me rendre? -
Je te l'ai dit, rétorqua vivement la montagnarde avec des yeux éffarés par la résistance de l'enfant,
Bharf a laissé des instructions. Puis avec une élocution faussement pondérée où frisait la condescendance :
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Je t'emmene à Amarok le retrouver parmi les siens. Nous devrons traverser le Col Blanc et ce ne sera pas une partie de plaisir pour une enfant.-
Je connais, je peux m'y rendre par mes propres moyens...merci.Cette fois, l'agacement transparut dans la réponse de l'enfant en question. Et son hôtesse perdit tout semblant d'amabilité maternelle et partit dans une tirade enflammée :
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Ecoute petite, tu vas faire ce qu'on te dit et sans discuter. Ce n'est pas comme si tu pouvais prétendre t'en être tirée à merveille de ta traversée des montagnes. C'est moi qui t'ai remise sur pied, je te rapelle, et je n'ai pas l'intention de jouer les gardes chiourmes une nouvelle fois. Alors, tu t'habilles en tenue de montagne, on part à la nuit tombée et je te refourgue au sac-à-puces. Bharf m'avait prévenue à ton sujet... Je pensais pas que c'était possible d'être aussi petite et aussi teigneuse!(
Vous avez qu'à vous...!) Haple tremblait intérieurement d'une rage grandissante et brûlait d'envie de renvoyer l'insulte à son hôtesse. Elle-même ne faisait pas vraiment preuve de consilience et l'elfe avait beau être plus petite en taille, elle avait vu plus de lunes que la jeune humaine! Mais l'évocation du Fujonien lui rappela la correction qu'elle avait reçue la dernière fois qu'elle avait lâché la bride à sa langue. Au prix d'un grand effort, Haple se résolut donc à garder son commentaire cinglant pour elle et, après une longue minute d'affrontement silencieux, l'enfant tendit un bras raide en direction du sous-vêtement. Visiblement satisfaite, mais toujours échaudée, Roche le lui mit sèchement entre les mains et marcha d'un pas vif vers la table de chevet pour récupérer les restes du petit-déjeuner avant de se diriger vers la porte. Alors qu'elle était sur le point de quitter la pièce, l'enfant elfe l'interpella une dernière fois, toujours plantée sur place, comme chiffonée par un dernier détail...
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Roche? Vous avez dit que nous partirions à la tombée de la nuit...Pourquoi ? Malgré le ton empreint de déférence que Haple avait tenté donné à sa question, celle-ci prévoyait une nouvelle réaction épidermique de la part de la blonde. Mais il en fut tout autrement... L'hôtesse s'arrêta net et, après un instant d'hésitation, se retourna vers la petite elfe. Une lueur de compassion vacilla dans ses yeux châtains... avant de disparaître dans leur assurance habituelle.
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Laisse faire les grandes personnes.Et la jeune femme tourna les talons, entre-ouvrit la porte du pied et se glissa hors de la chambre avec le plateau dans les mains.
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