La porte ouverte sans trop de difficulté mais avec beaucoup de délicatesse de la part de certains, Amaryliel se sentit doucereusement inefficace, inutile. Il avait joué le rôle du semeur de doutes. Arriviste, n’ayant que passablement peu endurer les épreuves – bien que cela soit à son avantage, même à son honneur -, il avait toujours tenter de sortir son épingle du jeu par la parole, l’adresse de la rhétorique et la force de la persuasion. Et d’un tour de magie et de clé, ses nouveaux camarades d’infortune firent bien plus. Un peu âpre, il s’avança le premier dans la nouvelle zone qui éclairait déjà ce beau monde d’une lumière artificielle.
« Je passe devant, maugréa-t-il nonchalamment, Zewen sait ce qu’il se cache derrière cette porte. »
Et, c’est sans pudeur, qu’on peut dire qu’il se moquait bien de Zewen ici. Par gentillesse, il voulait à tous la mésaventure ou la déception d’un « autre chose » encore plus âpre à passer. Il voulait être le premier à se pencher sur la question, à vouloir être utile.
Pendant le passage, l’esprit du jeune sorcier gela, de grandes neiges couvrirent les plaines de sa psyché ; et il vint surtout une chose incompréhensible pour l’appareil cognitif de cet être, qui trop habitué à avoir des données à traduire ou à penser ne comprit ce phénomène immensément singulier. Le vide. Cette fois se figea en lui dès l’arrivée dans la pièce et ce néant blanc, sans redoubler d’effort ni même s’amasser, proliférer sans fin devant lui. Dans tout les recoins, le pâle abîme se présentait à lui, il s’engouffrait, amplifiée par l’âme abasourdie du jeune elfe, et allait certainement résonnait dans celle des autres aventuriers. On ne pouvait qu’imaginer les faciès béants de ses collègues d’armes et de rhétoriques.
Vraiment, la zone dormait, anesthésiée par ce qui a pu se passer ici il y a fort longtemps de cela. Si le temps n’avait plus lieu de jouer sa comédie dans les autres salles ; ici, il ne devait, stricto sensu, plus exister du tout ! Pourtant, il existait des ténèbres en ces lieux, pour une fois que l’idée d’obscur aurait pu être rassurante dans ce blanc luminescent… eh bien, il ne l’était pas ! Ces sombres entités étaient des animaux voulant à tout prix quitter leur principale zone, celle du sentier et de la forêt maudite. A voir si c’était une bonne idée de passer le premier cette porte pour Amaryliel. Mais trop curieux il était, sa bonne volonté reprenait du dessus et cette attitude d’avancer en tête fut extrêmement dangereuse dans un univers rempli de pièges mortels. Et, parfois, la compassion qu’on a pour les pauvres bêtes peut se révéler funeste. Allait-il en faire les frais ? Vu les piètres capacités d’esquive du désavoué fanatique, c’était probable. Mais ne lui souhaitons pas la charge d’un terrible sanglier ou bien même la morsure d’une vilaine couleuvre car c’était ce qui arrivait ! Et les bêtes ne froufroutaient pas ! On pouvait discerner sans problèmes le tapage des bestioles qui affluaient en masse dans cette zone.
(Eh ! Si on n’arrive pas à sortir d’ici, nous aurons à manger pour un sacré bout de temps !) marmotta-t-il dans le chahut zoologique, esquissant un sourire cordial à ce mystérieux vide.
Il était, en effet, là, d’un blême naturel, dans un univers aussi coloré que sa peau et s’harmonisant avec la pièce – qui prenait quand même plus de teinte que lui grâce aux bêtes -, seul pour l’instant cette forme androgyne subsistait, ce jeune elfe d’à peine quatre vingt-dix ans, qui, emmitouflé sous sa longue veste noire et son chapeau à plume, commença à y réfléchir plus sérieusement, en considérant la chose de son mieux. Dans ses allures de comte arrogant à la cape flottante, au col à jabot bien frisé, à la rapière sombrement bien portée… on pourrait penser, de façon profane, que le sang-mêlé paradait ici bas. Sans doute aussi on pensait qu’il avait échoué là, comme les autres, après avoir longtemps battu et maugréer en équipe, tombant de lassitude car ne voyant point le résultat de ses savants calculs. Pour lui, c’était un bout d’artifice supplémentaire, plus personne ni plus rien que le désert phraséologique et ultime, l’abandon dernier, la faim du savoir final, la solution qui tuera certainement ; et, dans sa faiblesse, étouffé par le poids lourd de son courage, il commencera la lutte, il ne lui restera que le recul mental, l’instinct psychique de bien agir, de s’enfoncer dans l’action avec brio, lorsque le seigneur de ce monde grondera sa première amorce.
Mais las de spéculer sans connaissance du futur car les minutes tournaient quand même et les autres allaient probablement pas lanterner longtemps derrière. Les autres museaux déambuleront ici en clin d’œil. Et pour ce qui est d’yeux, ils n’allaient pas lorgner Amaryliel du bon ; pour être passer devant tous comme un goujat, en prétextant un potentiel risque et donc un sacrifice probable… Il n’était déjà pas forcement bien vu… peut-être ne le verront-ils plus maintenant ! Plus sérieusement, il n’y avait pas beaucoup à dire sur cette pièce. Sieur Il Alamitz en avait fait le tour dans sa petite tête et y inspecta la moindre parcelle de blanc chimérique grâce à ses lunettes en argent – enfin, ses yeux derrière lesdites lunettes -, conclusion :
« Impossible que cette pièce soit ainsi naturellement. » Sermonna-t-il en fixant le vide puis il persista dans sa sentence « Pas plus que les autres, c’est évident mais celle-ci, cache une ruse encore plus perverse que les autres. »
Juste. Mais comment le prouver et surtout, comment en sortir ? D’une foi naïve mais indubitable au sombre protagoniste, il faisait confiance aux autres compagnons mais aussi aux bestioles qui n’allaient pas tarder à submerger la zone. La première théorie de l’obscur penseur reflétait sa personnalité de façon très générale : l’ambigüité règne en maitre depuis le début de l’aventure et, ici, ce paradoxe y était à la fois subtil et clair. Limpide pour la simple et bonne raison que s’il y avait une dualité depuis le commencement de l’aventure ; elle avance de façon à se montrer la plus visible possible. Y a-t-il plus visible qu’un fond blanc pour une trame aux ambitions noires ? Habile aussi, pour cette ruée sauvage de bêtes en tout genre – tous, très probablement, anciennement humanoïde -, qui ternit l’univers et le rend chaotique, c’est-à-dire dans ce cas présent, originel.
De plus, comme il n’y avait pas la place pour tout le monde, les portes allaient se refermer, d’usage dans ce tournoi, pourrions-nous dire, alors le chaos sera dominant dans un fond blanc mais non-candide, loin de là. Et rien ne protégeraient l’escapade fantasque. Si une agressivité se fera sentir, le compagnon Selen ne certainement pas en mesure de calmer toute la populace à pelage. La blancheur de cet univers en était presque harcelante, accablante, surtout. C’était déjà une énigme en soi que de créer un monde lumineux pour « conclure le spectacle ». Mais derrière cette mascarade se cachait encore une sortie et peu importe comment, il y a toujours une.
L’imperceptible secret, autour de lui, se tapissait, comme tendue d’hermine, tout opalin hérissé de couleur bestiale, enserré de quatre murs si et si lisse, que pas une tache ne s’y accrochait. L’empire de la sainteté corrompue vêtu d’un voile perfide… c’était peut-être ce qui dominait en ces lieux. Ou alors était-ce l’avènement du prétendu mage blanc dont Epardo disait tant de bien. C’était fort peu possible. Mais on pouvait espérer à ce sordide tableau une magnifique façade grisâtre où surplomberaient dans un maléfice désagréable à tout bon esprit les ante-saints, les apôtres du mal de Yuimen, tous vêtus d’atours noirs ; plus haut, on imaginerait aisément sur un tympan une macabre scène de sacrifice que les adeptes des Dieux fous et obscurs célébreraient avec délectation.
Il continua sa marche. A mesure qu’il progressait, la lumière l’éblouissait davantage, tournant la tête, comme si elle attentait à sa vie. C’était que le jeune elfe n’avait pas revu la lumière du soleil depuis environ… un certain temps. Il avait passé un moment bien long dans ces cavernes et l’intensité de cette lueur fut assez étourdissante pour lui. Il examina du mieux qu’il put le sol, les murs, le plafond, les animaux entrant ; puis, son regard fouilla avec plus de netteté sur l’une des premières bêtes qui était rentré dans la place. Il avait l’air d’un renard tout à fait normal, en tout cas aussi normal que le sanglier qui passa la porte en même temps que lui. Mais la vision de cet animal le fit penser tout haut à une chose :
« Si tout les animaux étaient des humanoïdes jadis, il doit en avoir qui sont nos alliés et d’autres qui… oh, misère ! Lesdits mauvais vont sans doute nous attaquer. Enfin… ils vont nous être d’une aide incontestable. »
_________________ Valla-Meär Amaryliel Il Alamitz
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