II-3. Le rythme de la vieLe restant de la matinée, Jorus s’était exercé à jongler avec quatre objets différents, en termes de poids et de forme. Dans la charrette du chef de convoi, il avait multiplié diverses formes de jonglage sans succès. A défaut de surveiller les petits, ceux-ci ne cessaient de le regarder, riant lorsque l’ustensile de cuisine venait à lui tomber sur la tête. L’exercice était assez difficile en soit, lorsque le convoie s’était mis en route, il devint de l’ordre de l’impossible.
-Haaa j’en ai assez ! Comment je peux réussir à manier autant d’objets complètement différents c’est insensé!Il venait de reprendre un nouveau coup sur la tête, achevant sa détermination vacillante, et laissa tomber la pomme et la banane, bien amochées, et la boule de parchemin voler dans la charrette.
-Panaka n’est pas du genre à faire, ou laisser faire des choses sans raisons. S’il pense que tu en es capable, c’est que tu le peux.Jasmine avait ce petit truc dans la voix, pouvant calmer deux ivrognes qui jouaient à qui taperai le plus fort. Cependant, elle n’avait pas réussi à rassurer complètement Jorus.
-Probablement. J’ai besoin d’une petite pause en attendant.Jorus se laissa aller et se perdit dans ses pensées.
(Possible, possible. C’est plus facile à dire qu’à faire ! Comment je suis censé mit prendre moi ? Je sais jongler, ça c’est un fait. Mais pas avec ce genre d’objet ! Bien que l’exercice soit ardu, je doute qu’il soit impossible. C’est donc qu’il me manque un élément. Mais lequel ? Réfléchissons au rythme. Tout comme moi, chaque objet possède son propre rythme. Qu’a dit Panaka à ce sujet ? Il faut se caler sur le rythme de l’objet, puis lui imposer le mien. Sauf que j’ignore quel est mon rythme.)
A ce moment, Jorus se releva. Une étrange idée lui était venue. Il rassembla les quatre objets et tenta de les assembler. L’ustensile était un récipient équipé d’un manche. Celui-ci pointant dans sa direction, il mit la banane à l’intérieur. Le reste du puzzle s’éclaircit, les deux derniers objets trouvèrent rapidement leur place, et l’ensemble formait un visage. L’ustensile formant la tête et le coup, la pomme et le papier les yeux, et la banane en guise de bouche. Un seul mot vint à Jorus pour décrire l’ensemble : l’harmonie.
(Pour réussir cette épreuve, il faut donc être en harmonie avec soi-même. Je suppose donc que je dois y arriver par mes propres moyens.)
La satisfaction qu’il avait eue en résolvant ce puzzle, a vite laissé place à une tension source d’une nouvelle incrédulité. Tension que Jaïna Perçu.
-Tu devrais te détendre Jorus, tu es tout crispé. Fais comme moi, assieds-toi en tailleur, cale ton dos et ferme les yeux.C’est ce qu’il fit, après un bref moment d’hésitation, en voyant la femme dans la posture qu’elle venait d’expliquer. Après tout il n’avait rien à perdre. Assis contre l’armature de la charrette, il ferma les yeux et se laissa bercer par le tangage et le rythme de la route.
Lentement, son esprit vagabonda d’un bruit à un autre. D’une conversation, au hennissement d’un cheval, en passant par les battements d’ailes d’un oiseau qui passa tout près. Petit à petit, il prit conscience de ce qui l’entourait. Les différents bruits se faisaient plus nombreux, plus fort, créant une cacophonie sans pareil qui, s’il ne faisait rien, le rendrait fou. Sentant son esprit se perdre, il chercha une raison, un but sur lequel s’accrocher. Alors que son esprit commença à errer loin de son corps, une voix s’éleva dans les airs.
-Aux armes ! Tous en cercle, on nous attaque ! Aux armes !Brutalement, Jorus sortie de sa transe. La voix de Tyrm l’avait ramené dans une réalité où le choque des lames allaient faire rage. Il sortit difficilement de la charrette, les jambes et l’esprit encore engourdis par une méditation, qui lui avait fait perdre la notion du temps. Soudain Tyrm apparu.
-Jasmine, les enfants, vous êtes au centre, vous ne craignez rien. Jorus tu sais te servir d’un arc ?-Jamais.-Alors, c’est le moment d’apprendre ! Les charrettes sont placées en cercle. Va à l’extrémité, par là et attends les ordres. Dépêche-toi !Tandis qu’il rejoignait le corps de garde à la dernière ligne de défense, Jorus croisait femmes et enfants prenant le chemin inverse. Il arriva à destination vers un attroupement d’hommes âgés et grassouillets. Tous marchands, aucun guerrier. Une fois équipés d’un arc et de flèches, ils reçurent une vive instruction du maniement des armes à distance. L’instructeur était bien bâti. Les épaules larges et le corps musclé, il arborait une pleine confiance, surplombant ses hommes dos à l’ennemi, expliquant comment tirer à l’arc.
-Bien écoutez-moi ! Nos éclaireurs nous ont rapportés avoir remarqué des mouvements suspect, avant de recevoir quelques flèches certifiant leurs doutes. Nous ignorons qui les ont attaqués, mais ce qui est sûr, c’est que l’ennemi à connaissance du terrain et sait se cacher. L’attaque venait de cette forêt là-bas un peu plus loin. Nous nous sommes arrêtés non loin de la plage qui nous offre une protection, et quelques hommes à nous y sont postés en cas d’attaques par l’océan. Le convoi est installé et sera défendu de la façon suivante. Les femmes et les enfants sont regroupés près de l’eau. Une première ligne de défense avec les charrettes est installée autour de ce point. Puis vient deux autres lignes. Vous êtes postés à l’extrémité du camp et votre rôle est au mieux de repousser l’ennemi à distance, au pire de l’empêcher de passer ces lignes de défenses. Peut importe ce qui va arriver, tenez vos positions et défendez-les. Ai-je été clair ?Autour de Jorus, les hommes lancèrent un Oui chef ! Il prit position, imitant les autres à ses côtés et attendit, observant les alentours.
L’air était doux et une petite brise marine ramenait les effluves de l’océan et faisait onduler les herbes hautes au loin, comme une mer de verdure. Derrière, les hommes pouvaient percevoir les mères rassurer leurs enfants en pleurs, nourrissant leur tension grandissante. Le moment aurais été propice à la détente, si même les mouettes n’avaient pas désertées les lieux, faisant régner calme anormal. Tandis que les herbes continuaient leurs ondulations, le vent se calma. Et Jorus le perçu.
-Comment c’est possible que les herbes bougent alors qu’il n’y a plus de vent ?La question c’était adressé à leur instructeur, mais celui-ci semblait avoir remarqué également cette anomalie. Ayant prit un point de vue plus haut, il scrutait les alentours à la recherche d’un indice quant à leur assaillant. Jorus reporta donc son regard de nouveau sur ces mouvements suspects qui alerta de plus en plus les hommes. Ses derniers se mouvaient sur place. On pouvait croire que cela était dû à l’excitation du combat, mais la sueur qui perlait sur leur front, et les diverses prières de salut destiné à un dieu miséricordieux, donnait à la scène un murmure macabre. Lorsque que l’un des buissons se coucha entièrement, il dévoila un petit être verdâtre, haut comme un enfant. Il avait de larges oreilles pointues et le crâne chauve. Mais ce que fixait Jorus, était ce regard rouge sang et ses dents acérées. Il lui fallut un petit moment encore avant de s’apercevoir que la créature portait, non une épée comme il l’avait cru au premier abord, mais une dague pointée dans sa direction. Sortant les hommes de leur léthargie, l’instructeur cria dans tout le camp de fortune.
-Sektegs !Ce mot sembla résonner dans l’esprit des hommes, car beaucoup qui regardèrent au loin en quête d’une horde d’ennemie, regardaient maintenant au plus près de leurs bottes, un adversaire à peine plus grand qu’un enfant. Tandis que de plus en plus de créatures vertes apparaissaient, les flèches fusèrent. Une partie raisonnable atteignit leurs cibles à cette distance, repoussant l’invasion de la première ligne de défense. Certains semblaient doués pour ce style de combat, mais ce n’était pas le cas de Jorus. La première flèche ne partit même pas, la corde n’étant pas correctement dans l’encoche. La seconde tentative eu plus de succès, mais se perdit dans une ancienne souche d’arbre, à plusieurs mètres de la cible. Les créatures arrivèrent de plus en plus, et les cadavres commencèrent à créer de petits monticules de chaires et de sang. Jorus eu le temps de tirer une dernière flèche qui atteignit un Sekteg. Il aurait probablement été fier de son tir s’il avait touché sa vraie cible et si l’ennemi touché n’était pas déjà mort.
Telle une horde envahissante, l’ennemi en trop grand nombre pénétra la première ligne de défense. Se sentant aussi inutile qu’un poisson au milieu des nuages, Jorus lâcha l’arc pour sa dague, et fit face à trois adversaires. Après un instant d’hésitation, ces derniers attaquèrent. Acculé par le nombre, le jeune homme ne put qu’esquiver les assauts. Alors que deux des assaillants évaluaient la situation, le troisième continua ses attaques. D’un simple revers de la main, Jorus envoya valser l’arme de son adversaire se retrouvant totalement démuni. Sans réfléchir, la lame décrivit une courbe pour se loger dans la gorge du Sektegs, qui mourut avant d’atteindre le sol. Jorus avait eu de la chance, mais les deux adversaires qui lui faisaient face étaient désormais sur leurs gardes. Le jeune homme n’aurait donc pas la possibilité de se débarrasser aussi facilement des deux autres. Lentement il se faisait acculer par les tentatives de ses opposants, qui le harcelaient de chaque côté. La fatigue semblait affecter les deux petits adversaires, mais également Jorus qui n’avait jamais combattu autant d’adversaires à la fois. Ses gestes furent moins précis et malgré son attitude purement défensive, il ne put éviter certains coups le blessant à la cuisse droite et à l’abdomen, laissant filer un flot de sang le long des membres.
La situation sembla se gâter lorsque son dos rencontrât le flan d’une charrette. Formant trois arcs de cercle, les charrettes étaient disposées de façon décalées, l’espace pour passer donnait quelques mètres droits devant sur le côté d’une charrette. Les défenseurs perdaient leur avantage visuel au loin, mais les assaillants, ne pouvant avancer en ligne droite, y perdaient en percé. Leur proie dépossédée de retraite, les deux Sektegs sautèrent sur Jorus, la pointe n’attendant que d’atteindre la chaire pour exercer son horrible office. Le jeune homme ne survécu qu’en sautant de justesse sur le côté, arrivant près de l’espace entre les charrettes, lui permettant une retraite. Les deux petites créatures se bousculèrent en courant vers leur cible et l’une d’elle prit de l’avance sur l’autre. Il fallait trouver un moyen de les séparer, sans quoi la conclusion de l’affrontement serait funeste pour Jorus. Son regard s’arrêta sur une poutre attachée par une corde. L’idée fit rapidement le tour de sa tête. Il recula derrière la seconde ligne de défense et attendit. La créature aux yeux de sangs fusa sur Jorus et ce dernier coupa la corde. La poutre tomba dans un fracas bloquant l’accès entre les deux peaux vertes. L’ennemi le plus proche, surpris par le bruit derrière lui, fit l’erreur de regarder derrière lui, ne lui permettant de voir que trop tard la dague qui fusa dans sa direction. Et il n’en resta plus qu’un.
(Hey je me débrouille pas si mal moi ! Bon déjà deux de moins, le dernier va certainement battre en retraite. Cette douleur au ventre et ma jambe qui commence à flancher, je sais pas si je pourrais m'occuper du dernier.)
Reculant de quelques pas, Jorus vit, le dernier Sekteg arriver au niveau du corps de son défunt ami. Seul, que pouvait-il faire face à un tel adversaire. Du moins c'est ce que Jorus espérait qu'il pense. Hélas, le regard du petit être se fit sombre, ses yeux noirs accentuaient le regard de haine qui l'envahissait. Il fît un pas en avant, brisant l'espoir de Jorus de voir son combat se terminer. Un autre pas en avant, affichant son intention de continuer le combat. Refoulant la peur qui lui venait, Jorus, faisant fi de la douleur, affronta son adversaire avec une détermination qui ne se connaissait pas. Durant son combat, Jorus n'avait pas pris la peine de penser, mais peut-être étais-se ce qui l'avait sauvé. Ne pas penser, juste se défendre.
(Tu veux te battre jusqu'à la mort, alors soit. Je ne suis pas un meurtrier, mais je ne mourrais pas en baissant les bras. Je le vois dans tes yeux : tuer ou être tuer, le prochain coup sera crucial.)
Quelques secondes passèrent pendant lesquelles les deux combattants se défiaient du regard. Puis, après une petite rafale de vent qui fit claquer une toile, ils se ruèrent l'un sur l'autre. Le Sekteg bondit pour prendre plus de vitesse, la dague pointant en direction de la gorge de son adversaire plus grand que lui. Le prenant de vitesse, Jorus empoigna la lame de son ennemi et profita de l'élan de ce dernier pour lui asséner un violent coup, l'envoyant valser contre la roue d'une charrette. Adossé ainsi, on aurait pu croire que ce dernier dormait, s'il n'y avait eu une lame enfoncée dans le cœur.
Le bruit des combats avait cessé. Jorus s'avança vers le cadavre. Il pensait simplement reprendre sa dague, mais dans un élan de peine et de respect, il lui ferma les yeux à jamais. Il regarda un instant le corps, silencieusement en signe de respect puis retira la lame qui fit bouger le corps. Jorus perçu un autre mouvement dans ses vêtements de fortune. Le son tinta quand le bout de sa lame toucha une surface ronde. Un examen un peu plus approfondit révéla une pierre d'un bleu intense. Il la plaça dans sa propre proche, et bien qu'il aurait préféré soigner ses blessures et se poser, il guetta l'arrivée d'un autre adversaire. Lentement il approchait de la première ligne de défense. Les combats avaient cessé. Plus aucune lame de résonnait dans le vent. Seuls des corps humains peinaient à se mouvoir. Portant assistance à un garçon à peine plus jeune que lui, il regarda au-delà de leur camp de fortune. Au loin, à la lisière d'une forêt, une fine ombre humaine se distinguait des arbres.
-Aaaaaah !Jorus reporta son attention un instant sur le jeune homme qui souffrait d'une blessure. Il regarda de nouveau en direction de la forêt. Rien. Là où était l'ombre, il n'y avait plus rien. Etais-ce une hallucination causée par le combat ou la perte de sang, il n'aurait su le dire. Cependant, au fond de lui Jorus sentait que ce n'était que le début.
II-5. Prélude d'une longue nuit