La route vers Darhàm était pavée, le chemin tout tracé. Je m'étais dit alors que je n'avais qu'à avancer tout droit, sans penser à rien, et que je verrai rapidement la ville se dresser devant mes yeux. Je connaissais les mesures de distance, mais ignorant comme j'étais, je ne compris que bien tard ce qu'elles représentaient vraiment. Comme pour la pluie, la chose réelle était bien plus cruelle qu'elle l'était dans idée. Mes membres glacés par le torrent céleste connurent la douleur d'une marche désespérée et incessante.
Après quatre heures de marche, cela semble ridicule, mes jambes s'engourdissaient déjà, et mon souffle se faisait irrégulier. J'étais bien trop habitué aux marches rapides des souterrains, où tout était à portée, interconnecté. Je brûlais toutes mes ressources en marche hâtive, et bien que j'avais probablement parcouru ainsi une grande distance, je m'étais épuisé en vain. Cependant, convaincu que Darhàm n'était plus si loin, je continuais.
Après six heures, je commençais à perdre espoir. M'étais-je trompé de chemin ? Où allais-je donc ? Vers Darhàm ou vers le bout du monde ? Ce continent était-il vraiment si vaste ? La faim me tenaillait et je n'avais rien qu'un peu d'argent sur moi, et j'étais vêtu d'armes cérémoniales encombrantes, qui se faisaient de plus en plus lourdes à chaque pas. Je remarquai du coin de l’œil les vigies du chemin, des avant-postes shaakt, qui, j'en étais sûr, me surveillaient et se riaient en secret de mon douloureux voyage. C'était par orgueil, et aucune autre raison, que je ne m'étais pas approché d'eux pour leur demander où j'étais, où je pouvais trouver de quoi me nourrir.
La nuit tomba. J'avais guetté son arrivée. Ne pouvant continuer ainsi davantage, je m'éloignai de la route pavée et m'engouffrai dans un bois sombre en espérant y trouver le sommeil. Cela va sans dire, je n'avais jamais vu autant d'arbres agglutinés de telle manière, et mon seul divertissement quand le soleil eût éclairé mes alentours, avait été de scruter les ombres menaçantes qui se mouvaient entre les troncs, bêtes affamées ou produits de mon imagination. Ironiquement, l'absence de lumière tangible me donna le courage de m'y aventurer. J'appuyai mon dos sur le premier arbre venu et tentai de vider mon esprit de toute pensée. Mais c'est justement lorsque l'on prie pour qu'il nous vienne que le sommeil se dérobe, et tous mes sens hormis ma vue étaient en alerte, concentrés sur chaque mouvement du bois.
Je serrais ma lance : chaque froissement était une bête, chaque craquement était une botte, chaque grondement était un monstre. Mon corps me démangeait de partout, comme si des petits insectes s'étaient faufilés par chaque faille de mon armure, et au fond de moi, encore plus que la faim, résidait la crainte de perdre le peu de chaleur qui me restait et de finir en statue de glace.
Je ne sus dire si à la fin, j'avais fini par m'endormir ou si j'étais resté éveillé jusqu'au lendemain, mais une lumière chaleureuse annonciatrice d'un nouveau jour perça les feuilles et me conféra une vigueur nouvelle. Le bois qui s'offrait à mes yeux semblait bien moins menaçant que mes mirages nocturnes, paisible même, comme si je m'étais réveillé en avance par rapport aux autres créatures inconnues qui partageaient ce lieu.
Mon estomac criait famine mais je ne voyais nulle nourriture et ne savais même pas comment me nourrir du lièvre passager. J'étais cependant parvenu à trouver des baies, dont je connaissais certaines variétés pour en avoir mangé sous la même forme. Leur goût ma parut bien plus rude et acide que dans les souterrains, mais je n'en avais cure : c'était une délivrance. J'en avais gardé dans la paume de ma main pour tromper la faim alors que je reprenais la route, bien plus lentement que le premier jour...
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