Précédemment : ici(((
Certaines scènes de ce rp sont à très forte connotation sexuelle/violente/gore, aussi est-il recommandé aux lecteurs sensibles d'y réfléchir à deux fois avant d'en entamer la lecture.)))La Shaakt qui venait de répondre ne perdit pas plus de temps et se mit à incanter. Yurlungur n'en perdit pas davantage et aussitôt, elle céda le contrôle à l'Autre qui, déjà prête, se lança immédiatement sur l'adversaire désignée, la lame à la main. Elle l'avait déjà tuée une fois, elle serait bien capable de le faire une seconde fois. Malheureusement pour elle, avant d'atteindre sa cible, elle trébucha sur un obstacle apparu soudainement sur son chemin. Sans pouvoir freiner son élan, elle vint s'écraser contre le sol, aux pieds mêmes de la Shaakt qui arborait un sourire victorieux tandis que derrière la petite fille, un être se relevait après son croche-patte sournois.
Une vague d'énergie sombre jaillit de la main de la Shaakt et vint frapper la fillette qui tomba au sol sous la violence du sort, après avoir vainement tenté de se relever. Elle grogna. Tombée sur le ventre, elle ne pouvait voir quels mouvements ses adversaires faisaient, car ils étaient bien deux, elle en était certaine. Elle, chuter sur une simple racine qui se serait dressée sur son chemin ? Elle l'aurait vue bien avant et l'aurait esquivée sans problème. Son intuition ne pouvait se tromper, d'autant que des pas pesants arrivaient derrière elle. Elle ferma les yeux et attendit. La Shaakt ne s'était pas remise à incanter, elle ricanait, apparemment sûre de sa victoire maintenant que Yurlungur était à terre. Mais elle oubliait un facteur-clé : son adversaire n'était pas morte.
S'en remettant à son instinct, la fillette attendit que le coup vienne avant de rouler rapidement sur le côté, évitant un poing massif qui vint s'enfoncer profondément dans la terre. La Shaakt recula de surprise, l'expression sur son visage devenant d'une délectation suprême pour Yurlungur, mais n'eut pas le temps de réagir avant que cette dernière se relève et puisse avoir devant elle ses deux ennemis.
Tandis que l'une était d'une grâce et d'une féminité indiscutable, ses formes étant relevées par une robe noire moulant son buste, l'autre était d'une lourdeur et d'une laideur formant un contraste saisissant. Il s'agissait d'un squelette, ni plus ni moins, mais d'un squelette imposant, dépassant de beaucoup sa maîtresse. Il se tenait là, la tête dénuée de toute chair là où le reste de son squelette disparaissait parfois sous d'épaisses lamelles de viande en putréfaction apparente. Lentement, il leva son pied droit, l'avança d'une dizaine de centimètres et le laisse brutalement retomber contre le sol. Puis il fit de même avec le second, s'avançant inexorablement bien que mollement vers la petite fille.
«
C'est... un squelette. Lent, précisa-t-elle, plutôt surprise. »
«
En effet, c'est mon garde du corps de dernier recours, répondit la Shaakt en récupérant son sourire.
Allons, Istovir, attends un peu et reste auprès de moi. La petite n'osera pas approcher tant que tu es là, j'aurai tout le loisir de préparer un sort. »
Yurlungur serra les dents et se crispa sur sa lame. Comment venait-elle de l'appeler ? «
Petite » ! Sans parvenir à se contenir, la petite fille bondit en avant, droit sur la nécromancienne à découvert. Elle voulait réduire ce sourire provocateur, cette joie visible sur ce visage elfique, lui faire regretter ses paroles... Elle se prit un magistral coup de poing dans le ventre, la faisant voler sur quelques mètres avant que son dos ne rencontre un arbre malencontreusement placé là. Le squelette, qu'elle avait cru inapte à réagir suffisamment vite, avait réussi à l'atteindre en passant. Heureusement pour Yurlungur, il n'avait pas d'armes, quoique ses énormes pognes étaient déjà bien suffisamment menaçants comme cela.
«
Tu n'y arriveras pas comme ça ! avertit la Shaakt en riant.
Allons, mes guerriers, levez-vous ! »
Elle leva son bras vers le ciel en déclenchant un nouveau sort. Faisant fi de la douleur, la petite fille qui avait glissé au sol le long du tronc se releva immédiatement, tous ses sens en alerte. La nécromancienne n'avait pas semblé l'attaquer directement, mais en aucun cas elle n'aurait utilisé un sort qui ne soit pas destiné à tuer la petite fille, à terme du moins. Le sol se mit à bouger et la fillette recula. Avait-elle déclenché un tremblement de terre, un séisme, ou un quelconque phénomène terrestre ? Des flammes issues de l'enfer allaient-elle venir la brûler, force tellurique implacable ? Elle n'aimait pas la Magie, mais ce ne furent que trois squelettes faméliques qui s'élevèrent du sol. Les deux premiers étaient armés d'une épée, d'un bouclier et d'une armure tandis que le dernier portait une lance à l'allonge inquiétante ainsi qu'un casque et une pièce d'armure tout aussi usée que les deux autres. Un relent de mort et de pourriture emplit l'atmosphère, mais cela ne fit pas plus peur que ça à Yurlungur.
Elle qui s'était attendue à bien pire ! Souriant presque, elle saisit son couteau et vint au contact du premier guerrier squelette qui se dressait sur sa route. Celui-ci ne paraissait pas très réveillé, d'ailleurs, et elle le renvoya illico presto dans le royaume des morts d'un coup ajusté droit sur la tête. Le crâne se détacha du reste du reste de l'ossature et s'écrasa dans la mousse en même temps que le corps lui-même s'effondrait, maintenant dénué de toute vie. Il n'y avait eu aucune résistance et le guerrier squelette n'avait pas eu le temps d'esquisser le moindre geste, ce qui ne fut pas le cas des deux autres. Le premier tenta un coup d'épée que la fillette esquiva, mais le second vint érafler le mollet de Yurlungur. Ils se rapprochaient de plus en plus d'elle et, voyant que la Shaakt préparait un sort, la petite fille recula brusquement afin de se tenir hors de portée des squelette et du sort si elle souhaitait le lancer.
Malgré tout, la nécromancienne tenta le lancement du sort mais le rayon noir la frôla sans l'atteindre. Même si ainsi elle venait d'échapper aux squelettes et à cette Magie obscure, les deux squelettes invoqués revenaient déjà à la charge et Yurlungur ne voyait aucun moyen simple de leur échapper. Ils seraient sans doute bientôt rejoints par d'autres combattants ramenés du monde des morts et l'infériorité numérique causerait la perte de la petite fille. Cette dernière réfléchit. Une seule solution lui vint à l'esprit et parvint à s'imposer comme le dernier recours. Tant pis.
Les deux squelettes arrivaient tandis que trois autres émergeaient du sol derrière et Yurlungur, bandant soudainement tous ses muscles dans un accès de rage à l'idée de ce qu'elle allait devoir faire, lança une multitude de coups sur les deux morts-vivants, suffisamment idiots pour se tenir aussi proches l'un de l'autre. Les multiples attaques tranchantes de la petite fille firent se détacher les os les uns des autres et les deux squelettes tombèrent au sol, inertes. Lançant un dernier regard de défi à la nécromancienne, la petite fille tourna les talons et se mit à courir.
De ce qu'elle avait vu, le mort-vivant invoqué par la Shaakt était très endurant et très fort mais d'une lenteur extrême. Elle ne l'utilisait que pour se protéger elle-même et, ainsi, il était impossible de venir la toucher au corps-à-corps sans se prendre un vilain coup, trop puissant pour être simplement ignoré. Ensuite, la stratégie de la Shaakt était de submerger ses assaillants sous le nombre des squelettes qu'elle pouvait ramener à la vie. Yurlungur n'avait aucune chance contre une stratégie comme celle-ci et il ne lui restait plus qu'une option : la fuite, cette dernière étant largement permise par la lenteur du garde du corps de son adversaire.
«
Attends, Yuyu ! »
Le papillon bleu venait soudainement d'apparaître à ses côtés tandis que la Shaakt, derrière elle, commençait à l'invectiver de revenir se battre.
«
Tu choisis bien ton moment, toi, réussit-elle à glisser entre deux inspirations haletantes. »
L'ai qu'elle inspirait venait lui glacer les poumons pendant cette course à travers les bois. C'était un air frais et pur, mais un peu trop frais au goût de la petite fille dont les foulées ne faisaient que se rétrécir au fur et à mesure qu'elle s'éloignait de la Shaakt qui pestait. Petit à petit, la fillette reprit le contrôle sur l'Autre.
«
Yurlungur, écoute-moi, tu dois aller l'affronter ! Mais si, tu sais, tu la détestes pourtant, non ? »
Yurlungur se souvint soudainement qu'elle détestait effectivement la Shaakt. Mais, pourtant... rien ne la poussait à la haïr réellement. Qu'est-ce que la nécromancienne lui avait fait, après tout ?
«
Bof. Je ne l'aime pas trop, mais du moment que je suis en vie et elle loin de moi, ça me va. »
«
Attends, je vais... je vais essayer de te chercher de l'aide, mais tu combats, d'acc ? »
Elle s'arrêta quelques instants, regarda en arrière sans rien apercevoir. Se laissant tomber le long d'un arbre, elle crut pouvoir reprendre sa respiration lorsqu'un squelette fit irruption sur sa droite, arrivant de l'autre côté de l'arbre. Elle ne put que se jeter sur le côté pour éviter le coup d'épée qu'il venait d'essayer de lui adresser. La Shaakt elle-même émergea soudainement des ombres où elle semblait cachée, son imposant garde du corps arrivant à ses côtés tout aussi brusquement.
La fillette s'éloigna prestement en rampant et se releva, veillant à les garder dans son champ de vision. Il y avait quelque chose de pas net là-dedans, elle le sentait, sûrement encore cette maudite Magie. Les vêtements de la Shaakt n'étaient même pas froissés, elle n'avait pas pu courir... Et le papillon bleu avait disparu dès qu'elle était sortie des ombres de ces arbres. Allé chercher de l'aide, hein ? Pourvu qu'elle soit bonne, cette aide, quand même... Cependant, elle entendit dans son esprit une voix intruse qui dialoguait avec elle.
(La Faera a raison. Il faut que tu combattes. C'est le défi que te pose Phaïtos.)Yurlungur tourna la tête à droite et à gauche, mais elle ne vit rien avant de remarquer le Gentâme qui se trouvait juste derrière la Shaakt, la fixant elle. Elle grommela et annonça :
«
Bon, ça suffit maintenant ! »
Cela n'empêcha pas le squelette d'essayer de lui donner un autre coup d'épée qu'elle esquiva sans peine. Emporté par son élan, le combattant réveillé d'entre les morts chuta au sol et elle n'eut qu'à donner un coup de pied en plein milieu de sa colonne vertébrale pour qu'un craquement distinctif la brise en deux. Maintenant qu'il était incapable de se relever, elle se tourna à nouveau vers la Shaakt, derrière laquelle le reste des troupes avançait d'un pas somnolent.
(Quelle idée de les réveiller en plein milieu de leur sommeil, aussi...) (Toi, chut.)«
Qu'y a-t-il, jeune fille ? demanda la nécromancienne, amusée, en levant un bras qui arrêta les squelettes, attendant maintenant la suite. »
«
Je, euh... Je ne comprends pas bien pourquoi nous combattons, voyez-vous. Je vous aime bien, essaya-t-elle d'un ton mielleux,
j'ose espérer que c'est réciproque et... »
«
Tu crois que j'aurais des sentiments amicaux envers quelqu'un qui a essayé de me tuer ? la coupa la Shaakt, hors d'elle. »
Sans faire attention, cette dernière abaissa son bras et les squelettes se remirent à se diriger vers Yurlungur.
«
Ah oui, zut, j'avais oublié ce détail, répondit-elle d'une voix tremblante en reculant doucement. »
«
Tu ne pourras pas t'échapper. »
Le sourire de la nécromancienne était victorieux, fier et victorieux. En se retournant, la petite fille constata en effet que d'autres squelettes émergeaient des ombres, préalablement invoqués par la nécromancienne. Cette dernière fit un geste négligé de la main et, saisissant une fiole de potion de l'autre, elle la but dans son intégralité. C'était un liquide noir qui coulait et la fillette frémit.
(Je te laisse la suite, hein.)«
Grumph... »
L'Autre lança des regards à droite et à gauche. Les squelettes étaient nombreux, avançant d'un pas unanime de tous côtés. À vue de nez, ils étaient une bonne douzaine qui formaient un front uni. Le point positif restait que la nécromancienne se tenait les bras croisés, apparemment dénuée de l'intention d'agir davantage. Elle se contentait d'observer sa proie, un léger sourire sur les lèvres. C'est alors que la petite fille inspira un grand coup en fermant les yeux, expira tout l'air qu'elle avait dans les poumons puis, ses yeux se rivant sur la Shaakt, unique pièce du décor qui n'était pas entourée de squelettes, elle se précipita vers elle.
Il suffisait d'éviter le coup qui allait immanquablement arriver. Le gigantesque garde du corps abattit bel et bien son poing à l'endroit où aurait dû se trouver la petite fille si elle avait effectivement voulu attaquer la nécromancienne de front. Mais c'était Liniel qui lui avait enseigné l'art de la feinte et ce fut un mouvement parfait qu'elle parvint à réaliser, se glissant autour du bras du géant, maintenant enfoncé de quelques centimètres dans le sol meuble.
Attaquer la Shaakt de face était tentant, mais c'était un coup à se faire toucher par derrière par le gros tas d'os. Préférant se débarrasser du sous-fifre avant d'en venir à la maîtresse, elle s'agrippa à des lamelles de peau qui dépassaient et escalada prestement ce corps, ses mains venant malgré elle s'accrocher à ces affreuses parcelles de chair en décomposition. Elle fut bien vite sur le dos du monstre et, brandissant sa lame, elle vint l'asséner aussi vite qu'elle le pouvait dans cette viande morte ou contre ces os solidement attachés entre eux. Ses coups avaient peu d'effet, mais le squelette se débattait sans parvenir à l'attraper par manque de flexibilité de ses bras massifs et puissants.
Elle parvint ainsi à continuer son petit jeu jusqu'à ce qu'il donne un grand coup d'épaule alors qu'elle venait d'enfoncer profondément sa lame dans l'échine du monstre. Déséquilibrée, ses deux mains restèrent agrippées à la lame tandis que le reste de son corps était envoyé vers la gauche. C'est le moment que choisit une main bien trop grande pour venir la saisir pour l'envoyer valdinguer. Elle s'agrippa au fourreau de sa dague plantée dans le dos. Lui tira. Elle tint bon. Sa dague non. Au prix de l'ouverture d'une plaie béante sur la moitié de son dos, le gros l'envoya en plein sur les petits : sur les squelettes, bien sûr. Les deux guerriers qui se la prirent de plein fouet amortirent plus ou moins sa chute en se disloquant sous la force de l'impact mais une douleur lancinante vint la traverser le long de la colonne vertébrale.
Tentant d'ignorer une fois de plus la douleur, elle se releva pour s'éloigner des lames d'autres morts-vivants qui se rapprochaient bien trop d'elle à son goût et croisa le regard de la Shaakt. Cette dernière s'avançait maintenant en psalmodiant des paroles que la petite fille ne perçut pas mais qu'elle savait d'avance à portée magique – quoi d'autre ? Il fallait qu'elle bouge.
Elle se jeta sur le côté au moment où le sort fut lancé. Utilisant son élan pour transpercer de part en part l'un des squelettes qui s'effondra au sol, ce fut une gigantesque ombre qui fondit sur la petite fille, venant insinuer en elle une détresse et une frayeur surnaturelles. Aussitôt, tournant les yeux de tous côtés, elle ne voyait plus que des êtres terrifiants qui combattaient contre elle et là où, quelques instants avant, elle se dressait fièrement contre l'adversité, elle ne pouvait maintenant que se lamenter, des larmes s'échappant de ses yeux. Tout lui faisait peur : la Shaakt qui ricanait, les squelettes qui s'avançaient, même les arbres dont les branches bruissaient sous les courants d'air qui passaient là.
Une lame vint la taillader au flanc, une autre à l'épaule ; une lance s'enfonça dans la chair de sa cuisse et elle hurla. La douleur réveilla en elle une rage incommensurable, une envie cruelle de lutter contre le destin qui persistait à vouloir sa mort. Pourquoi la Shaakt n'était-elle pas morte dans le souterrain ? Pourquoi elle-même n'avait-elle pas vérifié que la nécromancienne ne respirait plus ? Pourquoi toute cette souffrance, pourquoi tout ce métal qui s'enfonçait dans ses chairs, pourquoi tout ce sang qui s'en échappait ?
Elle ne pouvait décemment l'accepter. La fureur chassa la peur et, se redressant soudainement, elle commença à donner des coups de tous côtés. Il était inutile de viser dans ces conditions : les squelettes étaient partout. À chacun de ses coups, l'un d'entre eux tombait au sol, inanimé, les rangs s'écrémant petit à petit. Et, brusquement, elle se retrouva seule, dernier être debout au milieu d'un champ d'os éparpillés et de lames émoussées, une flaque de sang formée à ses pieds. Mais les squelettes n'avaient pas de sang. Elle si.
C'était un pitoyable spectacle qu'elle donnait là. Tout son corps était recouvert du liquide pourpre, le sien principalement, la plupart des plaies continuant à déverser leur vital fluide. Il n'y avait rien pour l'empêcher de sortir, rien pour atténuer le supplice de la fillette qui ne parvenait plus qu'avec peine à se maintenir ainsi debout, aussi droite qu'elle le pouvait, aussi fière face à la mort qu'un vaillant soldat. Mais elle n'était pas une soldate. Elle n'était qu'une enfant, une enfant qui s'était mise à pleurer, autant de rage face à la fatalité de la mort qui s'annonçait que de la douleur qui irradiait de tous les pores de sa peau.
La Shaakt elle-même, peut-être impressionnée par cette volonté, par ce sang et par cette apparition soudaine d'une semi-morte, elle qui avait l'habitude de contrôler des morts tout court, avait reculé de quelques pas, l'air consternée. Elle fixait la fillette avec un air dégoûté, laissant encore quelques instants de répit à Yurlungur, mais son dernier serviteur s'avançait sans émotion vers la petite fille. Chacun de ses pas faisait trembler le sol, il grognait doucement en s'apprêtant à ôter la vie à son adversaire. Yurlungur ne souhaitait plus combattre. Elle attendait, ses larmes continuant à se déverser en attendant le moment fatidique.
Lorsque soudain, tout devint blanc.
C'était un déferlement de puissance hivernale qui s'opérait autour d'eux, venant frapper de plein fouet le guerrier qui rugissait face à cette attaque imprévue. La Shaakt tournait la tête vers l'origine de l'attaque, mais la tempête s'abattit bien vite sur elle également. Seule la fillette était miraculeusement épargnée par le puissant sort du lutin autour duquel voletait le papillon bleu, usant de tous les pouvoirs qu'il avait pour pousser le maître de cette forêt à se révolter contre l'assassinat d'une petite fille sans défense par une affreuse nécromancienne.
Ladite petite fille se redressa, un sourire las aux lèvres. C'était l'aide attendue, l'aide promise par le papillon. La nécromancienne essayait en vain de lutter, usant de toutes ses forces magiques, mais elle était clairement surpassée. Si bien que ni elle, ni son squelette ne prenaient désormais attention à Yurlungur. Cette dernière, usant de ses ultimes ressources, se précipita sur la Shaakt. Avant que celle-ci ne puisse réagir, sa jugulaire fut tranchée d'un coup net, la transformant instantanément en un cadavre, comme ceux qu'elle avait aimé réanimer jusqu'à présent. Son guerrier s'effondra en hurlant, la tempête cessa brusquement.
Yurlungur se releva, croisa le regard du lutin. Celui-ci était effrayé, visiblement, par ce qu'il avait causé.
«
Merci, annonça la fillette. »
Il ne répondit pas et s'enfuit, disparaissant à jamais dans la forêt. Le monde tournait autour de Yurlungur lorsque le papillon bleu apparut à ses côtés, volant victorieusement au-dessus du corps de la Shaakt. Il frémissait de joie. Il hurla :
«
Enfin ! Enfin ! ENFIN LIBRE ! »
«
Minute, papillon ! l'arrêta Yurlungur. »
Il était pourtant prêt à partir, disparaissant à jamais dans la forêt à son tour, lorsqu'il se retourna vers elle, se changeant soudainement en le petit être bleu qu'il avait été dans les ruines, gardant uniquement ses ailes pour rester en l'air. Son visage s'était décomposé, affichant soudainement un air affreusement triste.
«
Que... Quoi ? Qu'est-ce que tu viens de dire ? »
Yurlungur ne comprenait pas. Elle le regarda quelques instants et répéta, bêtement :
«
Ben... Minute, papillon. C'est une expression, en fait. Mais ça marche bien avec toi, parce que normalement, tu ressembles à un papillon... »
Elle sentit ses jambes faiblir. Des tâches noires apparurent sur son champ de vision tandis que le papillon commençait à se lamenter devant elle. Elle n'entendit plus rien, les tâches grossirent, le monde s'effondra autour d'elle.
***
Elle ouvrit un œil. Puis un autre. Au-dessus d'elle, le Soleil brillait vert entre les arbres aujourd'hui. Yurlungur restait là à contempler le spectacle de l'astre roi qui traversait les cieux. C'était fort lent, mais cela lui suffisait. Tous ses membres étaient endoloris, couverts de plaies, mais celles-ci semblaient ne plus saigner. Elle aurait des cicatrices, beaucoup de cicatrices... Tant pis. Elle était trop faible pour y penser, trop faible pour bouger... Posée sur son ventre, la petite fée lui tournait le dos. Elle ne pesait rien.
«
Bonjour, toi, dit-elle d'une voix faible et cassée. »
Il se tourna vers elle. La fixant dans les yeux, elle s'aperçut qu'il s'était calmé.
«
Salut, Yuyu. »
«
Tu as donc décidé de m'appeler comme ça... En fait, je ne connais toujours pas ton nom. »
«
C'est toi qui me l'as donné, tu sais, répondit-il simplement. Maintenant, je m'appelle Papillon. »
Elle le regarda sans répondre. En fait, elle n'arrivait même pas à penser à ce que cela impliquait.
«
Papillon... Mais tu n'as pas de nom à toi ? finit-elle par demander. »
«
Non. Je suis ce qu'on appelle une Faera, vois-tu. Tu en as déjà entendu parler ? »
Son ton était, étrangement, empli d'une douceur qui lui était inhabituel. Peut-être était-ce le fait de voir la fillette dans un tel état de faiblesse, ou simplement d'avoir l'opportunité de discuter sincèrement avec quelqu'un. Yurlungur pour sa part n'avait entendu ce mot qu'une seule fois et c'était de la bouche du Gentâme, justement pour désigner Papillon.
«
Je... Je ne sais pas ce que c'est, non. »
«
Ben, c'est quelque chose comme moi. Je ne sais pas exactement combien nous sommes... Mais nous sommes nombreux, ou nombreuses, c'est selon. »
«
Mais toi, tu es un garçon ? l'interrompit-elle. »
«
Si on veut, répondit-il, un demi-sourire sur les lèvres.
Je n'ai pas vraiment de sexe, tu sais, comme toutes les Faeras... Mais je préfère une apparence de garçon, comme maintenant. Quoique celle d'un papillon me va bien aussi, comme tu as pu le constater... Ça me permet généralement de passer inaperçu tout en étant visible. C'est que je n'aime pas me cacher complètement. Tu sais, je te l'avais dit, je peux devenir invisible. Non, je ne te l'avais pas dit ? Je ne sais plus... »
«
Tu m'avais déjà dit que tu étais amnésique, ajouta-t-elle avec un sourire las. »
«
Ah oui, c'est vrai. »
Pendant quelques instants, ils se turent, s'observant simplement l'un l'autre.
«
Enfin, tu découvriras rapidement ce que je suis capable de faire d'autre. La Shaakt était ma maîtresse, avant. J'avais été lié à elle contre mon gré, d'abord emprisonné dans une cage magique puis on m'avait donné un nom... Je comptais sur toi pour me délivrer. J'avais lu dans les limbes du futur que tu serais amenée à affronter ma maîtresse, c'était une aubaine. Il suffisait de te pousser un peu. »
Yurlungur eut un petit rire.
«
Tu es en train de me dire que c'était toi qui m'influençait pour la tuer ? »
«
Oui. »
Ils se turent à nouveau. Un calme plat régnait dans la forêt. Le temps était doux, la brume s'était retirée en même temps que le lutin. Et ils profitaient, simplement, de l'instant présent.
«
Tu crois que tu peux te lever ? demanda Papillon. »
Elle haussa les épaules et celles-ci lui firent mal. Dans un soupir, elle répondit :
«
Je ne sais pas. Tu ne préfères pas attendre un peu ? Nous sommes bien, ici, et j'ai réussi le test de Phaïtos... C'est l'occasion de se reposer un peu. »
«
Pas vraiment. »
Elle leva les yeux. Juste au-dessus d'elle, à une dizaine de centimètres de sa tête, se trouvait le Gentâme. Il était là, présence éthérée obscure et puissante, impassible comme à son habitude.
«
Phaïtos n'est pas satisfait. L'intervention du Mage de l'hiver n'était pas prévue. »
«
Ce n'est pas de ma faute, bougonna-t-elle, le premier instant de surprise passé. »
«
Phaïtos t'a fixé un autre défi. Il te laisse trois jours pour te reposer, après quoi tu devras le remplir, annonça le Gentâme. »
«
Génial... Eh bien, à plus tard, alors. »
Le Gentâme resta présent quelques instants, attendant visiblement quelque chose. Finalement, ce fut Papillon qui répondit :
«
Inutile de rester. Elle ne te posera pas de question. »
Il avait un sourire malicieux aux lèvres, sourire qui s'élargit lorsque le serviteur de Phaïtos disparut dans l'ombre d'un conifère. Heureux d'avoir visé juste et se sentant soudainement en meilleure forme, la Faera se leva, fit un petit saut en l'air et se mit à voleter autour de la fillette.
«
Bon, allez Yuyu, on n'a pas que ça à faire. Trois jours, ce n'est pas grand-chose ! Il est un peu avare en temps, ton Dieu. Lève-toi ! En marche ! »
Le rire d'un papillon s'éleva jusqu'aux cimes des arbres, joyeux et guilleret. C'était une longue semaine qui commençait.
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