Tout mon corps basculé sur le flanc me fait connaître sa faiblesse. Je me sens mal et trempé. J'ai des difficultés à respirer. Quand j'y parviens, une toux épuisante me submerge. Paupières entrouvertes. Aperçu flou d'une paroi de pierre. Yeux fermés. Un tissu humide et frais est apposé contre ma tempe et mon front. Effort colossal pour rouvrir les yeux. Un mouvement à côté de moi. Mes spirales m'apportent des bruits flous. Puis des sons. Et enfin une voix calme.
"
Ce n'est rien. Dors encore."
Le ton est familier, rassurant. Je sais qui parle, mais je suis trop confus pour mettre un nom dessus. Mes paupières s'alourdissent encore. Frottement de ma couverture contre ma peau. Vrombissements de plusieurs voix aux tonalités diverses, en échos. Une image floue parvient à mes yeux. Ma main noire est enserrée dans des doigts clairs qui la lissent doucement. Je me sens basculer dans un sommeil lourd et désagréable.
L'éclat doux d'un feu me tire de mon repos étonnamment sans mauvais rêve. J'ai du mal à faire le point, aussi bien au niveau de ma vue que de mes souvenirs. Je suis dans mon hamac, et autour, je crois distinguer les parois d'une petite grotte. Les silhouettes de Razar et de l'oudio sont assises non loin. L'enfant est étendu et sa tête repose sur la cuisse de l'arbre. Je veux remonter ma main pour me frotter les yeux. Celle-ci résiste, comme tenue. Avant d'avoir pu y porter le regard, mes spirales me font entendre une voix.
"
Nessandro ?", m'appelle doucement Dae'ron en apparaissant dans mon champ de vision. "
Comment tu te sens ?"
"
Trempé...", fais-je en constatant que tout mon corps est couvert de sueur. "
Assoiffé aussi.", ajoute-je en sentant ma langue râper mon palais.
"
Content de t'entendre.", sourit-il lentement avant de lâcher ma main que je ramène à moi, dubitatif.
Après m'avoir averti qu'il allait me chercher à boire, le protecteur décolle. Lentement, je me redresse dans mon couchage et remarque mes équipements posés non loin. Je fronce les sourcils, cherchant à raviver ma mémoire. Je me rappelle vaguement du repas de la veille, de la nuit horrible où j'ai peu dormi et du départ. Mais après... Perplexe, je tente de sortir de mon lit suspendu mais une faiblesse m'étreint sitôt que j'ai posé le pied par terre. Aucune douleur par contre. La blessure de ma jambe a disparu. Je n'ai pas pu guérir si vite. Une initiative du brun, peut-être ?
"
Ah, Nessandro réveillé ?", demande doucement l'oudio en m'apercevant, faisant se redresser l'enfant.
"
On dirait. Lui aussi doit avoir plusieurs vies !", se moque Razar un instant, avant qu'un soulagement certain ne prenne la place.
"
... J'ai comme un trou de mémoire.", m'entends-je dire peu avant que Dae'ron ne me propose une coquille végétale remplie d'eau.
"
Rien d'étonnant... Tu as été saisi par la fièvre.", m'informe mon congénère en posant une main entre mes ailes, l'autre soutenant le récipient que je porte à mes lèvres. Le contact ne me rebute pas. Il est même plutôt utile.
"
Dae'ron avoir eu très peur.", raconte l'arbre. "
Nessandro plus répondre quand aldryde lui parler. Nessandro avoir presque glissé de l'oiseau."
Je fronce les sourcils, n'ayant aucun souvenir de cet incident. Plus les êtres de cette troupe m'aident à rattraper ce que j'ai raté, plus je m'assombris. Contrairement à ce que je croyais, je n'ai pas passé quelques heures dans cet état, mais pratiquement deux jours. Je me fais grandement silencieux. Mon orgueil en prend un coup. Je n'ai
jamais été malade. En tous cas, pas jusqu'à avoir besoin de rester alité plus de quelques heures. Et en prime, on m'a veillé comme une larve... Comme un poids à trainer... Parce que j'ai été saisi de faiblesse. L'amertume me ronge subitement.
Mes yeux sombres se posent brièvement sur le visage du taurion. L'elfe me sourit et chasse des larmes. Pourquoi est-ce qu'il pleure au juste ? Ah ? Razar a l'air de se contenir aussi, et Dae'ron également. Mais enfin, qu'est-ce qui leur prend ? Un peu de toux m'échappe, mais elle est moins violente. Même mon nez est dégagé. Je plisse les yeux, envahi d'une soudaine frustration.
"
Oh ça va.", m'agace-je en devinant enfin ce qui les chagrine. "
On repart dès demain. Pas la peine de se mettre dans cet état."
Là, j'ai droit à des expressions interloquées. Visiblement, ma tirade les a pris au dépourvu. D'ailleurs, je ne comprends pas. S'ils sont si pressés, pourquoi ont-ils pris la peine de rester avec moi ? Un individu malade est un boulet à trainer et contrarie tout le monde.
"
Mais de quoi tu parles ?", renifle le félin en haussant un sourcil.
"
Chouiner parce qu'on est pas foutu de se débrouiller seuls, hein ?", déclare-je en levant mon bras noir. "
C'est vraiment pathét..."
"
Assez !", me coupe violemment Dae'ron.
Je cligne des yeux deux fois, incrédule d'abord puis perplexe. Je ne suis pas le seul. Les géants écarquillent les yeux tandis que je lève mon revers de main pour frotter ma joue. Il m'a giflé, comme cela, sur un coup de tête. La claque n'est pas très douloureuse, mais son impression persiste. Je lance finalement un regard noir au protecteur, curieux de comprendre pourquoi il a fait ça.
"
Tu dépasses les bornes, Nessandro !", s'écrie le brun. "
Ce n'est pas une façon de parler à ceux qui ont pris soin de toi !"
"
Et ?", lâche-je sur un ton acéré, redevenant maître de moi. "
Je n'ai rien demandé que je sache."
"
Alors là, bonjour l'ingratitude, le piaf.", siffle Razar, effaçant méchamment ses larmes.
"
Tu n'as rien demandé, c'est vrai.", fait amèrement Dae'ron avant de braquer son regard dans le mien. "
Et c'est exactement ce que je te reproche !", éclate-t-il en étendant un bras, pointant ma jambe.
Sans cette fièvre pour t'arrêter, combien de temps aurais-tu continué avec une telle blessure ?, m'engueule-t-il.
"
Vrai.", ajoute l'oudio. "
Nessandro pas dire blessé. Groupe inquiet. Pourquoi cacher ?"
"
Ce sont mes affaires, pas les vôtres !", persiffle-je avant qu'une quinte de toux ne m'interrompe.
"
Que tu le veuilles ou pas, nous sommes un groupe.", m'apprend froidement le protecteur, visiblement remonté. "
En terrain inconnu, on doit se serrer les coudes."
"
Je suis un grand aldron et j'ai déjà enduré pire... J'ai pas besoin de chaperons !", râle-je en montrant les dents encore une fois.
"
La preuve que si !", réplique le protecteur avec plus de véhémence que je l'en croyais capable. "
Et ton égoïsme met tout le monde en danger !"
"
Eh ! Eh ! Respire Dae'ron !", plaisante Razar, cherchant visiblement à atténuer la tension.
"
Ne t'en mêle pas ! C'est entre Nessandro et moi.", déclare l'aldryde en étendant ses ailes, barrant le champ de vision aux alentours. "
Il faut qu'il comprenne."
"
J'ai rien à comprendre.", gronde-je d'une voix grave. "
Et ton sermon m'emmerde grandement.", poursuis-je froidement.
"
Va falloir t'y faire, parce que je n'ai pas fini de te rebattre les spirales avec ça !", réponds vivement le brun.
"
Eh ben vas-y, gaspille ta salive. Mais ce sera sans moi !", réplique-je en me redressant trop vite, provoquant un étourdissement. Je perçois alors les mains du protecteur se coller contre le haut de mes bras pour me soutenir. Par réflexe, je tente de les repousser aussi fortement que mon corps affaibli me le permet. "
Me touche pas.", ordonne-je de façon glaciale sans parvenir à me libérer. Ce côté vain perce ma poitrine d'amertume.
"
Seulement si tu te recouches.", me fait-il avec une certaine distance. "
Tu n'iras nulle part dans cet état."
"
Pfff ! Haha ! Toi aussi, tu en viens au chantage ?", souris-je amèrement.
"
C'est pour ton bien, idiot !", m'engueule-t-il à nouveau avant de me repousser en m'appuyant sur les épaules. Mes jambes sont trop faibles et je suis contraint de m'asseoir sur mon hamac. J'en ai marre de tout ça !
"
Mon bien...", grince-je sur un ton dépourvu de la moindre chaleur. "
À force de te mêler de ce qui te regarde pas, t'étonne pas de finir encore dans le purin... Et dis plutôt que ça t'amuse de me voir dans cet état, incapable de tenir debout sans aide ! Tu trouves ça grisant, hein ? Voir le fier Nessandro avoir besoin de toi ! Avoue-le donc, monseigneur le "bel aldryde" !", lance-je en une pique violente et amère.
Je l'ai provoqué. Je le sais. Je l'ai fais exprès. Cela avait besoin de sortir. Je ne suis donc pas surpris quand sa main frappe durement ma joue épargnée. Ce coup-ci est violent, instinctif, au point que ma peau est prise d'une vive chaleur désagréable. Ma canine perce brutalement ma lèvre sous l'impact et mon visage est rejeté sur le côté. Des hoquets surpris émanent des géants, mais je m'en fous. Le souffle du protecteur s'est accéléré, et je devine l'éclat de larmes liées à une blessure dans son regard. C'est là, en voyant son expression de souffrance, que quelque chose d'anormal se produit. Je sens mon torse se serrer, comme pris dans un étau. Je mobilise toute ma volonté pour bloquer la pensée qui menace de se former.
J'ai un peu mal, mais je ressens surtout un grand vide. Un souffle amusé puis un petit rire dépité m'échappent. Au final, je ne sais pas quelle partie de ma pique a déclenché son geste. Je grimace, ayant du mal à respirer. Je reconnais cette douleur intérieure, mais je refuse d'accepter sa présence. Je ne peux m'en prendre qu'à moi-même.
"
Je le savais bien que j'allais regretter de te retrouver...", constate-je péniblement en effleurant ma joue brûlante du choc.
L'aldryde fronce les sourcils, ravalant son émotion. Il tient sa main qui m'a frappé comme si elle était douloureuse, puis affreuse, la regardant avec incrédulité. Son expression se fait inquiète et coupable tandis qu'il avise ma lèvre délivrant des perles sanguines. Il secoue la tête. Visiblement, perdre le contrôle de ses émotions semble le prendre de court.
"
Je... Tu n'aurais pas du dire... À cause de tes paroles et... J'ai... Mais... Je ne voulais pas...", commence-t-il en scrutant ma bouche puis mes yeux sombres.
"
Ça va, Dae'ron.", tente-je sans grande conviction.
Je n'avais pas espéré de retrouvailles agréables. Et honnêtement, de retrouvailles du tout., avoue-je, le voyant s'assombrir un peu à mes paroles.
"
J'aimerais comprendre, Nessandro... Si c'est vraiment ce que tu voulais, pourquoi es-tu...", tente-t-il avant de sursauter quand Razar toussote.
"
C'est bon ? Z'allez mieux ?", ose-t-il avec une once de timidité.
Je me contente d'un vague signe de main puis regarde le brun. J'aimerais répondre, mais pas ici, pas maintenant. Pas devant ces géants gênants. Et parce que ce frisson glacé enserre encore mon torse. Je ne le connais presque pas, et pourtant j'ai envie de lui parler un peu. Plus encore qu'à Hyjuud. Je ne peux plus ignorer avoir un lien avec lui, et cette simple pensée me tétanise. Il faut croire que j'ai du mal à retenir certaines leçons.
"
Plus tard, Dae'ron.", finis-je par lâcher avant d'essuyer ma lèvre ouverte du pouce. Je devine ses yeux me sonder. Il a l'air encore mal à l'aise à cause de son geste brutal. "
Parole d'aldryde."
Il acquiesce et me laisse me recoucher, dos à sa silhouette. Sans un mot, il hésite puis prend ma couverture, la ramenant sur moi. Quand il est penché un peu au-dessus de ma forme pour repousser un pli, j'agrippe son poignet et tourne la tête vers lui. Je l'ai surpris. Pourtant, il ne cherche pas à me faire lâcher prise. Ma faiblesse me frustre, mais je parviens après de longues secondes de lutte contre mon instinct à me faire entendre du protecteur.
"
Pour... Euh... M'avoir veillé...", commence-je mais suis incapable de finir ma phrase. Mon orgueil m'en empêche. "
...Tch. Oublie...", grimace-je en le relâchant et fixant le mur en face.
"
... Je t'en prie.", répond-il avec une esquisse de sourire dans la voix. J'en détourne davantage le regard, me sentant embarrassé qu'il ait compris mes intentions. Comment peut-il être aussi cordial malgré ce que je lui ai sorti ? Je sais qu'il n'est pas spécialement rancunier, mais à ce point... Décidément, ce mâle me déstabilise grandement. Je m'enfouis sous ma couverture, décidé à ne pas songer à tout cela. Non, je veux dire à dormir rapidement. J'ai chaud, et je me sens mal à l'aise.
Franchement, c'est la dernière fois que je tombe malade !