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 Sujet du message: La crique de la Terreur
MessagePosté: Mar 28 Oct 2008 22:22 
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La crique de la Terreur


Voilà plusieurs années que nul ne s'est approché de ce lieu maudit. Une vieille crique accessible uniquement à marée basse dont le sable est... noir. Cette crique sombre est orientée uniquement vers le nord à tel point que nulle lumière n'y parvient.

L'ambiance de ce lieu aurait pu être si agréable, si belle... et pourtant, elle pourrait terroriser le plus brave des êtres. Même les Orques d'Oaxaca ne sont pas assez fous pour s'en approcher. Et pourtant, on raconte que celui qui parviendrait au fond de la grotte qui donne sur la crique sans mourir de peur gagnerait le contrôle définitif sur sa peur.

Oserez-vous affronter vos peurs les plus terribles? Oserez-vous affronter vos angoisses?

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 Sujet du message: Re: La crique de la Terreur
MessagePosté: Dim 6 Oct 2013 19:43 
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Trois jours de « repos » furent accordés à la Compagnie du Serpent Noir à la suite de l’exécution du traître à Dahràm. Le guérisseur continua à apporter des soins aux blessés, afin d’accélérer leur guérison. Lorsqu’il vint s’occuper de Therion, le Liykor noir perçut chez l’humain de la fatigue physique, mais aussi une forme d’épuisement intérieur, mêlé à une forme de soulagement croissant : les Garzoks ne l’avaient pas encore tué, et peut-être finirait-il esclave, mais en vie. Therion avait repris l’entraînement grâce à ces soins quotidiens, et la mobilité de son épaule blessée était maintenant presque complète ; ses coups étaient moins puissants, mais il était certain que toute la force allait regagner ses muscles, si le Père le jugeait digne, et de toute manière, à moins d’affronter un autre Liykor, ses frappes suffisaient encore à endolorir le bras portant le bouclier des compagnons avec qui il s’entraînait. La routine allait s’installer quand le chef Vrugor ordonna à ses soldats de se mettre en marche. Ils partirent alors que le jour n’était encore qu’une ligne d’un bleu plus clair sur l’horizon, sans autre bagage que leurs armes et leurs armures, leur destination n’étant guère éloignée de la ville. Ils auraient pu traverser Dahràm pour gagner du temps, mais Vrugor préféra ne pas prendre ce risque et se contenta d’imposer un rythme plus soutenu à ses hommes, tout en marchant à leur côté sans montrer le moindre signe de fatigue.

(Le mage est également de sortie… Je ne l’avais pas vu depuis notre arrivée au camp… Il est resté en retrait et a œuvré à on ne sait trop quelle sombre magie… En tout cas il a l’air moins faible que lors de notre dernier trajet… Et cette fois-ci nous emmenons le guérisseur avec !... Est-ce qu’ils s’attendent à ce qu’il y ait des blessés ?... Où allons-nous d’ailleurs ? … Pourquoi tant de silence sur notre destination ? … Qu’est-ce que cela cache ? … Sûrement, une fois encore, des préoccupations d’humains ou de Garzoks… Des futilités pour lesquelles ils font nous faire massacrer… Mais je n’ai pas le choix… Pas avec ce collier…)

Le terme de cette courte pérégrination fut finalement une crique des plus sinistres, sur la côté, non loin de Dahràm. Un chemin escarpé permettait de gagner la mer, qui pour l’heure s’était retirée et laissait derrière elle une plage de sable noir comme une nuit sans lune, dépourvu de tout reflet, sur lequel n’étaient abandonnés ni algues ni crustacé, comme si tout ce qui était vivant se refusait à échouer en ce lieu. Le pas des soldats ralentit sans attendre d’ordre, et ils demeurèrent tous immobiles à bonne distance de la courte falaise qui entourait la crique. Même Vrugor accusa une minute de flottement tandis qu’il se trouvait en proie à une peur sourde qui lui commandait de faire demi-tour. Le guérisseur, quant à lui, laissa échapper une série de couinement, avant de s’évanouir au bout de la corde que tenait l’un des Garzoks. Seul le mage noir semblait ne pas être affecté par l’atmosphère du lieu : il descendit de sa mule, qui avait refusé d’avancer malgré les coups de talon, puis de chicote, et gagna le bord de l’escarpement, pour jauger du chemin qui lui resterait à parcourir pour arriver en bas.

« Nous devons descendre. »

« Vous êtes sûr que c’est une bonne idée… que c’est bien la chose à faire ? »

« Nous devons descendre. »

Le ton du mage noir s’était soudainement empli d’une menace qu’aucun des membres de la Compagnie du Serpent Noir ne lui aurait imaginé : Dreamar se révélait sous un jour inconnu. La crainte et la surprise eurent raison des dernières hésitations de Vrugor qui beugla l’ordre, non sans un certain tremblement dans la voix. Pour donner du courage à sa troupe, il prit la tête de la file qui descendit par le sentier vers le sable.

(Cet endroit est mauvais… Très mauvais… Il y a une force qui se trouve là… Une force mauvaise… Il y a des choses qui ne doivent pas être trouvées… Aucune bête ne vit ici… Aucune vie… Une folie des Garzoks et des hommes…)

Une fois sur la plage, le malaise n’avait pas diminué parmi les guerriers, et le guérisseur n’avait toujours pas retrouvé la conscience, si bien qu’on avait dû le porter sur toute la descente. Pire, tous sentaient maintenant l’origine du malaise qui les pénétrait et rendait leurs jambes tremblantes et menaçait à tout instant de relâcher leurs sphincters. Une grotte s’ouvrait dans la falaise, aussi noire que le sable, encore humide de l’eau qui la recouvrait à marée haute. Les vagues de terreur en provenaient, comme de sourdes pulsations que les esprits comme les corps percevaient à la lisière de leur perception, tout en les impactant avec une violence terrible.

« Amenez-moi le guérisseur. »

L’ordre claqua dans le silence, et tous s’aperçurent qu’ils attendaient là, pétrifiés, que quelque chose se passe, la main serrée sur leurs armes, les boucliers en position défensive, serrés les uns contre les autres, comme pour trouver une chaleur vivante dans cet environnement hostile. Deux Garzoks amenèrent l’humain inconscient au mage.

« Formez un cercle autour de nous. »

Chacun avait maintenant une vue imprenable sur la scène qui allait se jouer. Le mage s’agenouilla sur le sable et creusa à mains nues une cuvette profonde d’une quinzaine de centimètres. Essuyant ses mains sur sa chemise sombre, il tira d’un fourreau de sa ceinture un couteau d’un métal si sombre qu’il semblait absorber la lumière autour de lui. Après une courte invocation à Phaïtos, il égorgea le guérisseur d’un geste net et précis, et laissa le sang couler dans la cuvette, qui commença à se remplir. Le cadavre était loin d’être exsangue, et couché, il ne tarderait pas à ne plus se vider de son fluide vital, mais cela n’importait guère au mage. Il entonna une lente mélopée, psalmodiant des formules inconnues à tous les guerriers présents, et qui ne leur inspiraient guère plus confiance que la grotte non loin de là. Un Garzok se compissa, mais nul ne songea à ricaner, à lui lancer un quolibet, ni même à lui adresser un regard moqueur : ni le lieu ni le moment ne s’y prêtaient.

« O Phaïtos, Dieu des Enfers, Passeur des âmes, toi qui par delà notre existence nous conduit sur les terres désolées, guide nous sur cette terre, désigne celui qui descendra dans les entrailles de la terre et affrontera la mort. Désigne celui dont le cœur pourra battre au plus profond des ténèbres ! Nous implorons ton aide ! Nous t’offrons un de nôtres en gage de notre foi ! »

Un lourd silence tomba sur le cercle en même temps que s’achevait l’incantation sur la supplique. Chacun se demandait si celui qui avait été offert était le guérisseur, mais nul n’avait le courage de parler, de crainte de ce qui se passerait si la sombre tension de l’instant venait à être brisée. Une éternité parut s’écouler avant qu’un Garzok s’effondre à gauche de Thérion, sa vie soufflée comme une chandelle dans la tourmente. Au même instant un filet de sang sortit de la cuvette dans le sable, prit la forme d’un serpent, et s’approcha doucement de Vrugor. Oscillant face au chef, sa tête plate et liquide donna l’impression de l’évaluer, puis passa à son voisin de droite. Le manège recommença pour chacun des membres de la Compagnie, puis le serpent de sang regagna la cuvette, où le liquide pourpre se mit à bouillonner. Une marque, épaisse comme une feuille, s’éleva alors, et se dirigea vers Thérion, pour se poser sur sa cotte de maille, au niveau de son cœur, où s’imprima une tête de mort sanglante.

« Phaïtos a choisi. Es-tu prêt Liykor ? »

Therion jeta un regard méfiant vers la tache qui était venu orner son armure, et poussa un grognement affirmatif.

« Alors suis-moi. »

Affronter sa peur

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La faim chasse le loup du bois...


Dernière édition par Therion le Sam 12 Oct 2013 18:25, édité 1 fois.

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 Sujet du message: Re: La crique de la Terreur
MessagePosté: Sam 12 Oct 2013 18:24 
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Le rituel sur la crique

« Il y a quelque chose au fond de cette grotte que nous devons obtenir. Phaïtos t’a choisi, et crois-moi, j’ignore pourquoi il a porté sa volonté sur une bête… Mais bon… Sens-tu la peur qui émane de ces lieux ? »

« Oui… Je sens… La peur… La mort… »

« Penses-tu que tu serais capable d’y aller ? »

(Le Père me retirera la force et la Mère rendra stérile les femelles de mes territoires de chasse si je recule… Il n’y aura plus que du gibier faible et malade… Un mâle plus fort me chassera… La peur n’est mauvaise que si elle paralyse le Liykor… Je vais montrer à ces Garzoks ce que c’est qu’un chasseur… Quoi qu’il faille chercher au fond de cette grotte, je le ramènerai…)

« J’irai… Et je reviendrai… »

« Vraiment ? »

Ils étaient maintenant arrivés devant la grotte, et en sus de la peur, un froid pénétrant les assaillait maintenant. L’obscurité n’était qu’une illusion due à la distance et au contraste, les parois de la grotte se révélèrent être couvertes d’algues légèrement phosphorescentes, ce qui suffisait à la nyctalopie du Liykor.

« Le Père me donnera la force. La Mère veillera sur moi. J’irai et reviendrai. »

« Bien. Nous attendrons en haut de la falaise. J’ignore combien de temps du resteras là en dessous. Si d’aventure nous ne te voyons pas revenir demain matin, nous partirons. Ne tarde pas, quoi qu’il arrive, car lorsque viendra la marée haute, la grotte sera inondée, et c’en sera fini de toi. »

Therion l’ignora superbement et se contenta d’adresser une prière à ses Dieux dans la langue des Liykors noirs.

« Père, donne la force à celui qui te fait honneur et affrontera les dangers pour prouver ta puissance et celle de tes enfants à ceux qui les méprisent ! Mère, réchauffe mon cœur dans les ténèbres, toi qui donne la vie et fait se multiplier les proies sur les territoires de chasse ! »

« Qu’est-ce que tu as dit ? »

« J’ai prié… le Père et la Mère… »

« Intéressant… tu en auras besoin. Reviens avec ce que tu dois trouver. La marque t’aidera. Je n’ai aucune envie de me remettre à la poursuite d’un homme possédant des fluides de lumière pour mener à bien mon rituel. »

Therion regarda le mage s’éloigner, un peu interloqué par ses dernières paroles qu’il ne comprenait pas. Puis il vit les autres membres de la Compagnie du Serpent Noir remonter le sentier bien plus rapidement qu’ils l’avaient descendu, quelques-uns lui adressant un dernier signe. Puis il fut seul sur le sable noir de la crique, à l’exception du cadavre abandonné sur le sable. D’un pas décidé, il avança vers la grotte et l’inconnu, se rappelant que le mage lui avait dit que le temps lui était compté. Mourir au combat était une mort acceptable pour être accueilli dans les prairies verdoyantes du Père pour une chasse éternelle, mais pas mourir noyé, dans l’échec.

Obligé de se baisser, puis d’avancer à quatre pattes, s’écorchant aux multiples aspérités de la roche, Therion fut handicapé par sa haute stature sur les premiers mètres du parcours, alors qu’il s’enfonçait dans les profondeurs de la terre et que montait à ses narines un parfum d’eau salée stagnante et d’algues. Puis il déboucha dans une grande grotte haute de plafond. Au moment où il se redressa, il sentit son corps vaciller, un bourdonnement brouilla son ouïe et sa vue devint floue.


Therion-Cerf s’éveilla à la conscience dans une clairière à la lisière de laquelle il broutait de jeunes pousses d’arbustes tandis que les membres de sa harde se gavaient d’herbe encore fraîche de la rosée du matin. La veille encore il avait combattu un jeune mâle persuadé qu’il allait pouvoir féconder les femelles et produire une descendance vigoureuse. Leurs bois s’étaient entrechoqués avec violence, et le jeune mâle avait fini par s’effacer devant sa force. Il s’écoulerait encore plus d’un cycle de saisons avant qu’il ne doive céder sa place. Ce cycle s’était révélé être un bon cycle : les petits avaient été vigoureux, les morts peu nombreux, et la harde était forte et bien nourrie. Ils n’avaient pas senti de prédateurs, pas plus que les deux-pattes qui parfois s’aventuraient dans les bois.

Deux jours encore s’écoulèrent ainsi, dans la quiétude. Puis l’odeur de la mort vint planer sur les bois. Une odeur de deux-pattes à fourrure, avec des crocs, des griffes, une gueule immense, un loup plus haut qu’un grand cerf, des remugles de charogne dans son sillage, les pattes légères, rapide. Therion-Cerf connaissait cette menace, ainsi que tous les siens, et aussitôt la débandade s’organisa. Les fourrés et les branches mortes ne sauraient barrer le chemin à des cervidés en bonne santé, dans la force de la belle saison, poursuivis par la manifestation de leurs terreurs les plus profondes. Buissons, fossés et ruisseau ne retardèrent pas non plus le plus grande, le plus fort et le plus rapide. Au fond de lui, il savait que les plus faibles seraient les premières proies de ce prédateur solitaire : un mâle ayant vu passer trop de saisons, une femelle ayant mis bas récemment, un jeune, un membre blessé de la harde. L’instinct lui chevilla cette conviction au corps, cependant ses sens faibles de proie ruminante l’informèrent qu’il n’en était rien ; d’autres pattes que les siennes foulaient le sol à un rythme effréné dans son sillage, ses hauts et larges bois n’étaient pas les seuls à déchirer des branches basses et emporter des feuilles dans un tourbillon.

La forêt s’interrompit sans que rien ne l’annonce. Therion-Cerf la croyait infinie, un refuge toujours certain, une distance suffisante à mettre entre lui et d’éventuels poursuivants. Mais ce prédateur ne désirait pas seulement manger, une autre proie dans la clairière aurait pu assouvir sa faim : il voulait achever ce roi de la forêt, lui arracher sa couronne de bois, déchirer sa peau, répandre son sang sur l’herbe riche, broyer ses organes encore chauds entre ses puissantes mâchoires, imposer sa force. Le prédateur cherchait à affirmer sa suprématie, à moins que Therion-Cerf ne soit lié à lui par une obscure raison que l’esprit mêlé ne pouvait déterminer.

L’herbivore se trouvait maintenant coincé sur un large espace herbeux, avec d’un côté une haute falaise donnant sur un océan déchaîné, et de l’autre la lisière du bois qui dissimulait pour quelques secondes encore une mort certaine. Arrachant sous ses sabots des mottes de terre, Therion-Cerf ne cessait de s’élancer d’un côté puis de l’autre, freinant brusquement face à la menace, se retournant vers la seconde, paralysé face à celle-ci après quelque foulées, et recommençant le manège. L’arrivée brusque du deux-pattes coupa court à ces hésitations infructueuses.

Haut de plus de trois mètres, un poitrail large et puissant comme un rocher, une tête aussi longue qu’un jeune faon, une gueule hérissée de crocs jaunâtres tout en paraissant d’une blancheur menaçante en contraste avec les ténèbres de la fourrure. Courbé vers l’avant, les griffes en avant, les pattes arrière placées dans une position de bond, le Liykor noir grondait de contentement en voyant son gibier acculé.

La peur paralysa le Cerf. L’esprit de Therion le força à abaisser ses bois comme lors des combats qui l’opposaient à d’autres mâles pour la domination de la harde, mais cela suffit à peine. Les pattes n’obéissaient plus, des vagues de terreur émanaient du colosse sombre qui prenait son temps, décrivait des cercles autour du quadrupède aux abois, sûr de son pouvoir et de l’avantage qu’il lui offrait. Le Cerf attendait la mort avec résignation, si tant était que cette idée puisse représenter quelque chose pour lui maintenant que son esprit s’était dissocié de celui de Therion.

Alors la matière et l’espace subirent une transformation, dans une spirale informe de couleur allant du crème à des teintes plus obscures, le corps de la proie disparut et fut progressivement remplacé par un squelette bipède bien plus grand, auquel vinrent se greffer des muscles, des tendons, des artères larges prêtes à irriguer de sang cette machine à tuer, et enfin une peau épaisse et sa fourrure couvrirent cette mécanique physiologique complexe ; les crocs et les griffes s’allongèrent comme des armes tirées du fourreau, deux yeux grossirent dans les orbites vides et s’allumèrent d’une flamme meurtrière, écho aux grondements qui s’élevèrent sitôt les cordes vocales éveillées. Des spasmes et des mouvements incontrôlés firent naître des ondulations puissantes sous l’enveloppe sombre, et un hurlement de rage s’éleva vers le ciel. Le prédateur avait cessé de tourner autour de cette étrange manifestation physique, ses certitudes envolées avec sa pitance. Une menace venait de se dresser.

Toute peur avait déserté l’esprit de Therion, il avait reconstruit le corps qui lui était nécessaire pour affronter le danger. Sa stature était bien plus haute que celle à laquelle il était habituée, il dominait légèrement son semblable, sa force lui semblait plus grande, mais l’heure n’était pas à se poser des questions sur ce présage. Oubliés les réflexes du cerf, la fuite, la crainte de la mort. Le Père veillait sur ses enfants et confèrerait sa force au plus méritant : le sang allait couler et abreuver la Mère avant que ne soit couché le soleil.

Les deux masses de chair s’élancèrent simultanément l’une contre l’autre et le choc leur coupa quelques secondes le souffle ; après s’être échangé quelques coups de griffe sans conséquences graves, avoir vainement claqué des mâchoires près de leur gorges, les deux Liykors noirs reculèrent pour entamer une ronde. Cette épreuve de force marquait le début de l’affrontement et avait permis à chacun d’évaluer la force de son adversaire : un plus faible se serait effondré, ou soumis, et tout se serait alors achevé en quelques secondes.

De passes en passes, d’une étreinte sanglante à une autre, les forces des protagonistes commencèrent à décliner simultanément, au point que Therion se demandait quelle serait l’issue de ce duel, et surtout cherchait à en comprendre le sens. Pourquoi s’affronter ici ? Pourquoi avec lui ? Il ne reconnaissait pas ce mâle, ni même le territoire sur lequel il se trouvait. Pourquoi était-il venu chasser si loin de ses terres sur lesquelles pullulait assez de gibier ? Lentement ressurgirent des souvenirs… Le poids d’un collier autour de son cou, la crainte de la mort par la désobéissance, une mort de faible, de rongeur se jetant entre les dents d’un loup.

Reculant un peu plus à chaque échange vers la forêt, Therion ne manœuvrait plus tant pour feinter son adversaire que pour atteindre ce qui lui apparaissait comme un secours inespéré dans sa situation. Les pattes dans les premiers fourrés, il demeura immobile, attendant une charge qu’il se contenta d’esquiver, sans poursuivre le second Liykor qui avança assez de crainte de se retrouver la truffe face à des griffes meurtrières. Le captif des légions d’Oaxaca mit ces quelques secondes à profit pour briser une branche morte d’un arbre déraciné à proximité. Le tronçon long comme une fois et demi son bras lui offrait une allonge certaine, mais offrait également au point de bris une forme de pointe qui avec assez de force pouvait pénétrer un corps.

Lorsque le Liykor surgit du bois, Therion avait déjà regagné l’espace découvert et l’attendait, son arme improvisée à la main. La dernière charge aurait pu être dévastatrice si les préceptes inculqués lors de l’instruction à Omyre n’avaient pas été appliqués par le soldat d’infortune. Plutôt que de chercher à esquiver, ou à reprendre le corps à corps, il avait considéré la menace comme une charge de cavalerie, ramassé son corps, planté sa lance improvisée en terre et attendu, la pointe menaçante. Une technique de combat qui n’avait rien à voir avec celle des duels de Liykors, mais l’important pour Therion était de survivre, pas de respecter une quelconque règle d’engagement ou d’honneur, qui n’aurait aucun sens pour ceux de sa race. Survivre et vaincre l’adversaire. Le bois pénétrant le corps à l’aide de sa propre vitesse décida de l’issue de l’affrontement. Un hurlement de triomphe, et Therion déchira la gorge du vaincu pour l’achever. Et le paysage se brouilla, pour complètement disparaître.

... et s'éveiller

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Dernière édition par Therion le Sam 12 Oct 2013 18:56, édité 1 fois.

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 Sujet du message: Re: La crique de la Terreur
MessagePosté: Sam 12 Oct 2013 18:55 
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Affronter sa peur...

Il faisait encore plus froid et plus humide dans la grotte, et l’odeur qui remontait du sol alliait la décomposition d’algues, poissons et crustacés pris au piège de la marée basse ainsi que les effluves salées et iodées de l’eau croupissante.

(Aurais-je rêvé ? … J’étais… une proie… J’ai couru, fui, cherché un refuge… Et puis il y a eu cette séparation… je suis redevenu moi… Mais qu’est-il advenu de ce Liykor ?... Et où suis-je tout bonnement ? …)

A ses pieds se trouvait une statue brisée en morceau d’un de ses semblables, sculptée dans la même roche que les parois couvertes d’algues luminescentes. Le soin du détail, ainsi que la coïncidence parfaite avec les souvenirs du rêve de Therion lui firent immédiatement penser à un acte magique. Entres ses mains se trouvait une longue stalactite dont il pouvait découvrir la base à quelques pas de là, avec laquelle il avait probablement occis son adversaire minéral.

(Je ne me trouvais pas en ce lieu lorsque le rêve a commencé… J’ai rêvé que j’étais mêlé à l’esprit d’un cerf… comme lui j’ai probablement couru… J’ai couru et je suis arrivé ici… Et j’ai affronté ce Liykor de pierre… Je l’ai vaincu… Mais je suis véritablement blessé, ses griffes de roche sont couvertes de sang… J’ai rêvé mais je me suis quand même déplacé… Il n’y avait pas d’océan… Uniquement le fond de la grotte… Que me serait-il arrivé si j’avais plongé plutôt que d’affronter ce mâle ?...)

La statue se décomposait lentement à ses pieds, laissant à nu d’étranges noyaux sombres, qui semblaient métalliques. Therion les souleva et les soupesa. Ils étaient froids contre sa peau, et ressemblaient à des puits d’obscurité miniature. Il lesta ses poches de cette trouvaille et commença à porter plus d’attention à la grotte dans laquelle il se trouvait. S’il était venu chercher quelque chose ici, il ne voyait rien. Pourtant il sentait la marque de sang sur sa cotte de maille battre et chauffer, comme si un cœur s’était logé dans le métal. Alors qu’il reculait, ce battement se fit moins puissant ; avançant vers le cul-de-sac, le rythme s’intensifia. A l’aide de cet indicateur, il opéra une fouille des lieux en se déplaçant et non en se fiant à son seul regard. Il finit par se trouver face à un dôme allongé de corail, arrêté par la marque devenue brûlante. Il alla ramasser sa stalactite et assena un grand coup sur la dentelle calcaire opaque et multicolore, faisant voler en éclat ce simulacre de coffre maritime.

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 Sujet du message: Re: La crique de la Terreur
MessagePosté: Lun 14 Oct 2013 19:11 
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...et s'éveiller

Les morceaux de corail brisés ne retombèrent pas directement sur la lame, mais glissèrent sur le dôme invisible qui l’avait protégée des outrages du temps, de la corrosion et de la lente dégradation par les organismes marins. Pas un cristal de sel ne scintillait sur la lame, aucune goute d’eau n’y avait laissé de trace. Vierge de toute impureté comme au premier jour, l’arme capturait la lumière ambiante dans des ondoiements ténébreux, éclat de néant dans le jour bleuâtre dispensé par les algues collées au mur. Une vague sensation envahit alors le Liykor noir, bien différente de la frayeur latente qui suintait par toutes les parois de la grotte dans laquelle il s’était enfoncé. La jubilation toute relative d’avoir atteint son but l’avait abandonné, ainsi que la rage persistante de son combat, la crainte et l’angoisse du temps qui s’écoulait et dont il n’avait plus aucune notion, le risque d’être pris par la marée, tout cela s’évanouit au profit d’une sérénité jusqu’alors inconnue.

En bien des occasions, Therion avait goûté à une harmonie avec son environnement immédiat et sa condition. Au terme d’une chasse longue, épuisante, mais fructueuse, lorsque sa gueule fouillait les entrailles encore chaudes d’un sanglier de belle taille, croquant les meilleurs organes, puis déchirant les meilleurs muscles, avant de traîner la carcasse sanguinolente vers le campement où il pourrait dormir entre deux de ses repas. A l’issue d’un combat à la pleine lune, lorsque la Mère faisait naître dans tous les corps le désir de se reproduire, et dressait les mâles les uns contre les autres pour les femelles les plus robustes, qui donneraient les plus beaux petits. En ces multiples moments où la conscience de la vie s’imposait au prédateur.

La sensation qui pénétrait le Liykor était l’exact pendant de cette perception. Extrait de toute considération de bien ou de mal, l’envahissait l’idée de la Mort, insufflée par le fer ténébreux. Cette évidence était née dès que le regard de Therion s’était posé sur l’artefact, alors sous sa forme la plus primaire, que tout être vivant, de l’humanoïde jusqu’à la plante devait un jour connaître ; lentement cet embryon fondateur développa ses ramifications dans l’esprit, touchant l’instinct, les émotions, et enfin la raison.

La marque de mort imprimée par le sang sur la cotte de maille de Therion lui brûlait maintenant la fourrure, et le tira de sa contemplation. Combien de temps avait-il encore laissé filer dans cette caverne humide qui lui faisait perdre toute mesure ? Sûrement trop. La lame était ce que le mage désirait, et cela ne faisait aucun doute : il fallait maintenir agir, et agir vite. En être arrivé là, avoir traversé un rêve et ses dangers pour finalement périr noyé, comme un vulgaire renard pris dans son terrier par une brusque crue, voilà qui ne pouvait convenir au Liykor. Jaugeant la stalactite toujours dans sa main, il en assena un grand coup sur ce qui semblait protéger l’objet de sa quête pour la Compagnie du Serpent Noir. La concrétion calcaire vola en mille minuscules éclats, dont certains se fichèrent dans les muscles thoraciques de Therion, vicieux comme des insectes hématophages minéraux ; la force brute s’inclina devant l’immatérielle. Dans le lointain, un grondement se faisait entendre : peut-être ne s’agissait-il que du vent, peut-être était-ce la menace maritime qui se rapprochait à grands rouleaux.

Pressé par les secondes précieuses qui s’égrenaient autant que mû par une intuition impérieuse, Therion tendit sa main vers la garde épurée. A mi chemin de son objectif, il rencontra une résistance semblable à une membrane souple, qu’il sentit se rompre alors qu’il augmentait la force de son mouvement de progression ; des étincelles sombres jaillirent et dansèrent le long de son bras tandis que tous les poils de sa fourrure se hérissaient à ce contact. Enfin ses doigts se refermèrent sur l’artefact, qu’il amena à lui sans plus d’effort qu’il n’en paraissait nécessaire. L’arme avait la masse que l’on aurait attendue d’un tel instrument de bon acier, assez légère pour être habilement maniée, assez pesante pour que le bretteur en ait pleinement conscience au bout de ses bras. Sous elle reposait un fourreau de cuir noir, dont le Liykor s’empara sans mal, la protection magique ayant disparu, et dans lequel il glissa la lame pour mieux la transporter, craignant de se blesser sur le tranchant s’il était à nouveau contraint à la reptation.

Les obstacles s’avérèrent bien réels, et ce qui dans le rêve de l’aller appartenait au monde végétal trouvait ici son pendant minéral. L’océan et les organismes le peuplant avaient dressés des forêts de pierre, des buissons de corail, une végétation acérée, taillés dans le sol des creux et des pleins plus dangereux que de simple talus, recouverts de la même nappe d’eau saumâtre, mais parfois assez profonds pour noyer un homme, parfois trop peu pour lui tremper les chevilles. Eperonné par une peur nouvelle et le bruit toujours plus proche des vagues battant la roche, Therion courait, déployant ses forces et des trésors d’équilibre pour regagner la sortie, guidé par son instinct pour refaire pleinement conscient, dans le sens inverse, un chemin qu’il avait effectué plongé dans un état second. Par deux fois il se trouva face à un cul de sac. Quand enfin il se dressa dans la salle où tout avait basculé, de l’eau lui battait les pattes antérieures, cascadant du conduit dans lequel il ne tarda pas à se mettre à ramper. Malgré le sel qui lui piquait les yeux, lui brûlait la gorge et les narines, malgré les passages réguliers où il devait progresser en apnée, et reprendre son souffle dans une poche d’air ménagée dans le haut du tunnel, malgré les nouvelles écorchures et les élancements des anciennes, Therion retrouva enfin l’air libre, pour constater qu’il lui faudrait quitter au pas de course la crique.

Soulagé et inquiet à la fois de voir la nuit déjà là, soulagé de ne pas imposer à ses yeux fragiles la lumière du jour, il remonta la plage de sable noir en pataugeant d’abord, puis en retrouvant un sol ferme et égal. Alors qu’il remontait le sentier qui le conduirait en haut de la falaise, la faim se manifesta à nouveau, la fatigue tomba sur ses épaules comme un fardeau. L’odeur de viande grillée et des feux de bois lui donnait cependant suffisamment de cœur au ventre pour fournir un dernier effort, qu’un concert d’exclamation couronna lorsqu’il émergea des ténèbres pour se joindre à la troupe.

Après qu’on l’ait laissé boire de tout son saoul pour ôter le goût marin qui souillait sa bouche, et manger ses rations de viande, ainsi que la part de certains autres –des grognements s’élevèrent face à cette pratique, que Vrugor fit traire d’un geste du poing – des comptes furent demandés au survivant de l’épreuve de la grotte, interrogatoire mené par le mage Dreamar, avide qu’il était de connaître tous les détails pour enrichir les savoirs occultes des partisans d’Oaxaca dès son retour à Omyre. Il fut particulièrement intéressé par le récit du rêve de Therion, et par la statue qu’il avait trouvée à ses pieds à l’issue du combat.

« Rien d’autre ne protégeait la lame ? »

« Il y avait… comme un… un tissu… de la peau. J’ai forcé, et traversé cette peau. Il y avait de petits éclairs noirs. Et j’ai senti la mort. »

« La mort… Une protection magique… Je serais curieux de savoir si elle est liée à l’arme ou au lieu où celle-ci a été dissimulée… Pourrais-tu donner la lame à ce Garzok ? »

Therion remit l’épée dans son fourreau, dont il l’avait tiré pour la montrer à tous, le saisit et tendit la garde au Garzok désigné par le mage, celui-là même qui avait mouillé son pantalon sur la plage et qui en gardait d’ailleurs une forte odeur d’urine. Tout se déroula très vite : à peine eut-il saisi la poignée offerte qu’un éclair noir en jaillit accompagné d’un grondement de mauvaise augure et d’un souffle qui coucha un instant les flammes des feux de camp. La seconde suivante, le soldat se roulait par terre, serrant de sa main gauche la droite qui avait l’allure d’un membre nécrosé.

« Amputez-le ! Amputez-le immédiatement ! »

Vrugor sectionna d’un violent coup d’épée la main touchée, mettant ainsi fin aux cris de son subordonné qui tourna de l’œil, tandis que ses camarades tentaient tant bien que mal d’interrompre l’hémorragie à l’aide d’un garrot et de bandages de fortune.

« Visiblement, n’importe qui ne pouvait pas s’emparer de cette arme… Les choix des Dieux sont décidément bien étranges Therion… J’ignore si cette protection est inhérente à l’arme ou n’est qu’un résidu de ce que tu as dû affronter… en rêvant. Et je ne pense pas que nous ferons des expériences à ce sujet pour l’heure. Cette mission nous a déjà coûté trop de soldats. Mais une fois à Omyre, nous reconsidèrerons la question du porteur de cet artefact ô combien précieux pour notre cause. En attendant, tu feras un bon porteur. Ton collier nous assure au moins ta fidélité. Vrugor, nous dormirons ici et repartirons demain. »

« Si nous repartions maintenant, nous aurions une chance de sauver ce soldat ! »

« Je suis fatigué, et je tiens à me reposer. Si un Dieu veut bien le prendre en sa pitié, tant mieux pour lui, sinon, il rejoindra sous peu Phaïtos, ce qui lui épargnera sans doute bien des souffrances futures… »


Retour vers Omyre : premier jour

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La faim chasse le loup du bois...


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 Sujet du message: Re: La crique de la Terreur
MessagePosté: Dim 29 Mai 2016 15:29 
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Le Gentâme sembla mener la petite fille en évitant les dangers. Alors qu'en principe, dans cette région, le nombre de mercenaires, brigands et bandits était important, ils n'en rencontrèrent aucun. Autour d'eux, tandis qu'ils avançaient à la suite de la pâle figure de l'encapuchonné, tout était immobile. Il n'y avait pas un bruissement de vent dans les hautes herbes qui les entourait, aucun animal furetant au bord du chemin, pas même un insecte, rien. Aucun mouvement. Yurlungur elle-même était étonnée de cette léthargie de la nature là où ils passaient, d'autant qu'elle voyait bien, avant qu'ils n'y arrivent, que la prairie remuait doucement sous un vent venant de la mer.

Le chemin, peut-être à grâce à cet étrange phénomène, se révéla bien court. Montant sur une dernière colline, derrière elle se découvrit la fin du chemin, avançant jusqu'à une petite plage dans l'une des innombrables criques qui entouraient la cité des pirates. Mais ce n'était pas une plage ordinaire. Le sable était noir, d'un noir sombre et profond, uniforme sur toute la longueur de la crique. Pas une seule nuance ne venait atténuer cette pureté ténébreuse, si ce n'était l'éclat presque bleu de la mer qui s'écrasait en vagues discrètes sur la plage.

« La marée va descendre pendant encore une bonne heure, indiqua le Gentâme, puis elle remontera. Il te restera alors deux heures pour ressortir de la grotte qui se trouve là-bas, sinon tu te retrouveras bloquée. »

Après avoir livré ces informations et désigné ladite grotte, il disparut sans donner davantage de renseignements. Yurlungur soupira mais répondit toutefois :

« Merci. »

Il y avait quelque chose d'anormal dans cette crique. Elle ne parvenait pas à dire si c'était la couleur du sable, l'obscurité de la grotte ou autre chose, mais les battements de son cœur s'étaient à nouveau accélérés à un rythme inhabituel. (Tu vas pas flancher maintenant, rho... T'es même pas entrée dans la grotte.) (Ouais, ce serait dommage.) renchérit Papillon. Elle grommela et, fermant les yeux pour se concentrer sur cette discussion intérieure, elle demanda d'un ton énervé : (Parce que vous pouvez me parler tous les deux dans la tête, maintenant ?) (Ben oui.) (Je ne te l'avais pas dit ? Au temps pour moi.)

Elle eut un sourire ironique en tournant la tête vers Papillon avant de la retourner vers la plage. Elle n'avait pas grand-chose d'autre à lui demander, après tout. Essayant de calmer ce qui ressemblait à une angoisse de l'eau, elle tenta de se convaincre que, de toute façon, elle n'allait pas essayer de nager. Certes, elle avait failli mourir noyée dans les égouts de Dahràm, mais ça remontait à plusieurs semaines, maintenant, et elle n'avait jamais été aussi anxieuse à l'idée de s'approcher ainsi d'une simple plage... Ce n'était pas raisonnable.

Elle chassa catégoriquement cette crainte idiote et avança d'un pas décidé. Mais, lorsqu'elle parvint à se tenir face à la petite grotte entièrement sombre, les pieds légèrement enfoncés dans le sable, sa frayeur revint au triple galop. Il y avait quelque chose de sinistre qui émanait de cette caverne. On aurait dit qu'elle relâchait sur le monde des exhalaisons de mort et de terreur, exhalaisons aussi surnaturelle qu'une grotte avec une volonté. C'était tout bonnement impossible que ce soit réel. Elle devait se faire des idées. Suffisait-il donc qu'un Gentâme lui dise que c'était une crique prétendue de la terreur pour qu'elle prenne peur ? Ce n'était qu'un défi. Entrer à l'intérieur et... ce serait bon, non ? Il n'avait pas précisé ce qu'elle devait faire. Mais ce n'était sûrement que psychologique.

Raffermie par cette considération, elle tenta vainement de balayer la trouille qu'elle avait devant la cavité. Malgré tout, elle avança d'un pas lent et mesuré, mais régulier. Puis, après quelques instants, elle disparut dans l'ombre de la grotte. Elle s'arrêta immédiatement. Elle ne voyait plus rien. Ses yeux ne percevaient plus aucune lumière et, malgré son habitude de se promener de nuit dans des coins sombres, elle ne parvenait même pas à déceler ne serait-ce qu'une once de clarté. Tendant son bras sur le côté, celui-ci finit par trouver la paroi froide et dure de la grotte.

Ses peurs les plus anciennes lui revinrent tandis qu'elle faisait un premier pas en avant, suivant de sa main droite la roche qui frissonnait sous ses doigts. À moins que ce n'aient été les doigts ? Elle ne savait plus. Mais ce noir lui faisait peur. Elle y voyait des monstres imaginaires, aux longues tentacules avides de chair fraîche, au dents longues et sanglantes, aux yeux sombres et méchants. Elle restait là, tétanisée, à les voir bouger dans l'ombre, se faufilant et se préparant à l'attraper, à venir la manger, l'emporter dans leur tanière au bout de la nuit.

Mais elle n'était plus la petite fille fragile de son enfance. Elle se souvint de son père, qui lui avait appris à se battre à la dague. Lorsque l'un des monstres tenta de bondir sur elle, il vint s'embrocher sur le poignard et partit en fumée. Reprenant courage, Yurlungur vint taillader les autres, qui furent de même changés en une brume opaque se fondant dans les ténèbres. Elle soupira d'aise. Mais ce n'était sûrement que sa peur la plus facile à vaincre. Une peur trop ancienne pour être encore crue... Elle entendit l'Autre la féliciter mais n'en fut pas surprise. D'habitude, c'était elle qui affrontait ce genre de problèmes... mais pas ce jour-là.

Elle fit quelques pas en avant. Dans l'ombre, des choses bougeaient, elle le sentait, mais elle ne s'arrêta pas. Son esprit était pleinement sondé, traversé de part en part par la force surnaturelle qui habitait la grotte. Elle cherchait, elle cherchait dans l'esprit de la fillette ce qu'il fallait pour l'effrayer et, comble de la perversion, elle la laissait être consciente de cette étude de son esprit.

Finalement, la scrutation cessa. (Fais attention.) Elle hocha la tête et continua de suivre la paroi de la caverne, quand soudain, une lumière apparut devant elle. Elle plissa les yeux. C'était étrange... Un homme, en plein milieu de cette scène, se tenait à genoux, la tête baissée et les bras ballants. Il titubait vaguement, d'un côté sur l'autre. On aurait dit qu'il était ivre. Une inquiétude sourde se mit à croître chez la fillette. Cette sensation de déjà-vu...

Le rai de lumière s'élargit et laissa apparaître devant l'homme au sol deux autres personnages qui le fixaient, des dagues dans leurs mains. Enroulés dans des capes sombres, leurs capuchons cachaient leurs visages sous cette lumière vacillante. Soudain, l'un d'eux leva une arme. C'était un vulgaire poignard, qui brilla à l'instant fatidique d'un faible éclat. Tandis que l'arme s'abaissait, la clarté diminuait mais la peur saisissait la fillette. Cette scène... Cette scène... Elle la connaissait. C'était son père qui était là, agenouillé devant les deux autres, attendant avec dépit sa mort. Elle ne pouvait pas... Elle ne pouvait pas laisser cela arriver une seconde fois. Des larmes coulèrent sur ses joues et elle se releva pour se précipiter sur les deux hommes. Mais il n'y avait plus que l'obscurité. Son père était parti, encore.

Elle hurla de rage, elle hurla à cette peur qui l'avait tétanisée, qui l'avait empêché de réagir, de protéger son père. Elle hurla en même temps que l'Autre, elles hurlaient d'une même voix dans la grotte et leur cri se perdit dans les entrailles de la terre. Cela dura quelques minutes puis, haletante, harassée, elle se laissa tomber elle-même à genoux au sol, prenant exactement la même position que son père, au même endroit. À nouveau, la lumière revint autour d'elle. Elle attendit, calmant à nouveau sa respiration. Les deux silhouettes encapuchonnées apparurent devant elle. L'une d'elle leva son bras, mais elle fut plus rapide, poussée par l'Autre. Elle plongea sur lui, le traversant tandis qu'il partait lui aussi en fumée. La lueur disparut instantanément, laissant la petite fille seule. L'Autre venait de lui ordonner de se défendre, de se protéger, et elle n'avait pas pu faire autrement que l'écouter... Mais serait-elle encore vivante si l'Autre n'avait pas été là ?

Yurlungur se releva avec difficulté. Son visage s'était décomposé, à présent recouvert de larmes. Elle était donc capable de sauver sa propre vie, mais pas celle d'un proche... Le doute s'insinua dans sa tête. Elle prit peut du doute même. Était-elle seulement capable de quoi que ce soit seule ? Toujours, l'Autre avait été présente pour la faire progresser... Sinon, elle s'était toujours montrée médiocre, que ce soit pour le maniement de la dague ou l'apprentissage de ses leçons. Elle avait même trahi Liniel en laissant l'Autre suivre ses enseignements... elle-même n'avait rien appris. Elle n'avait rien fait, si ce n'était que fuir, fuir toujours devant le danger.

Ses jambes flageolaient. Elle n'était plus sûre de rien et des sanglots continuaient de secouer son corps entier. Qu'avait-elle fait, elle-même ? Elle n'avait toujours que pris peur et maintenant, elle avait peur d'être découverte. Elle avait peur de l'attention que le monde lui portait, que ce soit Liniel, Calua ou ce Gentâme. Tous croyaient en elle, mais elle n'était capable de rien...

(Et ce sanglier, que tu as tué ce matin ?)

(Tu m'as aidée, ne le nie pas.)

Elle était consciente que, parfois, l'Autre agissait sur certains de ses muscles pour l'aider dans des situations difficiles. Elle sentait d'ailleurs en ce moment même cette âme sœur tenter de la garder debout, contractant les muscles de ses jambes malgré son propre relâchement.

(Je t'ai aidée, certes, mais tu as fait le principal. Je n'ai presque pas eu à agir.)

Elle ne trouva rien à y répondre. Mais son pessimisme n'allait pas s'avouer vaincu si vite. Le visage défait, elle avançait en tremblant légèrement, essayant de chasser de son esprit les futiles encouragements de l'Autre. Elle valait ce qu'elle valait, point. C'est-à-dire pas grand-chose.

Soudain, elle trébucha sur un morceau de roc qui émergeait du sable et s'étala sur le sol, les bras en avant. D'autres petits pics pointus vinrent taillader ses bras, certains de ses pansements se détachèrent et tombèrent au sol. Une goutte perla sur son visage.

« À quoi bon... »

Une faible lumière apparut devant elle. Ce n'était rien, au début, elle ne le remarqua même pas, mais elle croissait petit à petit, venant emplir l'espace et dévoiler une présence autre. Yurlungur releva des yeux rouges, encore allongée. Devant elle se tenait un homme, à la face cachée sous une cape noire comme la nuit. Il était grand, gigantesque même, mais restait d'une finesse remarquable. Il s'étendait, fil obscur dans cette étrange clarté, ses deux yeux rivés sur Yurlungur. Elle le savait, bien que ceux-ci soient cachés sous la cape : l'homme l'observait de là-haut. Et, dans des mains squelettiques, il tenait une faux. Une faux terrible, grandiose et terrifiante, une faux au métal sombre et luisant, aux courbes parfaites et au tranchant affilé. À l'intérieur, l'Autre tremblait et se débattait dans sa prison mentale.

(Refuse ! Refuse !)

Yurlungur ne comprenait pas ces cris de rage. Elle se leva et, toute tremblante et sanglotante, étendit les bras de chaque côté en attente de la sentence de la mort elle-même. La faux se leva, la petite fille trembla d'autant plus.

(Fuis ! Ne reste pas là ! Réagis ! Ne meurs pas !)

Ces conseils étaient inutiles. Yurlungur avait peur de la mort, mais moins que l'Autre. Elle attendait, patiente. N'était-ce pas le plus beau présent qu'elle puisse faire à Phaïtos, l'offre de sa propre vie ? C'était un petit sourire qui apparaissait progressivement sur son visage tandis que la faux s'élevait, de plus en plus lentement. Bientôt, elle allait s'arrêter. Puis tomber sur elle. Soudain, lorsque l'arme vint la transpercer, tout devint noir.

***

De douces vaguelettes vinrent lécher le visage de la fillette. Elle marmonna quelques mots indistincts et chuta à nouveau dans sa lente torpeur. Mais l'eau salée revint, plus forte, et envahit les narines délicates. Soudain, ses yeux s'ouvrirent, elle manqua de s'étouffer en se relevant et le liquide salé finit par être recraché à moitié par une Yurlungur qui se relevait en sursaut. Faisant quelques pas en arrière, elle s'éloigna de la mer qui s'étendait et, se réveillant à peine, regarda autour d'elle.

La plage n'avait pas changé. Elle se trouvait à quelques mètres seulement de l'entrée de la grotte, mais plus rien n'en émanait. Aucune sensation de terreur. Rien qui ne la repousse. Tout était parti. C'était presque une sympathie naturelle qu'elle avait maintenant pour cet endroit. C'était une jolie plage, après tout. Et il était peu probable qu'elle soit dérangée si jamais elle venait se baigner par ici.

Elle sourit à la mer, à la terre, au vent et à l'air comme à l'astre solaire. Et soudain, le Gentâme apparut devant elle.

« Ah. C'est toi. »

Elle continuait à sourire, pas le moins du monde impressionnée par cette apparition.

« Tu as réussi l'épreuve. Ta Faera peut revenir désormais. »

Il claqua des doigts et, quelques instants plus tard, Papillon apparut aux côtés de la petite fille, l'air affolé.

« Eh bien ! C'est à croire que je ne t'ai pas manqué ! s'insurgea-t-il. Tu es partie, comme ça, quand soudain le Gentâme m'a retenu et tu ne t'en es même pas rendue compte ! Non mais je rêve ! »

« Tu devais passer cette épreuve seule, or il t'avait aidé la dernière fois... Mais Phaïtos t'a reconnue comme l'une de ses fidèles, annonça le Gentâme. Sur ce... »

« Attendez, demanda Yurlungur. Je ne vous ai pas posé beaucoup de questions et je m'en voudrais de vous laisser repartir affaibli comme ça. Je n'en ai qu'une seule : où se trouve le Castel Enulcrad ? »

Était-ce un sourire qu'elle crut déceler chez le serviteur de son Dieu ? Ce dernier répondit, lui indiqua la direction et les sentiers à suivre. Elle le remercia, verbalement et avec l'énergie qu'elle lui donna, de bon cœur ; il disparut. Et elle s'en fut, droit vers ledit castel. Et auréolée d'une gloire invisible mais puissante : celle d'avoir plu à un Dieu.

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