Cachot de la milice
-Oh! T'es toujours vivant?
-Hum...
Vectelion ouvrit un oeil, adossé aux pierres de sa cellule. Enchaîné depuis quatre jours, son voyage avait été plus long que prévu. En vérité, il pensait s'arrêter sur la case "mort", mais sa cible devenue geôlier en avait décidé autrement. Après un gros barouf d'échanges de yus, et quelques baffes, Vectelion fut tout simplement confié aux autorités de la ville. Délesté de son armement, de son chapeau et de sa cape, il se sentait plus normal que jamais. Ses lunettes s'étaient perdues dans sa fuite, c'était comme s'il lui manquait une partie de lui-même. Mais au fond de lui planait cette noirceur qui lui imposait un silence presque digne, un fardeau bien pesant.
-Oh, les gardiens s'intéressent à toi visiblement, murmura son compagnon.
Laspher habitait cette charmante cellule bien avant l'arrivée de Vectelion, en vérité il attendait simplement son jugement. A Dahràm la hache du bourreau est aiguisée chaque matin, les arbalétriers levés à l'aube pour les exécutions collectives.
La serrure du cachot grinça, lourde porte d'acier donnant sur quelques mètres carrés d'espace, munie d'un trou unique et d'une meurtrière... au nom tellement inspirant. Un garde aux couleurs de la milice, moustache touffue, entra d'un pas pesant et brailla haut et fort:
-Vectelion!... C'est lequel d'entre vous?
A l'appel, Vec leva le bras dans le cliquetis de ses chaînes:
-Présent, marmonna-t-il.
-On t'emmène!
Sans en dire plus, deux de ses camarades le remirent sur pieds, éveillant la douleur de quelques contusions encore sensibles. Alors on y était, hache ou pas hache? Laspher pouffa de rire dans son dos:
-T'es là depuis moins longtemps que moi et déjà la mort t'invite à danser? Je suis jaloux. Il interpela les geôliers: vous me tuez quand moi? Je suis arrivé le premier, alors premier servi!
Et il conclut sa tirade en déblatérant une marée d'insultes sur un air désabusé. Le sourire au coin des lèvres, Vectelion entendit le garde lui flanquer une raclée pour le faire taire:
-Aie! Faut frapper plus fort! Lança-t-il par dessus les coups.
(Cette ville abrite un filon de tarés) -Frappez plus fort il vous dit! Se permit de rajouter Vectelion, attisant légèrement la colère du militaire.
On le poussa avec plus de force dans le couloir afin de l'éloigner de Laspher, dont la correction prenait un sale goût. Les insultes avaient laissés place aux bruits étouffés que provoque un coup dans le ventre ou dans la mâchoire...
Sur une quinzaine de mètres, des portes identiques: une petite prison pour délinquants, meurtriers, voleurs, vermine... attendant sagement le relâchement de leur peine, ou le relâchement de leur vie.
La cheville douloureuse, Vectelion gardait le silence et obéit promptement aux ordres donnés, n'inspirant aucune crainte envers l'autorité de Dahàm. Ainsi il se retrouva assis dans une pièce qui suivait quelques interceptions de couloirs courts. Deux chaises craquantes, une table branlante, Vectelion sifflota un air au hasard pour afficher une confiance certaine. Gardé à l'oeil, il fut rejoint après de longues minutes par un gradé de la milice. Armure polie d'un noir de jais, les sangles rouges, c'est un jeune capitaine qui se présenta à Vectelion. Lame au côté, il se posa sans s'assoir face à son ancien qui avait cessé de sifflé, intrigué.
-Vectelion... Vectelion Daguiero.
Vec leva un œil, intéressé:
-Je vous demande pardon, "Daguiero"?
-Ça vous plais à vous aussi, non? Lança le jeune gradé avec un franc sourire. Ce nom vous est-il familier? Non? C'est normal... il est peu connu du grand public.
Il prit quelques secondes de réflexion intérieure, laissant le temps à Vec' d'ajouter un taré à sa liste."Daguiero"? Il avait choisit d'oublier son nom, ce n'était pas pour en être affublé d'un autre... mais il ne dit rien, laissant blablater le gradé:
-Vous ne serez pas exécuté... du moins pas de la main de Dahràm. Votre vie peut valoir son pesant d'or et cette ville apporte beaucoup aux plus téméraires, voilà pourquoi j'ai conclus un marché qui vous donnera quelques jours de plus à vivre... triste n'est-ce pas?
-Vous m'en voyez blessé, lâcha Vec' sans ironie.
-Ah, en toute franchise je ne sais pas ce que mes successeurs, vos prochains maîtres, feront de vous. Mais je ne présage rien de bon... le petit incident qui vous a conduit à moi en échange de quelques pièces et de bons conseils est loin, votre vie ne dépend plus de cela. S'il vous targue cependant de savoir qui vous êtes désormais, hé bien... Daguiero une tête recherchée par la milice d'Omyre, capturée par mes soins il y a quatre jours.
Jamais Vectelion n'avait mit les pieds dans cette cité noire. Il en connaissait bien les histoires et les légendes, mais jamais il n'aurait trouvé un peu de paix dans cette atmosphère si ténébreuse.
-La capture de Daguiero me propulsera vers les sommets tant mérités!
-Qui est Daguiero?
-Je viens de vous le dire, rétorqua le gradé avec sincérité, une tête recherchée. Après tout, je vous offre un souffle de vie grâce à cet échange.
-Que...
L'étincelle s'alluma, il comprit le subterfuge:
-Il existe donc un Daguiero... et je dois mourir à sa place. Votre incompétence vous empêche de le trouver alors vous prenez une marionnette, un mirage. mais qu'adviendra-t-il si le vrai Daguiero réapparaît?
Le jeune homme lâcha un rire forcé:
-C'est bien plus subtil que cela, puisque ce Diaguiero recherché précisément par la milice d'Omyre... est mon frère. Croyez-moi il ne réapparaitra pas.
Vectelion se raidit, incertain. Il essaya de comprendre le stratagème du militaire, ce dernier semblait amusé devant l'incompréhension de son prisonnier:
-Vous n'avez rien à répondre... laissez-moi vous raconter votre mort. Daguiero est un meurtrier en proie à la démence, mais sa ruse est sans limite. Saviez-vous qu'il à intégré l'armée Kendrâne pour en massacrer vingt-quatre soldats, dont deux gradés? Passé pour mort, il n'est pas recherché dans le sud du continent, mais il a réédité son exploit à Omyre même... et là c'est l'une des tours Ouest de la ville qu'il a voulut calciner. Recherché mort... ou mort par l'armée. Ses petits meurtres ne sont même pas mentionnés dans son acte de jugement, il a été condamné à mort une treizième fois après avoir pendu le cadavre d'une des femmes d'un sergent... et le sergent lui-même.
-Mouai... un dément votre frangin.
-Oui, mais comme vous venez de le souligner c'est mon frère, par conséquent je me sens en devoir de le protéger. D'autant plus que je suis le seul sur qu'il n'a jamais levé la main... un fou dans son genre, en période de guerre, croyez-moi qu'il vaut mieux l'avoir dans son camp.
Le jeune homme s'accorda un sourire en s'appuyant sur sa chaise.
-Cela fait neuf années qu'il cour les rues, libre de vagabonder et de tuer... par un simple subterfuge je lui garantie une couverture: si les choses tournent mal, il sait changer de nom, de personnalité, d'attitude... il devient quelqu'un d'autre et laisse la mort à d'autres.
-La dernière phrase me concerne, juste?
-Exact Monsieur Daguiero! Vous n'êtes qu'un maillon de la chaîne, votre vie sacrifiée rallonge celle de mon frère.
Un silence pesant, Vec' était stupéfait même s'il ne faisait rien pour le montrer. Et puis:
-Mais... pourquoi m'avoir raconté tout cela? S'interloqua -t-il pour la première fois.
-Pour que vous savouriez la cause de votre mort, très injuste je le reconnais, dans les pires conditions. Se savoir condamné à la place d'un autre et demeurer impuissant... ça c'est de la souffrance.
-Votre grade assure la "véracité" de vos propos je suppose?
-Qui croirait un fou dans votre genre? Fit-il avec un sourire malin. Un monstre qui a été jusqu'à brûler en entier les quartiers de toute une section, pendant que les soldats dormaient dedans? Vous pouvez hurler la vérité, mais gardez à l'esprit que je me dresse face à vous, votre parole contre celle du brillant Capitaine Voltar.
Il s'arrêta net dans sa phrase:
-J'aime en rajouter, confessa-t-il soudainement. Bref, "nous vous avons capturé dans les rues mêmes de Dahàm et malheureusement vous avez pris quelques coups", conta-t-il doucement.
Vectelion soupira de résignation, il était bel et bien prit au piège. Lui et pas un autre, voilà, il n'y avait vraiment rien à ajouter: sa vie allait prolonger un mensonge.
-Vous savez, je voudrais juste mon manteau et mon chapeau... commença Vec'.
Sans crier gare, le capitaine s'empara de la chaise en bois par le dossier et la fracassa sur le crâne de Vectelion. Renversé, complètement sonné par cette brutale attaque, son visage collait à la pierre glacée, un gout de sang dans la bouche. Le regard flou, il resta immobile.
-Vous partez demain matin, avant l'aube. Le voyage ne sera pas trop long alors profitez-en... c'est le dernier.
Il prit le chemin de la sortie, Vec' l'entendit s'arrêter et se retourner dans son dos:
-Je sais que votre mission première partait d'un contrat, Rowl était votre cible. Les choses se sont emmêlées et vous êtes venu à moi, certes à vos dépends.
Il chercha quelque chose dans sa poche:
-Cependant, sachez que Rowl a été retrouvé poignardé hier soir, c'est lui qui vous avait conduit auprès de moi. Ou devrais-je dire, vous qui me l'aviez amené. Il en va de même pour Ander...
Il lança alors une pièce, un yus symbolique, qui rebondit dans un résonnement:
-Pour votre contribution envers la ville, conclut-il avant de franchir le seuil.
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