Cromax a écrit:
Ello ne semble pas détecter ma présence. Il marche paisiblement, à un rythme pas trop rapide, comme s'il se baladait. L'hypothèse des crottes se dissipe en même temps que le brouillard dis parait petit à petit, sans pour autant s'effacer totalement. Je poursuis ma traque discrète, seul, silencieux. L'épisode de mon intrusion dans le campement orque me revient à l'esprit... Et après coup, je préférais peut-être cette situation là. Au moins je savais ce qui m’attendait. Ici, je ne sais rien. Je suis un étrange enfant dans la brume, dans un paysage totalement inconnu, sur une île qui n'a jamais été visitée. Qui sait quelles créatures se terrent autour de moi, qui sait quels pièges de la nature renferme ce brouillard?
J'avance, sans quitter des yeux le petit humanoïde. Il fait encore sombre, et l'aube n'est pas encore là, mais l'obscurité ne me gêne pas plus que ça. Mes yeux d'elfes percent les ténèbres et je vois la chevelure rousse d'Ello flotter devant moi, agile et souple dans les brumes nocturnes. Toute mon attention est requise pour cette chasse discrète. Je dois toujours le garder en vue, tout en faisant attention où je pose les pieds pour jamais ne faire aucun bruit, aucun son. Même la plainte des cailloux frottant contre la terre ne doit pas exister. Je ne fais donc presque pas attention aux douces ondes qui troublent l'eau du lac, qui semble doucement respirer de sa propre volonté, comme s'il vivait, et qu'il assistait au spectacle d'un elfe gris soigneusement dissimulé qui marche doucement le long de ses berges. Mais pour cette immense vie faite de silence et d'eau, je suis certainement plus bruyant qu'un nain armé d'un marteau devant un bloc de roche...
J'essaie de me coordonner à son souffle, à sa respiration, marchant au rythme de l'ondée, suivant toujours mon but, sans savoir ce qu'il est... Je n'ai plus aucun mal à suivre Ello désormais. Le brouillard est tombé, et il poursuit sa marche vers l'inconnu, sans se retourner. Inutile maintenant de prendre tant de précautions... S'il le voulait, il me verrait sans aucun souci. Je relâche mon capuchon, laissant ma longue chevelure noire parcourue de fines mèches blanches glisser hors de ma cape, qui s'entrouvre sur l'avant, dévoilant ma cuirasse, mes armes dans leurs fourreaux, et l'éclat doré de la hache d'Andelys, que je tiens toujours à la main, tel un fardeau que je me suis obligé à porter.
Je garde cependant une marche la plus silencieuse possible, car il ne m'entend toujours pas. Inutile de forcer un destin fatal en faisant maintenant, après tant de discrétion, l'erreur qui me perdrait. Je le suis toujours, jusqu'à voir apparaître au loin une lueur, une lumière rougeoyante, telle un feu de camp, un bûcher incandescent... La curiosité reprend le dessus et mille doutes et interrogations envahissent mon esprit... Qui sont ces gens? Quel est ce camp? Telles sont les questions que je me pose à présent... Ello a-t-il une famille, est-il unique? Tant de problèmes sans réponses, tant de vaines pensées qui sassent et ressassent dans ma tête.
Je marche toujours au rythme de la respiration... Mais ce n'est plu l'ondée du la paisible qui cadence lentement ma marche. Sans m'en être volontairement rendu compte, j'ai remplacé l'eau par l'air, qui arrive vers moi par intervalles régulier. La respiration de la montagne, avec sa touche de fraîcheur, venue droit des neiges éternelles des hauteurs magnifiques. Une touche plus chaleureuse me parvient également, agréable, réconfortante, comme la promesse du soleil qui marquerait bientôt le point du jour.
Ello continue sa route vers les flammes, vers le foyer. Je le suis, de plus en plus perturbé par cette forme enflammée qui se cesse de grandir à notre approche. Nous nous approchons, toujours plus près. Et le feu semble toujours plus grand. Il en devient bientôt immense à ma vue.
(Cela est-il possible? Ma vue me joue-t-elle des tours?)
Un tel âtre chaleureux au milieu d'une montagne ne peut signifier qu'un incendie, mais un incendie de quoi? Toutes les hypothèses qui me viennent à l'esprit sont aussitôt effacées par manque de réalisme. Aucune explication ne me semble plausible, et pourtant, le feu est bien là, immense, colossal. Ello en semble attiré comme une luciole le serait par le soleil... Et cet air mêlé de froid et de chaleur qui s'intensifie à mon approche.
Mais en avançant, ma vue se précise, et la forme du feu devient plus nette. Cette chaleur abondante et cette lumière chaleureuse n'est ni feu ni flamme. Ce n'est pas la lave qui se trouve là, ce n'est pas des cendres incandescentes. Une forme précise se dessine sur mes rétines, qui sous le choc de la surprise, se colorent d'un rouge flamboyant. Nulle colère en moi, nulle peur... Mon esprit est possédé par ce que je vois. Une vieille connaissance vient d'accueillir Ello dans la chaleur réconfortante de sa longue queue... Les souvenirs remontent à la surface sans que je puisse en contrôler le flux. Le feu, la lave.
°°L'enfer surgit de mes pensées. La mort fait surface et je nous revois, échappant à une coulée ardente faite de braises et de boue noirâtre. Au milieu d'un cataclysme, surmontés par sa terreur, sa puissance. Nous étions faibles, nous étions insouciants, mais nous sommes pour la plupart toujours vivants! Un maître du feu se tient là couché, alors que je suis estomaqué par ce que je vois. Le dragon, notre vieil ennemi, celui qui a failli terminer ma vie. C'est comme si je le voyais encore tournoyer au dessus de ma tête, semblant flotter dans le ciel, remuant ses anneaux flamboyants.°°
La folie s'empare de mon esprit. Plus rien ne compte. Je m'arrête, contemplant sans rien pouvoir faire la bête assoupie. Je suis immobile, je ne bouge plus. Je ne ressens plus rien. J'ai l'impression d'être seul face à un cauchemar, face à un rêve. Une perfection maléfique si belle et si terrible, qui semble dormir si paisiblement à l'ombre d'un rocher. Mon regard se porte sur le rocher en question, immense lui aussi.
...
Je tombe à genoux sur le sol, laissant s'échapper de mes lèvres un soupir sonore. C'est comme si mille flèches m'avaient transpercées en même temps, tout en épargnant ma vie. Nulle douleur, nulle sensation, même plus celle d'être vivant. La lueur rougeoyante de mes yeux est d'une telle intensité qu'elle semble éclairer mon visage de pierre telle des flammes de l'Enfer. Car ce n'est pas un rocher qui est là, ce n'est pas un roc. Aux côtés de l'être fantastique de feu se trouve un autre vieil ami... Là aussi des souvenirs confus s'entremêlent dans mon esprit.
°°La montagne, la neige, la nuit. Des bruits de combat qui raisonnent dans mon crâne. Puis soudain comme un éclair, une flèche qui file d'un trait. Puis plus rien, l'obscurité, l'ombre, un cri, un rugissement qui me retourne l'âme. C'est mon esprit qui déraille. Mes yeux s'ouvrent à nouveau, leur lueur plus vive encore qu'avant. L'être magique qui dort là est le dragon de Glace, la merveille blessée par Seldell...°°
S'il est un dieu qui veille sur ce continent et à qui je donnerais mon âme, le voici sous deux formes... la glace, le feu. Avec difficulté, et toujours sans la moindre volonté propre de ma part, une pression dans mes jambes me fait me relever. Ils ne m'ont toujours pas vu, mais mon corps est comme attiré par eux, et ne peut se résigner à faire demi-tour. Mes pas, toujours aussi silencieux, bien que ce soit désormais futile, et involontaire, me font avancer doucement, tel un automate non maître de ses mouvements. Mes yeux rugissent de leur couleur vive qui ressemble à deux brasiers que rien ne peut éteindre. Les images défilent encore dans mon esprit, sans que je puisse en comprendre la logique.
°°Les deux dragons sont allongés l'un à côté de l'autre, l'un contre l'autre, et bientôt, les formes se modifient, changent. Le dragon de glace devient un homme à l'armure de cristal, aux cheveux noirs et à la peau pâle. Lillith repose contre le feu, contre la chaleur. Le dragon de feu se change en elfe à la peau grise comme le métal, qui rougeoie presque de sa chaleur intense. Je me vois contre Lillith, enlacés à jamais dans une union de nos deux corps, une fusion du froid et du chaud, de la glace et du feu...°°
Mes yeux s'ouvrent à nouveau. Les dragons n'ont pas bougés. Je gémis, je ne contrôle plus rien. De mon regard écarlate s'échappent des larmes. Mais ce sont des larmes de sang, qui laissent des longues traînées rouges sur mes pommettes et sur mes joues. Le sang coule, comme à chaque fois que mon regard s'allume de braises incandescentes. Mais cette fois, ce n'est pas la haine qui a créé ça, ce n'est pas la colère. C'est la folie qui m'envahit, et je suis ici mon seul ennemi. Aucun rival pour en faire couler le sang afin de me dédouaner de ce regard flamboyant, je suis mon seul ennemi, et je saigne. C'est mon sang qui coule, doucement, alors que je pleure...
Je m'approche encore, je sais qu'ils m'ont vus, je sais qu'ils connaissent ma présence. Je m'approche jusqu'à ressentir leur souffle contre ma peau. Cet air semble traverser ma cuirasse, transpercer ma peau et mes chairs, pour glacer mes os et les brûler. Mes yeux pleurent toujours le sang de mon corps, et ma voix retentit hors de ma bouche, sans que je puisse en contrôler le flux des paroles. Ma gorge semble saigner aussi, et ma bave rouge dégouline sur mes lèvres alors que je parle avec une voix qui m'est inconnue, tendant à deux mains la hache dorée d'Andelys, telle servie sur un présentoir, un plateau...
« Âmes qui peuplez ces corps parfaits, recevez ce présent... Il est le plus cher à mon coeur car il fut à celui qui me sauva la vie en périssant... Symboles de force et de puissance, de sagesse et de justice, acceptez à votre côté mon être meurtri... »
Mes mots raisonnent dans l'air, mais ne trouvent aucune répercussion dans ma tête. De nouvelles images apparaissent...
°°Je marche sur un fil, solitaire funambule dans les ténèbres de la nuit. La lune brille doucement au loin, tranchée d'une ombre de cheval noir. Lune, mon étalon, au bout du fil... Ne pas quitter... De part et d'autre du câble tendu, le feu et la glace qui m'envahissent de leurs pouvoirs mortels, qui m'attirent à eux. Je marche tel un somnambule, insouciant de savoir où il va. Et soudain, je chute, je tombe...°°
Je m'effondre sur le sol, laissant tomber la précieuse hache devant moi. Je suis conscient, bien que fou, mais vidé de toute force. Le sang coule de mes yeux et de ma bouche, sans qu'aucun coup ne m'ait été porté. Je sens la vie m'abandonner, ainsi que la raison... Les images reviennent...
°°L'obscurité, uniquement, et moi attaché par un doigt à un câble de métal, flottant au dessus de deux gueules béantes, une rouge orangé, une bleue pâle. Les forces m'abandonnent et je vais lâcher...
Quand soudain...°°
(CROMAX)
Lysis me rattrape, la lumière revient, je suis dans le monde réel. La raison n'est pas en moi, et je suis à genoux devant mes maîtres, devant mes bourreaux et mes dieux. La tête baissée, entièrement soumis à leur colère... Les larmes de sang coulent sur les pierres...