Comme s’il avait craint la brûlure d’un fer chaud, ou encore la froideur d’une lame qui lui aurait transpercé la peau, le barbu vêtu d’une armure d’acier retira vivement sa main à l’approche de la mienne si menue. Du plat de sa main, il avait frappé la table, me déstabilisant du coup et m'obligeant à me reculer. Comme si ce comportement d’évitement ne constituait pas une insulte suffisante à mon égard, il se permit de me menacer de me faire subir les pires tortures, et tout ça juste parce que j’avais tenté de le comprendre, parce que j’avais été sensible à sa lassitude. Mais mon attendrissement à son égard était à présent chose du passé, la petite colérique qui m'habitait venait de se réveiller. Éloignée suffisamment pour ne plus être à la portée de ses mains de guerrier, j’avais bien l’intention de lui dire ma façon de penser.
« Eh ! J’avais seulement essayé d’être aimable, moi ! » Lui criai-je, insultée.
Les deux mains sur les hanches, les sourcils froncés, je le regardai droit dans les yeux avant de poursuivre, sans crier, mais en gardant toutefois une voix ferme et déterminée.
« Si vous effleurer la main constitue un outrage, c’est que vous faites bien pitié, vous n’êtes alors qu’un mal-aimé qui ne connaîtra jamais le bonheur et l’amitié. »Je m’arrêtai le temps de reprendre mon souffle et j’enchaînai :
« Si la bonté vous fait peur, et bien, craignez-moi, car j’en déborde ! »Même si ces paroles reflétaient la vérité, ma voix forte et mon attitude agressive, signe de ma colère, indiquaient pourtant tout le contraire.
Je venais à peine de fermer la bouche que la porte s’ouvrit, laissant entrer l’inquiétante dame aux comportements étranges. Dès que je la vis, mes yeux se posèrent sur ses vêtements qui étaient maculés de sang.
(Que s’est-il passé ? Qu’a-t-elle encore fait ?)Mes yeux rivés sur ses vêtements, les pires craintes pouvaient se lire sur mon visage. Inquiète, je ne savais plus quoi penser de cette dame. La toute première fois que je l’avais vu, elle ne cessait de se comporter d’une façon pour le moins anormale. Aux premiers abords, dans le couloir, avec ses yeux rougis d’avoir trop pleuré, elle semblait nerveuse et aussi craintive qu’une inoffensive petite souris prise dans les serres d’un redoutable aigle. C’est à ce moment que je m’étais donné la mission de la protéger. Puis, après l’arrivée du geôlier, après la réaction trop impulsive de l’elfe à la chevelure rose, elle l’avait enjoint au silence en lui flaquant un violent un coup de coude dans l’estomac. Puis enfin, dans la grande salle remplie d’armes toutes démesurément trop grandes, Eiko en colère, l’avait accusé de tenter de mettre le feu. Elle n’était plus une jeune fille peureuse, mais une dame sûre d’elle. Mes doutes sur sa santé mentale s’étaient confirmés lorsque je la vis se dévêtir de ses haillons pour ne conserver que ces élégantes bottes.
Je n’eus même pas le temps de lui demander ce qui s’était passé, qu’elle s’empressa de me fournir maintes explications. Je me désintéressai vite du garde pour écouter avidement le discours de la dame. Après s’être rassurée de mon état de santé, elle me révéla qu’Eiko était un traître qui avait volontairement fermé la porte derrière moi afin de me piéger. Alors que je me battais avec les squelettes, les occupants de la salle adjacente n’étaient pas restés inactifs. Eiko avait tenté de tuer la dame à la resplendissante chevelure noire, mais in extrémis, Maelan l’avait sauvé grâce à une flèche bien placée. Puis elle parla du corps de l’homme qui s’était soudainement évaporé. Pour terminer, elle déclara que Maelan, sous l’emprise d’une voix intérieure avait tenté de mettre fin à ses jours.
Je ne savais plus qui croire. J’étais certes de nature naïve, mais l’étais-je au point de ne pas avoir vu le double jeu de ce jeune homme qui avait été très aimable avec moi et qui avait risqué sa vie pour ne pas divulguer ma présence dans son dos ? Et cet elfe tatoué au visage, il n’avait pas fait le serment de me protéger ? Mais d’un autre côté, le sang, encore tout frais sur les vêtements de la dame était plus que réel et la flèche qu’elle brandissait ne pouvait qu’appartenir à Maelan. À part moi, il semblait le seul archer du groupe. De plus, cette flèche s’apparentait à celle qu’il avait lancée pour décapiter le squelette. Pas de doutes, elle appartenait à Maelan. Mais alors, ce jeune elfe trop nerveux avait dû perdre la raison, envouté par cet être nommé le marionnettiste.
La flèche sur la table, la dame s’était désintéressée de moi, et s’adressait à l’homme balafré. Je la laissai donc à ses nouvelles préoccupations et descendis de la table, chose beaucoup plus facile qu’à la montée, puisqu’il me suffisait de faire un petit saut sur la chaise et un second sur le sol.
Perturbée, par ce qu’on venait de me raconter, je me déplaçais aussi rapidement que je le pouvais au travers des débris répandus sur le plancher. C’est moi qui avais fourni à Maelan l’arme du crime, j’étais donc complice de ce meurtre. Je devais donc aller le retrouver et tenter de le raisonner.
Je me rendis donc à la porte laissée ouverte et je franchis le seuil en m’écriant :
« Maelan, vous allez bien ? »