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Ce fut non sans un certain satisfaisant soulagement que je vis le chef de la sécurité manquer de s’étaler par terre alors qu’il se retourna finalement vers moi. Il ne dut son maintien d’équilibre qu’à un réflexe in-extremis de survie lui permettant de se raccrocher prestement à son bureau. La scène ne manquait pas d’un côté burlesque, que je mis vite de côté pour préserver une mine sévère et fermée. Je ne savais toujours rien de ses intentions à mon égard, et j’étais resté sans bouger, à l’encontre son conseil. Le toisant sans réagir, je le regardai donc misérablement se relever pour, le regard dressé vers moi, non sans une étincelle d’incompréhension sur ce qui venait de se passer, s’approcher de ma personne. Apparemment, l’attrait d’un renseignement sur Valaï avait fait mouche, et toutes mes précautions sur la probabilité qu’il m’attaque s’étaient révélées vaines. Une sécurité, un filet de rattrapage. Ce n’était pas rien.
Visiblement, plusieurs personnes avaient déjà tenté de pénétrer le bâtiment en usant d’une pareille excuse, fallacieuse, par le passé. Mais ses ordres avaient l’air d’être clair, et je me remerciai intérieurement de ce coup de poker, toute personnes présentant une information secrète sur le dirigeant de la cité pouvait être accueilli en de plus hautes instances. Il m’ordonna de le suivre, et nous quittâmes le bureau de sécurité pour nous retrouver dans le grand hall d’entrée, toujours surveillé par sa gardienne aux glandes mammaires tinesques. Cette dernière, alors que nous passâmes à côté de son office, nous reluqua par-dessus ses binocles jusqu’à ce que nous ayons atteint une porte coulissante toute en métal, qui s’ouvrirent instantanément, et automatiquement, lorsque le dénommé Allan appuya sur une sorte de bouton fléché. La pièce qu’elle révéla était petite, exigüe, même. Comme une cellule d’un donjon, fort bien protégée, vu les portes métalliques. Je levai un sourcil, mais voyant mon guide y entrer sans attendre, je l’y suivis sans hésitation, de peur de paraitre étranger à cette nouvelle technologie. Dans le débarras, placard démeublé et dépourvu de toute décoration ou objets, il n’y avait qu’un mur décoré de petites touches numérotées. Il appuyé sur l’une d’elles, et un curieux sentiment s’empara de moi. Comme si mes organes avaient tout d’un coup décidé de se diriger vers le bas de mon corps. Je ne pus retenir un plaquage de ma main sur les murs de l’endroit, comme pour me retenir, atterré par cette sensation inconnue, mais je tâchai au mieux de garder une mine fermée.
Lorsque la sensation s’arrêta subitement, un haut-le-cœur me vint aux lèvres, que je retins également du mieux que je le pouvais, alors qu’une sorte de petite clochette retentissait d’un son aigu d’un mono-battement cristallin. Nous n’avions pas prononcé le moindre mot, ni l’un ni l’autre, depuis le départ de son bureau. Et là encore, je le suivis aussi silencieusement que lui vers un décor différent de celui que nous venions de quitter, par la même porte. Ainsi, cette pièce était un moyen de transport. D’ascension, même, posai-je m’hypothèse en me basant sur la hauteur des bâtiments et l’inaptitude des vivants d’ici de gravir autant de marches pour les parcourir. Les portes face auxquelles nous arrivâmes étaient de bois, gravées finement et incrustées de dorures. Pas un donjon, en soi. Ou ils accueillaient sacrément bien leurs prisonniers. Ainsi donc, le gardien en chef ne m’avait pas menti : nous étions bien chez la crème de la maison Kartage, qui attendait sans doute derrière ces portes solidement gardées par deux gaillards armurés comme ceux de l’entrée.
Avant d’y pénétrer, le fameux Allan me cracha un nouvel ordre, sans doute pour ne pas perdre la face devant ses subordonnés. Il m’indiqua de leur laisser mes armes, sans quoi l’entrée me serait interdite. Je m’y attendais, bien entendu. Et n’avais pas prévu le moins du monde de les garder plus loin. Cette précaution m’attestait juste de l’importance de la personne que j’allais rencontrer. Je chargeai brutalement le premier de mon gros stéréotype encombrant, et fourrai mon catalyseur plus petit sans plus de délicatesses dans les mains du deuxième. Je les avisai fermement :
« Y’a intérêt à c’que je les retrouve tels quels quand j’ressortirai. »
Et, renâclant en regardant Allan, je pris le parti d’entrer dans la pièce qu’il me désignait en ayant ouvert la double-porte. Ne me faisant pas prier, j’y pénétrai sans hésiter, d’un pas franc. Le faste était ostensible, dans cette salle haute en altitude. C’était un luxueux salon dont les couleurs dominantes étaient le blanc et le noir, que je devinai associées à la Maison Kartage. Ou à un goût prononcé pour la matriarche de la famille pour les teintes ternes et sans vie, auquel cas elle m’adorerait, tout noir que j’étais. De grands fauteuils occupaient l’espace avec quelques autres meubles d’une qualité irréprochable, soutenant notamment celle que j’identifiai comme la maîtresse des lieux, bien que je la trouvai fort jeune d’apparence. Les cheveux d’un blond clair presque blanc, soutenu par une coiffe de tissu immaculée, ceinte au front par un symbole de bronze, comme une couronne. Elle arborait une robe-bustier longue intégralement blanche si ce n’étaient deux lignes noires affirmant les courbes de ses hanches, sur les côtés de celle-ci. Un cardigan noir aux épaulières et col dorés recouvraient ses bras et épaules, jusqu’à ses mains, qu’elle gardait gantées. La seule peau visible sur son corps, outre son visage, était celle de son plongeant et fourni décolleté, aussi généreux sans doute que celui de Tina. Indéniablement, s’il était triste à bien des égards, ce monde savait avoir ses bons côtés.
Silencieuse, elle darda ses yeux verts sur le chef de la sécurité, visage innocent d’une jeune femme superbe. En bon chien, il obéit à son ordre muet en déclamant la raison de notre abrupte apparition, précisant que je souhaitais travailler pour elle, et que je détenais des informations sur Valaï. Elle tourna les yeux vers moi, et me toisa un instant du regard, pendant quelques secondes. Je me laissai faire, répondant à son regard par le mien, fixés sur ses yeux clairs avec une froide détermination. Enfin, sa voix filtra de ses fines et pâles lèvres pour déclamer son nom : Elysha Kartage. Elle s’enquit de la raison de ma torturée apparence, sans parvenir à dissimuler un brin d’inquiétude dans sa voix, dans son attitude. Je répondis sans hésiter, avançant d’un pas, d’un seul, dans sa direction, parlait clairement, d’une voix audible.
« Tous, ma Dame, n’ont pas le plaisir d’être nés comme vous avec une grande beauté. Par chance, là d’où je viens, on fait peu cas d’un joli minois. »
Je jetai un œil amer au chef de la sécurité avant de poursuivre, la saluant poliment, contrastant avec l’attitude hardie que j’avais eu jusque là.
« Vadokan Og’Elend, dit le Noir. Ravi d’être enfin en votre présence. Comme l’a précisé votre chien de garde, j’ai des informations cruciales pour vous, et le désir de vous servir. Des informations que je ne pourrai cependant révéler qu’en entretien privé. »
J’en demandais peut-être beaucoup, mais j’argumentai en ce sens :
« Non pas que je doute de la confiance que vous portez à vos hommes, mais en cette période de troubles, il me semble sain de se méfier de tous. Surtout de ceux dont on ne croit rien craindre. »
Je jetai un nouveau regard défiant au chef de la sécurité, puis replongeai mes yeux dans ceux de la belle.
« N’ayez crainte, cependant : je ne vous veux aucun mal, et vos sbires m’ont d’ores et déjà désarmé. Ma loyauté vous est acquise, aussi vous demandai-je un instant de confiance. »
Le chien s’y opposerait. Elle… peut-être pas. Une nouvelle tentative risquée, un nouveau coup de poker. J’espérai qu’il passe.
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