Je me retrouve embarquée en moins de deux par des gardes de Naémin qui ne m'adresse pas un regard. Après une dizaine de mètres, je me débats, sommant les gardes de relâcher leur prise, que je les suivrais de toute façon. Au départ, ils refusent, mais quand je me mets à me débattre réellement, ils finissent par le lâcher pour mieux dégainer leurs armes. Je soupire et rentre au campement sous la menace des lames elfiques. La situation me paraît ridicule, mais j'attends de me retrouver face à face avec Naémin pour lui expliquer. Lui sera capable de comprendre et de toute façon sans ses ordres, ils ne me relâcheront pas. Comme je ne me vois pas en train de m'évader... je me laisse faire.
Mes gardiens m'entraînent dans la tente de leur chef et, tandis que je reste sous la surveillance de l'un, l'autre s'en va. Je réalise à ce moment précis que Naémin se doutait que je ne chercherais pas à partir, parce que là, j'aurais pu partir au moins dix fois, en moins de dix minutes, délai que met le second garde à revenir. Le soldat pénètre donc dans la tête avec des fers à la main, quatre anneaux reliés par des chaînes.
(Hey, mais attends ! Ils veulent quand même nous mettre au fer ?) (Si... Pourquoi ?) (Tu vas pas les laisser faire ?) (Tu te rappelles l'arme du Garzok, celle que j'ai gravé ?) (Ouais, ça c't'était du pouvoir !) (Bah je peux le faire avec ces chaînes quand je veux.)
Mes cerbères se font un plaisir de me faire agenouillée avec un des piquets dans le dos, les pieds et les mains de l'autre côté du bois par rapport au reste du corps. Ils me ferrent pieds et mains, m'empêchant de base de me lever, de m'asseoir, de me coucher, en fait de bouger. Une fois fait, ils me font gober de force une potion infecte, le genre qui sent mauvais pour moi. Heureusement pour moi, la tente du chef est le plus souvent installée sur la zone la plus confortable, donc pas sur la partie des pieds de blés ou les cailloux, mais sur la douce herbe grasse, si agréable à mes genoux.
Je serais bien restée tranquille à attendre Naémin, mais non seulement le temps me paraît terriblement long, mais, et surtout, l'orbe de communication de Yuimen décide de chauffer à ce moment-là. Il me faut répondre et pour répondre, il me faut les mains et pour avoir les mains libres, il va falloir que je transforme ces maillons en sable ou n'importe quoi dans le même genre... Mais manifestement la potion m'a ôté ma magie, ça ne va pas le faire.
(Essaye, tu verras après.) (C'est une potion anti-magie, je le sens trop bien...) (Oh oui... mais t'es pas n'importe qui en magie, tu as passé une ordalie et eux l'ignorent.)
Il suffit d'essayer, Anouar avait raison en fait. Je me débats avec mes mains, assez fort pour agripper la chaîne qui relie les menottes. Il me suffit de relâcher doucement mes fluides pour transformer, avec beaucoup de patience, le fer en un matériau flexible, pouvant être modelé, ou séparé, avec une simplicité désespérante. Un second sort, dans la même lignée, mais appliqué directement à la menotte de la main droite me permet de me libérer les mains. Il est temps d'ailleurs, parce que la bonne demi-heure perdue à jouer avec le métal a fait chauffer la boule à la limite du désagréable.
"Enfin, Gardienne ?" "Je fais ce que je peux... La vie sur terre n'est pas toujours confortable !" "Un combat pour mon Culte ?" "On va dire ça. Tu nous veux quoi, la voix ?"
(Astinor, ta gueule !!!) (C'est Yuimen à qui tu t'adresses !) (Ah parce qu'il est toujours en vie, lui.) (C'est un Dieu...) souffle Anouar manifestement agacée.
Je laisse les deux autres voix se disputer et me reconcentre tant bien que mal sur la sphère, tâchant d'expliquer à Yuimen que je n'y suis pour rien...
"La fusion s'est donc bien passé." "Oui, on va dire ça..." "La politesse, la gratitude et le respect n'ont jamais été le fort d'Astinor. Mais c'était déjà une excellente guerrière. Elle t'aidera comme elle t'a déjà aidé." "Sans doute." soufflé-je à moitié convaincu, avant de me rattraper : "Que se passe-t-il ?"
Yuimen n'est pas du genre à appeler juste pour converser du beau temps et je suppose que Naémin ne va pas tarder, je préfèrerais ne pas être en pleine conversation avec une orbe de communication quand il réapparaîtra devant moi.
"As-tu réglé le soucis de Tahelta ?" "On va dire que oui." "Connais-tu Oranan ?" "Je ne m'y suis jamais rendu. Mais il me semble que c'est la capitale de l'Ynorie, sur Nirtim, non ?" "En effet. Ils ont besoin d'aide contre Oaxaca. Vas-y, le plus rapidement possible. Passe voir Nuilë en route, il aura peut-être des informations plus conséquentes."
La communication s'arrête là. Pas un remerciement, pas une félicitation, pas une question sur comment s'est réglé les soucis à Tahelta. Je peste, mais bon, un Dieu ça doit être occupé. Puis en fait, ça m'arrange bien premièrement parce que la manière avec laquelle s'est réglé le soucis n'a rien de très glorieux de mon point de vue -même si j'aurais aimée me vanter d'avoir fait fuir plus de dix milles orques, et ensuite parce que Naémin choisit ce moment-là pour faire son entrée. Je range rapidement mon orbe dans ma cape, en plaçant mes mains derrière mon dos, espérant qu'il n'ait pas vu mon geste.
Manifestement éreinté, il s'assied et se fait servir une rasade de vin. Le serviteur me regarde avec l'oeil noir, préférant manifestement ne pas s'approcher de moi. Mes deux gardiens de la matinée viennent m'ouvrir la bouche pour me verser une bonne lampée d'hydromel infecte. Moi qui aie toujours détesté l'alcool, ce n’est pas mon jour, mais bon, au moins, j'ai à boire. C'est la première gorgée -si on excepte la potion âcre- depuis l'aube et midi ne va pas tarder. Pendant que Naémin sirote son verre, je m'occupe de mon sort, sur les chaînes de mes pieds, laissant Anouar et Astinor, désormais calmes, se concentrer sur l'extérieur. Quand le jeune prince décide de s'adresser à moi, je suis en réalité libre de mes mouvements, mais n'en montre rien.
"Les soldats ont adopté le nom que les Hafizs t'ont donné : Lisha, celle qui fait peur. J'ignore ce qui t'a pris durant le procès, mais tu as fait forte impression, à tous les elfes en tout cas. Plus aucun ne souhaite t'approcher à moins de vingt mètres."
Son visage est impassible, mais personnellement, la remarque me fait sourire. Ainsi, c'est moi qui les effraye, ils ne sont pas culotté vu ce que j'ai vu des exactions de l'armée Sindels le matin même. Pour qu'ils ne veuillent pas m'approcher ça m'arrange, je n'ai pas l'intention de rester avec eux. D'autant que le message de Yuimen était clair, il me faut partir, et vite.
"Malgré le fait que tu sois une excellente guerrière, je me vois obliger te faire quitter le pays." "Tant mieux. On nous attend !"
Finalement, le manque de diplomatie d'Astinor m'arrange, ça m'évite de me demander quand parler et que dire. Elle ira bien plus vite que moi de toute façon.
"Je parle de devoir t'exiler et c'est tout ce que tu réponds ?" "Bah ouais. Y a Yuimen qui veut qu'on parte." "J'oubliais que je parlais à une Gardienne." "Ca y est ? J'peux partir ? Y a de la bouffe sur mon cheval ?"
Tout en laissant Astinor discuter, je m'assieds, tranquillement. La position en tailleur est quand même nettement plus confortable qu'à genoux dos à un poteau. Il me reste encore deux menottes à ôter, les deux autres s'étant retransformées en fer totalement difforme, mais solide. Je pose ma main droite sur l'anneau métallique qui enserre mon poignet gauche et laisse mes fluides partir, petit à petit, sans faire attention au regard meurtrier de Naémin.
"Tu aurais pu attendre que je te libère ?" "Pas le temps. Au pire, je ferais ça en route, mais il me faut partir !" "Tu pourras partir, et sans tes chaînes. Mais j'ai quelque chose à faire avant." "Alors grouille-toi !"
Anouar commence à criser dans nos esprits communs, moi j'ai juste envie de partir. Si Naémin ne veut plus de moi ici, pourquoi me retient-il donc alors que je dois m'en aller à Oranan ? Après tout, mon départ répond à nos deux envies communes.
"Cependant, un Roi, même s'il n'est pas encore couronné paye toujours ses dettes. Et le pays en a une assez importante envers toi. Quand je me suis rendu sur Nyr 'tel Ermansi avec le chancelier, il tenait à ce que je t'anoblisse pour m'avoir prévenu et aider à le sauver lui et la Reine. J'étais d'accord, mais ton comportement d'aujourd'hui change tout. J'aimerais bien avoir mon conseiller auprès de moi, mais il est resté à Nessima pour préparer la succession. J'avais décidé de t'anoblir ce soir, en présence de Kouschuu, c'est hors de question, car il ne supporte plus ta présence."
Sortant de mon sort, je me rends compte qu'il a causé durant tout ce temps, Anouar me fait un bref résumé pendant que j'attends sagement la transformation de métal solide en texture malléable.
"Je vais donc le faire ici, dans cette tente, maintenant. Mes gardes sont en train de mettre son caparaçon à ton cheval. Ainsi tu pourras défiler avec tes couleurs. Je ne te donnerais pas de terre, mais je lève la procédure d'exil. Tu es donc libre de revenir sur le Naora, quand tu le désires. En attendant, vient poser genou à terre devant moi pour recevoir ton titre."
C'est à ce moment précis que je le regarde droit dans les yeux, cherchant la plaisanterie. Mais au contraire, il me regarde fièrement, un coffret à la main. Je souris, réellement pour la première fois depuis longtemps et me lève en détachant le fer de mon poignet avant de poser un genou à terre devant lui. J'avoue que là, à deux dans cette tente, le premier anoblissement du Roi Naémin 1er de Tahelta est... ridicule. Me voyant ainsi devant lui, un anneau de métal à la cheville auquel pend encore quelques maillons, Naémin redevient un jeune homme pas encore Roi et éclate de rire avant de me serrer dans ses bras. Je savoure ce contact plus humain et naturel que celui froid du Roi Naémin. Nous nous relevons tous les deux en riant de bons cœurs.
"Laissons tomber la procédure. Le chancelier t'a fait un sceau, le voilà. Si ça t'intéresse, ça se dit De sinople au bâton de magicien tordu d'argent enchâssé d'azur en bande posé en sautoir sur une épée de même en barre accompagnés d'un lys de jardin d'or en chef.." "Sinople ? C'est brun ça ?" "Sinople c'est le vert. Le brun c'est tanné." "Va me falloir de la cire verte pour mes missives, c'est ça ?" "Oui, je t'en ai trouvé trois bâtons à Nessima, ça devrait te faire une marge. Reste le nom de maison. Je ne peux pas utiliser celui de ton père, le chancelier m'a appris qu'il a perdu son titre et que, aux dernières nouvelles de Sor-Tini, il était encore en vie. Il te faut donc un nouveau nom de maison, les lois..." "Tu disais que les hommes me nommaient comment ?" l'interromps-je, ayant compris l'idée. "Lisha, pourquoi ?" répond-il avec un sourire. "Lothindil 'tir Lisha, ça sonne bien, non ?" "Accordé, Chevalière Lothindil 'tir Lisha !"
Il me remet le sceau, la cire, ainsi qu'un parchemin affirmant mon nouveau titre qu'il complète avec le nom nouvellement trouvé. Je prends le tout et vais pour rejoindre les soldats à l'extérieur quand Naémin m'arrête.
"Attends. Kouschuu m'a offert l'épée de Leona, mais je ne la veux pas. Cette victoire, je ne la dois pas à ma force ou à ma bravoure, mais à ta ruse. Ce n'est pas à moi de recevoir l'arme du chef de l'armée adverse, mais à toi."
Il me tend alors un fourreau vert, végétal avec une lame à la garde en acier feuillu. Je vais pour refuser, que ferais-je d'une seconde épée, surtout quand elle vient de mon ennemi, mais une fois de plus Astinor est plus rapide.
"Une épée ? C'est c'que j'voulais. M'rci M'sieur !"
Elle doit vraiment apprécier le cadeau, pour ponctuer sa phrase d'une marque de politesse. Je suis sa décision d'un geste de la main pour récupérer l'arme et l'attacher à ma ceinture, coté droite, à l'opposée de la mienne. Le poids est assez inhabituel pour moi, il faudra que je m'y habitue je suppose...
Les gardes qui arrivent avec ma monture, parée de sa couleur verte et ornée du bâton, de l'épée et de la fleur de lys, mon symbole. Vu comme ça, je vais avoir la classe en arrivant à Oranan. Au moment de passer la porte de la tente, je suis retenue par Naémin :
"J'oubliais... Un aynore va partir de Tahelta au coucher du soleil avec des messagers vers Kendra Kâr. Si ça t'intéresse..." "Merci, ça m'intéresse en effet !"
Je sors et saute sur mon superbe cheval du désert avant de filer à travers le campement.
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Je suis aussi GM14, Hailindra, Gwylin, Naya et Syletha
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