Quand j'entre dans la salle à manger, Aleadric hausse un sourcil à la vue du changement suivi du second à la vue de mon fourreau.
"Vous ne me faites donc pas confiance ? J'ai guère l'habitude de recevoir des personnes armées chez moi." "Le monde est trop dangereux pour que je puisse avoir totalement confiance, quelqu'en soit le lieu." "Vous avez sans doute oublié à quel point le Naora est paisible et pacifié, même ici à Nessima." "Et vous ignorez à quel point la guerre est proche de vous. C'est pour vous expliquer cela que je suis ici, n'est-ce pas ?" "En effet. Vous vouliez manger, mangeons alors."
Il m'indique alors une chaise, en face de lui, à l'opposé de son immense table, conçue pour accueillir une bonne dizaine de couverts. Je regarde la distance qui me séparera de lui, et hausse les épaules.
"Ca vous dérange ? Je n'ai guère envie de crier pour vous parler." "Faites..."
Je vais chercher nourriture, couvert et autres pour les approcher de mon hôte et m'installer à sa droite ou à sa gauche. Au moment où je pose la main sur le dossier de la chaise, une espèce d'énorme colosse m'attrape l'épaule. Plus par réflexe qu'autre chose, je matérialise immédiatement un bouclier en pierre qui vient marbrer ma peau, la rendant nettement plus solide. D'un gracieux mouvement à peine contrariée par ma robe, je me défais de la poigne, prête à dégainer au moindre nouveau signe d'agressivité.
"Laisse, Eran." "Elle est dangereuse et c'est mon rôle de vous protéger." "Votre épée inquiète mes gardes. Laissez une place vide entre vous et moi, ça les rassurera."
Je me détends, toisant le dénommé Eran. Il est grand pour un elfe, me dépassant d'une demi-tête, très massif aussi. Il me rend mon regard, je peux y lire de la détermination mais aussi de l'attachement pour son employeur. Je n'ai cependant aucune crainte, s'il venait à m'attaquer, je le réduirais en pièce sans la moindre difficulté. Je décide malgré tout d'obtempérer et recule mes affaires d'un siège avant de m'attabler devant un petit déjeuner des plus copieux.
"Vous revenez de Tahelta, n'est-ce pas ?" "En effet."
Trop occupée à me sustenter, je ne suis guère loquace. Je continue de surcroît à me méfier de cet individu trop gentil, espérant ne pas m'être engouffrée dans un piège en ayant eu la langue trop pendue.
"Quelle est la situation là-bas ? Je veux dire, qu'est-ce qu'il s'y passe réellement ?" "La ville a été attaquée il y a déjà presque deux jours par Oaxaca. La Reine est morte, le palais a été détruit."
Mon ton est celui las de la personne qui répète la même chose sans avoir la certitude d'être prise au sérieux et qui s'en fout à moitié qu'on la prenne pour folle.
"Que dites-vous là ? La Reine est morte ? La ville a été attaquée ? C'est qui Oaxaca ?"
La réaction par contre, ne s'est guère faite attendre. Le ton du noble dénote de l'incrédulité et surtout une énorme dose de crainte. Le garde manifestement ne croit pas un mot de ce que j'ai dit.
"Ah, vous aussi vous ignorez qui est Oaxaca. Est-ce que vous savez ce qui se passe dans le monde extérieur ?" "Hors du Naora ? En quoi cela pourrait nous concerner, nous sommes protégés par la barrière de corail !" "Donc vous ignorez tout de ce qu'il se déroule dans le monde..." "Et en quoi cela nous concerne-t-il ?" "Bon, vous êtes au courant de la bataille de Pohélis, il y a trois ans ?" "Pohélis, oui vaguement. C'était pas cette ville dans le Nord où le Roi de Yuimen serait apparu ?" "En effet, c'est bien celle-là. Elle a été dévastée par Oaxaca, qui serait la fille de Thimoros, mais je n'accorde que peu de crédit à ces rumeurs." "A nouveau vous parlez d'Oaxaca..." "Tout est sa faute faut dire... Vous savez que l'Héritier y est mort ? A Pohélis, je veux dire." "C'est faux, il est mort de maladie !" "Bon, je vois que je vais devoir tout vous expliquer depuis le départ."
Je dévore un nouveau biscuit tout en sirotant un peu de ma tisane avant de reprendre mon récit depuis le début. Rien dans cet homme et son comportement ne laisse présager d'un piège.
(T'es peut-être juste tomber sur un membre du conseil qui ignore tout de la situation.) (On dirait bien.)
"Oui, j'ai l'impression qu'il y a eu beaucoup de mensonges ces derniers temps." "Tout a commencé il y a quasiment quatre ans maintenant. Un évènement inconnu a réveillé une terreur du passé, cette terreur se présente sous l'apparence d'une femme : Oaxaca. Elle avait été emprisonnée y a quelques milliers d'années sur le continent de l'Imiftil après une longue guerre." "Une guerre ? Jamais entendu parler de guerre." "Cette guerre n'a pas touchée le Naora, c'est pour ça." "Juste une guerre entre sauvages quoi !"
Décidément, même nobles, les Naoriens restent toujours autant racistes. Je plains Naémin et surtout sa future épouse.
"La guerre des peuples libres contre une entité, fille de Thimoros et d'une mortelle, née pour créer le chaos. Cette guerre a conduit à l'enfermement de l'âme d'Oaxaca, âme qui a été libéré il y a quatre ans. J'ignore comment et pourquoi, mais le fait est là." "Vous disiez que cette guerre n'avait pas touché le Naora. Pourquoi est-elle intéressante pour nous ?" "C'est le réveil qui est important. Oaxaca, nouvellement incarnée a pris le contrôle d'une région : l'Omyrhie. Mais elle ne doit rien vous évoquer, je suppose ?" "En effet, ça ne me dit absolument rien."
Je soupire, effrayée par une telle ignorance du monde y compris dans les hauts lieux du pouvoir.
"L'Omyrhie est la terre des Garzoks, vous savez ce que sont les Garzoks quand même ?" "Oui, bien sûr..."
(Ah bah quand même, c'est déjà ça.) (Je ne pensais pas que c'était à ce point-là.)
"En prenant le contrôle des Garzoks, Oaxaca pouvait rêver de récupérer sa puissance de l'ancien temps et de semer le chaos à travers le monde. Il y a trois ans de cela, elle a attaqué Pohélis. Sa Majesté était au courant, elle a envoyé un aynore pour défendre la ville. A son bord, et par delà les ordres, l'Héritier voulait combattre au coté des peuples Libres. Son aynore a été abattu, lui à bord. C'est pour cette raison que son corps n'a jamais pu être ramené à Tahelta pour être enterré et exposé selon les coutumes." "Et comment vous savez ça ? Vous y étiez ?"
Et voilà, une nouvelle fois les gens ne peuvent s'empêcher de poser des questions dont ils ne veulent surtout pas entendre la réponse.
"Je ne pense pas que vous me croiriez si je vous le disais." "Vous avez encore moins crédible que ce ramassis d'âneries ?" "C'est votre employeur qui m'a demandé de raconter tout ce que je savais. Après que vous croyez ou pas, j'en ai strictement rien à faire, tant qu'on me laisse partir d'ici vivante et libre." "Bref passons, après tout ça m'intéresse pas." "Donc, j'expliquais qu'après la bataille de Pohélis, Oaxaca a gagné le contrôle de certains fluides spatiaux. Vous n'ignorez pas ce que c'est j'espère ?" "J'ai vécu sur Sor-Tini toute une partie de ma vie. Les fluides spatiaux, les faeras et les mondes extérieurs, je connais." "Si vous connaissez Sor-Tini, c'est encore mieux. Vous connaissez donc le fluide de Cisley, sur Sor-Tini ?" "Celui des montagnes du Nord-Est, en effet. On a cherché a plusieurs reprises à le déplacer vers les autres, mais sans jamais y parvenir. Une bande de sauvage du Nord le défendait chèrement faut dire." "Ca ne m'étonne qu'à moitié, Cisley est un autre monde qui possède une porte de retour vers Yuimen." "Ne me dites pas que cette porte donne sur Pohélis ! Les humains sont trop stupides pour avoir cette technologie-là." "Je vous ne le dirais pas... mais c'est pourtant bien le cas. Et quasiment toutes les grandes puissances en ont d'après ce que je sais..."
Il est étrange de constater à quel point les Sindels peuvent être au courant pour tout ce qui concerne les mondes extérieurs et à la fois totalement ignorant de ce qui se passe de l'autre coté de l'Aeronland. Celui-ci en était le parfait exemple, il avait vécu sur un monde extérieur et ignorait tout d'Omyre et des menaces qui planaient sur son archipel.
"Vous devez avoir raison, puis ça expliquerait comment ils peuvent avoir attaqué sans devoir franchir la barrière de corail." "En effet, Sa Majesté le Roi est décédé en luttant aux fluides de Sor-Tini pour éviter une invasion du palais, mais son sacrifice n'a pas été vain." "C'est une des choses qui m'étonnait dans toute cette affaire. On a eu deux versions officielles. La première parlait d'un accident de chasse, puis quelques jours plus tard, le conseil a été mis au courant d'un combat contre des sauvages à Sor-Tini. On nous a dit qu'on avait gagné, qu'il n'y avait aucune crainte à avoir, mais que le Roi avait été blessé et était mort de ces blessures." "Les sauvages étaient juste une avant-garde de la puissance d'Oaxaca. Et si la bataille a été gagné, elle a coûté cher." "C'est donc en passant par là qu'ils ont pénétré dans le palais, c'est ça ?" "En effet. La milice et la garde Royale n'ont rien pu faire, les troupes adverses jouaient sur le surnombre." "Et votre rôle là-dedans ? Vu votre état, vous avez dû voir ces choses d'assez près ? Et le Prince Naémin, il fait quoi ?"
Voilà, nous finissons par arriver à ma participation dans l'affaire.
"J'ai assisté au rassemblement des Garzoks sur Sor-Tini et j'ai prévenu le prince. Puis nous avons tenté de sauver la Reine, à défaut nous avons sauvé le chambellan et éviter que le corps ne soit souillé." "Et vous faisiez quoi sur Sor-Tini ?" "Je devais voir mon père !" "Une dryade je suppose, vu vos cheveux... J'aurais dû m'en douter."
(J'aime bien cette version-là de l'affaire.) (Mais c'est un mensonge ! Je peux pas laisser dire ça de mon père !) (Tu viens de faire avaler à un mec que son pays qu'il croyait intouchable a été attaqué par une demi-déesse du bout du monde. Tu vas pas en plus lui expliquer que la mort n'est pas forcément définitive, et que t'as été envoyé sur Sor-Tini par un Dieu ? Si ?) (Non, t'as raison.) (Comme toujours...)
J'avale un nouveau biscuit, finissant ma tisane tranquillement.
"Et le Prince ?" "Je le savais au palais de Kendra Kâr, je l'y avais déjà croisé. J'ai une certaine réputation là-bas qui m'ouvre quelques accès."
(Tu sais que tu fais des progrès de jour en jour toi ?) (Tu parles de quoi ?) (De ta rencontre avec le prince. J'ai cru que tu allais parler de Nyr 'tel Ermansi.)
"Oui, mais où est-il maintenant ? Qu'est-ce qu'il fait ? Il attend quoi pour bouger ?"
(Ah bah si, finalement, on y arrive.)
"Il est parti mettre le corps de la Reine en sécurité. Il va revenir dès que possible." "Et dès que possible, c'est quand ? Demain ? La semaine prochaine ? Dans un mois ? Dans un an ? Ca fait quasiment trois ans qu'on nous promet qu'il restera pour nous aider et qu'il disparaît ! C'est un lâche." "Un lâche ? Non, un fils haï de ses parents et de son peuple qui a une vie dans un autre pays, oui." "Et quand il sera Roi, il partira aussi vivre sa vie dans un autre pays ?" "Il a quitté sa vie, il a risqué sa peau pour sauver ce qu'il restait de la maison Isindra qui l'a renié ! Il aime ce pays et il sait où est son devoir."
J'ignore à quel moment je me suis dressée, mais je suis renvoyée à ma place, assise par la main du géant qui sert de garde à mon hôte. Celui-ci est d'ailleurs lui aussi debout, les mains sur la table.
"Je l'espère pour lui. Roi de sang ou non, s'il ne met pas toute son âme au service de son peuple nous n'hésiterons pas à le tuer. Il ne serait ni le premier, ni le dernier de l'histoire du Naora à subir ce sort-là." "Il ne tardera pas. Demain ou après-demain, il devrait atterrir. C'est ici que se trouve l'armée, c'est donc ici qu'il viendra." "J'avertirai le conseil de tout ce que vous m'avez dit. Si vous avez dit vrai, le Prince Naémin devrait venir confirmer. Au passage, je suppose que vous comptez passer à l'armurerie faire réparer votre tenue de combat. Je vais vous faire un laissez-passer avec mon sceau et gardez les vêtements que vous portez, ça vous évitera d'autres soucis. Mais quittez la ville au plus vite, vous n'êtes pas la bienvenue ici, vous en savez beaucoup trop et nombreux seraient les nobles ravis de vous faire taire... définitivement !"
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Je suis aussi GM14, Hailindra, Gwylin, Naya et Syletha
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