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 Sujet du message: Village de Melicera
MessagePosté: Mar 29 Juil 2014 23:18 
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Village de Melicera


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Melicera est un bourg du duché de Gamerian. Deux ou trois cents habitants, guère plus, vivent pour l'essentiel du commerce issu de l'apiculture. En effet, le village est réputé pour sa cire, utilisée pour les cordes d'arc et d'arbalète autant que pour les bougies, son miel et son hydromel, reconnus à travers tout le royaume. Ce sont d'ailleurs ces deux activités qui ont donné le nom au village.

Hors des ruches et des champs de fleurs utiles pour le miel, il n'y a quasiment rien dans le village: une taverne qui sert une bière au miel tellement forte que les villageois la surnomme "barbar", deux cages sur la place servant de prison, un petit manoir servant de demeure seigneuriale et un petit marché accueillant les primeurs du coin.

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À votre service, pour le plaisir de rp !


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 Sujet du message: Re: Village de Melicera
MessagePosté: Ven 1 Aoû 2014 22:19 
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La neige tombe doucement en ce soir frais de la fin d'hiver. Assise à la fenêtre de ma chambre, je guette par la fenêtre, comme souvent depuis le début de cette maudite guerre. Comme la soeur Anne qui guettait ses frères partis au combat dans la chanson éponyme, j'attends et regarde en espérant apercevoir le fier destrier caparaçonné de sinople et d'abeilles d'or. Mais toujours rien à l'horizon, cela fait presque une demi-année qu'il n'est pas rentré, les fleurs ont fané, le miel de sapin a été traité et les bougies de la fête de Nawel ont été vendues sans que mon père ne soit venu se réchauffer auprès de l'âtre du manoir.

Malgré le marché animé, Melicera me semble désespérément vide depuis la mort de la Dame des lieux, de mon jeune frère et le départ de Sire mon père. Lasse, je prends ma lyre et me réinstalle, laissant mes doigts couler sur les fines cordes, sans exprimer une musique précise pour autant. Puis un triste chant me vient, l'histoire de la femme d'un marquis choisie pour sa beauté comme maîtresse d'un Roy puissant et qui sera assassinée par l'épouse du souverain.

"La Reine a fait faire un bouquet
La Reine a fait faire un bouquet
De belle fleur de lys
Et la senteur de ce bouquet,
A fait mourir Marquise..."


Mon regard embué de larmes par l'émotion que suscite ce chant se tourne vers la porte de la ville perdue dans l'immaculé don de Yuia, pour y voir un funeste présage : un message noir comme un corbeau charognard, monté sur un étalon à la robe d'ébène. Il porte une lance, accrochée à la selle, à sa hampe, un étendard en berne. D'ici je peine à distinguer sa couleur, mais cette manière de dresser ses armes est rarement bon signe. S'il est rare jusqu'à présent d'avoir vu l'un de ces sombre messager s'arrêter au village, nous en avons vu déjà passer plusieurs, suivi immanquablement d'un chariot bâché lui aussi de noir dans les jours suivants. Mais pire que le chariot et le messager, il y a surtout ces prêtres à la peau parcheminée et à la cape de plumes noires, signe de leur fonction de psychopompe. Car chacun de ces messagers apportent à une famille la nouvelle d'un chevalier, mais aussi d'un père, d'un fils ou d'un frère tombé au combat.

Seuls les chevaliers ont le droit à cet honneur. Les serfs et les gardes mourant à la guerre sont enterrés là-bas il paraît, et les familles sont prévenus en masse, une fois par lunaison, environs. La dernière fois était il y a quatre jours, deux des jeunes hommes partis avec le Seigneur mon père, ne reviendront jamais serrer leurs mères, l'un d'eux laissent derrière lui sa jeune fiancée, ils devaient se marier à l'équinoxe de printemps. Pour la consoler, mon oncle, qui régit le village, lui a trouvé un nouvel époux, trop vieux pour partir à la guerre. Jamais le désespoir ne m'avait autant bouleversé que celui qui hurlait des yeux de la jeune veuve de seize printemps quand on lui a présenté son nouvel époux.

J'ai tenté d'intercéder auprès de mon oncle, il y a d'autres jeunes hommes dans le village, pourquoi pas un des jeunes migrants venus de Luminion ? Cela les aiderait à se sentir à Melicera comme chez eux. Mais, d'un simple regard, il m'a fait comprendre de me taire. Il a des yeux tellement proche de mon père, semblant vous transpercer quand il est en colère, et pourtant tellement doux quand il le veut... à part que mon oncle, contrairement à mon père, le souhaite rarement. Je n'ai jamais vu un sourire sur son visage taillé à la serpe. Comme Cyrial, son frère, il a été fait chevalier suite à la bataille de Rougeaigues, en capturant deux chevaliers et en tuant un dernier, mais contrairement au véritable Seigneur des lieux, lui paya sa victoire d'un bras gauche brisé par un coup d'étoile du matin qui explosa son bouclier et ses os. Parfois, je me demande si sa mauvaise humeur n'est pas simplement due à la douleur, à moins que ça soit son honneur qui se manifeste ainsi. L'honneur d'un homme brisé qui désirerait juste remonter sur le champ de bataille, gagner des batailles et les faveurs des femmes.

Je me suis alors rendue au sanctuaire pour y prier, pour la survie de mon père, mais aussi pour que, malgré tout, cette jeune femme puisse être heureuse; ainsi que pour le repos des jeunes soldats décédés. J'ai aussi adressé une prière à toute petite voix, jurant que jamais je ne me marierais à un homme que je n'ai pas choisi et que je n'aimerais pas. L'homme de foi est venu me voir et m'a demandé de ne pas promettre des choses qui ne dépendent pas de moi à la face des Dieux. Je lui ai lancé un regard que j'espérais aussi menaçant que celui de mon oncle, manifestement sans succès. Résignée, j'ai alors prié Gaïa, l'implorant de m'éviter d'être un jour confronté à cette épreuve.

Mais cela c'était il y a quatre jours, en ce jour, ce qui occupe mon attention, c'est ce messager, occupé à remonter la rue, escorté de Bradir, l'un des gardes de la porte, l'un des deux seuls qui ne soient pas juste un apiculteur milicien. C'est la première fois qu'il escorte un de ces corbeaux de malheur, et c'est vers le manoir qu'ils se dirigent. Même si la signification est évidente, je refuse la seule hypothèse convenable qui me vient à l'esprit et me décide de descendre vers la salle de la justice, ou mon père autant que mon oncle reçoive les doléances de nos sujets. Je réajuste ma tenue, hors de question de montrer que j'ai pleuré, je dois être forte pour notre peuple, forte comme l'était ma mère dans mes souvenirs.

Iraën, le forestier elfe qui me sert de précepteur, vient me chercher dans ma chambre, au moment même où j'ouvre la porte. Iraën est un elfe vieux, plusieurs siècles d’existence qu'il a passé à parcourir la terre et les Cours du monde. Il est arrivé un matin, alors que j'étais gamine, demandant l'abri et le logement. Mon père lui a accordé, lui demandant en échange de tuer l'énorme sanglier qui ravageait nos cultures de fleurs. Après avoir ramené le cadavre du monstre, il est resté, et m'a appris à lire, à écrire et à parler, en elfique autant qu'en langue commune; il m'a appris à chevaucher à l'aide de mon père, il m'a appris à chanter, à jouer de différent instruments, mais aussi l'Histoire du monde, les blasons, le nom des maisons, la géographie et la religion.

"Qu'est-ce que quelques années face au plaisir d'éduquer une âme aussi belle ?" répétait-il toujours à mon père.

Suivant mon précepteur, nous traversons le manoir, jusqu'à la salle de la Justice, où m'attend mon oncle, Bradir et le messager de Phaïtos. Si le sourire de ma tante n'était pas aussi tiré, entre la moquerie et la joie, je jurerais aux Dieux qu'il vient de se passer quelque chose de grave. Le visage de mon oncle est quant à lui fermé, opaque, comme s'il réfléchissait, à un problème dépassant sa fonction de simple régent. Quant à Bradir, bien que je ne le connaisse que peu, il me paraît gêné, comme s'il ignorait comment se comporter en cet instant précis.

"Vous m'avez fait mander, oncle ?"
"Assied-toi, Naya."

Sa voix est rauque, les mots semblent avoir du mal à sortir, mon esprit ne peut plus refuser l'évidence. Mon père est mort, il est tombé au combat comme un héros de chanson. Fébrile, tremblante, je m'assieds sur le petit trône, à droite de celui de feu mon père et prend une profonde respiration.

Le messager me fixe, deux lumières pointent vers moi, sous sa cape qui dissimule son visage. Avant même qu'il parle, je sais ce qu'il va dire, mais je décide de supporter son regard, comme l'aurait fait ma mère.

"L'âme du chevalier Cyrial de Rougeaigues a rejoint ses ancêtres auprès de Phaïtos."

Mes larmes ne veulent même pas couler, le chagrin me dévaste complètement le cœur, laissant un vide immense, aussi grand que ce qu'aurait dû être ma famille. Mon père est mort désormais, je suis seule. Comment une abeille pourrait-elle vivre en étant isolé ? Certes, il me reste mon oncle et ma tante... mais cela n'a rien à voir avec ma vraie famille, avec mon père. Quelques secondes passent avant que mon oncle ne réagisse, se tournant vers moi :

"Tu sais ce que cela signifie ?"

Je hoche la tête, oui, je le sais... Je sais que j'ai tout perdu, la loi salique est d'application ici. Mon oncle va donc hériter des titres, des bijoux, de l'or et même de moi. Comment pourrais-je être sa fille, alors qu'il n'est pas mon père ? Comment pourrais-je être la sœur de Stéphin, ce marmot arrogant ?

"Cela signifie qu'on va enfin pouvoir te marier !"

Celle-là en revanche, je ne l'attendais pas, mais ça explique, et pas qu'un peu, le sourire de Nareys à mon arrivée. Ainsi, ils ont choisi de se débarrasser de moi directement. Cela en dit long sur l'amour qu'ils me portent et sur l'estime qu'ils avaient de mon père. Il n'est même pas en terre qu'ils s'accaparent déjà ses terres, ses biens et même sa seule fille. En cet instant, mon seul ami est Iraën, qui, la main sur mon épaule, est là pour me soutenir.

"Pardonnez-moi. Je vais au sanctuaire, prier pour l'âme de feu Seigneur mon père et pour que Rana vous apporte la sagesse nécessaire pour gouverner."

Je sors de la pièce, tentant de donner à mon allure une certaine dignité tandis que mes pas glissent sur le sol de pierre froide. Les tapisseries couleurs vertes et ors me paraissent soudain fort ternes et je ne peux m'empêcher de me demander quels seront celles de de ma future maison. J'espérais rester encore au village jusqu'à la fin de la guerre, jusqu'au retour définitif de mon père, jusqu'à ce qu'il me trouve un beau jeune guerrier qui se serait possiblement illustré à ses côtés et qui m'emporterait sur un étalon blanc, revêtu d'une cotte de mailles brillant comme celle d'Iraën.

_________________
Naya, fille du chevalier Cyrial de Rougeaigues, seigneur de Melicera


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 Sujet du message: Re: Village de Melicera
MessagePosté: Sam 16 Aoû 2014 18:51 
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"Où allez-vous ? Le sanctuaire du manoir n'est pas par-là, ma demoiselle."
"Je le sais, Iraën. La chagrin peut aveugler, mais pas à ce point-là. Je vais prier auprès du peuple de mon père."

Libre d'aller où je veux, je sors dans la ville et traverse le marché pour me rendre à la chapelle de Gaïa, à l'Est de la ville, vers le soleil levant. Les sanctuaires sont ainsi répartis à Melicera, celui de Phaïtos au cœur de la cité, et les huit élémentaires sur chacun des points cardinaux. En ce jour de deuil, je vais prier chacun des neufs Dieux, selon le rituel que mon père avait tenu à ce que nous fassions, lui et moi, pour la mort de Dame ma mère. Les petites gens me saluent, ils ignorent encore tout de la mort de leur Seigneur, mon oncle n'a pas encore mis les bannières de cendres.

Je pénètre dans la petite chapelle de Gaïa, une simple bâtisse de berger que le père de ma mère avait fait transformer en petit temple. Une seule statue est présente, au fond, représentant une mère avec son enfant endormi entrain de lui lire un parchemin. Gaïa, déesse de la connaissance et de la jeune enfance. Ce n'est pas ma préférée, loin de là, après tout, c'est elle qui a pris ma mère lui laissant sacrifier sa vie pour celle de mon frère. Mais c'est aussi elle qui nous a transmis le savoir et Iraën m'a expliqué plus d'une fois que la connaissance est l'arme la plus dangereuse avec la séduction que peut posséder une jeune fille. C'est pour ça que les nobles n'éduquent pas les masses, pour que cette arme reste la seule possession de l'aristocratie. Le roi Neran Ier, qui avait voulu éduquer les foules de Kendra Kâr, avait d'ailleurs pris une révolution qui s'était finie dans le sang à cause de ça.

Après avoir allumé une chandelle, je m'installe sur un coussin et récite une des prières classiques, de celles qui précèdent obligatoirement les demandes.
"Gaïa, transmets-moi le savoir nécessaire pour affronter cette épreuve et donne à mon oncle la connaissance nécessaire pour gouverner et pour me donner un époux que je puisse aimer et choyer. Que tes lumières guident l'esprit de mon père à travers les Enfers de Phaïtos, vers la demeure de paix et de bonté. Qu'il puisse reposer pour toujours auprès de ma mère et de leur fils."

Iraën a toujours eu un goût marqué pour Gaïa. Là où mes prières sont brèves, les siennes ont toujours été étrangement longue, pour les huit d'ailleurs, moins pour Phaïtos. Je reste là, recueillie pour ne pas le déranger tandis qu'il murmure, chantant quasiment dans une langue plus ancienne que l'Hiniön contemporain qu'il m'a appris. De longues minutes se prolongent ainsi, avant qu'il se lève et, la main sur mon épaule en silence, m'incite à venir avec lui.

Je sors en même temps que lui. La neige n'a pas cessé, mais la nuit tombe doucement sur le village qui se dirige vers le sanctuaire de Phaïtos, comme toutes les nuits depuis le début de cette guerre. De notre côté, nous poursuivons le chemin élémentaire vers le Nord-Est, et la chapelle de Moura.

Plus qu'un bâtiment, le lieu dédié à Moura est une simple stèle, sans toit, sur le bord de la rivière qui longe le village. Déesse de la force en plus de l'eau, elle est devenue très aimée, comme Valyus son opposé, depuis le début de la guerre par les mères et les épouses qui viennent la prier de donner la force à leur hommes parti combattre pour le royaume. Depuis un peu plus de deux ans, des offrandes sous formes d'armes ont d'ailleurs été déposées. A tel point que mon père avait été obligés d'abord de mettre des gardes pour éviter qu'elles ne soient volées, avant de négocier avec un prêtre la possibilité de réduire la taille des offrandes. C'est ainsi que les armes en vrai acier ou fer ont été abandonnées et que ce sont désormais des modèles réduits qui sont offerts à la divinité après avoir été mouillés dans le ruisseau. La confection de ces petites armes a été confiée à un apprenti mouraïste aveugle qui parvient, à faire des chefs-d’œuvre sans jamais pouvoir les voir. Je lui paye une petite dague et une épée contre une pièce de un yu, pièce qui servira à le nourrir et à payer le matériel.

J'ôte mes chaussures, ma cape et mon pantalon de toile puis, grimaçant et tenant ma jupe au-dessus des genoux, je pénètre dans la fraîche rivière, qui s'avère sur cette nuit neigeuse, carrément glaciale. Faisant de très rapides ablutions, je prie la déesse de m'accorde la force nécessaire pour affronter le deuil de mon père et mon mariage; j'ajoute silencieusement la force aussi pour, au besoin, pouvoir m'opposer aux traditions, si mon époux n'est pas un jeune chevalier beau et puissant; ou à défaut l'un ou l'autre.

Grelottant de froid, je sors et me sèche sur les tissus humides laissés là pour les prieurs. Iraën ne semble guère plus insensible que moi au froid du cours d'eau et sort assez vite après moi, ses lèvres d'habitude d'une carnation rose léger ayant pris une teinte nettement plus pourpre. Je dépose la dague, symbole de la force féminine, et l'épée, symbole de la force masculine, pour mon compagnon et moi. Tandis que nous longeons le sentier vers le Nord et vers Yuia, déesse du froid, je ne peux pas m'empêcher de trouver quelques ressemblances à ces deux déesses, particulièrement au plein cœur de l'hiver.

La maison servant de temple de Yuia est fermée durant l'hiver. Pour être plus proches de leur divinité, les deux jeunes prêtres ont choisi de rester dehors, qu'il neige, pleuve ou vente, à subir le froid propre à la Dame Blanche. Même si j'admire leur courage, j'ai du mal à comprendre leur dévotion à mon avis sans limite. Sculptée dans un bois blanc, Yuia se dresse impériale, mais tellement mal dégrossie. A ses pieds, un rabot, un ciseau à bois et un maillet, ainsi que des bouts de schiste noirs et rouges, dont on voit encore les traces sur le billot.
"Vous pensez l'avoir fini pour les fêtes du printemps ?"
"Nous l'espérons de tout cœur, ma Demoiselle. La perte de l'ancienne a été une tragédie pour tout le monde et voyez comme le froid s'abat désormais sur notre village."

Il est vrai que cet hiver est particulièrement froid, mais moins que mon âme depuis la mort de mon père. La prière que j'adresse à Yuia en pensée est fort différente de celle à voix haute, qui demande de m'accorder la grâce et la beauté pour le jour de mon mariage. Je l'implore en réalité de m'accorder un cœur de glace comme le sien, un cœur qui soit incapable de souffrir comme le fait le mien pour l'instant; être une dame froide, comme ma tante, mais belle comme ma mère. Pouvoir affronter le monde et les Cours sans pleurer, sans rougir; pouvoir affronter la mort en étant plus froide encore qu'un cadavre; devenir la Reine trompée qui tue la maîtresse de son époux.

Me détournant de ces pensées trop obscures pour moi, je ressers ma cape et continue le chemin vers Rana, seule. Iraën me rejoindra bien. La chapelle de Rana n'est pas ma favorite. Elle est pleine de trou et de courant d'air la rendant quasiment plus glaciale à cette époque de l'année que l'air libre qui sert de temple à Yuia. La chapelle est au Nord-Ouest du village, de là où viennent les vents dominants, été comme hiver. A la saison douce, les aquilons nous apportent les orages qui rafraîchissent l'ambiance; durant l'hiver, les aquilons sont le vent du blizzard, des tempêtes et de la neige.
Je rentre quand même dans le lieu sombre, où aucune bougie ne parvient à rester allumée à cause de la fureur de Rana. Le bruit aujourd'hui est tel qu'on dirait que Rana veut à tout prix nous parler, plus que nous écouter. Je hausse la voix malgré tout, pour lui demander d'apporter sa sagesse à mon oncle, pour qu'il puisse gouverner aussi bien que son frère et, surtout, qu'il puisse me trouver un époux correct et pas un vieux moche comme à la jeune paysanne.

A peine sortie, une voix m'interpelle :

"N'en demande pas trop aux Dieux."

Le ton de la voix ne peut pas me tromper, c'est la femme de mon oncle, celle qui deviendra ma belle-mère dès que mon père sera porté en terre.

"Vous étiez là, tante ?"
"Devant la porte, oui, je venais aussi prier pour mon époux."
"Je ne vous savais pas si croyante, tante."
"Je ne vous connaissais pas dévote au point de faire le tour élémentaire de nuit non plus. Oubliez vos prières, votre époux est déjà choisi."
"Dites m'en plus, tante. Qui est-il ? Est-il un chevalier ? Un beau Seigneur ?"

Mes yeux pétillent et je brûle d'en savoir plus, oubliant toute méfiance et redevenant la jeune fille que je suis.

"La dernière fois que je l'ai vu, c'était un beau jeune homme; un chevalier puissant et craint aux joutes."
"Le connais-je ?"
"Je ne pense pas qu'il soit déjà venu au château, mais votre père le connaissait. Je suis certaine qu'il approuverait notre choix. Vous devriez rentrer maintenant, Iraën, je vous prie de ramener mademoiselle au manoir, il se fait tard. Si elle veut continuer ses oraisons, qu'elle le fasse au sanctuaire privé. Demain matin, elle est attendue par la couturière à l'aube. Pour que nous puissions tailler ses deux robes."

Iraën est arrivé au cours de notre discussion et j'ignore ce qu'il en a réellement entendu. Pour ma part, je suis tiraillée entre la joie de découvrir bientôt mon nouvel époux et la tristesse du décès de mon père. Cette dissonance émotionnelle est désormais telle que, soudain, je m'effondre dans la neige. D'un geste doux, Iraën me prend dans ses bras, comme si je ne pesais rien.

"C'est juste la fatigue, ma Demoiselle. Vous feriez bien d'aller vous reposer."
"Un bon repas me suffira."
"Vous devez porter le deuil, ma Demoiselle. Vous êtes une femme, plus une enfant désormais."

Je soupire, j'espérais échapper au jeûne rituel de trois jours, d'autant qu'il sera suivi d'un semi-jeûne jusqu'aux obsèques, le corps de mon père devant être rapatrié. Iraën me ramène jusque dans ma chambre où ma camériste, affolée par mon état, m'aide à me changer avant de me mettre directement au lit en réactivant le feu. Manifestement, le rituel de Moura n'était vraiment pas une bonne idée...

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Naya, fille du chevalier Cyrial de Rougeaigues, seigneur de Melicera


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 Sujet du message: Re: Village de Melicera
MessagePosté: Sam 20 Sep 2014 23:24 
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La nuit est agitée de cauchemar et je m'éveille, épuisée et trempée avant l'aube. Je serre ma couverture contre mon corps, cherchant à me réchauffer. N'y arrivant pas, je finis par me lever et réactiver le feu, tant bien que mal. Lénya est venue dormir avec moi, c'est une jolie fille, très douce, qui permet de garder la chaleur. Sentant que je me suis levée, elle s'éveille à moitié, marmonne et finit par se retourner.

Je reste ainsi devant le feu qui chauffe un peu et finit par me réendormir sur ma chaise. C'est là que ma camériste vient me réveiller, j'ai l'impression d'avoir juste fermé les yeux, et j'ai faim. Dehors, l'aube se lève à peine, et toute la longue journée d'hier me revient brutalement à l'esprit, le décès de mon père et mon futur mariage. Je me laisse habillée avec une lassitude qui m'est peu commune, puis menée jusqu'aux couturières.

Elles ont la décence de commencer par la robe noire, du deuil. Elles me proposent plusieurs modèles et tissus, et choisis les plus simples. Une simple coupe droite, en lin noir, je n'ai nul besoin d'être belle pour être triste. Je souhaite simplement pouvoir porter le deuil de mon futur et de mon passé en même temps. Au fur et à mesure de la matinée avec les couturières, mon désespoir se mue en colère. Je suis en colère contre ma tante et mon oncle qui m'ont vendu dès qu'ils ont appris le décès de mon père, mais surtout en colère contre les Dieux qui m'ont volé tout ce que j'avais. Mes parents, mon frère et mon village, tout ce qui m'était cher.

L'après-midi passe sur le travail de la robe bleue pâle, celle des fiançailles. Là, par contre, je fais les choix inverses. Un tissu fin, une coupe qui me met en valeur, tout en étant pudique, une cape brodée de fils argentés... Tout pour que mon futur mari me voit la plus jolie possible.

"Croyez-vous qu'il m'aimera ?"
"Je l'espère pour vous, mais n'espère pas trop, Naya."
"Pourquoi donc, Iraën ?"
"Rare sont les mariages d'amour, dans la noblesse, qu'elle soit elfique ou humaine d'ailleurs."
"Je rêve juste qu'il m'aime un jour, ou qu'au moins, moi je puisse l'aimer."
"Je l'espère pour toi, Naya."
"Viendrez-vous avec moi, Iraën ?"
"En vous mariant, vous serez une femme, et non une enfant. Et une femme n'a pas besoin d'un précepteur."

Je sens au ton de sa voix que l'idée de nous séparer le chagrine.

"Devenez alors mon chevalier-lige, Iraën, comme l'était Elyan pour Florenne. Une femme a le droit d'avoir son protecteur, non ?"
"Seul un homme a le droit de faire de moi votre chevalier, Dame." me répond-il avec un sourire désarmant et une toute petite courbette.
"Demandez à mon oncle de faire de vous mon chevalier, alors. Il sera honoré d'avoir une excuse pour se séparer de vous."
"Je lui demanderais, si vraiment vous le souhaitez, Dame."

***


Une semaine a passé depuis le messager, Iraën s'est vu nommé chevalier-lige par mon oncle, ce qui garantit qu'il me suivra. Sans être de ma famille, ni même de ma race, il reste la personne que j'ai de plus proche, à la fois protecteur, précepteur et ami. Durant ce temps, j'ai fini mon jeûne rituel et ne suis désormais plus soumis qu'à un jeûne réduit, au bouillon et au pain, ce qui ne change guère de ma nourriture habituelle en ces temps de guerre. C'est durant un de ces repas, que mon oncle m'a d'ailleurs annoncé que mon époux ne tarderait pas à arriver en ville, en même temps que le corps de mon père. Le programme a d'ailleurs été fixé par ma chère tante, pour s'assurer que les prêtres ne restent pas trop longtemps, ce qui coûteraient chers, et pour que la suite de mon futur époux ne restent pas plus longtemps, ce qui coûteraient sans doute encore plus cher : à l'aurore nous enterreront mon père et, le soir même, à la pleine lune, nous célèbrerons mes fiançailles. Le mariage quant à lui sera célébré chez mon futur époux, comme le veut la tradition, quelques semaines plus tard -à charge de l'autre village, bien sûr.

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Naya, fille du chevalier Cyrial de Rougeaigues, seigneur de Melicera


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 Sujet du message: Re: Village de Melicera
MessagePosté: Dim 14 Déc 2014 20:00 
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Le corps de mon père finit par arriver au château un soir. Je suis cloisonnée dans ma chambre, mon futur Seigneur se trouvant parmi la troupe qui ramène mon père auprès de ses sujets, de sa femme et de son fils. Comme tous les jours depuis la terrible annonce, je suis déchirée entre la tristesse de la mort de mon père, la colère envers ce mariage trop rapide et l'enthousiasme de ce jour de fête malgré tout. C'est depuis ma fenêtre que j'observe le groupe démonter et pénétrer dans le manoir, réorganisé pour l'occasion.

Il y a parmi eux de jeunes hommes parfaitement séduisant, certains ne sont que des pauvres soldats allant à pied, n'ayant manifestement hâte que de retourner dans leurs foyers pour étreindre leurs femmes et leurs enfants. Je reconnais d'ailleurs Maric, le tailleur de pierre et bâtisseur du village et Raëlrin, le propriétaire du champ de fleur proche de l'autel de Yuia. Ce dernier a pour l'instant la mine grave, et je le plains car il va devoir porter le deuil de Neyri, sa petite dernière, née l'été dernier et morte de fièvre il y a quelques semaines de ça.
D'autres jeunes du village ou fils de Seigneurs voisins sont là aussi, mieux vêtus et à cheval. Je remarque d'ailleurs que Perran, le fils du forgeron est revenu. Bien qu'ayant perdu une main à la bataille, il reste un jeune homme magnifique. C'est un parti qui me suffirait ma foi fort bien, avec moi, nous aurons trois mains, cela devrait nous suffire.
Aon fils d'Eran de Gramefeux, le neveu donc de Sirgil de Gramefeux, le duc de Gamerian est là aussi, reconnaissable avec ses yeux bleus comme la glace et ses cheveux roux comme le feu. Sa noblesse en fait un candidat idéal, et sa beauté sans être stupéfiante me satisferait bien assez. Oui, de tous ceux réunis en bas, parvenu au manoir avec la dépouille de mon père, il est mon favori pour ce mariage.

C’est donc la tête pleine de rêve de beaux jeunes hommes que je m’endors. Cependant, je passe une nuit absolument atroce, peuplée de cauchemar. L'essentiel de mes rêves sombres depuis le départ de mon père me parlent de la guerre, de cadavres démembrés et carbonisés par la foudre et le feu, d'ombres géantes me poursuivant et moi, courant nue vers une silhouette trop lointaine pour ne serait-ce qu'espérer en distinguer réellement la taille ou l'allure.
Mais celui de cette nuit a quelque chose de plus effrayant et surtout bien plus oppressant. Je suis dans l'obscurité totale, mais elle m'écrase, elle m'absorbe, colorant ma peau de taches noires, comme celles de la peste dont parlent les vieux ouvrages de médecine. Je me sens étouffée, ne pouvant plus respirer, quand un homme semblant aussi vieux que le monde s'approche de moi, m'arrache les lambeaux de ténèbres, me dépouillant totalement, me laissant nue ou plutôt transparente. Sous les ombres, je n'ai plus rien, je suis totalement vide comme s'il avait rejeté mon âme avec ce qui me souillait. Il s'approche de moi, me serre, m'étreint, m'étouffe. Je ne parviens à me réveiller qu'au moment précis où, après avoir écarté mes cuisses, il fait de moi une femme...

Je me retrouve tremblante dans mon lit, avec pour seule compagne Lénya, ma chaufferette et servante. Elle s'éveille brusquement et dans un demi-sommeil me conseille de me rendormir. Me blottissant dans ses bras qui ont tant de fois remplacé ceux de ma mère après un cauchemar, je lui raconte celui que je viens de vivre. Sentant que je ne parviendrais pas à me rendormir, et le soleil étant quasiment levée, elle m'invite à venir avec elle près du feu, les flammes chassant les terreurs nocturnes.

"Ma Dame n'a pas à s'inquiéter de ses cauchemars, nombreux sont les femmes qui en ont avant leur mariage."
"Je suis trop jeune pour me marier, Lénya."
"Nous le sommes toutes, ma Dame. Et vous le serez aussi quand sera venu le temps de donner la vie, ma Dame. Mais telle est la place que les Dieux ont choisi pour les femmes."
"Les Dieux ont beau dos. Chez les elfes, les femmes ne se marient qu'après avoir un métier. Et elles ont le temps d'être belle avant d'être mère. C'est Iraën qui me l'a dit."
"Mais vous êtes humaine, et point elfe."
"Cela je ne le sais que trop. Que n'aurais-je point donné pour avoir leur longue vie et pouvoir saisir le coeur d'Iraën."
"Vous l'aimez, n'est-ce pas, Dame Naya ?"
"Si je pouvais choisir mon Seigneur, ça serait lui, en effet. Mais je n'ai pas le choix, et lui ne me voudrait pas."
"Il est votre lige, faites de lui votre amant, comme dans les chansons; qu'il devienne votre Elyan, soyez sa Florenne."
"Un elfe ne pourrait jamais m'aimer, je ne suis qu'une enfant."
"Cette nuit, vous serez une femme, plus une enfant. Soyez une épouse pour votre Seigneur, et devenez une amante pour votre Lige. Nombreuses sont les femmes de la Cour qui font de même raconte-t-on. La mère de votre mère était elle-même la femme de son chevalier plus que de son époux, dit-on dans les cuisines. Il paraît même que son époux n'auraient pas eu son pucelage, mais que c'était son Lige qui avait eu cet honneur."
"Que dis-tu ?"
"Les cuisinières aiment raconter l'histoire. Le père de votre mère était tellement ivre le jour du mariage qu'il s'est endormi alors que sa toute jeune épouse ôtait encore ses robes. Elle aurait alors perdu sa virginité avec son Lige tandis que son époux ronflait dans le lit de noce."
"Mais, et son serment, son mariage..."
"Ma mère disait toujours que les hommes ont reçu des Dieux deux faiblesses : leur queue, et leur honneur. Les femmes deux forces : leurs larmes et leurs seins. Vous êtes une jolie femme, apprenez à vous jouer des hommes et de leurs serments."

Je vais pour répliquer, choquée par les termes crus, quand nous sommes interrompues par la camériste, qui vient m'habiller pour le matin. J'enfile sans discuter ma robe noire.

"Voilà votre déjeuner, ma chère nièce. On viendra te chercher pour la cérémonie. En attendant, interdiction de quitter ta chambre, ta camériste m'a dit que tu n'avais point fini ton ouvrage, il te faut l'avoir fini ce soir !"
"Oui, oncle." soupiré-je.

Je n'ai vraiment pas le coeur à me disputer avec mon oncle au sujet de ses interdictions et de mes obligations ce matin; pas plus que je ne l'ai à me mettre à ouvrage, ni à déjeuner d'ailleurs. Cette robe noire me gratte, comme souvent le lin quand il est neuf, et me rappelle le cadavre de mon père que je n'ai pas eu le droit de voir.

"Il vous faut manger, Dame."
"Vous êtes là, Iraën, quel plaisir de vous voir."
"Je ne suis jamais bien loin, le devoir d'un lige est d'être comme une ombre."
"Ne me parlez point d'ombre ce matin, Iraën. La journée est déjà bien assez sombre à mon goût."
"Allons, ma Dame. Ce soir vous serez une véritable Dame et une épouse comblée, j'en suis sûr."
"Et ce matin, je ne suis qu'une orpheline." soupiré-je tristement, les larmes au bord des yeux.


Je déjeune malgré tout, profitant du bouillon où nagent quelques morceaux de lièvre fins et goutus, tout en regrettant les brioches chaudes au miel qui embaument l'air du manoir depuis la fin de la nuit. Cela fait, je m'installe près de ma fenêtre et retourne bon gré mal gré à mon ouvrage, il me faut le finir et j'en ai encore pour quelques heures de travail. La nappe de l'autel des fiançailles m'aura pris quasiment la semaine pour être achevée, mais je voulais un décor reflétant mes ambitions. La superstition veut que plus la nappe de fiançailles est travaillée et détaillée, plus le mariage sera riche et heureux. Si le tissu est tâché au cours de la cérémonie, le mariage se finira par un décès brutal. Le pire pouvant arriver est que la fine étoffe soit déchirée, signifiant que le mariage est maudit par les dieux.

"Tu as entendus, les prêtres noirs ne sont pas arrivés hier soir."
"Mais... et les préparatifs en bas ?"
"Les fiançailles sont maintenus d'après ce que m'a dit le fils de la cuisinière. Il y aura du faisan et même un cygne que le jeune Aon a chassé en arrivant ici."
"Le neveu de notre suzerain est un excellent chasseur, nos ventres le remercieront encore demain matin !"


"Iraën, ferme cette porte !"

Ma voix est emprunte d'une colère aiguë mâtinée de rage et d'une sourde tristesse; cependant elle reste la voix fluette d'une gamine. Iraën obéit malgré tout avant de se tourner vers moi. Je le dévisage de mes grands yeux bleus emplis de larmes qui ne veulent même plus couler.

"Est-ce vrai, Iraën ?" Ma voix est blanche, brisée par l'émotion.
"Je l'ignore ma Dame. Voulez-vous que j'aille me renseigner ?"
"Nul besoin, Sire Neyraën. Tout le monde le sait dans le château, sauf vous deux."
"Que dites-vous donc, Lénya ?"
"Rien d'autre que la vérité, Chevalier Lige. C'est la raison pour laquelle vous n'avez pas été autorisé à quitter votre chambre, Dame. Dame Nareys a ordonné à tout le monde de se taire et a promis le fouet à ceux qui parleraient."

Je me tais, que pourrais-je donc dire après une telle nouvelle ? Je suis littéralement sous le choc et préfère retourner à ma broderie, pour oublier le monde, la cérémonie de ce soir et surtout mes deux derniers parents. La journée passe ainsi, sans qu'aucun de nous trois n'aborde le sujet, je suis en colère et cela se sent sur la qualité de mes points, mais j'essaye cependant de me calmer et de faire au mieux; pour qu'au moins mes prochaines années soient heureuses pour mieux oublier mon présent.

A midi, la fille de la cuisinière vient nous apporter nos deux repas, à Iraën et à moi, la gamine est muette de naissance, rusée ma tante, au moins celle-là nous ne pourrions pas l'interroger. C'est d'ailleurs la seule visite que nous recevons avant le coucher du soleil, même Lénya a trouvé à s'occuper ailleurs, nous laissant seuls.

"Iraën, je n'ai pas oubliée ma promesse aux Dieux. Si celui qui m'a été choisi pour époux ne me convient pas, je m'enfuirais."
"Et que ferez-vous ensuite ?"

Je sens un soupçon de moquerie dans sa voix, comme s'il parlait encore à la petite fille qu'il a élevée et non à sa Dame, d'autant qu'il n'a, ne serait-ce que tourner la tête vers moi. Il réagit comme le fait un adulte face à un caprice d'enfant, comme le prêtre l'a fait envers moi d'ailleurs quand j’ai murmuré cette prière, il y a une dizaine de jours. Hors cette décision est mûrement réfléchie, cela fait déjà plus d'une semaine que j'y pense et là, je ne cherche pas un avis ou quelqu'un qui me détournerait de mon idée, mais un soutien si je dois en arriver à cette extrémité. C'est de mon chevalier-lige dont j'ai besoin, pas de mon précepteur.

"Je ne suis plus votre élève, c'est votre Dame qui parle."

Je tente de prendre une expression sérieuse, la même que quand mon père a annoncé à ses gardes qu'ils partaient à la guerre pour le Roi. Et cette fois-ci, cela semble marcher, Iraën se retourne vers moi et après un instant d'hésitation, il plante un genou à terre et baisse la tête.

"Pardonnez-moi, ma Dame. Je voulais dire où irons-nous et que voulez-vous que je fasse ?"

Je souris, rassurée et lui explique ce que j'ai en tête pour la suite...

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 Sujet du message: Re: Village de Melicera
MessagePosté: Ven 2 Jan 2015 19:07 
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Le soir arrive pendant qu'Iraën vaque à ses occupations et moi à ma broderie. Je suis satisfaite du résultat, même si j'aurais aimé avoir nettement plus de temps encore pour soigner encore plus le décor. J'achève de tirer mon dernier fil quand ma tante entre dans ma chambre, accompagnée de mes caméristes, portant ma robe bleue pâle et ma cape dans les bras. D'un hochement de tête, je l'invite à nous laisser et il se dirige vers sa chambrette, pour mettre sa tenue de chevalier de cérémonie. Il a passé la moitié de la journée à lustrer sa vieille armure elfique, et à aiguiser son épée. Je rougis juste à l'imaginer dans sa tenue traditionnelle de chevalier hiniön, mon chevalier-lige sera ce soir le plus beau membre de l'assemblé, quelque soit le partie qui m'a été choisi.

"Il est temps de vous préparer. Votre époux vous attend !"

L'acrimonie de ma tante est tellement perceptible à cet instant précis. A aucun moment, depuis que je la connais, son ton ne m'a paru agréable, il est trop aiguë et grinçant, comme la vieille porte d'une geôle. Mon sourire n'a rien de faux quand je la regarde; je ne peux m'empêcher de songer que, quoiqu'il arrive, cette nuit je me débarrasserais quoiqu'il arrive de cette femme.

"Mon futur fiancée, ma tante; pas encore mon époux."
"Aucune différence. Habillez-la. Et maquillez-la aussi, qu'il lui vienne pas à l'idée de nous la refuser !"

Je dois reconnaître que le refrain de la belle-mère acariâtre lui va finalement tellement bien qu'il me fait doucement rire. Elle part en claquant la porte, j'ignore d'où vient sa mauvaise humeur, sans doute du coût de ces noces.

Je laisse les servantes m'habiller, avec les linges fins, puis le corset qui me serre et m'étouffe, bien qu'il me fasse une taille absolument magnifique; enfin elles m'aident à enfiler la robe de soie fine. Bien qu'il n'y ait pas eu d'essayage, les couturières ont fait un travail extraordinaire car elle me va à merveille, et les broderies d'argent ne font qu'éclairer mes yeux et ma peau.
Iraën revient vêtu de son armure et de ses armes tandis que les servantes me démêlent mes longs et fins cheveux blonds, les tressant sur toute leur longueur. Vu leur taille, faire une coiffure complexe demanderait un savoir-faire inconnu aussi loin de la capitale, j'ai donc choisi de rester simple, une longue tresse emmêlée de fleurs d'hiver. Mon chevalier est encore plus beau que je ne l'imaginais. Sa peau semble rayonner légèrement quand il porte sa tenue hiniöne, comme s'il désirait hurler qu'il n'était pas qu'un simple humain, mais bien plus que cela. Je me laisse maquiller en imaginant que c'est pour lui et non pour mon futur Seigneur et Maître humain qui m'attend dans la grande salle du rez-de-chaussée.

De son pas souple, ample et silencieux, malgré sa plate, Iraën s'approche de moi. Il porte un coffret que j'ai souvent vu dans sa chambre, sans savoir ce qu'il y a dedans. Il le dépose sur la petite table et l'ouvre. Il en sort un collier magnifique, en argent, fait en forme de végétaux et serti d'une opale brillante.

"Votre mère m'avait confié ce collier pour que je vous le donne une fois que vous serez adulte."

Il vient se placer derrière moi et glisse le collier à mon cou avant de l'attacher sous ma lourde tresse. Je ne peux m'empêcher de porter ma main à l'emplacement du métal froid, me demandant depuis quand ma mère possédait ce collier et ce qu'en penserait mon oncle.

"Lénya aussi a un cadeau pour vous. Elle nous a dit de vous le donner sans que votre tante ne l'apprenne."

Je me retourne surprise vers la servante qui fouille dans son corsage et en sort une gaine de cuir d'une petite vingtaine de centimètres de long, guère plus, il en sort une poignée torsadée.

"Une dague de dame, de jolie facture en plus."

Je tire l'arme de son fourreau et laisse apparaître une lame droite toute simple, fine et légère. Iraën m'explique qu'elle se porte au niveau de la poitrine, entre le sous-vêtement et le corset. Bien qu'inconfortable, ce poignard a l'objectif de se faire très discret, permettant aux femmes de se défendre, sans qu'on puisse le voir à la base. Ce type d'arme est très répandue en Anorfain et en Ynorie, mais cette culture se propage de plus en plus dans les milieux nobles kendrains. Suivant les explications de la servante, je range mon arme bien à sa place, espérant ne pas devoir m'en servir avant de préférence longtemps.

"Et ceci est mon cadeau."

Il tire du coffret un serre-tête en argent, serti d'opales blanches et délicatement sculpté qu'il glisse dans ma longue chevelure.

"Je n'ai malheureusement pas trouvé d'artisan elfique, mais je l'ai trouvé beau quand même."
"Ce n'est rien, Iraën, il est magnifique."

Je me lève et accroche ma cape à coté de mon collier. Je traverse ma chambre à mon aise pour aller récupérer la nappe des fiançailles avant de passer la porte, au bras d'Iraën. Nous descendons l'escalier ensemble, empêchant ainsi ma tante d'intervenir pour venir fermer la porte de ma chambre. Cette précaution est une idée d'Iraën et elle est manifestement bonne car nous croisons ma tante entre les deux étages, les lourdes clés à la main. Poliment, nous lui faisons faire demi-tour pour lancer au plus vite cette cérémonie dont elle a juste hâte qu'elle s'achève pour que je déguerpisse le plancher.

Elle repart donc en courant dans l'autre sens pour faire entrer tout le monde dans la salle tandis que nous arrivons au rez-de-chaussée où va se passer les cérémonies d'après les servantes. Le clair de lune ne sera que pour les bénédictions finales, au vu de la tempête de pluie qui s'abat sur le village depuis hier au soir. Nous arrivons à l'approche de la grande salle, d'où on entend les murmures des invités quand nous sommes rejoint par mon oncle, manifestement en colère au vu de la grosse veine qui enfle sur son front.

"Vous n'avez pas l'intention d'y aller ainsi vêtu, Iraën."

La main de l'elfe serre mon bras, je sens son énervement d'être ainsi nommé simplement par son prénom par mon oncle. Cela me tire même un petit sourire nerveux, en songeant qu'il ne supportait pas que mon père l'appelle autrement.

"Sieur de Nereys, Adalric, je vous prierais de ne pas l'oublier."

La préséance veut en effet que mon oncle utilise son titre pour s'adresser à Iraën, celui-ci étant d'une classe sociale plus élevée. Tant que mon père n'est pas en terre, mon oncle n'a pas hérité du titre de son frère et lui-même n'est qu'un roturier, mon grand-père paternel étant forgeron de campagne. Je vois avec un certain plaisir les muscles de la mâchoire de mon oncle se contracter sous la remontrance. S'il veut faire un noble convenable, il a encore beaucoup à apprendre, à commencer par la maîtrise des émotions sur son visage. Même si chez les Kendrans, la bienséance n'exige pas l'impassibilité des elfes, elle demande au minimum de ne pas avoir l'air d'un taureau furieux à la moindre contrariété.

"Cela ne change rien. Tu ne vas pas aller en arme à un mariage !"

Il ne parle plus, il grogne déjà comme s'il voulait embrocher mon chevalier elfe d'un coup de corne. Il ne lui manque plus grand chose pour qu'il commence à jurer comme un charretier. Iraën par contre est droit, son visage n'ayant varié que du sourcil, marque chez lui d'un énervement croissant, il répond cependant d'un ton calme.

"Auriez-vous oublié que vous avez fait de moi le Lige de votre nièce, Adalric ? Cela implique, selon les traditions autant elfiques qu'humaine, qu'il me faut pouvoir la protéger en tout lieu et tout temps. Même un simple roturier comme vous devrait pouvoir comprendre ce que cette notion implique."

Sans prendre le temps de rétorquer, mon oncle m'agrippe le bras et d'un pas décidé et surtout d'un geste brutal, il tire dessus en direction de la grande porte de la salle.
J'ai envie de retourner dans ma chambre, de partir, de m'enfuir, loin, très loin. Nous avons décidé de nous rendre à Bois d'Argent, chez le maître d'armes de mon père si nous décidions de partir, à l'heure actuelle, ce lieu me paraît trop proche d'ici.
D'une faible poussée sur l'épaule, Iraën m'encourage à pénétrer dans la salle. D'un simple geste de la main, il repousse mon oncle qui va s'installer au premier rang. Avec un sourire, il place la profonde capuche sur ma tête pour me cacher le visage aux yeux des hommes et des mauvais esprits qui pourraient profiter de l'occasion.

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 Sujet du message: Re: Village de Melicera
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"On y va ?"

Ma gorge me paraît soudain particulièrement sèche, je sais que les prochaines minutes vont déterminer ma vie entière. Je ne parviens pas à articuler un mot, mais hoche la tête pour marquer mon accord et adresse une dernière prière à Gaïa pour que mon époux soit un des galants jeunes hommes que j'ai vu arriver la veille au soir.
J'avance à travers l'assemblée, la tête baissée sous le tissu opaque qui m'empêche de savoir ce qui se trame autour de moi. La main serrée d'Iraën me donne un message plus qu'incertain quand à sa signification. Elle ne correspond ni au signe que nous nous sommes fixés pour parler d'un parti à mon goût, ni à celui parlant de l'inverse. Je sens malgré tout une certaine tension, comme un doute. Nous longeons cependant la grande salle, celle qui permet aux hommes d'armes de se restaurer en réalité. Le manoir n'est pas conçu pour donner une réelle réception, mais une aile complète sert à la garde de la ville, ce qui inclue un mess au rez-de-chaussée et un dortoir à l'étage.

Iraën me conduit ainsi jusqu'à devant ce que j'imagine être une table transformée en autel improvisé pour l'occasion. Avant de s'écarter, il me chuchote à l'oreille :

"Je suis à vos ordres, ma Dame."

Je sais que par cette simple phrase, il me signifie que si je désire partir, il tiendra sa promesse et m'accompagnera loin de cette mascarade. Mais cela résonne aussi comme un glas funèbre, comme une invitation à partir avant qu'il soit trop tard. Je respire un grand coup et décide de donner sa chance à celui qui pourrait être mon époux. Je m'avance jusqu'à l'autel et y place la nappe, symbole de la place de la femme dans le couple. Toujours en silence et la gorge serrée, je contourne la table et y trouve une épée, symbole de l'époux. C'est donc au pire un soldat, au mieux un noble ayant acquis ses titres par le fer et non l'or ou l'ascendance. Cela exclu donc Aon de Gramefeux, dommage. Je prends l'arme, la dégaine à moitié et la pose sur la nappe, sur l'arrière de l'autel, le plus proche de moi à l'instant.
Je trouve à gauche de l'autel un bouclier, celui de ma famille normalement : trois abeilles d'or sur champ de sinople. Mon père a en effet hérité du blason de ma mère, en même temps que des terres, vu qu'elle était propriétaire terrienne, contrairement à son chevalier. Je le dépose donc sur l'autel, au su et vu de tous.
Je me dirige alors à droite de l'autel espérant y trouver un bouclier peint dans une autre couleur que du blanc, signe que mon futur fiancé ne serait qu'un simple roturier. Pour mon bonheur, il est peint, l'homme en question est donc un noble. Mais je me retiens de pousser un petit quand je découvre le dessin : rouge sang avec une épée blanche, argent avec un arbre vert, le tout avec un chef brun et argent de Gamerian. Je ne saurais me tromper sur mes leçons d'héraldique, il s'agit du blason de Leoncel de Saurcin, seigneur de Bois d'Argent...

Tout semble s'effondrer autour de moi et je comprends soudain pourquoi Iraën n'a pas été capable de me transmettre un message clair. De toutes les éventualités, c'est sans doute la seule que je n'ai pas prise en compte. Comment aurais-je pu me douter que Gaïa me trahirait jusqu'à cet instant précis ? Comment aurais-je pu m'attendre à une telle félonie de la part de cet homme que mon père respectait ? Comment aurais-je pu ne serait-ce qu'envisager que mon oncle et ma tante allait à me vendre à un vieil homme de soixante ans passés, rompu physiquement à la guerre, déjà deux fois veuf ? Comment aurais-je pu prévoir que mon plan de fuite tomberait à l'eau, parce que la seule personne chez qui je pensais pouvoir me réfugier... était aussi celui qui s'apprêtait à devenir mon fiancé ?

Incapable de réfléchir, tiraillé entre le sentiment profond de trahison, la faiblesse qui m'envahit et l'amour quasiment filial pour ce vieil homme, j'exécute malgré tout la dernière part du rituel en déposant son bouclier à coté du mien. Serais-je capable de ne jamais aimer un homme qui a l'âge d'être mon grand-père ? Après tout, je voulais me sauver chez lui... mais chez quelqu'un ou avec quelqu'un la différence est plus que notable. Je pourrais faire d'Iraën mon amant et faire semblant de l'aimer aussi, et m'occuper de lui comme le ferait sa petite fille, et à sa mort, je me marierais avec un beau et jeune chevalier, comme ma mère l'a fait. Ou alors je passerais ma vie à survivre avec des époux tous vieux et décrépis, méritant quasiment de mourir pour les soulager des douleurs de la vieillesse.

Perdue à mes sentiments de plus en plus contradictoires et à mes réflexions, je vais cependant m'agenouiller devant l'autel, à même le sol en pierre froide, toujours la tête baissée. J'imagine à l'instant le sourire carnassier de ma tante et celui de mon oncle. Je chasse cette image pour la remplacer par le visage d'Iraën, mais quand s'approche le son irrégulier d'un boitillement accompagné d'une canne, je fonds en larmes. Non, je ne supporterais pas d'être son épouse, c'est impossible. Je ne suis pas une servante de Phaïtos qui accompagne les vieillards jusqu'à leur tombe; je ne suis pas non plus une femme liée à Gaïa qui accepte de passer sa vie à soigner des malades, des blessés ou des estropiés dans les hospices.

Non, je suis Naya de Rougeaigues, fille du chevalier Cyrial de Rougeaigues et de Almaïs de Vifon. Ma noblesse me fait mériter un meilleur parti qu'un vieil homme brisé et veuf. A chacun de ses pas, ma détermination se renforce d'autant plus. Suivant le code fixé avec Iraën, je sors une main de ma cape et la pose au sol, avant de la fermer et de la réouvrir trois fois rapidement puis je retombe en prière.

Mes pensées ne se tournent plus du tout vers Gaïa qui m'a trop de fois trahie, mais vers Yuia, la dame de glace au coeur aussi froid que les hauts pics montagneux. Je prie aussi Moura de m'apporter sa force, celle de vivre ma vie comme je l'entends. C'est déterminée que je me lève au moment où le prêtre m'y invite. Je me redresse du haut de mes quatorze ans et toise le prêtre de Gaïa. Il s'agit de l'homme de foi qui s'occupe du sanctuaire du manoir, celui-là même qui s'est moqué de ma promesse à la Dame de Lumière.
Il prend une pincée de fleur de sel qu'il nous jette à la figure :
"Voici le sel, symbole de richesse pour les futurs époux."

Il prend alors un épi de blé qu'il tend à Leoncel. Celui-ci galère à en séparer deux grains, qu'il me tend.

"Voici le blé, symbole de la fertilité et de l'abondance du couple."

Je hausse les sourcils clairement et récupère les grains de blé. Le prêtre me tend alors le pichet de vin, que Leoncel a ramené pendant que j'étais à genoux. Je remplis alors la coupe métallique et la tends au vieil homme.

"Voici le vin rouge, symbole du sang et de la douleur que le couple affrontera ensemble."

Il la prend et trempe ses lèvres avant de me la tendre à son tour. Je n'ai plus le choix, si je le fais, je serais unie à ce vieillard qui peine à tenir debout, je n'aurais jamais la force de rompre une promesse faite devant les Dieux et les hommes. Derrière moi, je sens la présence d'Iraën qui s'est approché de moi. Je respire un grand coup et me retourne vers le prêtre et lui murmure d'un ton cassant :

"Je n'ai pas oublié ma promesse à Gaïa !"

Un froid s'installe dans la pièce, toute l'assemblée est entrain de réaliser que quelque chose ne va pas. Je respire un grand coup, plonge mes yeux dans ceux du vieux maître d'armes et prononce distinctement :
"Mon père n'aura jamais voulu ça. Non, je ne veux pas me lier à toi."
"Je sais..."

Je vais pour retraverser la pièce, profitant de l'effet de surprise de tout ceux réuni quand mon oncle m'agrippe le bras violemment, tenant dans son autre main la coupe argentée toujours pleine de vin.

"Tu vas boire ce pinard, sale enfant gâtée !"

Mon sang ne fait qu'un tour, Iraën à coté de moi sort son épée, mais avant qu'il ne s'en serve, ma colère contenue depuis le décès de mon père se décharge brutalement et plus physiquement que tout ce que je pouvais espérer. C'est un véritable décharge électrique que mon oncle reçoit, à travers le gobelet de fiançailles. Il laisse échapper un glapissement pitoyable et me lâche sous la surprise, ainsi que le récipient dont le vin vient s'étaler au sol, aspergeant la nappe blanche brodée.
Rugissant, il dégaine l'épée sur l'autel et se rue vers moi, avec ses manières de garçons des rues, sans la moindre technique, ni élégance. Je m'attendais à ce que ça soit Iraën qui contre l'attaque et me protège mais c'est Leoncel qui intervient à l'aide de son écu.

La situation se calme quand d'une voix forte Aon de Gramefeux met fin, à la cérémonie, mais aussi à la régence de mon oncle. En portant la main sur un noble, sans l'être lui-même, il a outrepassé tous ses droits. Avant d'avoir compris, il se retrouve à genoux, désarmé entre deux gardes.

"Comme il n'y a personne pour reprendre la régence, je me nomme régent de Melicera."

Je vais pour protester, toujours pleine de colère, mais Iraën arrête mon geste. Je suis encore une enfant, mineure, n'ayant aucun droit sur les possessions de mes parents; et de surcroît, je suis désormais orpheline et sans famille. Après avoir ramassé la coupe, Aon de Gramefeux se retourne vers moi, avec un regard méprisant qui s'accorde parfaitement au ton de sa voix :

"Et quant à toi, la pucelle. Soit tu épouses Leoncel qui a sauvé ta vie, soit tu renonces à ta noblesse et tu pars de cette ville, sur le champ !"

Mon ire n'a pas cessé et avant que j'ai pu canaliser cette fureur, elle s'échappe sous forme d'un nouvel arc électrique qui vient frapper à nouveau le calice. Sous le choc, le jeune homme prétentieux le lâche dans un tintement métallique et recule de deux pas. Trébuchant sur sa cape, il se rattrape à la table et dans un craquement bruyant déchire la nappe en tombant au sol.

"Sale petite garce ! Tu as intérêt à quitter ce duché avant l'aube, si tu ne veux pas que ta tresse finisse en trophée de chasse !"
"Je ne comptais pas rester, Sieur !"

Je me retourne et quitte la salle d'un pas rapide, Iraën sur mes talons. Rien ne s'est passé comme prévu et désormais je suis seule, ou presque...

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 Sujet du message: Re: Village de Melicera
MessagePosté: Sam 28 Fév 2015 18:38 
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Je ravale mes larmes tout en franchissant le seuil du mess, Iraën sur mes pas. Le doute n'effleure pas mes pensées et je suis certaine, à cet instant précis d'avoir fait le bon choix. Je n'aurais pas pu me marier à Leoncel, cela aurait presque été un inceste, il a été plus qu'un frère pour mon père et presque un grand-père pour moi.

"On se retrouve dehors, comme prévu !"

Iraën s'éclipse aussi vite en direction de l'étage. Sa tâche est de récupérer les affaires préparées durant l'après-midi tandis que je récupère deux chevaux aux écuries, tout en me laissant le temps, rapidement, de me rendre auprès du corps de mon père.

Je longe la coursive dans l'autre sens, vers la chapelle où doit sans doute être mon défunt père. La lourde porte n'est pas fermée, elle ne l'est jamais en théorie; j'ignore même si quelqu'un en la clé. Comme je m'y attendais, le corps de mon père est là, sous la protection de deux apprentis en robes noires, qui permettent sans doute que son état reste aussi impeccable malgré les quelques jours qui ont déjà passé depuis que Phaïtos l'ait cueilli. Je le trouve beau, comme toujours, il a la même couleur de cheveux que moi. Il l'ont habillé avec un pourpoint et il porte son épée, brisée, répartie autour de lui, la garde serrée dans la main sur sa poitrine. Son bouclier, au blason presque effacé par les coups qu'il a reçu, est posé sur lui, le protégeant.

"Je peux ?" murmuré-je quasiment à l'adresse des deux jeunes hommes.

Ils me répondent d'un simple, mais grave, hochement de tête. Je m'approche et m'agenouille au sol en adressant une brève prière à Phaïtos pour qu'il lui offre le repos qu'il a mérité. Puis je me lève et je replace sa mèche correctement.

"Pardonnez-moi, père. Votre lignée aura été fort courte et désormais, je pars sur les routes. J'ignore ce que je vais y trouver, mais je reviendrais ici, dès que je pourrais pour vous voir, ainsi que mère et Aymeric. J'aurais aimé être là jusqu'à ce que vous les rejoignez, mais je n'en ai pas le droit. Je suis désormais une femme, et il me faut aller de l'avant. Embrassez mère et Aymeric pour moi, je ne vous oublierais pas."

Mue d'une aspiration soudaine, je lui baise le front, comme il le faisait avec moi avant que je m'endorme. La mort a un goût étrange, mais pas aussi déplaisant que je pourrais le redouter. Désormais, ce terrible arôme ne me quittera plus. Tant qu'à n'être qu'une chienne, chassée à coup de pied de sa demeure, je deviendrais le chien le plus féroce. Nulle vengeance ne m'habite, les seuls coupables sont les Dieux qui se jouent de nous comme de vulgaires pantins; et je ne suis pas de taille à affronter les Dieux. J'ai choisi de vivre une vie pauvre mais libre, je défendrais donc ma liberté, vu que c'est tout ce qu'il me reste.

Je tire ma dague de mon corset et regarde les flammes qui se reflètent dans l'acier de la lame. Je rabats ma tresse vers mon épaule et, d'un geste vif, la tranche à hauteur des épaules. Mère m'avait fait promettre de ne couper mes cheveux que quand je serais une femme, désormais je le suis.

Je ne veux pas être une orpheline, une gamine des rues qui mendie pour tenter de survivre. Non, je n'ai pas tout quitté pour être simplement ça. Non, j'ai refusé ce mariage pour être libre, sans terre, sans époux, sans enfant, pour être une femme, une aventurière, tout simplement ! Je rêvais de conte de princesse et je bascule dans ces histoires de vierges guerrières parcourant le monde et vivant des quêtes formidables, sauvant des pays, gagnant de l'honneur et des titres comme des hommes !

Je roule ma tresse et vient la glisser tant bien que mal dans la main gauche de mon père. Cette main est si froide, si rigide qu'il est difficile de la manipuler, comme s'il était fait de glace comme la statue du temple de Yuia. Désormais c'est elle que je choisis comme protectrice, je veux devenir une femme magnifique, libre, puissante et inflexible. Après un dernier baiser à mon défunt père, je quitte la pièce, et le manoir. J'ai les larmes aux yeux, mais je me sens plus légère, plus déterminée que jamais.

A peine arrivée dans la cour du manoir, le vent froid de cette journée glaciale vient me fouetter le visage, je souris, y voyant une acceptation de la dame blanche. D'un pas vif, je me dirige vers les écuries tout en rangeant ma dague bien à l'abri. Il n'y a là personne, si ce n'est le vieux lad qui était déjà de service avant ma naissance. Il n'est manifestement encore au courant de rien, et dort dans sa maisonnette. L'âge lui a fait perdre l'audition et je souris en appréciant pour une fois cette caractéristique si énervante habituellement.

Je me rends à la stalle de Céleste, ma jument noire à la crinière palomino. Son caractère vif et enjoué conviendra parfaitement, puis je la monte depuis plus longtemps qu'Hyedra, la rousse. Je la selle rapidement, l'apprêtant pour le départ. Pour Iraën, je récupère Ombre, le cheval noir de mon père qui est revenu indemne de la guerre. Je refuse que ce cheval revienne au rouquin qui, bien que mon suzerain, vient de faire de moi une sans-abri. D'ailleurs, quoiqu'il arrive, Ombre ne serait pas resté ici, j'avais convaincu mon oncle de l'offrir à mon futur époux en cadeau de mariage.

J'ai tout juste fini d'apprêter nos deux montures qu'Iraën arrive, il porte deux sacs, un pour chacun de nous; comprenant un nécessaire minimum de survie : de quoi faire du feu, une couverture, un peu de nourriture, un couteau de table en fer forgé et des vêtements plus confortables que la tenue de cérémonie ainsi qu'une bourse contenant quelques yus. S'il a respecté mes indications, il aura ajouté un maximum de livres et parchemins pour que je puisse entretenir ma culture, ainsi qu'un minimum de couture. J'attache tout ça tant bien que mal à la selle de mon cheval pour plus de confort et récupère ma lyre que j'attache à mon épaule, lui ayant déjà récupéré la sienne, que mon père lui avait offerte.

"Il est temps de partir. J'ai croisé le Seigneur des lieux et ma présence a eu l'air de l'incommoder."
"Partons alors. Nous déciderons en route où aller."

_________________
Naya, fille du chevalier Cyrial de Rougeaigues, seigneur de Melicera


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 Sujet du message: Re: Village de Melicera
MessagePosté: Mar 24 Avr 2018 02:13 
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Ezekiel ne marchait plus au même rythme et laissa la tête du groupe au profit d'Harolt, qui se mouvait dans de faux airs de sentinelle. Il était sonné et abusé par ce qu'il venait de se passer, abasourdi par la violence de ce dernier quart d'heure. Borri profita de leur intimité pour le questionner.

- Tu vas me raconter ta petite promenade dans ces bois car visiblement il y a matière à dire. Qu'est-ce qui a bien pu se passer pour que tu nous revienne dans cet état ?

Le rôdeur, sachant qu'il ne pourrait échapper aux questions du vieux loup, prit une grande inspiration et tenta de se montrer le plus clair possible.

- Je dois t'avouer que j'ai moi même du mal à comprendre... Lorsque je suis allé remplir les gourdes, je me suis fait agresser par une étrange créature. Elle paraissait humaine sans l'être... Jamais de ma vie je n'aurais cru cela possible. Elle m'a affaibli à l'aide d'une inquiétante magie et attaquait pour tuer.

- À quoi ressemblait-elle ? Saurais-tu me la décrire ?

- Un être sorti tout droit d'un cauchemar. Cette chose était défigurée, décharnée, cadavérique. Le plus curieux étaient ses yeux. Ils se situaient dans sa main... Tiens, regarde donc.

Il plongea sa main dans sa besace pour en sortir le tissu contenant le macabre trophée. La mine horrifiée de Borri ne le rassura pas. L’œil au milieu de la main continuait de fixer Ezekiel de son air malveillant.

- Mon garçon, tu as eu à faire à de biens sombres forces... Range moi ça tout de suite. Il est préférable de s'adresser à un spécialiste.

- Tu connais quelqu'un qui saurait nous en dire plus ?

Le vétéran se gratta la barbe l'air pensif.

- En effet, je connais bien une personne susceptible de répondre à tes questions, mais il ne vit pas dans le village où nous nous rendons... Il est plus en retrait, dans les montagnes. Et ne sera pas des plus enchantés de me revoir.

Ezekiel ne savait pas s'il voulait être mêlé à tout ça. Pourtant, une part de sa curiosité était piquée à vif. Il obéit à Borri et replaça la main dans son sac. Une ambiance pesante venait de s'installer entre les deux camarades, aucun n'osant rompre ce silence nouveau. C'est Harolt qui s'en chargea.

- Dis Borri tu sais si on est encore loin ? J'ai l'impression qu'on marche depuis des heures.


- On marche depuis des heures petit. Et oui rassure toi nous sommes bientôt arrivés. Le petit village de Melicera est la porte des Duchés des Montagnes. Très peu de personnes vivent là-bas, mais je les connais pour la plupart car j'y ai officié en tant que garde quelques années durant. Vous n'avez pas idée du point auquel je pouvais m'emmerder. Il ne se passe quasiment rien à Melicera. On va néanmoins pouvoir nous réapprovisionner et nous reposer. Ensuite, nous nous dirigerons vers Akinos, dans le duché de Luminion. Mais chaque chose en son temps...

Harolt, soulagé, reparti de plus belle allure. Les deux autres le suivirent, eux aussi impatients d'avaler les derniers kilomètres les reliant à leur destination.

Le village de Melicera était très petit, comme l'avait décrit Borri. La petite compagnie l'atteignit en fin de journée avec les derniers rayons du soleil. Le petit bourg ne payait pas de mine. Quelques regroupements d'habitations formaient un modeste centre symbolisé d'une place sans ornements. La majeure partie des locaux semblaient résider près de leurs champs, dans de sommaires masures. Les maisons et bâtisses, construites d'une pierre grise rendait le tout un peu triste mais donnait également une certaine forme de robustesse au tout. L'implacable vigueur des montagnards s'illustrait jusque dans leurs constructions. Heureusement, la position du village au milieu d'une petite vallée au pied des montagnes lui conférait un certain charme entourée de la forêt verdoyante. Les paysans se rentraient à cette heure ci, abandonnant leurs cultures. Certains saluaient Borri d'un vague signe de tête. Il avait fait grand soleil, ils devaient être rincés d'avoir trimé sous telle chaleur. Après les avoir suivi sur quelques centaines de mètres, les trois compagnons gagnèrent le centre de Melicera. Là aussi, le rythme des habitants allait décroissant. Les rares marchands rangeaient leurs étals de leurs produits. On y voyait surtout des denrées issues de la terre mais quelques artisans se joignaient volontiers au commerce, entre poteries et ferronneries. Les ruelles se vidaient progressivement. Quelques chaumières commençaient à fumer, laissant filer diverses effluves qui rappelèrent à Ezekiel qu'il n'avait pas mangé de la journée. Tout le monde avait l'air de se connaitre, se saluant et échangeant quelques banalités. Un homme s'approcha d'eux. Vêtu d'une tunique de cuir frappée d'un blason inconnu du rôdeur et arborant un gourdin de bois à sa ceinture, il semblait être l'un des rares gardes du coin. Il alla à la rencontre de Borri et le salua chaleureusement.

- Borrislav vieille fripouille en voilà une surprise ! Qu'est-ce qui amène ta vieille carcasse du côté de Gamerian ?

- Alfort quel plaisir. Étonnant n'est-ce pas ? Figure toi que j'ai trouvé des compagnons de route et que le destin a fait que nous errons depuis maintenant quelques jours dans les alentours. lui répondit Borri tout en désignant ses deux protégés.

Timidement, Ezekiel salua le nouvel arrivant qui, à l'image de Borri, avait un certain charisme intimidant. Il le dépassait d'une tête et présentait une silhouette fine mais sèche. Nul doute qu'il savait se battre, en attestaient ses larges épaules ainsi que la moitié de son oreille droite coupée. Malgré cela, il affichait un visage relativement paisible, deux yeux bleus enjolivant un regard bienveillant ainsi qu'une barbe qui avait besoin d'un bon coup de rasoir.

- Alfort et moi nous connaissons depuis quelques années maintenant. Je vous ai dit que j'ai vécu ici un certain temps, voici celui qui me faisait office de frère d'armes, mais également de compagnon de beuverie, héhé...

- Un plaisir pour moi de vous rencontrer. Quel dommage pour vous que d'avoir croisé ce vieux débris... Non mais regarde les, ils ont l'air épuisé ! Toi, tu ne peux vraiment pas t'empêcher d’entraîner ceux que tu croises dans tes sales histoires, ça ne changera décidément jamais. Mais assez parlé, il me reste une ronde à finir et vous un estomac à soulager. Les deux premières tournées sont pour moi. Nous nous verrons quand j'aurai fini mon service.

Sans plus de cérémonie, le vieux veilleur s'éloigna à travers les petites rues désertes du hameau, laissant la petite troupe se diriger vers la taverne.

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Dernière édition par Ezekiel Uyuni le Mar 24 Avr 2018 19:50, édité 3 fois.

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 Sujet du message: Re: Village de Melicera
MessagePosté: Mar 24 Avr 2018 02:30 
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La Ruche. Original. Cette lugubre taverne semblait être le centre névralgique du petit village de Melicera. Une sorte d’exutoire au sein duquel chaque être venait encaisser la morosité du quotidien, entre paysans au dos voûté sous la charge du travail, crapules en cavale ou voyageurs égarés. Le petit trio s'était parfaitement joint à la cohue, prenant place à une petite table crasseuse située sous une fenêtre ouverte qui laissait filtrer la douce fraîcheur du crépuscule. Le lieu était à l'effigie du village et de ses gens. Austère de prime abord puis chaleureux après avoir témoigné d'un peu de curiosité. D'imposantes poutres de bois sombre dominaient le lieu en de stoïques colombages, ornées de bougies aux tailles diverses, inondant les lieux d'une lueur multicolore. Le tenancier était tranquillement abrité derrière un très beau comptoir finement ouvragé sur lequel était gravé le récit d'une ancienne bataille ayant ébranlé la région il y a quelques lustres de cela. Une jeune serveuse était occupée à distribuer les boissons disposées sur un large plateau. Elle venait de donner à Harolt sa troisième pinte.

- Aaah merci ma belle ! Si seulement nous pouvions passer toutes nos soirées dans de telles conditions !

Borri et Ezekiel étaient estomaqués devant la descente du gredin. Cela ne faisait même pas une demie-heure qu'ils avaient prit place dans la Ruche et leur acolyte descendait la bière locale, la Barbar, comme de l'eau. Le rouge lui montait d'ailleurs aux joues et ses orbites commençaient à être en conflit pour regarder dans la même direction. La scène arracha un rire au vieux loup.

- Hé hé hé sombre crétin. Si c'est à ça que tu veux jouer tu as trouvé preneur. Annabelle, remets nous ça ! Je vais montrer à cet avorton que l'âge n'a en rien atteint mon foie !

Le vétéran forcea Ezekiel à vider sa bière d'une traite à grands renforts d'insultes. Ce dernier, gêné devant les visages qui se tournaient vers eux se fit violence et ingurgita le breuvage, incapable de réprimer une grimace une fois celui-ci entièrement assimilé. Jamais de sa vie il n'avait bu de bière aussi corsée. Son intuition lui dit que cette soirée risquait fortement d'être mémorable. Après quelques hésitations, il décida de se laisser aller et de rejoindre ses compagnons dans leur insouciance. Les minutes défilèrent au rythme des levées de coude. Un barde ambiança les environs de son luth et des tables se joignirent afin de sceller de nouvelles amitiés dans le houblon et l'hydromel. Borri s'était écarté pour discuter avec deux anciens collègues. Ezekiel, éméché, maintenait sa tête droite grâce à sa main solidement ancrée sur la table qu'il n'avait pas quitté depuis leur arrivée, un sourire niais au visage. Harolt quant à lui faisait étalage de toutes ses qualités de danseur sur cette même table, menaçant par moments de s’effondrer mais se rattrapait chaque fois de justesse d'un souple mouvement avant de hurler de rire et de recommander une tournée.

- Mais bon sang Harolt tu cherches à nous ruiner ?! Je dois te rappeler que nous ne roulons pas sur l'or ?

A ces paroles, la fripouille stoppa sa chorégraphie pour pointer un doigt accusateur vers son camarade.

- Ezekiel... ! J't'aime bien tu sais, mais faut vraiment que j'te gise... Que j'te dise qu'y faut qu'tu prennes à lâcher prise bordel ! Tous les trois avec le vieux bouc on est iniv... Invic... Invincibles ! Alors sors moi ce noyau que t'as dans l'cul et sache que j'ai beau pas savoir me battre ou élaborer des strartagèmes obtus, j'ai d'autres arcs à mon corde !

Sur cette bouillie verbale, il afficha un sourire ravi avant de sortir diverses bourses de sa poche.

- Bordel mais où as-tu...

- Non non mon pote ! Tu m'engueuleras demain ! En attendant, on s'amuse et on profite !

Ezekiel abdiqua devant la pinte tendue d'Harolt et trinqua avec lui en un souriant soupir. Ce personnage haut en couleur semblait bien cacher son jeu, mais le rôdeur sentait qu'une franche amitié naissait entre eux. Il décida de l'entretenir en allant chercher deux nouvelles consommations. En chemin, il croisa Borri. Le vieux loup semblait ne pas avoir chômé lui non plus. Il tenta de communiquer avec Ezekiel mais ce dernier ne reçu en guise de message qu'un marasme linguistique incohérent. Après l'avoir fait répéter par deux fois, il parvint enfin à déchiffrer le compromis de vocabulaire que son aîné lui soumettait.

- Nous ait réservé deux piaules à l'étage, voici la clé d'la votre !

Après lui avoir transmis le précieux sésame, le vétéran s'éclipsa de nouveau après l'avoir gratifié d'une rude tape sur l'épaule. Ezekiel arriva enfin sur le comptoir sur lequel il s'affaissa, reprenant tant bien que mal ses esprits. Le tavernier s'approcha de lui et l'alpagua d'un coup sec sur le comptoir. Ce dernier était une véritable force de la nature surplombée d'une barbe et d'une tignasse d'un roux ardent. La légèreté de son faciès laissait deviner qu'il avait l'habitude de ce genre de débauche. Ne souhaitant le froisser, Ezekiel prit rapidement commande.

- 'Soir patron ! Y me faudra deux godets de ta liqueur la plus rude !

Le tenancier le toisa avant de ricanner.

-C'est pour toi et l'autre allumé là-bas ? Borri me surprendra toujours ! Voilà pour toi mon gaillard. J'appelle ça de l'Haleine de Dragon. Tu m'en diras des nouvelles, si t'es encore foutu de trouver la direction de mon bar après, haha !

Après avoir réglé, Ezekiel osa renifler le fameux remontant, qui lui fit monter les larmes aux yeux tant l'odeur était puissante. Plus le temps de reculer, il fallait assumer. Il tituba jusqu'à sa table en prenant soin de ne pas renverser la moindre goutte du précieux élixir puis fit claquer les deux bocks face à Harolt d'un air de défi, le sourire aux lèvres.

- Qu'est-ce que tu m'apportes là camarade ? Y'en a pas beaucoup dis !

- La fin de ta soirée ! Le patron m'a dit qu'il n'avait rien de plus fort. Tu me suis ?

- Un... Un peu que j'te suis l'ami !

Harolt s'empara de son verre et le leva bien haut, le visage complètement ravagé par l'éthanol.

- À nos aventures passées et à venir ! A ces foutus trolls et à la chute de ce con de Manfred ! Il m'en a assez fait baver mais maintenant je lui ferai plus son sale boulot ! Cul-sec camarade !

L'alcool eut l'effet d'un décapant. Ezekiel le sentit descendre jusque dans l'estomac et lui brûler l’œsophage. Un goût immonde s'empara de lui et il eut l'impression que ses organes se disloquaient. Les deux se regardèrent les yeux écarquillés comme s'ils venaient de prendre un coup de poing, puis Harolt eut un haut-le-cœur avant de se précipiter vers la fenêtre et vomir. Ezekiel se fit violence pour ne pas l'imiter et laissa passer l'orage en une douloureuse quinte de toux. Bien que l'alcool lui monta aussitôt au cerveau, il fronça les sourcils en pensant aux dernières paroles d'Harolt. Quelque chose n'allait pas. Pourquoi l'évocation du nom de Manfred le fit-il frissonner ainsi ? Harolt venait-il bien de dire qu'il avait travaillé pour lui ? Et Alfort... Cet homme sympathique qui mettait tant de temps à les rejoindre. Où était-il ? Non, quelque chose n'allait pas. Le sentiment que c'est précisément ici qu'ils ne devaient pas être, qu'on voulait qu'ils soient. Comme s'ils s'étaient jetés dans la gueule du loup... Il s'approcha de la fenêtre au travers de laquelle Harolt était en train de faire chanter son système digestif.

- Qu'est-ce... Qu'est-ce que t'as dit ?

Le gredin, ivre mort, était visiblement dans l'incapacité de répondre. C'est ce moment que choisit Borri pour réapparaître. En voyant l'état d'Harolt, il ne put s'empêcher de laisser libre court à son sadisme et le fit passer par dessus la fenêtre en un rire gras. Le pauvre pochtron s'effondra sur le sol tel un poids mort, dans son propre dégueulis. Ezekiel ne goûta pas du tout à la plaisanterie et accorda un regard lourd de reproche au vétéran.

- Oh ça va ! Ça va lui faire les pieds à cette canaille ! Et puis au moins comme ça tu as la chambre rien que pour toi ! Elle est pas belle la vie ?


Ezekiel resta de marbre. La terreur rejoignit l’ébriété sur son visage.

- Tu... Tu as vu ton ami, Alfort ? Il a bien dit qu'il nous rejoignait rapidement, non ? bafouilla Ezekiel avant de lâcher un rôt bruyant.

Le rôdeur éprouvait tout le mal du monde à rester un minimum lucide. Sa tête le martelait et ses sens lui jouaient des tours, troublant la lumière ce qui failli plus d'une fois le faire abandonner et s'écrouler. Le vétéran dévisageait Ezekiel, quelque peu perplexe.

- Je t'avoue que non, et maintenant que tu le dit, ça me parait suspect. Ce n'est pas dans son tempérament de parler en l'air, surtout si c'est pour revoir un vieux frère. Allons demander au patron si il l'a vu.


Le tenancier, qui répondait au nom d'Abraham était occupé à racler de leur saleté les multiples chopes de son établissement. Borri posa un coude assuré sur son comptoir. Comme par enchantement, les vicissitudes de l'alcool s'étaient quelque peu apaisées devant l'urgence de la situation, bien que les yeux et joues des deux compères indiquaient qu'elle n'abdiquerait pas si facilement. Abraham reçut Borri d'un sourire amical.

- Borrislav que ça me fait plaisir ! La Ruche est beaucoup plus accueillante maintenant que les rénovations sont finies, non ? Tu dois en avoir des histoires à raconter depuis la dernière fois !

Le vétéran ne considéra pas la moindre palabre de son interlocuteur.

- As-tu vu Alfort ?
Abraham connaissait ce ton, aussi ne posa t-il pas de questions et alla droit au but.

- Il n'a pas franchi la porte de mon établissement de la soirée. Tu... Veux que je lui transmette un message ?

Borri fronça les sourcils.

- Toi... Je te connais assez pour savoir que tu me caches quelque chose. J'ai beau être complètement rond ça fait assez d'années que je te fréquente pour savoir quand tu essaies de me mentir. Prends ton temps pour bien me répondre et arrête de me faire perdre le mien.

Les tempes du tavernier devinrent humides. Sa mâchoire se crispa. Il hésita.

- Bon, tu as gagné... C'était il y a deux jours. Un petit groupe a débarqué dans le village, pas plus de huit je dirais, l'air éreinté, épuisé. Un colosse les menait, et regarde moi, je ne dis pas ça de n'importe q...

- Chauve, le colosse ? le coupa Ezekiel.

Abraham acquiesça silencieusement. La nouvelle eut l'effet d'un coup d'épée dans les boyaux pour le rôdeur. Borri et lui se regardèrent médusés.

- Et Alfort alors ? Qu'est-ce qu'il vient foutre dans cette histoire ? Parle.

Le tenancier jetait des regards nerveux autour de lui, comme si toutes les oreilles s'étaient tournées vers leur conversation. Il reprit plus bas.

- Il... Il a beaucoup parlé avec leur meneur qui s'est présenté comme un marchand, apparemment. Je te jure que je n'ai pas la moindre putain d'idée de ce dont ils parlaient, mais ils avaient l'air de bien s'entendre.

Borri lâcha un puissant rire de frustration. Il affichait un regard carnassier.

- Ezekiel, fais moi plaisir et va me chercher la dépouille qui nous sert de compagnon. Il faut qu'on se tire au plus vite d'ici. Bordel Alfort... Sale fils de chienne. Quelle merde !!

Abraham paraissait totalement déboussolé.

- Enfin Borrislav tu vas me dire ce qu'il se passe ?

Le vieux loup considéra l'imposant aubergiste un moment puis inspira longuement, conscient de sa sincérité.

- Le chef de cette troupe se nomme Manfred. Ce sont des esclavagistes. Il ne mentait donc pas totalement en se qualifiant de marchand, ce rat. Si je voyage avec ces deux énergumènes, c'est pour la simple et bonne raison que je leur dois la vie d'une certaine manière, surtout au grand dadet. Nous étions tous les trois prisonniers de ces salopards. Maintenant, ils cherchent à régler leurs comptes. Autant te dire qu'on est dans la merde jusqu'au cou.

Le rouquin soupira.

- Et Alfort s'acoquine avec ces raclures. Je suis plus que surpris et surtout déçu... Je vous pensais bons amis. Je le pensais fiable.

- Je ne te le fais pas dire. La situation est...

Une voix affolée l'interrompit. Ezekiel. Il tenait difficilement Harolt sous son bras alors que lui même avait du mal à tenir debout, offrant un spectacle pour le moins singulier.

- Borri, on doit s'en aller, maintenant ! Je viens de voir Alfort dans la rue se diriger vers l'auberge et figure toi qu'il était accompagné de deux autres personnes !


- Bordel de merde... Manfred est de la partie ?

- Non, il ne m'avait pas l'air d'être présent mais ça ne change rien au fait qu'on doit foutre le camp !

Borri se prit les sinus à deux doigts et analysa rapidement la situation. Leur ennemi avait retrouvé leur trace et au pire des moments, lorsque ceux-ci étaient vulnérables, ravagés par l'alcool. Alfort avait bien choisi son moment pour entrer en action. Les problèmes les suivaient vraiment à la trace.

- Bon, très bien ! Je prends toutes nos affaires, toi tu gardes le p'tit avec toi. Abraham, je t'en prie, dis-moi que nous pouvons sortir par ailleurs que la porte d'entrée ?

- Hm... J'aurais bien pu vous cacher dans la réserve mais le traître va s'en douter. Il y a bien un moyen. Voici la clé de la chambre huit. Il y a une fenêtre qui donne sur l'arrière cour. De là, vous pourrez vous volatiliser en empruntant les ruelles. Je vais faire de mon mieux pour vous faire gagner un maximum de temps. Maintenant, filez !

- Je te revaudrai ça mon ami.

Sans perdre plus de temps, Borri se rua vers leurs affaires, Ezekiel s'empara de la clé, le groupe diminué et affaibli se dirigea vers la fameuse chambre et une nouvelle course poursuite pouvait débuter.

_________________


Dernière édition par Ezekiel Uyuni le Mer 25 Avr 2018 01:58, édité 1 fois.

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 Sujet du message: Re: Village de Melicera
MessagePosté: Mer 25 Avr 2018 01:57 
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Une fois encore, les événements prirent une tournure improbable et en défaveur de la petite troupe. Visiblement, ils allaient devoir traverser encore bien des épreuves afin d'avoir droit à un peu de répit. En souhaitant vivre d'aventures, Ezekiel ne pensait pas être autant servi. Un peu trop, même. Voici que le trio se retrouvait embarqué dans une lutte contre une bande mal intentionné qui ne veulent décidément pas les laisser en paix, emenés par Manfred, leur impitoyable meneur. Ceux-ci avaient donc atteint la bourgade de Melicera une poignée de jours avant eux, prenant soin de les attendre. Alfort, le garde et ancien camarade de Borri l'avait trahi, sans doute vendu devant les mirobolantes promesses des bandits. C'était sa faute si Ezekiel et ses compagnons se retrouvaient au beau milieu de la nuit, pleins comme des barriques à devoir échapper à des poursuivants visiblement décidés à en découdre. La chance ne tournait pas en leur faveur, seul Borri parvenait à se mouvoir à peu près correctement, tandis qu'Ezekiel faisait tout son possible non seulement pour avancer droit mais aussi pour maintenir Harolt, dont la conscience était partie en promenade. Une main contre le mur de la rue, il avançait péniblement, tandis que Borri restait en arrière, l'épée à la main. À chaque angle donnant sur une nouvelle ruelle, le cœur du rôdeur battait la chamade, persuadé de tomber sur Alfort et ses nouveaux associés.

- On ne va pas pouvoir tenir comme ça très longtemps Borri... Il nous faut trouver un endroit où nous cacher !

- Je sais mon garçon, j'y réfléchis... En attendant garde le peu de force qu'il te reste pour avancer et laisse moi m'occuper de nous trouver un abri. Avec un peu de chance, Abraham a réussi à leur soutirer assez de temps pour que nous puissions les distancer.

C'était mal parti. Même avec la meilleure volonté, le jeune homme éprouvait bien du mal à avancer efficacement, la faute à l'alcool et au poids mort qu'il devait supporter. Harolt paraissait totalement inconscient. Ezekiel tentait tant bien que mal de le secouer dans l'espoir de le réveiller mais savait ses tentatives vouées à l'échec en repensant au moment où ils durent littéralement le faire passer par la fenêtre de l'auberge sans la moindre réaction de ce dernier et malgré sa courte chute. Les rues étaient totalement désertes. S'ils devaient croiser quelqu'un, ils savaient qu'ils devraient faire face avec de bien maigres chances de victoire. Leur seul salut résidait dans la fuite. Trouver une cachette crédible, s'y dissimuler. Prier.

- Tu dois bien connaitre quelqu'un de confiance qui peut nous abriter non ? Réfléchis bordel de merde !

Ezekiel se surprit lui même de son langage. Borri commençait-il à déteindre sur lui ?

- C'est bon ça va j'y travaille je te dis ! Maintenant continue de gueuler comme ça et sois sûr qu'on est repérés ! Ici, là ! Tourne à gauche !

Le rôdeur s'éxecuta. Borri venait d’accélérer dans son dos, le dépassa et ouvrit la porte d'une petite cour juste après l'angle de la rue dans laquelle ils venaient de s'engouffrer. Ezekiel, surprit, le suivit, manquant de s'écrouler en franchissant le portail. Le vétéran agrippa Harolt et le mit à terre, le collant au muret de la résidence et invita Ezekiel à faire de même.

- Ils sont juste derrière nous ! Cache toi et fais toi le plus petit possible !

Il ne se fit pas attendre. En un mouvement, il était lui aussi face contre terre, recroquevillé contre la modeste paroi. Juste ensuite, la lumière d'une torche apparut et des bruits de pas se firent entendre. Des pas de course. Ezekiel ferma les yeux, comptant les secondes. Le tumulte s'intensifia. Ils n'étaient plus séparés que d'un mètre. Si leurs poursuivants décidaient maintenant de s'arrêter et de fouiller, c'était la fin. Le rôdeur retint son souffle, terrorisé. Finalement, les pas s'éloignèrent petit à petit. Malgré cela, le jeune homme n'osait pas bouger, comme pétrifié. C'est Borri qui le tira de son épouvante d'un frôlement sur l'épaule.

- Vite, relève toi ! Il nous faut vite partir ! S'il le faut, ils vont passer la nuit à ratisser le village jusqu'à mettre la main sur nous. Il y a une personne qui peut nous venir en aide. Je lui fais confiance comme je fais confiance à Abraham. Il ne nous trahira pas. Cependant, ce n'est pas en en discutant que nous allons atteindre sa maison. En route mon garçon !

Désormais, Borri se chargeait de Harolt. Il le prit sur son épaule, sans la moindre grimace. Ezekiel tenait cet homme en profond respect. Il était doté de bien des ressources et son âge ne l'handicapait en rien lorsqu'il fallait faire usage de la force. Le jeune homme remercia Rana de s'être fait placer sous sa protection. Le vétéran progressait à vive allure. Ezekiel le talonnait regardant dans son dos tout les deux mètres.

- On y est bientôt ?

-Tais toi et cours.

Melicera lui apparu soudainement infinie, ses rues s'étendant telles les plus longues avenues de Kendra Kâr. Il n'aurait su dire combien de temps dura cette escapade nocturne. Toujours est-il que Borri savait où il allait, cette pensée le rassura quelque peu. Le vieux loup les entraînait vers les faubourgs du village. La pierre sous leurs pas devint progressivement de la terre. Les quelques lampadaires firent place à une obscurité pesante, seulement entravée par les rayons de la lune, offrant la vision de trois silhouettes chavirant vers un but inconnu. Soudain, Borri franchit l'entrée d'une propriété définie par une clôture de bois. Une maisonnée au toit de chaume trônait en son milieu, bâtie d'une pierre sensiblement différentes de celles utilisées habituellement dans le coin. Plus sombre. À côté d'elle une annexe. Le vétéran se rua sur la porte principale et frappa fortement, sans pour autant tambouriner. Il recommença après quelques secondes puis s'accroupit sous le maigre porche, ordonnant à Ezekiel de faire pareil d'un signe de la main. Le temps se figea. Les compagnons fixaient le centre de la ville. Le rôdeur se retrouvait à nouveau paralysé par la peur, certain de voir à tout moment la lueur des torches de leurs pisteurs se matérialiser au bout de la petite route de terre. La porte s'ouvrit. Une silhouette apparut. Un visage fatigué autant qu'abasourdi se dessina dans l'ouverture. Borri ne lui laissa pas le temps de parler. Ils les vit. Les trois traqueurs les ayant forcé à quitter une soirée placée sous le signe du repos et du réconfort après tant de désagréments. Ils venaient de sortir du bourg du village que leur nouveau repaire dominait du haut d'une petite colline, à la lisière de la forêt. Bien que pratiquement invisibles depuis leur position, les compagnons préfèrent jouer la sécurité. En finir avec cette course dans laquelle ils jouèrent le rôle du gibier. Cela ne restera pas sans conséquences. Le vieux loup se jeta dans l’entrebâillement de la porte, envoyant valser son occupant. Ezekiel fit de même, refermant derrière lui avec le moins de raffut possible. L'orage semblait passé, une trêve leur était accordée. Allait-elle seulement durer jusqu'au matin ?

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- Tu es donc en train de me dire qu'Alfort s'est acoquiné avec une bande de voyous et cherche à vous livrer à eux ? Borrislav tu n'aurais pas trop abusé de la bouteille ?

L'homme qui venait de parler se nommait Kevron. La quarantaine entamée, il était plutôt bel homme, doté d'une mâchoire saillante ainsi que de traits fins et d'un regard perçant reflétant une certaine expérience. Borri venait de lui faire le topo de leurs dernières heures passées avec une certaine précision. Le sourire de Kevron s'était bien vite dissipé lorsque le vétéran lui narra la trahison d'Alfort ainsi que leur poursuite dans les rues de Melicera les ayant entraîné jusqu'à sa demeure. Les sourcils froncés, il écouta attentivement le récit du vieux loup avant de juger qu'ils pouvaient se cacher chez lui. Harolt était affalé sur une chaise la tête en arrière et ronflait à intervalles réguliers avec force. Chaque fois que le bruit devenait trop dérangeant, Borri le corrigeait d'un coup de coude dans les côtes. Ezekiel faisait son possible pour rester concentré mais la fatigue couplée à l'alcool ainsi que l'adrénaline générée durant leur escapade eurent raison de lui. Avec bienveillance, Kevron lui indiqua un endroit sur le sol où s'allonger après lui avoir fourni une couverture. Juste avant de se laisser gagner par le sommeil, il constata que Borri et son ami n'étaient pas près d'aller se coucher. Il risquait d'y avoir certain nombre de directives au réveil...

Un rets de lumière traversait la fenêtre depuis un instant. Son éclat persistant tira Ezekiel de ses rêves. Il peina à se redresser, souffrant d'un violent mal de crâne. Il mit un certain temps avant de retrouver ses esprits et ne réalisa pas sur le moment où il se trouvait. La mémoire lui revint en voyant Harolt, qui n'avait pas bougé d'un pouce ainsi que Borri assoupi sur un banc. La maison dans laquelle il se trouvait était assez vaste, composée d'une pièce principale sphérique et de deux portes dont l'issue lui était inconnue. Aucun ornement ne venait enjoliver la pièce, mais multitudes de plantes diverses pendaient aux murs et au plafond. On se serait cru chez un herboriste. Cela conférait malgré tout
beaucoup de cachet, contraste entre chaleur végétale et austérité de la pierre. Ezekiel reconnut certaines espèces, d'autres lui étaient parfaitement inconnues. Une table trônait au milieu accompagnée de cinq chaises. Une magnifique bibliothèque était calée contre l'un des murs, garnies de nombreux ouvrages plus ou moins conséquents. De petites braises mourraient dans l'âtre d'une vieille cheminée de pierre noire. Une douce odeur émanait de la pièce. On s'y sentait bien. Après quelques difficiles instants, il se fit violence et se leva. Des bruits se firent entendre dans la pièce d'à côté. Puis la porte s'entrouvrit. En un mouvement, Ezekiel se saisit de son épée posée près de lui et se mit fébrilement en garde face au nouvel entrant. Kevron leva les mains en signe de paix et lui sourit.

- Range donc ça je ne te veux pas de mal. Tu n'as rien à craindre de moi.

Hésitant, le rôdeur finit tout de même par précautionneusement baisser sa garde.

- Ils ne vous trouveront jamais ici. Alfort n'a aucune idée de qui je suis. Moins on en sait sur moi et mieux je me porte, c'est dans mon intérêt. Tu dois avoir faim non ?

Kevron venait de trouver les bons mots. Ezekiel n'avait rien mangé depuis ce qui lui paraissait une éternité aussi voulait-il remédier à tout ça. Il le lui fit savoir d'un vigoureux hochement de tête.

- Hé hé... Je ne les connais que trop bien ces fringales après une bonne murge. Ce qui est bien lorsque l'on vit à la campagne, c'est que l'on a pas à trop se déplacer pour avoir à manger. lui dit son hôte tout en se dirigeant vers ce qui semblait être une petite cuisine.

Quelques instants plus tard, il revint avec multitude de fruits ainsi que quelques oeufs durs qu'il posa sur la table et invita Ezekiel à le rejoindre. Il posa également devant lui un bock rempli d'un liquide chaud. Le regard intrigué du rôdeur lui donna droit à une explication.

- C'est un remède à base de différentes plantes que j'ai fait infuser dans de l'eau chaude. Tu vas voir, c'est excellent pour ce que tu as. Je t'en prie, mange donc !

Ezekiel ne se fit pas prier. Il se rua sur les provisions, les engloutissant tel un vrai goinfre. Ce repas était un délice. Il y avait bien longtemps qu'il n'avait pas pu s'installer à une table et profiter d'un peu d'accalmie. Kevron le laissa finir en silence, puis une fois cela fait, s'asseya face à lui, bras croisés dans le fond de sa chaise, un étrange petit rouleau de papier en bouche d'où s'échappait une épaisse fumée odorante.

- Alors comme ça ça fait un petit moment que toi et ton compère voyagez avec Borri si j'ai bien tout suivi. Vous en avez bavé mes pauvres... Je connais un peu Alfort et surtout la relation qu'il avait avec ton mentor et crois moi que je ne me serais pas attendu à ça. Cela dit, le vent finit toujours par tourner et cette fois dans votre sens. Il se trouve que le fameux Manfred dont Borri m'a parlé dans la nuit, je le connais. J'ai quelques contacts qui m'informent régulièrement par rapport à ce genre de canailles. Aussi je vais vous aider à retourner la situation à votre avantage. Ses effectifs sont réduits et son caractère de con signeront sa perte.

- Attends tu... Tu veux dire quoi par sa perte... ?

Kevron arbora un sourire énigmatique.

- Que vous allez lui rendre la monnaie de sa pièce et enfin l'envoyer se faire bouffer par les vers.

L'idée fit frissonner Ezekiel. Ce n'est pas ainsi qu'il s'était figuré la suite de leur périple. La tâche s'annonçait plus qu’ardue et il ne savait pas s'il en était capable.

- Tire pas cette tronche voyons. Dis-toi que la seule manière d'être débarrassé de cette enflure est de lui faire rendre l'âme. Il ne vous lâchera pas. Je connais cette tête de mule, il a la rancune tenace. Il n'est jamais bon de se mettre ce genre de type à dos. Heureusement, vous avez vos chances. Il n'est pas réputé pour faire dans la dentelle mais cela généralement sans prendre la peine de réfléchir. Borri t'expliquera tout de toute manière.

- Mais qui es-tu au juste ? l'interpella Ezekiel, noyé sous toutes ces nouvelles informations.

Le mystérieux prit son temps pour répondre, tirant quelques fois sur le curieux tube et en expirant chaque fois de la fumée.

- Comme tu l'as peut-être retenu, je me nomme Kevron. Cela fait environ deux ans que je me suis installé à Melicera, mais je voyage beaucoup dans les montagnes. Aussi je ne suis que de passage par ici, une chance pour vous que j'étais présent. C'est en partie pour ça que les habitants ne me connaissent que très peu et je tiens à mon anonymat. Borri et moi nous sommes rencontrés par un concours de circonstances. Il te le racontera plus en détail s'il le souhaite. Tu n'as pas à en savoir plus sur moi. Et toi alors ? Raconte moi ton histoire.

Après ce qu'il venait de demander, Ezekiel n'avait pas le choix que de répondre. Il réfléchit sur les jours qui venaient de s'écouler. Finalement, il vit cela comme un bon exercice, il n'avait pas encore eu la possibilité de faire le point sur ses péripéties depuis sont départ de la ferme, il y a de cela un peu plus d'une semaine. Aussi s'appliqua t-il à offrir à son interlocuteur une synthèse la plus limpide possible.

- Mon nom est Ezekiel. Je vivais dans un petit village aux abords de Kendra Kâr depuis aussi longtemps que je me souvienne. Ma vie consistait à retourner la terre et faire profiter à ma famille des richesses qu'elle nous offre. Un travail honnête, sérieux, mais très clairement monotone. J'aspirais à plus, j'avais soif de frissons et d'aventure. C'est ainsi que je me suis lancé en quête de mon destin il y a quelques jours, mais dès le premier soir, j'eus le malheur de croiser la route de Manfred et ses hommes. C'est comme ça que j’atterris entre leurs mains. Ils comptaient nous vendre dans une mine d'après ce que j'ai pu entendre des conversations de nos ravisseurs durant ma courte captivité. Courte car des trolls sont venus nous prêter main forte... Ils ont attaqué le convoi nous transportant, balayant tout sur leur passage. Jamais je n'avais eu à faire à telle démonstration de force et de violence. Ils m'ont permis à leur insu de forcer ma cage et donc de libérer quelques captifs, dont Borri que tu connais et Harolt, ce drôle de type.

Ezekiel désigna son compagnon toujours assoupi sur sa chaise puis reprit.

- La suite, je pense que Borri te l'a expliqué. Nous avons fait route pour Melicera où les hommes de Manfred nous ont devancé tout en corrompant une vieille connaissance de Borri.

Kevron écouta attentivement, très poliment. Il dégageait une certaine puissance calme qui troublait quelque peu le rôdeur. Il y avait décidément nombre d'individus dotés de caractéristiques pour le moins étonnantes à travers ce vaste monde. Converser avec eux fit se rendre compte à Ezekiel qu'il avait encore bien du chemin à parcourir. Même si la semaine passée fut plus riche pour lui en expérience que des années de labeur aux champs, il n'en était encore qu'au début de son apprentissage. Le monde semblait tellement vaste, habritant nombre de richesses et de mystères. Mais dangereux et inhospitalié à la fois. Sa rencontre dans la forêt avec la belliqueuse créature en était la preuve. Cela l'excitait malgré tout. Il avait soif. Soif de nouvelles rencontres, de nouvelles histoires. Un jour, lui aussi pourrait se tenir avec flegme sur une chaise et faire le récit de son passé devant d'attentifs novices qui n'auraient d'yeux que pour lui et son discours.
Le rôdeur distingua un mouvement à sa droite, puis un grognement. Lentement, Harolt parvenait à s'extirper de ses songes. Le gredin le fit savoir en s'étirant dans un bruyant bâillement suivi de quelques injures pour signaler l'état de sa tête. Lorsqu'il vit toute la nourriture présente sur la table devant lui, il se rua dessus, sans même prendre la peine de savoir où il se trouvait, sans même saluer son hôte, qui lui ne semblait pas spécialement outré par telle désinvolture.

- Bonjour, jeune homme.

Harolt l'observa les yeux écarquillés, la bouche à moitié pleine.

- Euh... Oui, bonjour. C'est chez vous que nous sommes ? On s'est rencontrés à la taverne ? Sacrée soirée hein ?

- C'est chez moi que nous sommes, nous ne nous sommes pas rencontrés à la taverne et sacrée soirée en effet, même si pour toi elle fut au final plutôt tranquille. Tes amis t'expliqueront tout ça. En attendant, régale toi, il me reste de quoi vous nourrir pour encore des jours alors ne te prive pas. Bonjour Borrislav.

Ezekiel n'avait même pas entendu le vieux loup se lever. Ses sens étaient pourtant plus développés que la moyenne, mais il était de moins en moins surpris par les prouesses de son aîné.

- Bonjour à tous. Putain de gueule de bois n'est-ce pas ? Harolt bordel de merde mange moins vite, tu vas t'étouffer...

Le vétéran prit lui aussi place à la tablée, se saisissant d'un bock d'herbes chaudes.

- Les enfants, je vous présente Kevron. C'est un ami de longue date en qui nous pouvons avoir confiance. Il est de ceux que l'on appelle les Errants. Une ombre dans la foule, un frêle courant d'air insaisissable qui ne laisse guère de trace derrière lui. Il va nous porter assistance pour nous sortir de la merde dans laquelle on s'est enterrés comme des grands. Pendant que vous étiez occupés à dormir, lui et moi avons dessiné les contours d'un plan que nous allons de suite vous soumettre.

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La tablée prit des airs de préparatifs militaires. Depuis leur rencontre, les trois compagnons passèrent leur temps à fuir. Il était temps d'inverser les rôles. Harolt, quelque peu en retrait, arborait un visage concentré, à l'écoute. Bien qu'idiot et simplet de prime abord, il était totalement concerné par leur situation et en avait conscience. Sans doute voulait-il également prouver qu'il était capable d'autre chose que d'amuser la galerie et remplir des tâches basiques. Kevron quant à lui se contentait de laisser parler Borri, bras croisés avec toujours une curieuse brindille en bouche, qu'Ezekiel le regardait rouler avec curiosité. Le vieux loup était debout, au milieu de la petite assemblée, les mains solidement ancrées sur la table.

- Bien. En premier lieu, notre priorité est de nous débarrasser d'Alfort. Ce sale chien est la clé qui nous permettra de localiser Manfred. Je doute fortement que celui ci soit en ville. Il doit se terrer aux abords du village, attendant gentiment que l'on lui soit livré sur un plateau. Et c'est précisément ce que nous allons faire. Notre but va être de rouler Alfort dans la farine pour qu'il nous conduise à son nouveau chef et je sais comment nous allons nous y prendre. Il faut que l'un d'entre nous retourne à la Ruche afin de s'entretenir avec Abraham. Le but va être de faire penser à notre ennemi que le tavernier a récolté des informations sur notre position. Ainsi, nous pourrons lui tendre une embuscade. Je doute qu'il vienne seul, il nous faudra combattre. L'impératif sera de ne pas tuer Alfort, il nous le faut vivant. Quelque chose à ajouter ?

Ezekiel se leva.

- Oui. Comment être sûrs qu'Alfort ne se doutera de rien ? Il ne m'a pas l'air d'être un idiot et se doutera forcément qu'il y a anguille sous roche non ? De plus, comment le convaincre de nous conduire à Manfred ?

Borri afficha un sourire que le rôdeur commençait à connaitre. Un sourire qui en disait long. Un sourire à la fois sadique et calculateur.

- Sa femme. Nous allons capturer sa femme. Ce sera ton travail, Harolt. Assure toi juste de ne pas la blesser.

- Je... Je ne suis pas sûr d'avoir envie de faire ça, l'interrompit Ezekiel.

Les regards se tournèrent vers lui. Des regards étonnés.

- C'est très noble à toi de vouloir suivre une certaine éthique l'ami mais s'il y a une chose que tu dois savoir, c'est que penser que notre monde tourne seulement autour du bien et du mal est bien naïf. Tu trouveras toujours de la contradiction, partout. Pouvoir aborder ce cynisme et surtout l'accepter ne pourra que t'être bénéfique. La fin justifie les moyens, exposa Kevron.

Borri et Harolt l'approuvèrent. Ezekiel ne savait trop quoi en penser. Une part de lui était d'accord avec les dires de l'Errant, mais son tempérament l'empêchait d'aborder la chose avec sérénité. Était-il finalement trop candide ? Harolt le rassura d'une tape amicale sur l'épaule.

- T'en fais pas va. Je lui ferai pas de mal. Le but est juste de faire peur à Alfort. Si nous n'avons aucun moyen de pression, comment veux-tu qu'on le force à nous conduire jusqu'à Manfred ? Hm ?

Le gredin voyait juste. Il n'était finalement pas si idiot qu'il voulait le laisser paraître. Il avait visiblement un certain savoir faire pour ce genre de tâches. Cette pensée alerta Ezekiel.

- Mais dis-moi d'ailleurs... Hier soir tu as bien dit ne plus jamais vouloir travailler pour Manfred je me trompe ? Tu veux dire que tu as fait partie de sa bande ?

L'attention se porta sur la jeune fripouille. Il jura intérieurement contre lui même, ne se souvenant pas d'avoir tenu de tels propos. La boisson délie bien des langues. Après un soupir résigné, il avoua.

- Bon, d'accord c'est vrai. J'ai travaillé pour lui quelques temps. Mais je n'ai jamais participé à leurs raids et encore moins tué d'innocents. J'ai d'autres talents. Je suis un furtif, un chapardeur. Manfred me chargeait uniquement de dérober les passants dans les grandes villes et de lui ramener mes prises. S'il était satisfait, il ne me frappait pas trop... J'ai commencé à me lasser de cette situation et tenté de fuir, mais ça n'a pas fonctionné et ils m'ont retrouvé aux abords de Bouhen. Ça faisait quatre jours que j'étais dans la cage dans laquelle nous nous sommes rencontrés... Aujourd'hui, mon seul souhait et de lui faire payer d'être un parfait salaud.

- Au diable le passé. Concentrons nous vous voulez bien ? Bon. Ezekiel, ta tâche sera d'atteindre la Ruche et de faire le résumé de notre petit plan à Abraham. Il te faudra contourner le marché et te faire le plus discret possible. Vu l'heure qu'il sera quand tu y entreras, l'auberge ne sera pas trop fréquentée aussi tu pourras donner ses directives à notre roux préféré en toute impunité. Le but sera d’entraîner Alfort jusqu'ici. L'endroit est assez isolé pour ne pas trop attirer l'attention et pouvoir le capturer en toute tranquillité. J'attendrai ici avec Kevron et Harolt. Le temps nous est compté. Plus il passera et plus ils pourront s'organiser. C'est maintenant qu'il nous faut frapper.

Une fois les consignes transmises, Ezekiel et Harolt se levèrent et s'équipèrent. Le rôdeur passa sa cape sur lui et s'encapuchonna. Il ne prit pas son épée, trop voyante, mais sangla sa hachette à sa ceinture. Harolt lui se vit confier une belle dague par Kevron, qui lui fit clairement comprendre qu'elle s’appelait revient. Une fois parés, les deux amis sortirent.
Il faisait bon dehors, le soleil dominait une nouvelle fois les nuages dans un magnifique ciel bleuté. Quelques paysans s'occupaient de retourner la terre derrière laquelle les femmes plantaient les graines des futures récoltes. Des enfants se couraient après avec des bâtons en guise d'armes, se figurant tels les plus grands combattants de Yuimen. Ce n'était pas un temps à faire couler le sang. La petite équipe progressait d'un pas hâtif, tête basse. Ils ne voulaient pas attirer l'attention, aussi ne se privèrent-ils pas d'adresser de chaleureux sourires à ceux qui croisaient leurs regards afin de ne pas paraître trop louches. Une fois aux abords du centre du village, Harolt bifurqua sur la gauche, rejoignant le quartier où résidait Alfort. Ezekiel, lui, continua tout droit, s'aventurant dans une ruelle en direction de la Ruche, prenant soin de ne croiser aucun garde.

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Dernière édition par Ezekiel Uyuni le Lun 30 Avr 2018 19:23, édité 5 fois.

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 Sujet du message: Re: Village de Melicera
MessagePosté: Mer 25 Avr 2018 20:51 
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Le soleil était à son zénith. Il faisait chaud. Il y avait beaucoup d'activités dans les rues. Tant mieux. Idéal pour se fondre dans la masse. Les habitants des hameaux alentours devaient sans doute converger ici afin d'y vendre leurs productions ou même travailler. Ezekiel se posta derrière un groupe de passants et les suivit. Il valait mieux agir de la sorte plutôt que de raser les murs capuche relevée. Petit à petit, il parvint à se situer dans le village, se fiant aux repaires qu'il s'était fait la veille avant que la boisson ne trouble sa pensée. Une fenêtre cassée, un mendiant à la figure marquée, l'enseigne finement travaillée d'une petite boutique de bougies. Il s'approchait de la place principale où se situait le marché. Il fallait la contourner. Patient, il attendit que la petite assemblée parmi laquelle il se dissimulait franchisse un angle de rue pour tourner. Moins de foule dans cette nouvelle, mais des petites ruelles disséminées sur la droite. Parfait. Il accéléra le pas et prit l'une d'elles. Un doute naquit en lui.

(Et si Alfort ou même l'une de ces raclures se trouvait dans la taverne ?)

Non. Il ne fallait pas qu'il commence à trop cogiter. Après réflexion, il comprit que c'était là l'un de ses points faibles. Trop de calcul, pas assez de spontanéité. Il devait remédier à ça. La situation s'y prêtait d'ailleurs parfaitement. Il sourit légèrement puis continua sa route, le pas plus assuré. Il se mouvait avec aisance. Son petit passage dans la forêt ainsi que ses diverses fuites lui avaient fait acquérir une certaine dextérité, affûté ses réflexes. Il se connaissait mieux, devait se faire plus confiance.

(J'ai bien echappé à un troll après tout.)

Serein, il progressait, était bientôt parvenu à la fin de la ruelle. La Ruche se trouvait à quelques pas. Il entendit un bruit, se figea. Il la sentait. La pointe d'une lame collée contre le milieu de son dos exerçait une certaine pression. Instinctivement, il leva lentement les bras en signe de résignation. Une main se posa sur son épaule.

- Hé hé hé salut toi. Vous avez bien galopé la nuit dernière. Maintenant les chiens vont rentrer gentiment dans leur cage.

Il n'osa pas se tourner, mais qu'importe. La voix malsaine et disgracieuse qu'il venait d'entendre ne lui disait rien. L'un des sbires de Manfred, c'était certain. C'était la fin. Il avait presque atteint son but mais s'était fait découvrir juste avant. Depuis combien de temps cet homme le suivait-il ? Avait-il vu Harolt ? Les attendaient-ils, tapis tels des assassins près de la demeure de Kevron ?

- Tu vas gentiment me suivre et ne pas jouer aux cons. Il y a un ami à toi qui souhaite te voir, tu n'imagines pas combien tu lui as manqué.

Maintenant il n'y avait plus de doute, ce lugubre voyou était à la solde de Manfred. Ce dernier avait vraiment une dent contre lui. Après tout quoi de plus normal. Le rôdeur lui avait fait perdre bien des prisonniers en forçant deux des trois cages de son convoi lors de l'attaque des trolls. Sa colère devait être profonde. L'idée d'avoir à faire à lui le fit frémir. Ça ne pouvait se passer ainsi. Pas de cette manière, pas en s'était fait berner comme un parfait débutant après s'en être tiré de façon bien plus tumultueuse. Il obéit malgré tout au bandit, se laissant tourner lentement. Ils prenaient le chemin inverse, remontaient toute la ruelle dans l'autre sens. C'est maintenant qu'il devait agir, à l'abri des regards. Miser sur la ruse. Ces hommes pouvaient se définir par bien des qualificatifs mais en aucun cas ils n'étaient des flèches. Ce luxe était réservé à leur chef. C'était la meilleure carte à jouer. Pendant qu'il progressaient, Ezekiel prit lentement la parole, d'un air faussement couard.

- É... Écoute moi... Je peux te dire où sont cachés les autres ! Par pitié ne me fais pas de mal !

La brute s'arrêta. Visiblement, il était en train de considérer l'idée d'en ramener plus à son chef. Une promotion à la clé peut-être ? Ezekiel ne le laissa pas réfléchir plus longtemps.

- Je les connais à peine moi ces types ! Tout ce que je voulais c'était me rendre à Bouhen ! Si je te les livre m'épargneras-tu ? Je t'en supplie !

- Et qui me dis que tu n'essaies pas de gagner du temps pour que l'un d'entre eux m'attaque par surprise ?

- Je... Je suis seul, je le jure ! Nous nous terrons près de la forêt et sommes affamés. J'étais simplement venu ici chercher de quoi passer la faim !

Le rôdeur sentit que la pression de la lame contre son dos commençait à se faire moindre. Le bandit était focalisé sur la discussion.

- Quel lâche tu fais ! Tu es prêt à livrer tes camarades pour ne pas te faire tuer ? Tu préfères passer le restant de ta vie comme un moins que rien dans les mines ? Tu n'est qu'un...

Ezekiel agit rapidement. D'un mouvement du bras gauche, il chassa la lame de son dos tout en se retournant, convergeant sa force dans son épaule pour balancer un méchant direct du droit dans le nez du scélérat. Le coup fit mouche. Le bandit s'écroula en arrière de tout son long, complètement sonné par le coup qu'il venait de prendre. Le rôdeur se rua sur lui, saisit l'épée qui venait de tomber au sol et la cala sur la gorge de son adversaire.

- Je ne vais poser qu'une question. Réponds moi si tu veux vivre. Ne me fais pas perdre de temps. Combien êtes-vous dans cette ville ?

- Ne me tue pas s'il te...!

- Combien êtes-vous dans cette ville ?

Il appuya son propos en renforçant le poids de la lame sur la gorge découverte du bandit qui s'ouvrit sensiblement.

- Il n'y a que moi et le garde ! Je le jure ! Les autres sont hors de la ville ! Je peux te dire où...

Ezekiel s'était relevé avant que le bandit ne finisse sa phrase et lui fit manger son pied avec force. Le crâne du gredin rebondit contre le sol et il se tut, inerte. Le jeune homme jeta l'épée dans une courette et ramassa le bandit, comme il avait porté Harolt la nuit passée. Quelle chance. Un homme venait d’apparaître à l'entrée de la rue.

- Il... Il va bien ?

Ezekiel se sentit comme un parfait idiot. Il transportait un homme qu'il venait d'agresser face à un inconnu qui risquait de faire capoter tous ses efforts passés.

- Oh, ça...! Ne vous inquiétez pas ! Nous avons juste un peu trop célébré la naissance de son fils hier !

Cette simple explication fut satisfaisante. Le passant haussa les épaules et sourit brièvement avant de reprendre sa route. Ezekiel souffla de soulagement. Son cœur battait fort, il avait les tempes humides. Il lui fallait maintenant cacher le corps de sa victime. Heureusement pour lui, il avait pris une corde. Il pénétra dans la petite cour dans laquelle il s'était débarrassé de l'épée et y ligota le bandit. Il coupa ensuite un morceau du vêtement de celui-ci grâce à la lame et s'en servi pour le bâillonner.

(Plus qu'à croiser les doigts pour qu'il ne se relève pas d'ici là et surtout que personne ne le remarque... Je dois faire vite.)

Le rôdeur reprit sa route, encore quelque peu essoufflé par toute cette adrénaline générée. Finalement, il atteint enfin la taverne. Si Alfort était bien en ville, il était à tous les coups occupé par son travail. Cela aurait trop éveillé les soupçons de voir un garde rester toute la journée durant assis devant un comptoir de bar. Plus qu'à longer la grande battisse. Il jeta un rapide coup d’œil à l'intérieur. Il ne lui fut pas difficile de repérer Abraham calé derrière son bar. Le colosse n'avait visiblement pas été menacé ou agressé par les bandits la veille. Quelle surprise. Même à trois, il faut y réfléchir à deux fois avant de s'en prendre à tel mastodonte. Il n'y avait pas grand monde à l'intérieur et à première vue aucune trace d'Alfort. Et si finalement leur plan se déroulait sans encombres ?
Ezekiel franchit le pas de la Ruche et se dirigea aussitôt vers le comptoir. Il était impressionné par ces lieux où deux mondes cohabitaient entre jour et nuit. Le chaos phonique de la veille avait laissé place à seulement une petite poignée d'habitués venus écluser leur ration quotidienne et échanger les dernières nouveautés sur les habitants du village. Cette vision fit sourire Ezekiel. S'il y avait bien un lieu où peu importe la localisation, l'atmosphère est similaire, c'est bien à l'intérieur d'une taverne. Abraham le reconnu rapidement et lui adressa un franc sourire.

- Tiens mais tu es le protégé de Borrislav ! Je suis content de voir que vous avez échappé à ces salauds hier. Alfort est venu me questionner de manière bien mielleuse mais je ne vous ai pas fait faux bond. Ce malin a tout de même bien vite comprit que vous veniez de vous enfuir... Il a déguerpi aussitôt avec deux affreux à sa suite. Tu as quand même meilleure mine qu'hier ! Vous étiez sacrément entamés ha ha ! J'ai rarement vu ça !

Le rôdeur était impressionné. Il avait rarement rencontré quelqu'un d'aussi bavard. Il secoua la tête et coupa le tenancier.

- Ecoute moi Abraham je n'ai pas beaucoup de temps. Il faut que tu nous rende un immense service. Il faut que tu t'arranges pour voir Alfort. Qu'il vienne ici ou que tu le rejoigne je m'en fous mais l'essentiel est que tu sois crédible. Tu dois lui dire où nous nous trouvons. Il y a une maison à la sortie du village, en direction du nord. Elle n'est presque jamais habitée, au bout d'un chemin de terre, à la lisière de la forêt. Tu vois de laquelle je parle ?

Il opina.

- Tu dois absolument dire à Alfort de s'y conduire, lui faire croire que tu nous y a coincé. On peut compter sur toi ?

- Bien sûr que vous pouvez. Depuis aussi longtemps que je m'en souvienne, je vis ici. J'ai vu pousser ces rues et ces habitants. Même s'ils n'ont jamais réussi à pousser plus que moi ! L'idée de savoir que des brigands se permettent d'avancer librement dans les rues de mon village qui plus est épaulés par l'un des plus anciens veilleurs me donne envie de vomir. Je lui ferai bien comprendre d'aller là bas. Mais ne jouez pas aux cons. Ici, on aime la tranquillité.

Ezekiel sourit. Cet homme était vraiment loyal. Il était bon de connaitre ce genre de personne.

- Je te remercie Abraham. On te doit une fière chandelle. Oh et... Une dernière chose. Dans la ruelle au fond à gauche après être sorti de ton établissement... Il y a l'une de ces raclures assommée et ligotée. Peux-tu te charger de nous le dissimuler ? J'attirerai trop l’attention avec lui sur mon épaule.

- C'est comme si c'était fait.

Le colosse claqua des doigts, la tête tournée vers l'un des clients.

- Mordir ! Va donc me chercher une des sentinelles, j'ai besoin de leur parler ! Et pas Alfort si possible. Ce vieux hibou me doit des sous je n'ai pas envie de voir sa tronche. Fais ça pour moi et tes trois prochaines consommations sont pour moi.

Le fameux Mordir, sans contestation, acquiesça avant de se lever et sortir de la taverne au pas de course. Sans plus de cérémonie, Ezekiel fit de même, se dirigeant vers la maison de Kevron à vive allure. Place à la suite.

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Dernière édition par Ezekiel Uyuni le Ven 27 Avr 2018 20:03, édité 4 fois.

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 Sujet du message: Re: Village de Melicera
MessagePosté: Jeu 26 Avr 2018 14:16 
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Ezekiel fut le dernier à rentrer chez Kevron. Harolt avait lui aussi mené sa mission à bien, capturant la femme d'Alfort qui était maintenant enfermée dans l'annexe. Le rôdeur avait l'impression d'appartenir à un sombre groupuscule. Sur le chemin du retour, il avait bien pris soin de réemprunter la ruelle dans laquelle il eut sa confrontation avec le bandit, s'assurant que ce dernier n'avait pas bougé. Il l'avait visiblement frappé assez sérieusement, celui ci étant toujours étendu telle une feuille morte se désséchant au soleil. Il n'y avait maintenant plus qu'à attendre. C'était là le plus compliqué. Plus rien ne dépendait d'eux. Il fallait savoir se montrer patient. Kevron était accoudé sur le rebord de sa fenêtre, le regard rivé vers la petite route entre sa demeure et le village. Cela faisait bientôt vingt minutes qu'il était ainsi figé, concentré. Ezekiel et Harolt quand à eux étaient assis à table, l'un en face de l'autre, se narrant mutuellement leur mission passée avec un certain enthousiasme. Le jeune voleur était impressionné par la roublardise d'Ezekiel.

- Hé hé bien joué camarade ! Je ne te pensais pas capable de mettre en place un plan pareil.

- Je n'ai pas vraiment eu le choix tu sais... J'ai plus agi d'instinct. C'était ma dernière option avant de me faire livrer. J'aurais quand même eu bien l'air con, seul face à toute la bande. D'ailleurs...

Ezekiel, soulagé d'avoir rempli sa mission en avait oublié d'avertir Borri des informations que lui avait révélé sa victime. Alfort était maintenant seul dans le village, le reste du groupe abrité dans la forêt. Le vétéran l’accueillit d'abord avec le sourire, puis sa mine réjouie laisse petit à petit place à un air pensif.

- Hm... Tu n'avais d'autre option que de te débarrasser de cette vermine mais... Si Alfort décide de venir s'en prendre à nous, je doute qu'il le fasse seul. Il va chercher à trouver son acolyte et se rendra bien compte que quelque chose ne va pas. Dans tous les cas, nous ne pouvons sortir et aller à sa rencontre dans le village, il serait à son avantage. Non. Ce que nous avons à faire, c'est nous fier à notre plan.

Plus le temps passait et plus le petit groupe devenait perplexe. Borri faisait les cents pas dans la maison, bras croisés. Il lui arrivait par moments de se rendre dans l'annexe, dans doute pour vérifier que tout allait bien auprès de la femme d'Alfort et se confondre en excuses devant elle de lui infliger tel traitement. Kevron quant à lui n'avait toujours pas daigné bouger, parfaitement immobile. Le mystérieux laissait émaner de lui une sorte d'aura, d'énergie. Ezekiel aurait été incapable de définir cette étrange force qu'il ressentait, mais il pouvait la sentir, l'appréhender. L'Errant cachait admirablement son jeu, il valait mieux l'avoir de son côté plutôt qu'en face. Harolt, lui, s'exerçait à un curieux jeu. Muni de la dague que lui avait confié Kevron, il la plantait avec vélocité entre ses doigts aplatis sur sa table en un dangereux cycle. Cela crispa Ezekiel, qui s'attendait à tout moment voir la pointe se loger dans la chair. Il n'en fut rien. Le voleur soupira au bout d'un moment, las de son activité, et posa la dague à son côté.

- Bon, ça commence à devenir long.

Il avait raison. Ils n'avaient pourtant pas le choix et devaient se faire violence. Tôt ou tard, quelque chose allait se produire. Ce fut au bout de deux longues heures que la situation se décanta. Kevron se décida finalement à bouger, se retournant vers l'assemblée.

- Ils arrivent. Ils sont trois et armés. Alfort est allé chercher du renfort, il a du comprendre que son allié est hors jeu. Allons-y.

Tout le monde avait reçu ses directives. Elssar et Borri se saisirent de leurs épées, Harolt empoigna la dague. Ils sortirent par derrière. Un petit talus délimitant le terrain les dissimulait de la route. L'endroit était parfait. Les paysans les plus proches étaient à plusieurs centaines de mètres et absorbés par leur labeur. Il fallait attendre que leurs cibles rentrent sur la propriété, afin de les prendre par surprise. Accroupis, ils progressèrent afin de s'excentrer au maximum de la petite maison de Kevron, en direction de la route. Le but ici était de réussir à les contourner et rejoindre le petit chemin pour les surprendre dans le dos. Ezekiel était en tête de leur petite file, suivi d'Harolt et enfin de Borri. Il tendit l'oreille, leva la main en guise d'ordre de s'arrêter. Il les entendait, leurs pas pressés, confiants. S'il avait pu voir leurs visages, le rôdeur était certain qu'ils auraient affiché une suffisance et une arrogance détonante. Qu'ils allaient être déçus... Les pas se rapprochèrent, puis les passèrent. Maintenant. Le trio reprit sa progression sur quelques mètres avant de franchir le talus et de s'engager sur la route à pas feutrés mais non pas moins rapides. Ils furent surpris. Ils s'attendaient à voir des brigands, vêtus de rudimentaires armures de cuir et de peau à la suite d'Alfort. Au lieu de ça, deux nouvelles sentinelles aux tuniques frappées du blason de Melicera faisaient office d'escorte à Alfort. Borri jura en un cinglant murmure.

- Quelle bande de corrompus... J'ai bien fait de me casser de ce trou à merde.

Ce n'était pas le moment de faire demi-tour, ni de douter. Il leur fallait faire face à trois hommes non seulement armés mais surtout entraînés au combat. La tâche ne s'annonçait pas simple. Heureusement, ils avaient d'autres avantages. Le premier est qu'aucun d'entre eux ne pensait se jeter au devant d'un piège. Ils allaient le découvrir à leurs dépens. Les trois gardes étaient maintenant arrivés au niveau de la maisonnée de Kevron. Alfort s'avança vers la porte tandis que les deux autres attendaient en retrait. C'était maintenant ou jamais.

Ezekiel et Borri dégainèrent. Harolt les dépassa. Il se mouvait rapidement, telle une anguille entre les obstacles. Sa dague à la main, il n'était plus séparé que de quelques pas de l'un des gardes. Mais la chance finit toujours par fuir. C'est à ce moment précis que l'un d'eux se retourna, criant à son associé de prendre garde. Surpris, Harolt parvint toutefois à entamer le bras de son adversaire avant de se faire plaquer au sol par le second. Alarmé par ce tout ce boucan et ces cris, Alfort se retourna lui aussi et vit ses trois cibles au contact. Il eut tout juste le temps de sortir sa lame que Borri le chargeait déjà, la haine se dessinant sur son visage. Les deux anciens entamèrent alors une chorégraphie martiale qu'il aurait été plaisant de contempler dans d'autres conditions. Ezekiel, lui, alla porter assistance à Harolt. Le garde qui le maitrisait au sol lui en faisait baver à grand renfort de coups de poings. Le rôdeur prit son élan et l'envoya valser d'un méchant coup de pied sur le côté de la tête. Sonné, le voleur se releva difficilement, crachant au sol une gerbe de sang et se mit en garde. Ezekiel l'imita. Ils avaient à faire à deux gardes. Chacun le sien. Sans même se concerter, les quatre opposants en décidèrent ainsi. Les prochaines minutes s'annonçaient palpitantes. Ezekiel commençait à mieux gérer ces situations. Il ne laissait plus la colère ou le stress s'emparer de lui. Il était calme et concentré. Harolt lui se montra plus impulsif et se rua sur son opposant, celui qu'il avait esquinté juste avant. Le garde tenta de le stopper d'un coup horizontal mais le voleur passa dessous d'une roulade et se redressa derrière lui, l'invitant à le rejoindre. Malin.

La sentinelle face à Ezekiel était d'une carrure imposante, plus ou moins similaire à celle du jeune homme. Le combat allait être serré. Sa longue barbe lui donnait un air féroce et les quelques cicatrices sur son visage témoignaient de ses rixes passées. Il valait mieux la jouer défensive et attendre une ouverture. Le garde s'élança sur lui, arme levée. Les leçons de Borri allaient être mises à profit. Le rôdeur anticipa la première estocade de son opposant et le contra d'un souple mouvement. Cependant, son vis-à-vis se servit de la vitesse générée par la parade pour faire un tour sur lui même et asséner une violente frappe verticale. Pris au dépourvu, Ezekiel eu tout juste le temps de bloquer, sa lame perpendiculaire, les muscles de son bras mis à rude contribution. La sentinelle profita de sa garde ouverte pour lui porter un coup de pied à l'estomac, qui eut pour effet d'envoyer le rôdeur au tapis. Celui ci se redressa tant bien que mal d'une roulade arrière, suffisant pour voir son adversaire se ruer à nouveau. Ezekiel eut à peine le temps de se remettre du coup qu'il venait de subir qu'il allait devoir essuyer un nouvel assaut. Cet adversaire était sans aucun doute le plus redoutable qu'il ait eu à affronter jusque là. Il n'allait cependant pas se laisser marcher dessus si facilement. Il reprit une certaine distance d'un pas en arrière et se mit de côté, minimisant ainsi sa vulnérabilité. L'assaillant feinta une première frappe qui déstabilisa le rôdeur et d'un astucieux retour vint lui entailler la cuisse, le déséquilibrant. La lame de la sentinelle était imprégnée de sang.

(Bordel il est doué...!)

Il n'avait clairement pas l'ascendant sur ce combat. Il allait devoir se concentrer, maximiser chaque mouvement, dicter le tempo. Prendre des initiatives. C'est ainsi qu'il foncea, le regard animé de férocité. Lui aussi allait jouer de malice. Il visa l'épaule gauche de son opposant d'un coup d'estoc, sachant pertinemment que celui ci ne ferait pas mouche. Qu'importe. Le garde le para d'un habile mouvement mais ce faisant, exposa son flanc droit. Ezekiel profita de cette ouverture pour dégainer prestement sa hachette et d'une frappe diagonale entailla ce qu'il trouva sur sa route. Ce fut l'arrière-bras du malheureux qui en fut victime, lui faisant lâcher son arme en un cri de douleur. Le rôdeur voulait en finir au plus vite, aussi s'essaya t-il à un nouveau coup de sa lame, visant cette fois ci la gorge. C'était sans compter sur les brassières métalliques de son adversaire. Il assimila la frappe de son bras gauche ce qui abusa Ezekiel. La sentinelle répliqua aussitôt en étouffant la distance entre eux deux d'un fin mouvement et lui envoya son crâne dans le nez. La douleur fut sifflante, le sang gicla. Ezekiel s'écroula, lâchant ses armes au passage. Sonné, il n'eut le temps de réagir. Le garde avait ramassé son arme, s'apprêtait à en finir. Pointe vers le bas, il leva avec hargne sa lame, sur le point de transpercer le cœur du rôdeur. Le jeune homme fixa son opposant, admit sa défaite mais ne voulait en aucun cas détourner les yeux. Accueillir la mort à bras ouverts. L'heure n'était pourtant pas venue de basculer dans l'autre monde. Un phénomène surnaturel se produisit. Le sol se déroba sous les pieds de la sentinelle, l'aspirant jusqu'aux genoux et lui faisant lâcher son arme. Une note de surprise couplée à un soupçon de terreur s'afficha sur le visage du pauvre garde entravé par la terre et vulnérable. Ezekiel ne comprenait pas ce qu'il venait de se passer. Il ne demanda cependant pas son reste et se redressa du mieux qu'il put, serrant son nez endolori et ensanglanté. Kevron se tenait sur le pas de sa porte, la main gauche levée, les yeux entièrement blancs, murmurant quelques incantations, comme possédé. La scène était terrible. L'adversaire d'Harolt était dans la même situation, entièrement embourbé dans ce marasme minéral. Le gredin n'avait pas demandé son reste, l'enfourchant et le transperçant à de maintes reprises sur tout le torse, l'aspergeant de sang et de boue. Il semblait blesser. Ezekiel l'imita, ramassa sa lame. Le mains en avant, en guise de bouclier, le garde l'implora.

- Non... Attends !

Le rôdeur se montra impitoyable. Il était las de voir ses adversaires le supplier, eux qui jouissaient d'une plus grande expérience que lui, le simple enfant des champs qui n'avait jusqu'alors jamais connu telle violence. Il en finit d'un geste rageur, tentant de décapiter son adversaire. Pas si simple. La lame se bloqua dans la gorge de la sentinelle qui convulsait comme une folle marionnette tandis que l'hémoglobine giclait telle une fontaine. Non sans effort, Ezekiel parvint à sortir son épée de la chair de sa victime, qui resta ainsi plantée, toujours bloquée, entre effusions sanglantes et gargouillements répugnants. Cette vision était effroyable, le jeune homme détourna les yeux. Il put ainsi voir Alfort, seul au milieu de quatre opposants, affolé. Le vieux garde lâcha son arme, leva les mains en signe de rédition.

- C'est bon, bande de charognes... Je me rends.

Borri n'était pas satisfait. Il s'approcha de son ancien compagnon, celui qu'il connut des années durant, avec qui il avait partagé tant d'aventures et d'expériences. Tout cela s'était évaporé, avait disparu au moment même où le traître avait changé de camp. Le vieux loup le lui fit comprendre, s'avançant vers lui tout en ignorant les supplications et évocations nostalgiques d'Alfort. Avec force, il fit manger la hampe de son arme au vieux garde qui s’effondra de manière théâtrale, laissant deux dents s'envoler au passage. Le vétéran le toisa avec dégoût puis lui cracha à la figure. C'était terminé. Ils avaient réussi. Borri reprit son souffle, s'apaisa lentement.

- Harolt, va donc me cacher ces deux cadavres derrière la maison. On va te soigner après, t'as l'air mal en point.

En effet, le voleur se tenait les côtes en grimaçant. Il semblait s'être fait transpercer. Son oeil droit était gonflé et quelques plaies étaient visibles sur son visage et ses bras. Il s'était battu comme un véritable dément. Il s’exécuta malgré tout difficilement, entre grimaces et jurons. Jamais Ezekiel ne l'aurait pensé capable de telle débauche d'énergie. C'est lorsque notre vie est en jeu que l'on peut pleinement réaliser l'étendue de nos ressources. L'instinct prend l'initiative sur la conscience, on ne se contrôle plus, tout devient bestial. Ezekiel lâcha son épée et se laissa tomber sur le sol, tout groggy par tant de véhémence. Il était estomaqué par ce qu'il venait de voir. La façon dont Kevron avait mis hors d'état de nuire les deux gardes par la simple force de sa volonté. La magie était décidément un domaine bien mystérieux mais aussi et surtout terriblement efficace pour qui parvient à la maîtriser. Cela paraissait cependant à double tranchant, l'Errant arborant une posture fatiguée, les mains sur les genoux, la respiration irrégulière. Après avoir repris son souffle, le rôdeur se redressa et ramassa ses effets. Il cracha tout le sang qui s'était accumulé dans sa bouche et lui donnait un goût immonde. Il alla ensuite aider Borri à rentrer le corps inerte d'Alfort à l'intérieur. L'interrogatoire allait pouvoir commencer.

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Dernière édition par Ezekiel Uyuni le Lun 30 Avr 2018 19:23, édité 10 fois.

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