Belle tentative de la part du nain troublé. Mais il était écrit que tout devait mal tourner. La cheftaine militaire rétorqua à ses propos qu’elles n’avaient pas le temps d’attendre la venue d’une armée si éloignée que celle de Kendra Kâr. Et Bouhen ? Et Oranan ?! La première était une place forte du Royaume kendran, et la seconde tenait tête depuis des années à l’empire du mal. Pourquoi dès lors venir ennuyer la quiétude innocente de lutins qui n’y étaient pour rien. Ils n’étaient pas connus pour leurs prouesses guerrières, ni même pour leur intelligence stratégique. Ce deuxième cercle, tout formel qu’il était, semblait surtout une réunion de sale bestioles ahuries. La limite, selon ce groupe d’illuminée : l’extinction des feux du ciel. À ce moment prendrait fin leur calendrier, leur cycle, et débutera une nouvelle ère, signant l’avènement d’un retour en arrière impossible. Trop tard pour quoi ? Elle ne le précisa pas. Effacer le passé, voilà quelle était sa seule intention. Mais pourquoi ? regrettaient-elles quelque chose en particulier ? Tous leurs crimes ? Pour Gorog, elle avait beau paraître sincère, elle n’en faisait pas moins partie de l’ennemi. Ces fanatiques vouant un culte aveugle aux loupiottes des cieux étaient tombées sur la tête. Forcément, à force de voler… Le roc. Voilà dans quoi il leur aurait fallu lire : éternel, minéral, franc et sincère, stable et inchangeant. Elles auraient dû voir des auspices de paix et de stabilité dans les veines d’or ou d’argent des mines naines, et non dans leurs foutues lumières célestes.
Elle donna un nouvel objectif au duo qui restait de leur petit groupe, en tout cas : trouver et contacter le premier et/ou second cercle de leur sororité de demeurées. Celle-ci n’était qu’une exécutante qui ne pigeait rien à rien. Gorog grommela, jusqu’à ce que dans la soirée qui tombait, un chant lui parvint aux oreilles. Un chant qui parlait de la naissance des aldrydes, à partir d’une étincelle, pour bouter le malin hors du monde en chantant et dansant, ivres de libertés. Bravant les troubles et les doutes, un cap maintenu vers leur rôle, leur but. Le regard du nain roux se perdit, alors que ses oreilles accordaient toute leur attention aux paroles, dans les flammes du feu de joie, qui semblaient danser, lascives, au rythme des chants. Se mêlant à la danse, d’autres aldrydes volettent autour du brasier, tournant et tournant encore en une folle farandole dont l’image sembla familière à Gorog, sans qu’il puisse remettre le doigt sur l’origine de cette sensation étrange de déjà-vu. Les lutins eux-mêmes se joignirent à la liesse, et dansèrent joyeusement, insoucieusement, autour du foyer. L’ambiance était à la fête, et même le thorkin se sentait enjoué, mais il ne parvint pas à s’y mêler intégralement. Il manquait de quelque chose. De bière, ça c’était certain, mais d’une autre chose encore. De sincérité ? De réalité ? Il n’était toujours pas convaincu de l’essence bénéfique de cette soirée de rédemption.
Dans sa poche, l’amulette chauffait, si bien qu’il dût l’en sortir pour la serrer dans sa main, aussi discrètement que l’urgence le lui permettait. Ce foutu bijou, était-il la cause de tout ? La cheftaine lui octroya un ultime regard, et sembla subitement sous l’emprise d’une panique sans nom. Elle se tourna vers la flambée et se précipita vers elle en criant qu’il n’était pas nécessaire de…
Elle n’eut pas l’occasion de terminer sa phrase. Sous les yeux ébahis et outrés de Gorog, la petite créature volante venait de pénétrer les flammes, et prenait feu comme un chiffon, alors que tout autour de lui semblait s’embraser, cieux et terre, danser furieusement au rythme de la musique. La joie qu’il avait ressentie se mua en peur, en horreur lorsqu’il vit se consumer les chairs de la cheftaine qui avait ultimement tenté de faire quelque chose pour empêcher ce qui suivit… Le feu, énorme et menaçant, semblait prendre vie, gonfler de haine. Destructeur, il dévoilait son vrai visage alors que la tête du nain tournait encore plus, comme s’il avait bu alors qu’il n’en était rien. Les aldrydes s’envolèrent en tourbillonnant dans les cieux, et du foyer le feu s’échappa, prenant une forme monstrueuse, presque humanoïde, se dotant d’un visage démoniaque et ricanant, prêt à dévaster la cité lutine entièrement. Peste soit de ces traitresses. Elles iraient périr en Enfer pour leurs méfaits. Il brandit fièrement sa pioche avant de se rendre compte que… le feu n’était guère sensible aux coups de pioche. Aussitôt, il la rangea, interdit, l’amulette toujours en main. Allait-il assister à la destruction pure et simple de Bouh-Chêne, cette petite cité lutine qui n’avait rien demandé à personne ?
Il devait faire quelque chose. Quelque chose, oui, mais quoi ? Krassus eut lui-même l’idée d’utiliser sa magie lumineuse pour contraindre l’élémentaire, mais ça n’eut pas énormément d’effet, à par celui de le perturber dans ses objectifs destructeurs. Gorog sentait la fièvre monter en lui, malsaine, étourdissante, l’enlevant de sa propre réalité. Il était perdu, confus. Il pensa un instant à fuir, mais ce n’était pas digne d’un nain de Mertar. Il devait combattre. Combattre, oui, mais comment ? Il n’avait pas de seau d’eau pour éteindre l’incendie. Il n’avait que sa pioche et cette fichue amulette.
…
L’amulette. Peut-être était-ce la clé de cette foutue flambée. Mais il ne pouvait risquer de tout jouer là-dessus. Soufflant, peinant, suant comme un bœuf, il dut agir avant que les flammes ne commencent à ronger l’arbre séculaire des lutins, ce chêne qu’était leur ultime demeure. Il se mit en mouvement, tentant de profiter de la confusion et des traits lumineux lancés par Krassus pour contourner le monstre infernal. Il n’était lui-même pas la cible de ses flammes vengeresse. C’était sa chance. Une idée lui monta à l’esprit, poussée par la folie qui le guettait, poussée par la fièvre qui s’était emparée de lui. Il allait jouer le tout pour le tout. Dressé dans le dos de la chose, si proche qu’il pouvait sentir son infernale chaleur lui roussir la barbe, il fit une chose que nul n’attendait sans doute. Allant chercher son sexe dans ses braie, il le sortit à l’air libre et soupirant profondément, libéra sa vessie pour uriner sans pitié sur la base des flammes vivantes. Une folie, mais qui pouvait fonctionner. Et de sa main libre, comme ultime protection, il tendit vers les flammes le pendentif maudit. Il allait le mater, ce feu.
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_________________ Gorog, nain.
Le nez, c'est l'idiot du visage.
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