Le lutin écarquilla les yeux à l’écoute des paroles de Gorog, qui n’était lui-même pas habitué à ce qu’on ne le comprenne pas, usant généralement d’un vocabulaire plutôt simple, primaire, basique, au ras des pâquerettes, reflétant son esprit limité et sa maîtrise langagière fort peu entraînée…
(Oh hey, c’est pas bientôt fini toutes ces campafouillades là ?! Il est juste sonné, le petit, c’est tout !)
Sonné, sans doute, oui. Et il lui fallut quelques secondes pour reprendre consistance, secouant sa petite mine de lutin avant de reluquer le grand nain d’une mine tristounette tout en allant poser son postérieur de grenouille sur une petite pierre. Gorog, pour être sûr de bien comprendre ce qu’il disait, s’agenouilla non loin de lui, penchant son visage barbu vers le petit lutin farceur qui commençait à parler en racontant sa vie. Il affirmait avoir bien connu les aldrydes avant qu’elles ne pètent une douille. C’était un peuple d’artistes, de chanteurs, de peintres. Un peuple joyeux qui dansait et faisait de la musique pour toutes les raisons du monde. Mais elles avaient changé. Quand les loupiotes du ciel avaient commencé à se détraquer, naquit chez elles un groupuscule de fanatiques crétines qui gagna vite en influence, réduisant à néant, vraisemblablement, la joie de vivre des trucs ailés.
Mathurin parla alors d’un dénommé Baha… bahatruc. Un aldryde mâle qui lui rendait visite autrefois, mais dont les visites se faisaient de plus en plus rares. Gorog comprit qu’être mâle parmi ce peuple n’était pas fort bon, puisqu’il se faisait traquer par ses consœurs avant même que tout ceci ne commença. Bref, tout ça pour dire que Bahamachinbidule lui avait récemment ramené un petit pendentif, une amulette magique représentant un passé que ce groupe de fanatiques écervelées voulait éradiquer. Comme pour montrer l’objet au géant court sur pattes, il sortit le pendentif de sa poche d’un air las. Le bijou était métallique, bleu-noir. Guère plus que la taille d’un bracelet, en vérité. Et encore, fallait pas avoir de trop gros poignets. Le lutin se morfondait sur son sort, et peinait à croire que les aldrydes pouvaient avoir envie de détruire ça, qui était si beau et sinistre à la fois. Décidément, il était au bord de la dépression, ce lutin. Gorog était bien loin de s’imaginer que ce petit peuple décrit comme farceur serait aussi névrosé.
Au bord des larmes, il leva sa petite tête vers le gros nez du nain, et explicita que la Sororité de l’Oubli Salvateur, ce fameux groupe terroriste chez les bestioles ailées, ne pouvaient pas avoir l’objet, et que c’est pour ça que Bahabidule l’avait donné à Mathurin. Gorog se frotta la tête, surpris. A-t-on idée de confier un tel artefact à un type qui ne sait rien faire de bien que de lancer des tartes. Il fallait être sacrément con, quand même. Et pas capable de résister aux attraits maléfiques de l’objet, en plus, comme le rappela la vieille rebouteuse en gueulant à Mathurin de pas approcher ce truc. L’influence de la vieille folle avait l’air pourtant bien ancrée chez le petit lutin, qui décida d’un coup de tête de balancer sans demander rien à personne l’amulette dans les airs. Gorog suivit du regard la trajectoire de l’objet sans comprendre vraiment ce qui se passait. Puis, lorsque le machin eut atterri sur le sol, il s’exclama :
« Mais ! Foutre bique, qu’est-ce qui m’a foutu des empaffés pareils ! Ce truc doit être important, si elles veulent le récupérer, peu importe pour quoi faire. Et vous, vous le balancez comme un trognon de pomme ?! »
Il se releva et courut vers la zone d’impact de l’amulette pour la ramasser, sans prêter attention aux larmes du lutin, tout en bougonnant :
« On n’est pas aidés, par Valyus. On n’est pas aidés. »
Et le nain fouilla et farfouilla la zone où il avait vu tomber le bijou, écartant la végétation pour mettre la main sur ce précieux objet balancé comme un déchet par ce lutin qui avait l’air tout sauf équilibré. Par chance, l’objet n’était pas si petit que ça, et il finit par le dénicher dans le terreau de la forêt, le saisissant de ses gros doigts pour le soulever de terre. Aussitôt, il le leva vers les cieux pour en observer les détails. Il n’avait, de sa vie de mineur, jamais rien vu de tel. Elle était en métal, pour le plus gros de l’œuvre, mais un rubis ovoïde y était incrusté. Jusqu’ici, rien de particulièrement surprenant. Elle était forgée avec précision en une forme particulière, une sorte de poignard au manche remplacé par ledit rubis et une paire d’aile membraneuse comme celles des chauves-souris ou… des légendaires dragons. C’était déjà bien plus singulier, mais les plus grands artisans orfèvres y pourraient venir à bout sans trop de souci. Non, ce qui étonnait le plus Gorog, c’est qu’il ne reconnaissait en rien le métal utilisé pour forger l’objet. Lui qui avait passé sa vie dans les mines, il en avait vu, pourtant, du métal. De toutes les sortes et de toutes les couleurs. Mais là… le rendu général était noir, mais y brillaient d’étranges reflets azuréens et opalins. Un œil moins averti que le sien y aurait peut-être vu de l’Olath, ce métal sombre chargé d’obscurité, mais pas le rouquin. Non. De l’Olath, il en avait déjà vu, tenu en main, miné dans les plus profondes mines de Mertar, où le Dragon d’Oaxaca lui-même avait été enchaîné par ses aïeux. Et ce métal n’était que sombre, sans reflets, absorbant la lumière plutôt que la reflétant. Mais là… Il s’agissait soit d’un métal qui lui était totalement inconnu, ce qu’il jugeait bien entendu impensable, soit d’un alliage entre différents métaux. Entre différents métaux élémentaires, plus précisément.
« Par ma barbe… »
Un étrange sentiment s’empara de lui, inexplicable, indescriptible. Était-ce seulement dû à la nature incomprise de l’objet ? Peut-être, mais… il y avait quelque chose en plus. Un attrait sans doute maléfique, un envoûtement quelconque. De la mauvaise magie, ça oui ! La vieille n’avait peut-être pas tort, finalement.
Gorog, se relevant de sa trouvaille, revint vers Mathurin d’un pas décidé, le regard plus sombre qu’à l’accoutumée. Le lutin était en pleurs, aussi ne le brusqua-t-il pas trop, et préféra-t-il expliciter ses intentions avant de poser la moindre question.
« Ces aldrydes paieront. Sororité de mes couilles salvatrices ou pas. Foi de nain. Et je te prie de croire que le foie des nains est le plus endurant de leurs organes ! En tout cas, maintenant, ces sales bestioles ailées n’ont plus de raison de venir s’attaquer à cette petite ville. N’hésitez pas, si elles viennent, à leur clamer que vous avez donné l’objet à un puissant guerrier. Hem. »
Ce n’était peut-être pas l’exacte vérité, mais ça les impressionnerait peut-être. Gorog, nerveusement, fourra l’objet dans une poche sûre, pour être certain qu’il ne tombe pas par accident. Ce serait quand même ballot. Mais l’heure était maintenant venue pour Mathurin de répondre à quelques questions de plus.
« Où est Bahabidule ? Comment le trouver ? Il faut qu’il nous explique ce qu’est exactement cet objet, et comment l’utiliser. Nous le placerons sous la protection de la milice de Kendra Kâr. Ils sont peut-être bêtes à pleurer, mais au moins savent-ils se battre. Enfin, j’espère… »
Les projets du rouquin, en tout cas, étaient tout tracés.
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_________________ Gorog, nain.
Le nez, c'est l'idiot du visage.
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