| L’intérieur est tout semblable à l’extérieur : sombre et secret. Un carillon fait d’osselets et de crânes d’oiseaux prévient de mon arrivée au propriétaire des lieux, que je ne vois pas, dans un premier temps. L’ambiance est pesante, sombre. Le silence de la pièce est brisé par la monotonie d’une fiole dont le liquide verdâtre bout au-dessus d’un bec crachant du feu, dans un blup blup continu. Un grincement attire mon regard vers un comptoir où plusieurs tomes anciens et poussiéreux s’entassent, côtoyant un crâne d’orque et un rat empaillé dans une posture agressive, comme pour menacer l’acheteur. Sur le côté, une étagère comprend plusieurs baguettes, de toutes tailles et de toutes formes. De bois ou de métal, voire même d’os. 
 Des coffres ouverts laissent apparaitre de vieilles fripes, robes et bijoux sombres. Une vitrine derrière le comptoir contient plusieurs fioles et jarres contenant, sans doute, des ingrédients alchimiques ou magiques. Nul doute sur la nature de l’endroit : je suis dans une boutique de mage. De sorcier, dirais-je même, si l’on en croit le côté sombre dont elle se pare.
 
 L’origine du grincement, c’est le propriétaire des lieux. Sa chaise raclant le sol alors qu’il se lève péniblement, laissant apparaitre sa silhouette à mes yeux d’elfe. Un orque. Et un orque vieux, qui plus est. Un crâne chauve, cerné d’une couronne de cheveux blancs filasses et mal coiffés. Une peau vert-pâle ridée, marquée par les années. Des yeux jaunes luisants, plissés. Il est rare de croiser un Garzok d’un âge aussi avancé. Leurs coutumes les envoient généralement à la mort bien plus tôt, alors qu’ils sont encore de forts guerriers. Mais… celui-ci est sorcier, sans nul doute… Et son âge reflète sa sagesse et sa sagacité. Aussi ne ferai-je pas l’erreur de le prendre pour moins qu’il n’est. Ses sourcils broussailleux se froncent à mon apparition, et son regard m’interroge silencieusement. Est-il seulement au courant de ma visite ?
 
 (Joue là prudent… On ne sait jamais.)
 
 Je prends la parole, m’éclaircissant préalablement la voix en toussotant dans ma main.
 
 « Haem. Je suis attendu. »
 
 Neutre, tout en étant clair, s’il sait de quoi je veux parler. Et à sa réaction, je ne peux plus en douter. Il opine sentencieusement du chef, et sans un mot, me fais signe de le suivre derrière son comptoir. Je m’exécute, alors qu’il déplace un lourd tapis orné pour dévoiler une vieille trappe scellée. D’une clé qu’il porte autour du cou, il en ouvre le cadenas, et je m’emploie à la soulever pour l’ouvrir, ménageant le vieil être. Sous la trappe, un escalier descend dans les ténèbres. Le vieil orque m’indique de m’y rendre, et me tend une torche allumée.
 
 (Vraiment, je dois descendre comme ça à l’aveugle dans sa vieille cave ?)
 
 Le sorcier perçoit, sans doute, mon hésitation, et d’une voix grumeleuse et tarie, il m’indique quelques précisions bienvenues.
 
 « Ce passage vous mènera à la personne qui vous attend. Entrez, et disparaissez. »
 
 Un passage souterrain… Je n’en perçois pas bien l’utilité, mais soit… Je décide de faire confiance à l’ancêtre, et descend d’un pas assuré les marches en vieux bois grinçant. L’orque ne m’accompagne pas, et referme la trappe sitôt que j’y suis descendu, me plongeant dans les ténèbres, qui paraissent ronger la flamme de ma torche tant elles sont profondes et denses. Un frisson me parcoure l’échine. Je ne sais pas où je vais… Mais je sais que ça sera dangereux, et que je peux sans hésiter y perdre la vie. Un curieux doute s’empare de moi, et affaiblis la confiance que j’avais en entrant dans l’édifice. Fais-je réellement le bon choix ?
 
 Mais cette question, je l’ai déjà dissertée longuement, et la conclusion reste la même… Je dois le faire…. Et me murer dans une vie confortable et sans risque ne me ressemble en rien. Je poursuis ma descente, jusqu’à arriver au seuil d’un tunnel, d’un passage souterrain muré dont la flamme de ma torche éclaire les parois faites de briques sombres. L’air est humide, et quelques bruits aqueux, comme si je me trouvais dans une grotte, résonnent au loin. Un unique passage… Je n’ai guère le choix que de le suivre.
 
 Je m’y engage, et marche plusieurs centaines de mètres avant qu’il ne débouche sur un escalier de pierres, à la rampe ornée de crânes figés dans une matière noirâtre. Je le gravis, franchis une grille ouverte, mais dont les gonds rouillés affirment qu’elle ne l’est que depuis peu, puisque la poussière orange est neuve, sur le sol. Puis, une porte… ouverte elle aussi. Je m’emploie à en franchir le seuil… Vers l’inconnu.
 _________________
 
 
 
 |