Je sortis de la pièce et Faerlyn me montra le chemin en gardant le silence. Je repensais à ce que je venais d’accomplir et ceci me donna un frisson dans le dos. Je venais de tuer une des personnes les plus puissantes d’Omyre, probablement un subordonné important d’Oaxaca…
(Lorsque l’information sera connue de tous, je ne paie pas cher de ma tête dans le coin, je vais devenir une vraie paria en Omyrhy.)
(Tu viendras tuer de la peau verte à l’occasion et puis c’est tout. Ne te fais pas de souci, pense à Ehemdim et à quel point il serait fier de toi.)
(Tu as raison, gardons le positif en tête.)
Sans vraiment faire attention à ma route, mes pas à la suite de l’éarion me conduisirent à une porte donnant sur la cour principale du camp. Ce que mes yeux virent à cet instant me les fit ouvrir en grand tout comme ma bouche. Une boucherie… J’avais envoyé toutes ces personnes à la mort. Je pouvais voir un nombre de corps incalculables joncher le sol de la cour alors que les gardes en hauteur les visaient de leurs flèches.
Je me mis à trembler devant la bêtise que j’avais pu faire, comment avais-je pu être aussi stupide !? Je refermai la bouche et serrai très fort les poings à m’en faire blanchir les phalanges. J’étais en colère contre moi-même et je n’avais plus qu’une chose à faire, rattraper mon énorme erreur tout en espérant que les survivants ne m’en tiendront pas rigueur.
Avant de foncer tête baissée dans la mêlée au risque de prendre une flèche en route, je regardai en détail la situation. Il y avait de l’eau partout à cause d’une pluie légère qui tombait à l’extérieur. Depuis le tour de garde, on voyait des espèces de gargouilles par lesquels de l’eau s’échappait, probablement celle accumulée sous les pieds des archers. Ceci me donna une idée qui était risquée mais qui méritait d’être mise en œuvre.
Mes yeux se fixèrent sur un élément du décor, des escaliers qui se situaient de l’autre côté de la cour, au niveau de la porte d’entrée, que des prisonniers essayaient désespérément d’enfoncer. Ces escaliers menaient tout droit au tour de garde et à en juger par les corps se trouvant au pied des marches, je n’étais pas la seule à y avoir pensé.
Sauf que je n’irais pas sans protection. Je pris mon bouclier dans mon dos et me tournai vers Faerlyn qui ouvrit grand les yeux comprenant que j’allais traverser la cour.
- « C’est du suicide ! »
- « Tu vois une autre solution ? Est-ce qu’il y a une porte qui permet d’accéder au tour de garde ? »
Faerlyn ferma les yeux et soupira profondément de résignation.
- « Aucune… »
- « C’est bien ce que je pensais. Ce bouclier ne m’a jamais laissé tomber depuis que je l’ai récupéré. Voilà ce que je te propose. Je vais courir jusqu’aux escaliers en évitant les corps de nos camarades tombés. Je vais avoir besoin de ton assistance pour la suite des opérations. Il faudra que tu surveilles les archers afin de voir qui s’apprête à me tirer dessus afin de lui lancer une belle attaque dans la tête pour l’arrêter. »
- « Attends une seconde, ton plan présente une faille Aenaria. »
- « Je sais très bien. Tu ne pourras pas me protéger des archers qui sont au-dessus de nos têtes au moment où nous parlons mais c’est un risque qu’il me faut prendre. »
- « Et après ? Une fois en haut de l’escalier, tu fais quoi ? »
- « J’attire un peu plus leur attention sur moi. »
- « Pour te faire tuer ? »
- « Non, disons simplement que de la ville d’où je viens, on nous apprend une chose très importante dès notre plus tendre enfance : ne jamais mélanger un éclair et de l’eau car le second conduit le premier. »
- « Tu es balsinaise ! Je connais l’un des tiens mais nous aurons l’occasion d’en reparler plus tard. »
Je vis Faerlyn fermer les yeux et en une fraction de seconde, de l’eau apparut au bout de ses mains, il était prêt à me couvrir. En rouvrant les yeux, je ne distinguais plus ses magnifiques prunelles bleues mais seulement du blanc, étonnant et effrayant à la fois.
(Tu es sûre de ton coup ?)
(Si je te dis que je préférerai être en train de jouter avec Liam plutôt que là, ça répond à ta question ?)
(C’est bien ce que je pensais.)
Prenant une profonde inspiration, je m’élançai dans la cour comme une flèche. Cette course me ramena des années en arrière alors que j’étais encore à l’académie et que je devais apprendre à courir sur un terrain jonché de corps. Sauf qu’à l’académie je devais juste courir, pas éviter des flèches que des archers me lançaient depuis des hauteurs.
Le terrain était boueux avec la pluie ce qui ralentissait considérablement ma progression et plus dangereux encore, me faisait facilement perdre mes appuis. La première fois je réussis à me rattraper de justesse mais la deuxième fois, j’atterris la tête la première sur le sol contre des corps. Par réflexe, je m’étais recroquevillée sur moi-même et sous mon bouclier afin de ne pas prendre une flèche en route.
(Et maintenant ?)
(Merci de me rappeler à quel point je suis dans la merde !)
(Je ne faisais que souligner une évidence, tu es dans la merde, donc qu’est-ce que tu vas faire ?)
(Attendre que les tirs se calment.)
Après avoir pensé cela, plusieurs projectiles percutèrent mon moyen de défense.
(Mais bien sur et la marmotte…)
(Tais-toi, j’essaie de me concentrer.)
Oui me concentrer sur le rythme de l’arrivée des flèches sur mon bouclier. Après une salve de quatre, il y avait exactement cinq secondes avant l’arrivée de la flèche suivante. Je fis le compte une nouvelle fois et mon calcul était bon. Je n’étais pas pressée de quitter mon abri et la troisième fois me confirma ce laps de temps.
Prenant mon courage à deux mains, je m’accroupis tout en restant sous mon bouclier et attendis que la dernière flèche ne tape le métal avant de me relever et de reprendre ma course. Je me mis à slalomer de nouveau entre les corps tombés au combat tout en me protégeant du mieux possible, entendant régulièrement claquer une pointe de flèche contre le métal.
Arrivée pratiquement à destination, un petit malin eut la riche idée de viser le bras tenant mon bouclier. La pointa se ficha dans mon biceps, me faisant lâcher mon seul véritable moyen de protection, j’étais juste à découvert. Mes pieds se prirent dedans, je fis alors une sorte de roulade dans la boue en guise d’atterrissage.
Un nouveau projectile siffla à mes oreilles, il y avait clairement une cible qui venait de se dessiner sur tout mon corps. En levant les yeux vers le tour de garde, mes craintes devinrent réalité, tous les archers à ma droite avaient leurs flèches pointées vers moi. Nul doute qu’il en était de même pour tous leurs frères d’armes.
Ma dernière heure venait d’arriver, j’allais me transformer en tissu rongé par les mites. Le plus triste dans toute cette situation était que je ne pouvais absolument rien faire pour me défendre. Ma magie était inutile dans la situation actuelle, seul un miracle pourrait me sauver la vie.
(Père, mère, j’ai échoué…)
(Aenaria, regarde autour de toi !)
Alors que le temps semblait s’étirer à l’infini pendant que j’adressai mes dernières pensées vers le ciel, quelque chose d’étrange se produisit. L’eau autour de moi disparut progressivement pour former une sorte de vague immense qui allait bientôt s’abattre sur moi, c’était la fin. Je fermai les yeux, attendant le sort funeste qui allait être le mien…
Mais de toute évidence mon trépas n’était pas au programme du jour car je ne sentis absolument rien, à part une pluie très fine tombant sur mon visage. En rouvrant les yeux, je trouvai autour de moi la fameuse vague, très fine d’ailleurs, qui avait formé une sorte de dôme protecteur. L’espace était très large, tellement large qu’il me permit de trouver mon bouclier et de le récupérer.
Soit la situation était bonne pour moi, soit la situation était catastrophique si ce sort avait été lancé par un mage à la solde de Liam. Il n’aimait pas spécialement la magie, n’y croyant pas, j’optais donc rapidement pour la première solution. Je me mis à chercher l’éarion des yeux et ce qu’ils captèrent me surprit grandement.
Faerlyn avait des tatouages sur la peau qui recouvraient une bonne partie de son visage ainsi que son épaule. Je ne les avais jamais vu auparavant peut être parce qu’ils n’étaient pas lumineux, ou plutôt brillants d’un bleu clair faisant ressortir la pâleur habituelle de mon camarade.
(Il démontre toute la puissance de sa magie d’aquamancien.)
(C’est proprement impressionnant ! Il vient de me sauver la vie en m’isolant. Il faut maintenant que je lui montre que je vais bien, mais comment ?)
(Avec de la magie, peut-être ?)
Je souris malicieusement à la réplique de ma faera, elle avait toujours réponse à tout ! Mobilisant rapidement mes fluides de lumière, je me préparai afin de lancer une orbe éclairante lorsqu’une flèche passa à travers mon mur aquatique, certes à une vitesse moindre qu’à l’instant où elle fut décochée, mais suffisamment rapidement pour se ficher dans le sol. C’était le signal pour que je me remette en mouvement.
Tournant la tête dans la direction de Faerlyn, j’abandonnai l’idée du sort lumineux et essayai de capter le regard de l’earion dans le but de lui communiquer un message.
(Je suis prête à repartir.)
Mon petit message atteignit son destinataire car je sentis le sort perdre en puissance. Resserrant ma prise sur mon bouclier, je me préparai à monter les marches me séparant des archers quatre à quatre. Enfonçant mes pieds dans le sol afin de garantir mes appuis, je n’attendis pas la disparition complète du halo aquatique afin de m’élancer dans les escaliers.
Mon bras gauche tenait fermement mon bouclier afin de protéger mon flanc le plus exposé alors que je montais les marches quatre à quatre. Dans la main droite, je fis affluer mes fluides d’éclair espérant que ma petite stratégie soit payante. J’avais dans l’idée qu’une charge minimale ferait suffisamment de dégâts, du moins suffisamment pour les sonner le temps de s’occuper de cette porte d’entrée.
Une fois en haut du rempart, route qui fut non sans encombre à cause de l’eau qui me fit glisser plus d’une fois, j’englobai la scène du regard et dénombrai douze archers à atteindre. Je me mis en hauteur sur l’un des créneaux afin de ne pas être touché par mon propre sort car cela serait fâcheux pour la suite des opérations.
Je continuais de me protéger des flèches qui fusaient toujours dans ma direction lorsqu’un éclair déchira le ciel afin de toucher la rigole qui permettait l’évacuation de l’eau par les gargouilles de la façade et où les pieds des archers se trouvaient. La réaction fut immédiate, les tireurs furent légèrement électrocutés, l’eau conduisant la foudre.
Je fis en quelque sorte d’une pierre deux coups, stoppant douze archers d’un seul sort savamment dosé. Je n’avais pas lancé mon sort à fond au cas où j’aurais besoin de ma magie une nouvelle fois pour nous sortir d’une mauvaise passe. Je devais également préserver les forces magiques de Faerlyn au cas où nous aurions besoin de lui par la suite.
Maintenant que les tireurs étaient hors d’état de nuire pour un petit moment, je n’avais plus qu’à trouver un moyen de m’occuper de cette porte d’entrée qui résistait toujours aux attaques répétées des ex-prisonniers. Je jetai un coup d’œil afin de voir si quelque chose bloquait le bois et là, ce fut la tuile. Il n’y avait pas une enceinte mais bien trois enceintes successives qui étaient de moins en moins fortifiées, certes, mais fortifiées quand même.
Cependant, le cauchemar ne faisait que commencer. En effet, en me penchant légèrement pour essayer de comprendre pourquoi mes camarades ne pouvaient pas ouvrir la première porte, je compris ce qui n'allait pas. Elle n'était pas fermée de l'intérieur mais plutôt de l'extérieur. Vicieux jusqu'au bout des ongles ce Liam, c'était la meilleure protection envisageable pour éviter un quelconque mouvement de rébellion, stoppant la révolte dans l'oeuf.
Les quelques gardes qui se trouvaient en contrebas étaient en train de renforcer cette porte avec des madriers. L'un d'eux leva les yeux vers moi et me nargua avec un sourire moqueur. Tacitement, il me faisait comprendre que jamais je ne sortirai vivante de ce camp, que personne ne sortirait de ce camp. Je soupirai de tristesse, la situation que je contrôlai à peu près jusque-là était en train de m'échapper, tout espoir de revoir Ehemdim s'enfuyait de moi.
Je descendis les marches afin de rejoindre le plus gros des troupes et essayer de trouver une solution rapidement car les archers les plus résistants devraient rapidement faire leur retour au combat. Inutile de les tuer pour rien même si cela serait plus judicieux mais je n’étais pas une exécutrice sans cœur et sanguinaire mais bien un soldat qui respectait les ordres.
Faerlyn avait eu la même idée que moi et me rejoignis en petite foulée dans la cour. En voyant mon expression défaite, son sourire s’effaça, il ne comprenait pas ce qu’il se passait dans ma tête.
- « Pourquoi ce visage ? Tu devrais te réjouir, c’est la victoire et la liberté dès que nous aurons ouvert cette porte ! »
- « Tu te trompes… »
- « Alors explique-moi. »
- « Il n’y a plus aucun espoir, c’est fini. »
- « Il y a toujours de l’espoir ! »
- « PAS CETTE FOIS !!! NOUS SOMMES BLOQUÉS ICI !!! JE SUIS FATIGUÉE DE ME BATTRE ! »
- « JE CROYAIS QUE LES SOLDATS DISAIENT QUE TANT QUE L’ON SE BATTAIT TOUT ÉTAIT POSSIBLE ! »
- « SEULEMENT SI NOUS AVONS LES ARMES ADÉQUATES ET NON TROIS FOUTUES PORTES À DÉTRUIRE QUI NOUS SÉPARE DE LA LIBERTÉ QUE NOUS DÉSIRONS TANT !!! »
- « NE PARLE PAS SI FORT TU VAS FAIRE PEUR À TOUT LE MONDE ! »
- « IL FAUT ÊTRE RÉALISTE DANS LA VIE, NOUS SOMMES PERDUS FAERLYN !!! »
Après cette dernière phrase, quelque chose d’étrange se passa en moi, un petit je ne-sais-quoi qui me laissait penser qu’un nouveau problème allait surgir. Mes mains s’agitèrent sans que je ne puisse les contrôler, mon ventre se mit à me faire mal m’obligeant presque à me tordre en deux afin d’essayer d’amoindrir la douleur. J’avais l’affreuse sensation que quelque chose essayait de sortir de moi sans que je ne sache quoi.
(Crystallia, qu’est-ce qui se passe ?)
(Je n’en ai pas la moindre idée Aenaria, je suis aussi démunie que toi en plus d’être inquiète.)
(Parce que tu crois que je ne le suis pas peut être ?)
(Qu’est-ce que je peux faire pour aider ?)
(Il semblerait que je sois… seule…)
La douleur se déplaça progressivement de mon ventre vers mon cœur, me faisant rater plusieurs battements à la suite, me laissant ainsi la sensation de mourir sur place. Finalement je sentis le mal bouger vers mes épaules pour terminer son trajet dans mes mains qui s’arrêtèrent de trembler net avant qu’elles soient envahies d’une douleur telle que j’aurais préférée me les faire couper.
- « AAAAAAAAAAAAAHHHHHHHHHHHH !!!!!!! »
C’était bien là tout ce que je pouvais faire et même dire face à ce que je traversais. Alors que je pensais souffrir déjà le martyr, la douleur dans mon ventre revint sans crier gare me faisant transpirer à grosse goutte. J’en perdis la notion du temps, ne faisant plus du tout attention au monde qui m’entourait, j’étais dans ma bulle de souffrance et le pire dans cette histoire, c’était le froid constat auquel j’arrivais : je ne savais pas ce qui se passait.
Je ne savais pas trop combien de temps s’était écoulé depuis le début de « ma crise », une minute… deux minutes… une heure… plus ? J’étais complètement perdue. Mes yeux se mirent soudain à me jouer des tours, me faisant voir flou. La bile me monta progressivement au fond de la bouche alors que les larmes coulaient abondamment sur mon visage crispé par la douleur.
Le moindre mouvement de ma part ressemblait à une véritable torture et pourtant j’en avais déjà fait les frais plus d’une fois. Tombant à genoux car mes jambes ne me portaient plus, j’amortis ma chute de mes mains, créant une vague de souffrance qui remonta dans mes bras avant de redescendre aux extrémités.
Et… ce fut la défection totale… la douleur avait complètement disparu, dans mes mains, dans mon ventre… C’était totalement incompréhensible. Je regardais tour à tour la paume de ma main droite et celle de ma main gauche, hébétée par une situation qui m’échappait.
Doucement mais sûrement, deux points de couleur apparurent dans mes mains, un blanc et un plus gris. Ils se transformèrent en boule, la sensation qui découlait de cet événement ne m’était pas complètement inconnue, c’était mes fluides qui se modélisaient différemment.
Une fois formée en entier, pouvant tenir dans la paume de ma main, elles s’en séparèrent pour s’élever légèrement au-dessus, restant ainsi en suspens dans l’air, le tout sans que je ne contrôle quoi que ce soit. Pensant que tout ceci était terminé, je gardai mon regard sur ce petit phénomène magique improbable, je n’étais pas capable d’un tel prodige, du moins pas à ma connaissance.
(Tu as repris le contrôle !)
(Que tu crois ! Je ne suis pas responsable de ce qu’il se passe mais c’est très joli…)
(Naria, regarde tes mains !)
Le phénomène qui s’était déroulé sous mes yeux quelques secondes auparavant, avec ce que je supposais être mes fluides de lumière et d’éclair, se reproduisit. Cette fois les points étaient vert et rouge, mes fluides de feu et de vent. Deux points, deux boules et finalement elles rejoignirent leurs sœurs fluidiques dans l’espace et continuèrent de s’élever, arrivant à hauteur d’homme ou du moins d’elfe.
Je mis un pied au sol, testant ainsi mes jambes pour vérifier si elles me portaient ou non, puis me relevai complètement me retrouvant nez à nez avec ces quatre boules. Mais que faire ?
(C’est une bonne question !)
(Donc j’ai ma réponse. Super…)
Au final, je n’eus pas à me triturer l’esprit trop longtemps, obtenant ma réponse visuellement. Les quatre boules s’assemblèrent progressivement pour n’en former qu’une seule qui descendit au niveau de mes mains. Okay… Quelqu’un pouvait-il me dire ce qu’il fallait faire de cette masse fluidique ?
J’étais complètement perdue, tout comme mon regard qui se mit à errer sur le champ de bataille. Il finit par se poser sur Faerlyn qui avait du observer cette scène insolite. Son regard était perplexe, ne sachant si il devait être admiratif ou bien craintif face à ce que j’avais dans les mains.
- « Faerlyn, je fais quoi ? »
- « Tu veux mon avis ? »
- « Tu es le seul proche de moi dans ce lieu de perdition qui s’y connaisse en magie, donc OUI je veux ton avis ! »
- « Euh… Je… Vu l’aspect de ce que tu tiens entre les mains… Je dirais que tu as crée à partir de tes fluides une sorte de projectile magique complexe… qui, si tu le lances, va déferler vers une cible pour la faire exploser… Mais ce ne sont que des suppositions, je ne suis sur de rien. »
- « Bon, qui ne tente rien n’a rien ! »
- « Tu vas te lancer ? Tu peux attendre que j’aille me cacher ? »
- « Inutile, tu ne devrais pas être touché si moi je ne suis pas touchée après impact. »
(J’ai raison ?)
(Ton calcul semble correct mais par sécurité, tu ne m’en veux pas si je me mets à l’abri ?)
(Lâcheuse !)
- « QUE TOUT LE MONDE SE POUSSE DE LA PORTE ! »
Et maintenant, comment lancer cette boule sans avoir l’air ridicule ? Situation problématique et moi je pensais à mon style, où avais-je la tête par Sithi ! Bon, il était temps pour moi de me jeter à l’eau. Rapprochant mes paumes de mon abdomen, je repoussai vivement cette masse fluidique vers la porte, espérant très fort qu’elle rejoigne sa destination.
Intérieurement, je croisai les doigts pour que ça fonctionne et que ce soit suffisamment puissant pour faire exploser la première enceinte, la deuxième voir la troisième mais là, je m’imaginais des choses. Je fermai les yeux avant l’impact pour ne pas voir la réussite ou l’échec de mon action.
Lorsque mes oreilles captèrent un son franc et distinctif d’explosion, j’ouvris aussitôt les yeux afin de voir des débris voler dans tous les sens. Ma tête se tourna vers le ciel afin d’observer ce magnifique spectacle qui raviva la flamme de l’espoir dans mon cœur, l’espoir de quitter définitivement ce bagne.
- « Ouaaaaiiiiiiiiis !!!!!! »
Un cri de joie qui venait des quelques prisonniers qui s’étaient mis à l’abri avant l’impact. Aussitôt mon regard se déplaça vers notre obstacle ou devrais-je dire nos obstacles. La porte de la première enceinte avait volé en éclat, la seconde était déjà bien attaquée mais la dernière ne semblait que très peu endommagée.
(Ô rage ! Ô désespoir ! Ô vieillesse ennemie !
N’ai-je donc tant vécu que pour cette infamie ?
Et ne suis-je blanchi dans les travaux guerriers
Que pour voir en un jour flétrir tant de lauriers ?)
Se battre aussi fort pour voir ses actions non récompensées, c’était encore une fois un mauvais coup du sort. J’avais clairement perdu la faveur des dieux. Mes forces m’abandonnèrent quelques secondes, mes jambes se dérobèrent de nouveau sous moi mais cette fois-ci Faerlyn m’avait vu vacillé avant de m’effondrer. Il me rattrapa avant que je ne rencontre le sol, me tenant par la taille, passant mon bras gauche autour de son cou.
- « Ne perds pas espoir Aenaria, reste encore un peu avec nous. »
- « Est-ce que tu te rends compte des forces que ce sort m’a pris ? Tu peux faire pareil peut-être ? Je te croyais aquamancien ! »
- « N’oublie jamais que l’eau est un élément très puissant que l’on peut déchaîner de pleins de manières différentes. Avançons vers cette dernière porte pour regarder ce qu’il en est. »
- « Attends il faut faire quelque chose avant cela. »
Faerlyn me tenant toujours fermement, je levai ma main vers ma bouche afin de siffler. Aussitôt les prisonniers se tournèrent vers nous.
- « Il faut aller tuer les gardes au-dessus des remparts avant qu’ils ne récupèrent tous leurs moyens. »
Plusieurs d’entre eux acquiescèrent et se dirigèrent vers les escaliers afin d’exécuter l’ordre que je venais de leur donner. Faerlyn commença à avancer doucement pour que je continue de récupérer. Ainsi nous marchâmes jusqu’à la première porte qui n’était plus qu’un vaste trou béant maintenant.
La deuxième porte avait reçu les débris de la première, la fragilisant grandement. Concrètement, il ne tenait plus à grand chose pour la voir tomber en morceau. Ce travail était accompli par nos compatriotes de cellules qui mettaient beaucoup de cœur à l’ouvrage, voulant sortir de ce lieu de déperdition tout autant que Faerlyn et moi.
En quelques minutes, la porte fut complètement au sol. Faerlyn nous fit avancer en direction de la deuxième enceinte pour voir de plus près la troisième qui se présentait maintenant à nous. Toujours vacillante, je me séparai de l’earion me sentant un peu mieux, du moins suffisamment pour rester seule sur mes jambes.
Je pus constater, en fronçant quelque peu les yeux afin de bien voir à travers la pluie qui tombait toujours sur nos têtes, que les dégâts étaient minimes sur la troisième et dernière porte. Faerlyn courut prestement jusqu’à cette dernière et sonda le bois de sa main, cherchant quelque chose, mais quoi ? Lui seul le savait.
Quoi qu’il en soit, il revint vers moi d’un pas léger avec un petit sourire sur les lèvres. Je fronçai les yeux devant ce regain de joie sur son visage lui qui exprime rarement cette émotion. Il revint se poster à mes côtés face à la dernière porte, posant ses poings sur ses hanches. Mes yeux fixèrent de nouveau cette porte ainsi que tout ce qui se trouvait autour, à savoir un entrepôt sur la gauche et des écuries sur la droite qui étaient bien fournies. Les chevaux n’avaient pas trop souffert de mon attaque, ils seraient utiles pour notre fuite.
- « Puis-je savoir ce qui te mets dans cet état ? »
- « Nous allons quitter cet endroit. »
- « Quel est ton plan ? »
- « Recule et admire le travail. Tu te souviens quand je te disais que l’eau était tout aussi dévastatrice que n’importe lequel des éléments en ta possession, je vais te le prouver. »
- « Si tu le permets, je vais rejoindre les écuries afin d’atteler des montures pour le plus grand nombre possible. »
De nouveau, je portai ma main droite à ma bouche afin de siffler le plus fort possible. Rapidement les bagnards se tournèrent vers moi attendant des directives.
- « Faerlyn a une idée afin de faire tomber cette dernière barrière. Laissons-le se concentrer et rejoignons les écuries afin d’atteler le plus de montures possible. »
Je fis un signe de la tête en direction de Faerlyn pour lui dire qu’il avait le champ libre et me rendis sur la droite afin de retrouver les prisonniers. Je m’occupai en premier d’atteler des chariots à deux montures, permettant la fuite du plus grand nombre, montrant par la même comment faire aux différentes paires d’yeux qui m’observaient religieusement.
Je choisis ensuite deux montures que je mis volontairement de côté pour Faerlyn et moi, je les scellai rapidement avant de porter mon regard vers l’earion. De nouveau, les tatouages sur son visage se mirent à étinceler d’une lueur bleue océan alors que ses bras étaient tendus, paumes vers le ciel. L’eau qui était sous nos pieds se retira magiquement, rejoignant Faerlyn qui forma devant lui une murette d’eau d’une épaisseur impressionnante.
Une murette ? Comment espérait-il fragiliser la porte avec un petit mur d’eau ? Je fronçai les sourcils d’incompréhension mais c’était sans compter sur l’augmentation progressive de cette masse qui finit par devenir un mur de plus de trois mètres de haut qui se transforma en une vague qui serait sûrement dévastatrice.
Faerlyn dans un mouvement ample tourna ses paumes l’une vers l’autre, les faisant se rejoindre devant lui dans un claquement puissant. La vague se propulsa alors vers la dernière enceinte et surtout vers la dernière porte qui opposa une résistance sur le début à cette immense vague avant de céder sous la puissance du sort.
L’eau se fraya un chemin à travers le bois le faisant craquer puis exploser vers l’extérieur ouvrant finalement une brèche dans laquelle le liquide put s’engouffrer. Au bout d’un moment, la vague disparut complètement de notre vue laissant simplement un trou, immense permettant à tout le monde de sortir.
- « Pour Aenaria et Faerlyn, hip hip hip ! Houra ! Hip hip hip ! Houra ! »
Ca y est, cet enfer allait enfin prendre fin, nous allions tous pouvoir sortir. Je fus tétanisée l’espace de quelques secondes réalisant ce que nous venions d’accomplir tous ensemble. Car oui, tout ceci n’avait été possible qu’avec l’assistance de Faerlyn et l’aide de tous les prisonniers du camp. Certains d’entre eux étaient tombés pour gagner leur liberté et leurs mémoires seraient honorées dès que je le pourrais.
Une frappe amicale sur mon épaule me fit revenir à la réalité. Nous devions fuir au plus vite maintenant. Je regardai vers les écuries constatant l’efficacité des prisonniers à sceller tous les chevaux présents et mettre des attelages sur le plus grand nombre d’entre eux.
Je me mis en scelle, attrapant au passage les rennes de la monture pour Faerlyn. Me dirigeant au petit trot vers lui, je me retournai vers ce qui avait été la coquille de ma torture voyant les prisonniers ayant survécu se diriger vers nous.
- « La liberté nous attend mes amis ! »
Une grande clameur s’éleva de la cour alors qu’ils passaient la première porte. Je me tournai vers Faerlyn et lui tendis les rennes de son cheval. Il y grimpa prestement et me regarda droit dans les yeux.
- « Rentrons chez nous ! »
- « Allons à Oranan, c’est la zone d’embarcation la plus proche d’ici. »
- « Direction l’Ynorie alors. Ya ! »
Faerlyn talonna sa monture afin de l’éprouver et je fis de même. Nous traversâmes un pont qui sortait et apparaissait dans la brume laissant entrevoir le vide au-dessus duquel nous galopions. Nous finîmes par arriver au bout de ce pont et je ne pus m’empêcher de me retourner afin de graver cette image dans ma mémoire : le camp d’Oaxaca éventré par l’attaque de Faerlyn ainsi que par la mienne avant cela et au milieu, une armée de prisonniers qui pouvaient enfin goûter à la liberté.
Ce n’était pas le moment de faire de la littérature mais quelques mots revinrent à mon esprit, des mots que j’avais lu des années auparavant mais qui résonnaient particulièrement bien en ce jour.
(Sur la santé revenue
Sur le risque disparu
Sur l’espoir sans souvenir
J’écris ton nom
Et par le pouvoir d’un mot
Je recommence ma vie
Je suis né pour te connaître
Pour te nommer
Liberté.)