A sa larme je m'attendris un peu plus. Je le regardai et dis d'une voix qui se voulait rassurante:

« Tiniis, je ne vous connais pas. »

Je souris doucement.

« La seule image que j'ai pour l'instant de vous est le fidèle suppléant de Naral Shaam, et ne tenant pas celui-ci dans ma plus haute estime, vous n'aurez pas de mal à acquérir une meilleure amitié ... »

Hésitante, je levai la main vers son visage. J'y essuyai la larme qui coulait.

« Nous sommes si loin ici que personne ne nous entendra. Rien ne saurait me mettre en danger. »

Je m'arrêtai, réfléchis un peu, puis repris:

« Racontez-moi. »

Il poussa un soupir et te regarda péniblement, esquissant un semblant de sourire qui se voulait rassurant...

"Il s'agit bien de Naral Shaam, justement...Vous ne le connaissez pas non plus...Il peut-être d'une extrème bonté...Il m'a recueilli alors que tous m'avaient abandonné. Je vivait seul, replié sur moi-même...Rejeté de tous je ne sais pour quelle obscure raison...Et lui m'a aidé. Il s'est occupé de moi et m'a éduqué. Depuis, je lui suis éternellement reconnaissant et le sert comme si c'était mon maître, bien qu'il préfère nous dire amis..."

une ombre passa sur son visage...

"Mais Naral Shaam n'est pas non plus la bonté incarnée...Parfois, il entre dans des crises où il est comme fou. Il ne se contrôle plus! On dirait qu'un esprit ténébreux et maléfique s'empare de lui et le rend terrifiant...C'est à lui que je dois ces plaies...Mais je n'arrive pas à me séparer de lui, la seule personne qui m'ai jamais porté de l'attention... Bien que ma rancune envers son geste est tenace..."

Les larmes coulaient sur les joues de l'elfe gris, qui se tenait maintenant la tête entre les mains.

"Je suis désolé de vous avoir dit ça...Vous ne deviez pas savoir...Je n'aurais pas du!"

J'écoutais ses paroles en fronçant les sourcils. Je n'avais aucun mal à imaginer notre mystérieux chef d'expédition en proie à une crise de fureur .. Mais les cicatrices de Tiniis prouvaient qu'il pouvait réellement être dangereux. Je m'interrompis en entendant l'elfe pleurer doucement. Il semblait terriblement boulversé par cette histoire, qui à moi ne paraissait pas si troublante.

(Il doit être quelqu'un de très facilement impressionnable, pour réagir ainsi ..)
(On dirait un gamin perdu ...)

Je m'approchai et vint m'accroupir près de lui, puis passai un bras autour de ses épaules.

(Il y a combien de temps de cela ?)

« Reprenez-vous, Tiniis ... »

Je caressai pensivement ses cheveux gris sombre, comme on caresse ceux d'un enfant malade.

« Ces choses sont finies depuis un long moment .. Nous n'en reparlerons plus. »
« Séchez vos larmes, et .. Enlevez votre masque quand je suis seule avec vous. Je préfère voir les choses telles qu'elles sont, vous savez ... »

Il releva doucement la tête vers toi.

"Vous voulez dire que vous n'êtes pas effrayée par ces plaies qui m'ont à jamais défiguré? Je ne veux pas de pitié...Mais vous semblez sincère...Jamais on a été aussi gentil avec moi..."

Il porta la main à son masque, et, après une hésitation, le retira à nouveau, te dévoilant pour la seconde fois ses cicatrices. Il te regarda alors droit dans les yeux. Son regard n'était plus parcouru de l'ombre qui l'avait traversé un instant auparavant...

"Mais vous...pourquoi donc vous déguisiez vous? Vous êtes pourtant..."

Il hésita un instant avant de continuer...

"...très jolie...Pourquoi vouloir vous faire passer pour un homme?"

Ses pommettes foncèrent légèrement...

Pour la seconde fois, Tiniis ôta son maque. Je souris; ainsi son visage acquérait une personnalité. Il leva les yeux vers moi, et de ceux-ci avaient disparu toute frayeur.

« Mais vous...pourquoi donc vous déguisiez vous? Vous êtes pourtant... ...très jolie...Pourquoi vouloir vous faire passer pour un homme? »

Je souris, sans faire attention au compliment.

« C'est que je suis très jeune. Je ne pensais pas qu'on me prendrait au sérieux .. Je voulais partir à l'aventure. »

Je rigolai:

« Je n'ai pas tenu bien longtemps .. »

"Oui les humains m'étonneront toujours par leur comportement lors de certaines occasions...Et jusqu'à cette aventure, pas en bien, en ce qui me concerne... Vous vouliez l'aventure, vous voilà servie..."

Il sourit à son tour, et leva la tête vers le ciel. Vous étiez assis dans une petite clairière qui offrait la vue du ciel bleu sur presque toute sa surface, hors du couvert des arbres...

Tiniis changea alors de tête, et son regard se fit soudain inquiêt...

"Regardez là-bas, au loin dans la forêt, des fumées...Cela ne présage rien de bon j'ai l'impression..."

En effet, quelques volutes de fumées, comme celles qui sortent des cheminées, volent à l'horizon dans la direction du volcan, mais pas sur celui-ci...Encore dans la jungle...

(Des fumées ?)

Curieuse, je me redressai et aperçus les longues bandes grises qui flottaient sur la jungle. Elles montaient de sous l'épais manteau des arbres, et se dirigeaient vers la montagne noire.

« Tiniis ! Qu'est-ce que c'est que ça ? »

Je montai sur le rocher qui m'avait servi de siège, et tentai de comprendre ce qui se passait, d'où provenaient les fumées.

« C'est des feux ? »

Tiniis ne se déparailla pas de son air inquiêt...

"En effet, il n'y a pas de fumée sans feu... Et si feu il y, il peut y avoir deux solutions...Soit nous ne sommes pas seuls sur cette île et ce que nous voyons sont les fumées d'un campement ou d'un village, soit c'est un incendie de forêt, et dans les deux cas, nous sommes mal barre..."

Il repose les yeux sur toi.

"Mieux vaut ne pas s'en approcher je crois..."

Je jetai un dernier regard anxieux aux tristes fumées, avant de descendre de mon promontoire. Un masque de sériosité s'abattit sur mes traits.

« Tu as raison. Retournons sur la plage, le plus vite sera le mieux. »

Je fis demi-tour, et retrouvai rapidement le passage que nous avions emprunté à travers la jungle.

« J'espère que ce n'est pas une nouvelle chose dont Naral aurait omis de nous parler. »

Je m'arrêtai une seconde, me tournai vers mon compagnon et fronçai les sourcils:

« Tu n'as pas idée de ce que c'est, n'est-ce pas ? »

Tiniis te regarde descendre de ton promontoire et repartir vers la plage.

"Je ne sais pas du tout ce que ça peut être non...Naral a toujours été très mystérieux quant à cette île... Je ne crois pas que retourner sur la plage maintenant serait très utile...Ramassons encore du bois et tâchons de trouver de la nourriture pour ce soir...Nous les préviendrons à ce moment là! De toute façon, seul Naral y est resté!"

Mon regard se durcit.

« Tiniis, je n'ai aucune raison de ne pas vous accorder ma confiance. Mais sachez que depuis nos récentes aventures je ne me confierai plus jamais à Naral Shaam. Si mes amis ont vu ces fumées, ils reviendront vers la plage ou iront voir ce qu'il en est. »

(Il est hors de question que je reste à ramasser du bois alors qu'un incendie se déclenche, ou que des cannibales préparent leur repas sur cette île étrange !)

« Soit nous regagnons la plage, soit nous allons voir la chose de plus près. Vos armes sont impressionnantes, le sont-elles autant que votre art ? »

Je dégainai ma nouvelle dague, et m'apprêtai à m'enfoncer dans l'île vers les mystérieuses fumées.

« Vous voyez Tiniis, nous sommes bloqués sur cette île: nous n'avons pour ainsi dire aucun moyen de la quitter et je n'ai aucune idée de ce qui nous attend. Mais je n'ai absolument pas l'intention de me laisser diriger. Mon courage surpasse sans doute ma force, mais je n'ai pas grand-chose à perdre. »

Je souris:

« L'aventure, vous vous souvenez ? »

Le regard de l'elfe s'allume d'une lueur un peu paniquée quand il te voit partir vers les fumerolles. Il court vers toi et te retient par l'épaule, te retournant vers lui d'un geste sec, mais non violent.

"Non, n'y allez pas, ce ne serait pas l'aventure mais du suicide! Et je ne peux me permettre de vous perdre...Vous êtes une des seules personnes à m'avoir apporté de l'affection...Mes armes sont peut-être impressionnantes, mais ne peuvent rien ni contre un incendie, ni contre une armée de sauvages..."

Il s'arrête un instant, reprenant son souffle.

"Retournons sur la plage si vous le voulez, mais ne partez pas seule vers l'inconnu...Ce serait du suicide pour vous comme pour nos compagnons qui n'ont peut-être pas vu ces fumées...Je vous en conjure!"

Mais alors que je m'apprêtai à partir, Tiniis me retint. Plutôt retourner sur la plage qu'aller vers ces fumées, disait-il. Et à dire vrai, ce choix m'allait aussi bien; je n'étais pas tellement d'humeur aux sauvages ce jour-ci. Mon sourire se fit légèrement boudeur mais je rangeai ma dague, et emmenai l'elfe à ma suite, tournant dos à la montagne noire. Mon sens de l'orientation, fidèle à lui-même, me conduisait à travers les lianes et les arbres que nous avions déjà passés. Tiniis me suivait de près; craignait-il de se perdre ? J'étais d'humeur légère, ne réalisant pas la portée du danger qui peut-être nous menaçait. Simplement contente d'être sur cette île, dans cette étrange forêt, dans ce climat tropical et sachant que je ne dépendais plus réellement de Naral Shaam.

Alors que vous rentrez vers la plage, Tiniis t'arrête en regardant un grand arbre sur votre droite.

"Regardez, c'est un cocotier...Je pense qu'il serait judicieux de ne pas revenir les mains entièrement vides sur la plage, sinon nous n'aurons pas de quoi nous sustenter ce soir..."

Il s'approche de l'arbre et en caresse l'écorce.

"Vous montez ou bien je le fais?"

Puis rajoute comme pour ce justifier...

"Ces fruits sont durs à attrapper, mais succulents! En avez-vous déjà mangé?"

Je regardai l'arbre d'un air suspicieux. Les fruits bruns étaient ovales, énormes, et poilus.

(Beuh ça s'mange ?)

Je fis le tour de l'arbre.

« Vous croyez que ça en vaut la peine ? »

Le tronc était rugueux et facilement escaladable, mais les curieuses branches aux longues feuilles qui surplombaient les fruits du cocotier étaient vraiment trop haut perchées.

« On va pas s'fatiguer pour ça ! »

Je m'avançai et examinai l'arbre.

« Dans l'état où je suis, je n'arriverai jamais à grimper ! Regardez, je suis pieds nus et à peine habillée ! De plus ces trucs n'ont pas l'air terrible .. Mais si vous voulez essayer .. »

Je levai un sourcil.

« Vous pouvez aussi me faire la courte-échelle, ou on peut peut-être tenter de les faire tomber .. »

Je grimaçai:

« Sans se faire assomer ... »