Je me régalais de sentir les vagues caresser ma peau, du vent chaud qui courait sur mes épaules et du soleil qui séchait mes cheveux, quand soudain une silhouette apparut dans le soleil. Elle se dressait au loin sur un grand rocher en bordure de forêt et surplombant la mer. Je cessai aussitôt de bouger.

(Qu'est-ce que c'est ?)

Mais presque immédiatement l'ombre plongea et disparut dans les flots. Je frissonnai, et scrutai en vain l'endroit où la forme avait sauté. Il n'y avait plus le moindre signe de vie.

(Qui était-ce ?)

Une angoisse étrange s'empara de moi, et je jetai un oeil vers Tiniis et Naral. Un instant je songeai à les rejoindre, mais j'étais trop curieuse. Je sortis rapidement de l'eau et courus vers mes affaires.

(Ma dague et mon poignard suffiront)

Réalisant parfaitement l'ampleur de mon inconsience, et me disant que ma tunique ferait l'affaire, j'accrochai à ce qui me restait de ceinture dague et poignard, puis gagnai en trottinant la bordure de la forêt longeant la plage. Je cachai au creux d'une souche déposée là par la mer ma besace et mon nouveau pancho, puis me mis à longer la plage. Je marchai d'un pas vif et discret, me cachant dans l'ombre des arbres, guettant l'endroit où avait disparut la mystérieuse créature.

(Il s'agit juste de voir .. De voir et de regarder .. Je ne me montre pas ...)

Pour plus de sûreté je m'enfonçai d'un petit mètre encore dans la forêt, gardant un oeil sur la plage.

Tiniis et Naral sont trop occupés à mettre en place le campement pour te voir sortir de l'eau et t'en aller vers la forêt... Tu t'y enfonces petit à petit et aperçois bientôt à travers les arbres le rocher sur lequel tu as vu la mystérieuse ombre quelques minutes auparavant...

L'endroit semble désert, mais bientôt, tu entends un petit bruit par delà le rocher. Il s'agit d'un bruit chuintant de mastication bruyante...

J'avançai dans les arbres, avec une sensation étrange: à ma droite le murmure de la forêt et à ma gauche le chant des vagues se mêlaient en une curieuse mélopée. Je me serais sentie enchantée si soudain devant moi n'avait pas surgi le rocher de l'ombre. Surprise, je contemplai la roche qui baignait dans les flots et s'enfonçait dans la forêt. Puis, sur mes gardes, je la contournai doucement vers la mer. Je m'arrêtai brusquement: il m'avait semblé entendre un curieux bruit provenant de derrière. Je retins ma respiration.

(C'est quoi ? Je ne suis pas du tout rassurée !)

Les mains plaquées contre la paroi rocheuse, je tendis l'oreille. Bientôt le bruit reprit.

(Beuh, c'est peu ragoûtant comme truc)

C'était un curieux son, effrayant et écoeurant à la fois. Je l'identifiai comme le bruit d'un repas. Enfin, de quelqu'un qui mangeait. Et quelqu'un qui ne mangeait pas, mais alors pas du tout proprement.
Je ne pus réprimer un frisson de dégoût. J'osais à peine faire quelques pas vers la droite, tant j'apréhendais l'image qui s'associerait au son. Je fermais les yeux un instant et attendis que les battements de mon coeur se calment. Quelques secondes après je me tranquilisai. Je glissai doucement ma dague hors de son fourreau, et la fis un peu tourner dans ma main pour évacuer l'angoisse.

(Ce n'est pas le moment de faire une gaffe)

Je respirai lentement et fis quelques pas de côté. Je m'immobilisai et attendis que le bruit reprenne.

La mastication semble s'arrêter un instant, puis tu entends un autre son, le bruit d'un animal qui secoue son pelage pour le sécher. Tu reçois en effet quelques gouttes d'eau sur la tête et les épaules.

Après quelques secondes, le bruit de mastication revient. Il y a dans l'air une odeur de poisson...

Le bruit s'était tu, et à nouveau se confondaient les mélodies de la mer et de la jungle. Mais soudain un nouveau son troubla l'ambiance. Tremblante je tendis l'oreille. Je n'arrivais pas à analyser le bruit, mais un léger arrosage d'eau de mer me mit sur la piste: quelque chose s'ébrouait derrière le rocher. Quelque chose avec un pelage. Et une silhouette presque humaine.

(De mieux en mieux...)

Je m'essuyai le visage avec une moue incrédule, et soudain arrêtai mon geste.

(Ca sent ...)

Je serrai mes doigts sur le pommeau de ma dague.

(Le poisson ! Ca pue le poisson même !)

Le bruit de mastication reprit.

(Donc ce truc mange du poisson. Avec un peu d'chance il n'aime pas l'humain.)

La situation — ainsi que l'odeur — devenait intenable. Je comptai jusqu'à trois et sortis brusquement de mon abri, la dague au point et l'air déterminé.

A ton apparition, tu n'as le temps que d'apercevoir une fourure orange rayée de noir et d'entendre un feulement puissant, avant que la créature ne saute prestement sur le rocher, laissant son repas, un poisson à moitié mangé, sur le sol.

Quand tu relèves la tête vers le rocher, tu aperçois une créature qui te fait penser de loin à votre ami Kafziel, mais en plus sauvage... Ce n'est pas un tigre, la créature se tenant sur deux pattes, mais rien dans son regard n'inspire l'humanité. C'est un Woran sauvage, à la longue chevelure rouge, bien que l'individu se tenant devant toi paraît plutôt jeune...Un adolescent sans aucun doute.

Il paraît totalement effrayé et surpris par ta présence, et te regarde avec un air curieux, poussant un léger grognement continu...

Alors que je m'apprêtais déjà à prendre mes jambes à mon cou, je vis un long trait orange et noir bondir sur le rocher, laissant devant moi les reliefs de son repas. Frémissante, je m'écartai brusquement du rocher depuis lequel l'animal me surveillait à présent. Je levai les yeux.

(Oh, on dirait qu'il est encore plus effrayé que moi ...)

Cette constatation commença par me rassurer, puis je tentai d'examiner la bête. Elle se tenait debout, le pelage fauve et noir, les crocs menaçants. C'était un woran, je le reconnus aussitôt. Cependant en cet instant j'eus mille fois préféré qu'il s'agisse de Kafziel, car celui-ci n'avait pas l'air avenant le moins du monde.

(Mais non .. Mais non, il n'est pas en colère ...)

Je me forçai à respirer. Le woran était très jeune et semblait en effet bien plus effrayé de cette rencontre que je ne l'étais. Il m'observait curieusement, la tête penchée, et de sa gorge montait un sourd grondement. Je n'avais aucune envie de le combattre, d'autant plus que mes chances étaient sans doute nulles. Je reculai encore de quelques pas, tout doucement, gardant le visage levé vers l'animal. Lentement, sans le quitter des yeux, j'abaissai ma dague.

« Je ne te veux aucun mal ... »

Ma voix était ferme et tranquille, tandis que mon esprit travaillait à toute allure.

(C'est bon, si ce n'est qu'un woran, il n'y a pas de danger pour le camp. Maintenant il ne faut pas qu'il m'attaque. Il est sauvage, il ne doit pas parler ... A moins ..)

Mon regard croisa celui du fauve, tandis que j'essayais d'y distinguer une lueur d'intelligence.

(A moins qu'il n'y ait des créatures intelligentes sur cette île. Des humains. Des cannibales. Les fumées !)

Mon inquiétude soudaine m'arracha un brusque mouvement de recul.

Le woran passa de longue secondes à te regarder fixement, ses yeux passant de ton visage à ta dague très rapidement...Au bout d'un moment, il parut se calmer, en même temps que tu lui dis que tu le lui veux aucun mal. Quand tu as un mouvement de recul, il sursaute et regarde tout autours de lui, pensant sans doute qu'il y avait un quelconque autre danger aux alentours... Il ne voit rien et se tourne à nouveau vers toi...

"Moi...Raash. Gentil! Pas de mal. Toi gentille?"

Il descend de son rocher et s'avance prudemment vers toi, en fixant ta dague avec une expression de crainte sur le visage...

A mon mouvement soudain, il parut effrayé. Se tournant de tous côtés pendant quelques secondes, il reporta enfin son attention sur moi.

« Moi...Raash. Gentil! Pas de mal. Toi gentille? »

(Il .. Il parle ... Raash .. Euh .. C'est son nom ?)

Je frémis, croyant mes craintes se confirmer.

(Mais .. L'île a pu être habitée dans le passé ..)

Le Woran descendit soudain du rocher d'un bond leste. Il s'avança vers moi, sa longue queue battant nerveusement. Il fixait ma dague avec une terreur évidente. Tout doucement, je me penchai:

« Ah, bien sûr .. Ma dague ne te plaît pas .. C'est que tu vois .. Moi non plus je ne suis pas très rassurée .. Bon bon, d'accord .. Je la pose. Là. Regarde. »

Gardant les yeux sur l'animal, je posai lentement ma dague au sol, puis me redressai en reculant à nouveau.

« Oh mais tu sais .. Moi non plus je t'aime pas trop tes griffes .. Ou tes crocs .. »

J'articulai avec soin et parlait d'un ton posé, doux et continu.

« Ra ... Raash, c'est ça ? C'est toi Raash ? Moi ... Moi c'est Selena. Se-le-na. »

(Ou Ri-di-cule. Me voilà en train de faire causette avec un tigre sur pieds)

Il te regarde poser ton arme et son visage se détend un peu. Il paraît amusé que tu parle de ses crocs et griffes ainsi, et s'amuse à sortir et à rentrer ses longues griffes pointues deux-trois fois, avant de reposer le regard sur toi avec ce qu'il te semble être un sourire...

"Pas danger...Enchanté! Oui, moi Raash, toi Selena...Toi gentille?"

Le Woran parut ravi que je dépose mon arme, puis il s'essaya à faire faire des aller-retours à ses griffes, sous mes yeux inquiets. Son regard revint sur moi. J'évitai de le fixer, ce qui pouvait constituer un affront, le signe d'une attaque imminente.

« Pas danger...Enchanté! Oui, moi Raash, toi Selena...Toi gentille? »

(Enchanté ? Il en a des bonnes, lui. Il parle bigrement bien en tout cas !)

« Je .. Je suis gentille. Oui. »

Je répondis par un sourire hésitant à son fendement de babines.

(S'il me comprend .. Je devrais pouvoir le questionner .. Peut-être .. Qui sait ? Peut-être sait-il des choses sur ces fumées, par exemple ...)

« Tu vis ici ? Sur l'île ? Raash, tu vis sur l'île ? »

(Question idiote)

Ses traits se détendent tout à fait quand tu lui assures que tu es gentille. Il garde néanmoins une certaine distance entre vous. Assez près pour vous entendre clairement sans devoir élever la voix, mais assez loin pour ne pas que tu l'atteigne en un bond si jamais l'envie de l'attaquer te prenait...

"Raash vivre sur île! Bon endroit, mais beaucoup dangers...Toi venir d'où?"

L'étrangeté de la conversation me frappa soudainement. Je laissai échapper un petit rire et continuai, mal à l'aise:

« Je viens de très loin. »

Je désignai d'un geste évasif l'immensité de l'océan.

« Par là-bas. Au-delà des mers. »

Je souris.

« Tu ne dois pas connaître. »

Un air sérieux passa sur mes traits, et m'approchant un tout petit peu, je demandai:

« Raash .. Est-ce que .. Est-ce qu'il y a d'autres gens .. Comme moi ? As-tu déjà vu des gens comme moi sur l'île ? »

(Tout cela est ridicule .. Je parle à un woran !)

Je souriai de ma folie. Je devais rêver, certainement, me disé-je, tandis que mes yeux surveillaient avec inquiétude les griffes luisantes et la solide musculature de Raash.

Raash paraît très impressionné par le fait que tu habites par delà les océans...Il regarde un moment dans la direction que tu avais indiquée, puis son regard se pose à nouveau sur toi.

"Raash pas connaître...ça très loin..."

Quand tu t'approches, il a un léger mouvement de recul et la peur vient à nouveau s'installer un millième de seconde dans son regard, mais voyant que tu ne lui veux pas de mal, il redevient normal dans son attitude, faisant même un petit pas dans ta direction.

"Non, toi pas comme Eux...Eux méchants...Pas d'autre comme toi!"

Il regarde un moment vers la jungle, guettant un éventuel mouvement...Sur ses gardes, comme si il était en perpétuel danger, ici, avec ta seule compagnie...

(L'île est bien habitée ! Et visiblement par de mauvaises personnes !)

Je tâchai de ne pas laisser paraître l'inquiétude qui montait en moi.

« Que sais-tu d'eux ? Comment sont-ils ? »

Je baissai d'un ton.

« Ils te font du mal, Raash ? Tu as peur d'eux ? Que font-ils ? »

(Il faut que j'aille prévenir Tiniis et Naral)

Une idée traversa soudain mon esprit.

(Est-ce que Naral pourrait faire partie de ces gens ?)

Notre chef d'expédition avait décidément perdu une grande partie du peu de confiance que nous lui vouions alors. Je n'étais guère penchée vers la clémence, et commençais seulement à bien comprendre l'ampleur de la situation dans laquelle mes compagnons et moi étions engagés.

(Une île peu accueillante, une sombre montagne, et un chef sans scrupules ... Il faut compter sur la chance !)