Lorsque ton doigt touche le cadavre, la cri déjà entendu précédemment retentit de nouveau, plus fort que tout à l'heure mais sans que tu puisses vraiment savoir d'où il venait. Et le corps roula sur le côté dans un bruit assez sordide, se retrouvant sur le dos.

Tu peux voir que les deux squelettes ne sont vêtus quasiment que de loques. Seule celui de la femme porte des bijoux : deux bracelets aux poignets, fins et dorés, et qui tranchent avec l'état de leur propriétaire. Scintillant, brillant et sans aucun accroc, ils semblent neuf. Une petite pierre rougeoyante y est sertie.

Le squelette masculin n'a quant à lui rien d'intéressant. Et lorsque le cri s'arrête, le silence retombe, lourd et froid.

Le squelette bascula de côté et le hurlement entendu précédemment retentit, faisant sursauter l'elfe. Il regarda autour de lui. Au nom de Gaïa, comme il avait hâte de sortir d'ici !
Le cri ne venait visiblement pas de cette pièce. Il nota bien que l'un des squelettes portait des bijoux, sans doute la femme, et leur beauté était presque incongrue dans ce monde de laideur.
Allons, il avait suffisamment dérangé ces pauvres gens dans leur dernier repos... Il se détourna et se figea. Bon sang, il était en train d'oublier qu'il était dans un manoir ! Il ne fallait pas perdre de vue qu'au moins une partie de tout cela n'était pas réelle. Ces corps étaient-ils réels ? Dans le doute, il se tourna vers eux et recommanda leur âme à Gaïa, pour qu'elle les assiste face à la noirceur de Phaïtos. Pour le reste, mieux valait les laisser tranquilles en effet.
Il sortit donc de la pièce pour revenir dans le hall d'entrée. Il leva les yeux vers l'escalier, il avait l'air pourri et branlant. En partie recouvert de champignons phosphorescents. Il allait falloir être prudent...
Faisant appel à ses talents d'escalade, il se colla au mur pour que son poids porte le moins possible sur les planches et s'efforça de toujours n'avancer qu'en ayant une prise sur le mur, des fois que le sol se déroberait...
Il avança ainsi, pas à pas, le visage crispé de dégoût tandis que ses doigts touchaient le mur visqueux et sale. Mais mieux valait ça que de se rompre la nuque en tombant. Une aussi belle nuque que la sienne ne méritait pas une fin comme ça...

Chaque marche est branlante, mais tu parviens à l'étage sans que l'une d'elles cède sous ton poids.

La pièce dans laquelle tu arrives est ronde et possède 4 portes, une pour chaque point cardinal majeur. L'état général de la pièce est le même qu'au rez-de-chaussée : liquide suintant, bois pourris et lumière presque absente.

Cependant, tu peux voir au centre de la pièce un miroir à taille humaine, propre et finement orné, orienté vers la porte sud.

Si tu écoutes bien tu entendre une sorte de soufflement, comme une respiration.

Nouvelle salle, nouvelle étrangeté. Si les lieux étaient aussi sinistres que le rez-de-chaussée, il y avait maintenant quatre portes et un miroir quelque peu incongru au milieu de la pièce. L'étage serait-il donc plus large que le rez-de-chaussée ? Une preuve de plus que tout cela n'était qu'illusion.. mais pourtant il était bien dedans.

(Il va falloir que je sorte d'ici, sous peine de voir ma raison vaciller sous les affres de l'étrangeté...)

Oui, Faëlis était capable de penser tout haut de telles phrases.
Mais il avait aussi une caractéristique : son impossibilité à résister à l'idée d'avoir un aperçu de la beauté et de la perfection, c'est-à-dire de lui-même. Son petit miroir portable ne valait pas la grande plaque dressée au milieu de la pièce.
Faisant à peine attention à l'étrange souffle qu'il entendait, sans doute le vent, il tourna autour de l'unique mobilier de la pièce pour se mirer avec adoration, certain que même sous la couche de crasse qui l'enduisait, sa beauté intérieure transparaissait.

La première chose que tu vois dans le miroir, c'est toi. Mais ton reflet est propre, comme lors de ton entrée dans le manoir. Et autours de toi tu ne vois rien, à part une salle blanche.

Sinon il ne se passe rien de spécial lorsque tu regardes le miroir.

Et cela fut vrai ! Il se voyait, dans toute sa splendeur. Ses muscles puissants et harmonieux jouant sous une peau d'albâtre, son visage fin et délicat, d'une grâce ineffable... Quelle souffrance que de savoir qu'il existe en ce bas monde un si bel homme mais qu'il lui soit à jamais inaccessible !
Sa main, qui s'était déjà préparé à chercher son peigne était retombée. Ses longs cheveux d'or, digne de ceux de Gaïa elle-même à n'en pas douter, était impeccablement ordonnés, semblables à des rayons de soleil devenu matière, et pourtant toujours dépassant les pauvres brins de paille dotant les autres mortels.
Au milieu de ce cauchemar, Faëlis prit le temps de savourer cet instant de beauté, de crainte qu'il ne soit éphémère.
Combien de temps resta-t-il ici, rêvant à des choses dont la bienséance interdit de parler ? Impossible à dire, mais bientôt il se sentit débordant de courage et de vitalité. Il était prêt à accomplir des miracles, à rejoindre les dieux et à chanter pour eux ! Il était prêt à bannir la laideur et la souffrance du monde des mortels pour que partout ne règne plus que la douce harmonie de la perfection !
Il continua à examiner le miroir, encore et encore. La pièce dans laquelle il se tenait était aussi plus belle, et comme il ne pouvait détourner le regard du merveilleux objet, il se mit à tourner légèrement autour pour inspecter la salle telle qu'elle apparaissait dedans.

Tu ne trouves rien de spécial dans la pièce. Les portes sont toujours là, le miroir semble anodin... bref, rien de spécial.

Maintenant regonflé à bloc, le jeune elfe se retourna d'un volte-face conquérant, ses cheveux volant autour de lui. Il y avait quatre portes dans cette pièce, et encore une pauvre âme innocente à sauver !
Dos au miroir, il alla donc ouvrir la porte la plus proche, paré à faire face à tout ce qui pouvait l'y attendre. Par Gaïa, il pourrait triompher d'un dragon à main nue !

La salle dans laquelle tu pénètres ressemble à une cuisine. Délabrée, sale et emplie de sacs de grains pourris, de nids de vers et de cafard, elle semble ne pas avoir été utilisée depuis des années.

Cependant la disposition des ustensiles, les fais-tout plein de pourriture et l'évier emplit de quelques couverts semblent démontrer qu'elle a été quittée précipitamment. Plusieurs placards aux portes branlantes sont visible à droite et à gauche de la porte, et au fond une grande armoire s'impose, faisant presque la moitié du mur.

Il n'y a presque pas de bruit, excepté celui des insectes.

Il entra dans une cuisine rongée par les insectes. Maudites créatures ! Mais il n'avait pas peur.
Il nota rapidement les armoires et les ustensiles. Rien d'intéressant, de toute façon restait-il seulement quelque chose dans ce monde de dévastation ? La seule trace de beauté avait été le couple enlacé avec son anneau.
Il avait quelqu'un à sauver ! Aussi, le jeune elfe fit demi-tour et prit la porte sur sa droite. Il retournerait toute cette tour s'il le devait, mais il trouverait la victime emprisonnée ici !

La porte ouverte, le jeune elfe arriva... dans une pièce immaculée, ne contenant elle aussi qu'un miroir. Une fois de plus, Faëlis tomba en arrêt. La vision était plus merveilleuse que jamais ! Il voyait maintenant un grand et jeune seigneur, vêtu de pourpre et d'or, aussi arrogant que bienveillant et magnifique. Malgré cela, il ne doutait pas un instant que ce soit lui-même qu'il voyait. Qui d'autre aurait pu être si magnifique ?
Il regarda son reflet dans les yeux et sa bouche s'entrouvrit. La bouche du reflet fit de même.
Il s'approcha d'un pas, le corps vibrant de passion.
Danger ? Sauvetage ? D'où venaient ces notions ? D'un passé sans importance, seul lui-même était important.
Il s'approcha encore, le reflet s'approchait aussi, et l'elfe blanc se noya dans le regard bleu et limpide.

(Toi qui est source d'émoi, toi qui rayonne jusque aux cieux,
Viens te joindre à moi, que je me perde dans tes yeux...)

Puis, enfin, ses lèvres touchèrent l'image. Sublime délice ! Il ne se rendait même pas compte du contact métallique, seul comptait le contact de la chair. Il avait enfin l'occasion de s'adorer comme le dieu qu'il avait toujours été pour lui-même !

Dans cette situation, il avait souvent eu l'impression que le monde disparaissait autour de lui, mais là, ce fut ce qui arriva réellement : En un instant, il se retrouva à plat ventre, sans son faisceau de roseaux, pitoyable dans une grande pièce blanche.
La petite fille était de nouveau là, se moquant de lui. Le jeune homme rougit, comprenant qu'il s'était fait manipuler. Rien de tout cela n'avait été réel...
Elle expliqua qu'elle et ses étranges compagnons se moquaient ainsi des visiteurs depuis longtemps mais qu'elle voulait changer, maintenant. Qu'est-ce que tout cela voulait dire ? Faëlis était encore un peu trop secoué pour comprendre, mais dès qu'elle lui proposa de répondre à une question, il focalisa son esprit. Cet être fantasque ne lui donnerait peut-être pas d'autre occasion !
Encore perturbé, l'elfe tenta de se concentrer. La bonne question... la bonne question... Il leva les yeux vers l'être. Comment lui venir en aide ? Après tout ce qui venait de se passer, cette question lui paraissait plus secondaire. Il n'était pas d'un naturel méchant, mais il était vexé, et de toute façon, elle n'avait pas l'air si en danger, finalement. Moins que lui en tout cas... Mais passé ce moment de colère, il remarqua qu'il avait retrouvé ses beaux vêtements et était de nouveau propre comme un sou neuf, aussi, il se dit que ce n'était pas si grave. Il se releva fièrement, décidé à trouver un moyen de rendre service.

Alors, finalement, il demanda :

« Je voudrais savoir ce qui a fait de toi ce que tu es aujourd'hui... Oui, que t'es-t-il arrivé ? »