A la proposition d'envoyer quelqu'un défendre Kalad'aes, la Reine acquiesça, décidant d'envoyer sa meilleure chasseuse l'escorter. Alistair hocha la tête à l'entente de ces mots, satisfait. Le sentiment ne dura pas très longtemps cependant, car, comme il l'avait deviné les motifs de Calliopée sont à l'image de son peuple : ancré dans un passé de traditions et de conservatisme. Ainsi elle déclara que ce qu'elle désirait n'était rien d'autre que de revoir les choses comme elles étaient avant, lorsque les banquets et les fêtes étaient plus nombreux que les champs de bataille et qu'elles vivaient « en harmonie avec la nature ». L'assassin retint un sourire en coin à ces mots. En harmonie avec la nature, peut-être, à condition que cette nature ne soit pas masculine. La fin de son discours trahit cependant les vraies craintes de la dirigeante, lorsqu'elle déclara que les rebelles voudraient la destituer et que la sororité doutait de sa légitimité. Peu importe ce qu'elle pouvait bien déclarer, peu importe ses grands mots à propos des festivals étant plus agréables que les guerres... Seuls ces mots comptaient réellement, Alistair le savait. Comme toute monarque, comme toute dirigeante, comme toute chef... Ce qui lui importait le plus était de garder ses privilèges et sa place. De garder le faste auquel elle avait accès, la renommée, l'importance... De rester Reine. Malgré toutes ses belles phrases, malgré toutes ses belles promesses, elle ne se battait que pour elle-même. Peu lui importait le nombre de morts, elle déclarait elle-même que ce serait sanglant, mais après cela, au moins, tout « redeviendrait comme avant ».
( Une bien piètre ambition pour quelqu'un qui n'a pas mérité son trône, ) railla intérieurement le conseiller.
Certes, lui aussi désirait le pouvoir plus que tout. Mais il le mériterait. Il le créerait lui-même. S'approprierait par la force et la ruse ce qu'il considérait être sien. Mais ce qui l'éloignait le plus de cette reine de pacotille était son envie de changement. Lorsqu'elle ne désirait rien de plus que revenir à sa vieille vie monotone de noble pourrie gâtée, Alistair se jurait de ne jamais arrêter sa course vers les sommets. L'immobilisme de la monarque ne pouvait appeler qu'à une chose : le changement par une autre force que la sienne. Le monde changeait, inlassablement, constamment, et les personnes qui tentaient d'empêcher cela finissaient toujours au fond d'une fosse à purin, oubliés de l'histoire. Le seul moyen d'être pérenne était de toujours tendre vers quelque chose de meilleur. Peu importe dans quel domaine, il fallait que la masse sente le changement, sente l'amélioration. Et c'est ce que refusait de voir Calliopée. Calliopée l'immobile. Calliopée l'éphémère. Bientôt feu Calliopée le détail de l'histoire aldryde, Alistair en avait le pressentiment. Et il ferait tout pour être du bon côté de l'histoire. Du côté des vainqueurs, dont il aurait besoin un jour ou l'autre. Tous, ici, s'attendaient à ce que les rebelles prennent une déculottée, tous déclaraient qu'ils n'avaient aucune chance de gagner. Mais pour avoir vu Naral Shaam en action, l'assassin savait qu'une seule personne pouvait faire pencher la balance en la faveur d'un camp voué à l'échec.
Les paroles suivantes de la monarque manquèrent de nouveau de lui arracher un sourire. Elle déclara vivement qu'elle gagnerait même s'il lui restait moins de soldates fidèles qu'à la sororité et aux rebelles. Une nouvelle excellente pour Alistair, qui commençait à pouvoir dessiner un schéma intéressant. Ainsi, tel qu'il voyait les choses, les matriarches qu'il avait vu seraient les grandes gagnantes de cette guerre. Si les rebelles seraient écrasés par l'alliance entre les guerrières de l'armée officielle et celles de la sororité, cela ne signifiait pas que Calliopée serait sortie d'affaire, car les matriarches seraient certainement assez puissantes à la sortie de la bataille pour destituer la Reine et prendre sa place, d'une manière ou d'une autre. C'était donc là les craintes de la monarque qui se dressait de sa petite taille devant lui. Et elle le voyait comme l'un des derniers outils capables de renverser la situation. Un homme fort, étranger et qui déclarait ne vouloir rien d'autre que le retour à la paix. C'est ainsi qu'elle lui confia la mousse étrange qu'elle tenait, qui s'avérait être un mycélium un peu particulier. Un mycélium qui éclairerait son esprit et lui permettrait de mieux affronter l'adversité. Une drogue de guerrier comme de diplomate, en soi. Et si les effets secondaires étaient existants, il ne risquerait rien à long terme pour une prise ponctuelle. Si Alistair accepta le cadeau, il ne le consomma pas immédiatement ; il ne savait même pas encore s'il le consommerait un jour. Il en avait besoin. Comme preuve.
« Je le mangerai le moment venu, » promit-il cependant.
Mais sa parole n'avait que peu de valeur. Après ce cadeau particulier vint finalement la déclaration qu'il attendait tant : comment comptait-elle se servir de lui pour renverser la situation ? Après tout si elle lui racontait tant de choses, c'est qu'elle avait une idée derrière la tête. Une idée que seul les personnes présentes dans la pièce pourraient savoir. Et la révélation de cette idée ne le surprit pas le moins du monde : elle voulait qu'il assassine l'une des deux matriarches de la sororité de l'oubli. Une certaine Fadrin'ias qui serait à même d'organiser les troupes et de les galvaniser avant la bataille. Le plan de Calliopée commençait à devenir clair pour Alistair. Et pour cause, le même, à quelques détails près, commençait à germer dans son esprit, et il savait que dans sa situation, il aurait agi de la sorte également. La Reine voulait laisser les guerrières de la sororité s'écraser contre les lignes ennemies les premières, de façon à n'avoir plus qu'à achever les survivants avec sa propre armée, qui ne subirait que des dommages dérisoires comparée aux autres. Laisser son ennemi politique se suicider contre leur ennemi commun, en somme. Un plan d'une extrême simplicité qui avait dû être employé dans des milliers d'occasions à travers l'histoire... Mais qui, bien mis en œuvre, ne manquait jamais d'efficacité. Cependant la mise en œuvre, ici, passait par Alistair. Mais Alistair avait d'autres plans pour cette histoire. Il ne voulait ni de la sororité, ni de Calliopée à la tête des aldrydes. Ainsi lorsque la Reine eut terminé sa demande, le conseiller s'inclina solennellement.
« Si cela peut permettre à la situation de retrouver son ordre d'antan, alors ce sera fait, votre Majesté, » déclara-t-il en la regardant dans les yeux, sans tressaillir. « Indiquez-moi où elle vit et je m'en chargerai sur le champ. »
Alors après que la Reine lui eut donné ses indications, Alistair prit congé, Loona sur ses talons. A peine furent-ils sortis de l'Akrillarbre que cette dernière le retint, une expression inquiète sur le visage.
« Tu vas vraiment faire... ça ? » demanda-t-elle à voix basse. « Tu veux vraiment que ça redevienne comme avant, les mâles enfermés toute leur vie et les femmes qui festoient toute l'année ? »
L'assassin lui adressa alors un sourire apaisant.
« Fais-moi confiance, » déclara-t-il simplement. « Ca va changer. »
Et, sur ces mots, pris la direction de l'habitation de cette Fadrin'ias.
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