Son mutisme se prolongea quelques instants qui me semblèrent comme iréels. L'agitation, les cris, la sueur et la rage qui nous entouraient me paraissaient s'éloigner de plus en plus, comme si une chape de plomb s'était abattue sur la cave. L'inconnu quant à lui me fascinait par son mystère et la promesse alléchante de changements à peine énoncés. Soudainement, le capuchon sombre tressailla étrangement, et un ricanement froid et sans aucun humour s'éleva, bas et rocailleux, menaçant. Il était évident que je ne faisais que rester sur la même tonalité que lui dans ma réponse, sans grand espoir de réponse claire; cependant son rire n'était ni amusé ni provocateur. Je crus déceler dans son intonation quelque chose de sardonique et moqueur, et même plus profondément, cruel, comme si l'étranger attendait cette réponse et se délectait avec une certaine perversité des conséquences qu'elle aurait pour moi. Il répondit ainsi à une interrogation que j'avais laissée informulée: il n'était pas ici par hasard, et ne m'avait pas abordé par hasard non plus. Cette rencontre était clairement prévue, et relevait d'une obscure mission: en bref, ça sentait mauvais, mais délicieusement mauvais devrais-je dire. Cette démangeaison, cet ennui de l'immobilisme qui m'envahissaient depuis quelques temps tressaillaient à cet aperçu de danger. Quoi qu'il en soit, rien ne me coûtait d'essayer d'en savoir plus.
- Et tu crois que je suis aussi couillon que ça moussaillon ? Je suis un rat de taverne depuis des années et je sais comment marche les affaires. Ce n’est pas moi que t’auras comme ça ! Si tu veux croquer, va falloir parler. Alors qu’est ce que tu viens foutre par ici ? Et qu’est ce qui ferait que je pourrais te prendre dans mes … activités ! Et oublie la comptine de celui qui vient tranquillement boire un verre. Ici, ça n’a pas sa place !
Le ton moqueur qui emplissait sa voix au début de sa tirade s'était progressivement éteint pour devenir beaucoup plus sérieux, et même menaçant. Prudence, prudence mon cher Erow, ce loup là, mieux valait le brosser dans le sens du poil, tout en feignant de ne pas le faire. Je devais pourtant bien avouer qu'il y avait longtemps que je n'avais pas été pris dans une conversation aussi délectable par sa profondeur et son importance. Bien que je n'avais pas apprécié d'être traité de moussaillon, je laissai mon visage impassible.
-Toutes mes excuses, je ne vous avais pas apprécié à votre vraie valeur: il faut bien avouer que vous dépareillez avec la faune locale, dis-je avec grand sérieux.
A présent j'avais deux possibilités: soit je lui déballais tout, Varech, les déserteurs et les magouilles avec les pirates, soit je ne disais rien et repartais tranquillement, sans toutefois avoir retrouvé ces mêmes déserteurs qui s'étaient évaporés (ce qui, associé à cette rencontre, faisait une drôle de coincïdence de plus: j'allais finir par devenir paranoïaque). Ah, une troisième possibilité: si l'on se fiait à son ton menaçant et déterminé, une non-coopération risquait de se finir plutôt mal pour moi. L'étranger était sans doute aucun un combattant et pas des moindres. Me fiant à mon instinct, et découvrant une belle possibilité de revanche sur Varech, je décidai de coopérer, toujours en restant aux aguets. Après tout, cette affaire n'avait rien du secret d'état.
-Je ne venais évidemment pas boire un verre, vu ma sobriété. Et puis, je ne suis pas désespéré au point de venir dans cette taverne où l'hydromel est dégueulasse. J'ignore pourquoi les raisons de ma présence vous intéressent, elles sont terriblement banales; Je ne tire aucun intérêt à les cacher: mon abruti de capitaine m'a chargé de surveiller certains marins dont il doutait d'la bonne foi. Ils quittent leur poste de garde, je les suis, et j'me retrouve ici. Fin de l'histoire. Après, comme vous vous en doutez, je ne le porte pas dans mon coeur, cet abruti de Varech, et lui filer entre les pattes ne me déplairait pas. Je pourrais être utile à vos activités, si seulement je savais en quoi elles consistaient exactement. Quoi qu'il en soit, je suis un caméléon, je n'ai aucune attache dans ce monde ni dans l'autre: je m'adapte généralement à toutes situations.
_________________ Erow.
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