CHAPITRE 1 : L'arrivée à TulorimGoël Aërs, la tête caché sous sa capuche de cuir et le bas du visage enfouit sous une écharpe, regardait du coin de l’œil la scène de bagarre qui se tramait dans l’auberge entre un homme brutal et stupide et un nain roux à l’allure intrigante. Le nain, malgré sa petite taille, était parvenu à étaler la brute par terre et s’était enfuit sans demander son reste, non s’en avoir au passage écrasé son adversaire sous sa masse de muscle proéminente.
Goël sourit intérieurement.
(Bien fait pour lui. Ëryx m’a toujours dit de faire très attention à ne pas provoquer un nain, et qui plus est si celui-ci est composé en grande partie de muscles…)L’elfe gris avait toujours eu de la sympathie pour les nains. Ces petits êtres un peu bourrus cachaient souvent un grand cœur derrière leurs gros pectoraux. De plus, celui qui venait de sortir paraissait plus malin que ceux que Goël avait déjà eu l’occasion de rencontrer.
La brute épaisse se relevait avec peine, s’appuyant sur le comptoir pour ne pas tomber, et soutenu par ses quatre acolytes. Il avait les yeux hagards. Son nez fin et droit contrastait avec la vulgarité et la grossièreté du reste de son visage. Ses oreilles étaient gonflées d’hématomes, ses énormes lèvres cachaient une rangée incertaine de dents jaunâtres. Son large front, masqué par une longue chevelure noire et crasseuse, était entaillé d’une balafre profonde. Cependant, cette dernière semblait avoir été minutieusement étudiée pour donner au guerrier l’air le plus menaçant possible. Ses gros doigts boudinés, terminés par de longs ongles taillés en pointe, cherchaient désespérément une autre accroche que le bar graisseux. Il bavait.
Goël abandonna l’examen de cet homme ignoble, lassé par tant de banalité, et porta son regard sur la table face à lui. Deux hommes, deux elfes gris, un liykor apprivoisé et un humoran discutaient avec animosité à propos du combat de Mourdak contre le stalas.
« Aucune chance que Mourdak gagne. Le stalas est bien trop puissant pour qu’un simple homme puisse lui faire face plus de trois minutes. » affirmait le premier homme.
« Qu’est-ce que tu nous chantes là Dircus ? Un stalas est plus bête qu’un meuble. Le voleur des dunes saura ruser pour le battre. » le contredit le liykor.
« On dit qu’il aurait réussi à battre un gentâme … » s’extasia le deuxième homme.
« Et qu’il serait le fils de Phaitos lui-même ! » s’exclama un des elfes.
« Chut ! Arrête de blasphémer Ëol. » lui intima l’autre elfe en lui faisant signe de baisser la voix.
Goël sourit.
(Phaitos … blasphémer … ces idiots croient vraiment que toute cette religion est vérité ?). Pour lui qui avait renié les dieux depuis sa naissance, il y avait en effet de quoi sourire.
(Si les dieux existaient, je ne serais jamais né.)Soudain, l’humoran prit la parole, lui qui était resté silencieux depuis le début.
« Taisez vous. »(Probablement leur chef)Il saisit un couteau incrusté de pierres précieuses à sa ceinture, le fit tournoyer en l’air, le saisit au vol et le planta au milieu de la table d’un coup sec et puissant. Les cinq autres le regardèrent plein d’admiration et de crainte.
« Vous êtes tous des sombres idiots. » tonna-t-il en les dévisageant un à un.
« Cessez d’écouter ces stupides histoires urbaines, ces bruits de rues qui ne font que creuser encore plus profondément le fossé de votre bêtise ! Nul homme n’est fils du dieu de la mort, nul homme ne peut battre un gentâme, nul homme n’a jamais battu, et ne battra un stalas. »« Qui vous dit que ce voleur est un homme ? » interrogea Goël tout en se levant et baissant son écharpe pour découvrir son visage. L’humoran, surpris, leva les yeux vers lui. Des yeux où se mélangeaient le doute, la surprise et la méfiance.
« Qui vous dit que vous pouvez troubler notre conversation impunément étranger ? » répondit-il d’un ton acerbe et en se levant à son tour pour impressionner l’elfe.
« Aucun d’entre vous n’a jamais vu son visage. Je me trompe ? » continua-t-il, sûr de lui.
« Cela ne vous regarde pas étranger. » siffla l’humoran, de plus en plus menaçant.
« Mon nom est Goël. Goël Aërs. Fils de Aliraë Aërs, elfe grise. Si je me permets de me mêler de votre conversation, c’est parce que j’ai moi aussi un avis sur la question. Je pense que l'homme des dunes va gagner. »Un véritable duel de regard se déroulait au milieu de l’auberge. Goël dépassait d’au moins une tête l’humoran, et le regardait par conséquent de haut, sans pour autant être méprisant. Il le regardait juste, étudiait son visage, ses rayures, sa carrure, et son regard mêlant menace et fierté. Ce dernier redressait les épaules pour mettre en valeur son imposante masse musculaire. Malgré sa force apparente, son esprit n’en paraissait pas moins développé : ses yeux étaient vifs, ses gestes mêlaient la grâce et la puissance, ses oreilles semblaient toujours à l’affut.
« Je suis Gw’yl Alurd’Ut, fils de Fr’eys Alurd’Ut le pirate et de Ruo’yu Ghj’ak la fière. Tu es nouveau dans l'auberge Goël, alors pour cette fois je passerai l’éponge, mais sache qu’ici, à cette table, c’est moi et moi seul qui décide si oui ou non ton avis sur la question est intéressant. En l’occurrence : Non. Alors maintenant tu vas retourner tout de suite t’asseoir si tu ne veux pas te retrouver avec trois trous dans le ventre. » Gw’yl sortit son couteau incrusté de joyaux dans sa main droite pour appuyer son propos. Toute la taverne avait les yeux rivés sur la scène qui se déroulait là. Un étranger qui osait défier « Gw’yl long couteau », ça ne s’était jamais vu. Même les cinq brutes qui avaient affronté le nain étaient attentives.
Goël répondit posément, choisissant avec soin chacun de ses mots : «
Il me semble que nous sommes partis d’un mauvais pied. Je voulais juste discuter à propos du match qui va se dérouler le mois prochain. Je viens d’arriver en ville et je n’ai pour l’instant eu que l’occasion d’assister à un combat du dit voleur des dunes. J’aurais aimé partager moins point de vu avec votre table. Cependant, il semblerait que je ne sois pas le bienvenu. Je vais donc retourner à ma place. » et il se rassit sans plus de cérémonie.
Gw’yl retourna également s’asseoir près de ses compagnons. Ils discutèrent à voix basse pendants quelques minutes pendant que la salle reprenait peu à peu vie. Lorsque l’humoran se leva pour aller s’attabler à côté de Goël, l’ambiance de l’auberge était redevenue comme quelques instants plus tôt, c'est-à-dire une joyeuse beuverie bazardesque.
« Tu me sembles bien noir pour un elfe gris, rôdeur. » commença Gw’yl.
« Mon père était un mercenaire noir. La couleur de ma peau et celle de mon œil droit les seuls points communs que j’ai avec lui et avec cette ignoble race noire. » Tout en parlant, Goël avait révélé son œil droit, violet comme certains quartz qui tapissent les parois des grottes de Naroa, son continent natal. Jusqu’à lors, son œil était masqué par sa capuche en cuir.
« Attention à ce que tu dis ici Goël Aërs. Toutes les races et tous les peuples sont présents dans cette auberge. C’est pour ça que j’aime ce lieu. Les gens ne te regardent pas comme un membre de ta race, mais comme un client de l’auberge. Pour nous les humorans, tant discriminés, ce lieu est un havre de paix. » Il marqua un temps d’arrêt, il sembla pensif quelques instants, puis reprit
« Que viens-tu faire ici seul étranger ? Tulorim n’est pas la ville la plus sure d’Imiftil, surtout pour un voyageur sans défense … »Goël sortit d’un geste vif sa dague de son fourreau et la présenta sous le cou de son interlocuteur.
« Sans défense ? » demanda-t-il avec une pointe d’ionisme dans la voix.
« Je pense pas que ce soit la formule appropriée. » Puis il baissa sa dague et la rangea.
« En effet. Tu es surprenant l’ami. Mais tu n’as pas répondu à ma question : Qu’est-ce qu’un rôdeur novice comme toi viens faire dans cette ville ? »« Rôder » répondit simplement Goël. Puis il finit d’une traite sa chope de bière et proposa :
« Que diriez-vous d’aller le voir ce fameux voleur des sables ? L’arène est à deux pas d’ici. »« Bonne idée. Je vais prévenir mes gars. Seuls, nous ferons mieux … connaissance. »L’humoran prévint ses comparses, et sortit de l’auberge, l’elfe gris sur ses talons.
(((après)))