Ce n’est pas sans agacement que je passe à nouveau les portes de la fière et grande cité des miens, le lendemain. Moi qui avais espéré une soirée tranquille à savourer de délicieuses bières avec l’émissaire royal censé me donner mes ordres, j’ai été bien déçu. Tout a bien commencé, pourtant : une auberge ambiancée, de la musique guillerette, les rires des mineurs buvant leur paie après une dure journée de labeur. Le cadre parfait pour une soirée parmi les Thorkins. Et pourtant… Lorsque l’émissaire est arrivé, un parfait inconnu, ma ligne d’action a directement été posée : ce n’est pas une visite de courtoisie que je devais réaliser auprès de la forteresse des elfes gris, ces Danseurs d’Opale. Non. Ni même une enquête et inspection routinière pour assurer leur bienveillance à notre égard. Non, ce que réclame le Roi, par la voix de ce merdeux de messager, c’est bien plus. Je n’en ai même plus les termes exacts, tellement l’annonce m’a refroidi, la veille. Il est question de soumission à l’autorité de la couronne thorkine, de participation aux frais du royaume sous la forme de taxes, et je ne sais plus quelle autre idiotie ne faisant figure que de préjugés racistes et de rancune mal placée. Glacial, j’ai alors rétorqué à celui que je pensais, à tort, être un compagnon agréable de soirée, qu’il n’aurait qu’à trouver un autre pigeon pour aller leur annoncer la nouvelle, à ces elfes. Je ne peux décemment pas leur imposer une si ridicule décision après avoir trouvé tant de terrains d’entente avec leur dirigeant, Tanaëth Ithil. C’est hors de question.
C’est donc maussade que j’ai passé le reste de la soirée, avant de me replier vers une chambrée où j’ai trouvé un repos rapide et sans incident minéral, cette fois. C’est donc reposé, mais pas moins grognon, que je quitte une fois de plus ma cité natale, jurant bien de n’y pas remettre les pieds avant un bon moment, cette fois. Toute nostalgie, face à ces revers irrespectueux de mon propre peuple, s’est volatilisée. Ma destination : je n’en sais encore rien, mais je dois prévenir Tanaëth de tout ceci. Peut-être quand même l’accompagner dans sa Citadelle, pour l’aider à former une réponse à celui que le Roi enverra. S’il trouve cela utile, bien sûr. Après… je voyagerai. Loin de Mertar et de son Royaume. Loin des querelles de Nirtim et de son front meurtrier. Découvrir, peut-être, quel est ce mal qui m’habite. Magie, malédiction ? L’elfe gris semblait pourtant persuadé, sûr de lui. Trop de questions, et trop peu de réponse. Et à celles-ci, vient s’en ajouter une dernière :
« Mais où reste-t-il, par Meno ? »
Car après plusieurs longues heures d’attente dans le courant d’air de la passe menant aux Grandes portes, je n’ai toujours aucune nouvelle de celui que j’attends. Tanaëth m’aurait-il posé un lapin ? Grommelant de plus belle, assis sur le bas-côté du passage, engoncé dans mon manteau de fourrure, je patiente encore, et encore.