La course démarra sur les chapeaux de roues, les chevaux tirant les chars à toute vitesse. Ils filaient à la vive allure atteignant bientôt le virage si dangereux après la longueur. Le concurrent vert, poussé par le rouge qui lui barra le chemin jusqu’au dernier instant, s’en alla dans le décor tandis que son cheval continuait de tirer un char renversé. Le jaune était en tête.
« Raaaah, c’est pas vrai ! Je vais perdre tout mon argent ! Allez, remue-toi le nouveau ! » Hurla Hostia en se levant pour mieux voir et supporter son champion.Luli imita la demoiselle plus ou moins bien se mettant elle aussi debout :
« Ouuuh allez ! »Les deux échangèrent un regard complice, elles étaient prises dans l’engrenage du jeu et retenait leur souffle à chaque fois que l’aurige noir tentait de dépasser le jaune. Dernier virage, la tension était trop forte, le cheval arrivait à toute allure sans ralentir, Luli eut même l’impression qu’il allait se manger le mur tellement il prit le tournant sur l’extérieur. Mais tandis que le jaune avait dû ralentir, le noir pu aisément le doubler et il maintint l’allure sur la dernière ligne droite.
Les deux jeunes filles hurlaient leur contentement, elles allaient gagner avec le coureur, elles l’encouragèrent jusqu’au dernier instant. L’écurie noire franchit la ligne d’arrivée en première.
« Ouaaaaaaais ! » Elles applaudirent vivement le vainqueur tout comme le fit le reste de la foule. La blonde se rendit aux guichets des paris tout en entrainant Luli avec elle en la tirant par la manche afin de récupérer son dû. Une fois chose faite, elle partagea la somme avec Luli :
« Tiens, comme promis ! Et allons boire un verre avec ce que j’ai gagné ! -Euh… D’accord, allons-y ! » Dans l'hippodrome se trouvait une sorte de buvette qui permettait à la foule de se désaltérer entre deux courses. Hostia emmena donc Luli là-bas. Elle lui fit signe de prendre place à une des tables prévues pour les consommateurs et alla commander deux verres sans demander ce que la rouquine voulait boire. Elle revint avec deux verres remplis d’un liquide ambré. Elle fit le chemin jusqu’à la table avec agilité, sans en renverser une goute puis les posa sur la table avant de s’installer en face de Luli.
« Bois ça ! Tu verras, c'est délicieux ! »À peine eut-elle le temps de finir sa phrase que la blonde vida son verre d'un trait. Luli la regarda faire, étonnée et prit le verre restant. Elle le porta à ses lèvres, sentit le liquide en reniflant doucement, elle trouvait l'odeur étrange mais n'y prêta pas vraiment attention et but une gorgée.
Le liquide la brula de l'intérieur, sa gorge l'irritait sous l'effet de l'alcool. Elle toussa, encore et encore. Elle avait l'impression qu'elle allait s'étouffer, ses yeux commencèrent à pleurer sous l'effet de l'incendie qui ravageait son œsophage.
« Aaargh, c'est fort... c'est quoi? Essaya-t-elle t'articuler entre deux toussotements, la voix cassée.
-De l'hydromel. Et ne fait pas l'enfant. C'est pas fort ! Se moqua la blonde.
-Si, beaucoup trop. Bois le reste, s'il te plait. »Luli ne pouvait décidément pas finir le verre, elle venait seulement de calmer sa toux, elle n'était pas en mesure d'incendier sa gorge une nouvelle fois. Elle glissa donc le verre vers Hostia.
« Ma nouvelle copine n'aime pas les boissons alcoolisées, je note. »Ainsi, Luli pouvait être fière d'elle, elle venait de tisser une amitié avec une personne de son âge pour la première fois de sa vie. Jamais le fait de sympathiser avec un tiers ne lui avait paru aussi simple. Elle sourit malgré elle, ravie de cet exploit personnel.
« Dis-moi, qu'est-ce que tu fais à Kendra Kâr ?-Longue histoire, mais disons que je travaille pour une famille qui m'a recueillie. »Prise dans un élan donc elle n’était pas habituée, elle commença à raconter toute son histoire, la façon dont son père avait été tué, sa fuite, les Monbagnes, son travail. Elle se soulageait d’un poids. Après tout, Hostia n’avait-elle pas dit qu’elles étaient amies ? D’ailleurs cette dernière écoutait avec attention tout le récit de la rousse, n’hésitant pas à placer une ou deux remarques sur le fait que c’était bien ou triste selon les cas. Luli termina son histoire tête baissée, prête à laisser jaillir un flot continu de larmes. Elle secoua la tête et retrouva une certaine contenance.
« Et toi, c'est quoi ton histoire ? -Moi ? Mes parents sont des espèces de fous qui vouent leurs vies à Phaitos. La religion c’est pas trop mon truc. Enfin, il m’arrive d’invoquer Gaia pour m’aider à trouver les bons chevaux, rien de plus. Et encore, j’suis pas sûre qu’elle m’entende. Bref, donc, mes parents vivent pour le culte et mon père a souhaité devenir Grand Prêtre à la mort de ma mère. Il a vu sa disparition comme un message de Phaitos parce qu’elle s’est suicidée. Depuis il est encore plus illuminé qu’avant. Et prier Gaia est pour moi un moyen de me rebeller, je l’avoue. »Elle marqua une pause et bût le verre qui était toujours devant elle. Hostia se pencha sur la table afin de parler sur le ton de la confidence, fixant Luli dans les yeux :
« Pour devenir Grand Prêtre, ils doivent faire une sorte de grande cérémonie où le postulant doit… éventrer une jeune vierge. Mon fou de père n’a pas trouvé mieux que de… vouloir m’ouvrir… comme un vulgaire animal pour… prouver sa foi… » Le regard d’Hostia se durcissait à mesure que sa voix faiblissait. Elle fit une nouvelle pause pour se reprendre. Luli ne comprenait pas qu’un père puisse vouloir faire une chose pareille. Elle imagina son propre paternel lui faire ça et ne put s’empêcher de grimacer.
« Il pensait que j’étais une jeune vierge ingénue. Sauf que la fille naïve s’est barrée avec tous les objets de valeurs que j’ai pu amasser dans la maison. Bien que je ne pense pas que mon père me traque, il est surement trop occupé à trucider des adolescentes, je vis de-ci, de-là, par précaution, aujourd’hui à Kendra Kâr, demain, je ne sais où. J’aime voyager et prendre la fuite est une bonne occasion de visiter de nouvelles contrées. Néanmoins, je trouve Kendra Kâr vraiment bien, c’est la première fois que je mets les pieds dans une ville si grande ! Il a tellement d’activités, de boutiques avec de belles robes, c’est fabuleux ! »Hostia retrouvait déjà le sourire en évoquant la ville. Luli fut presque stupéfaite par le changement brutal d’humeur de la blonde. C’en était presque à se demander si ça l’embêtait réellement que son père ait souhaité sa mort.
Les deux échangèrent quelques banalités sur la ville et les lieux qu’elles avaient visités, elles riaient, s’amusaient jusqu’au moment où Hostia devint pale comme un linge en observant quelque chose au loin. Quelques secondes plus tard, elle bondissait et se ruait vers la sortie tout en bousculant la foule agglutinée devant les portes. Luli, surprise, la regarda faire puis courut après elle, ne sachant pas réellement si c'était une si bonne idée...
[L'histoire continue.]