La Laide longeait la côte, le Capitaine ne quittait pas la barre à cause des forts vents qui pouvaient dévier leur trajectoire et envoyer le bâtiment se briser sur les flancs des falaises.
« Faut faire bien attention, il y a des bancs de sable qui vont et viennent au grès des tempêtes. On peut les voir de loin lorsque l'eau devint plus claire mais seul une bonne vigie et un œil affûté reconnaissent les pièges ! »Hrist était néophyte quant à l'art d'être marin. Elle observait chacun des hommes sur le navire, tous travaillaient d'arrache-pied pour combler l'absence des trente marins manquant. Les brosses de crin frottaient le pont, les vigies bravaient le vent et la pluie pour traquer les navires à l'horizon et les rochers tapis sous l'eau qui pourraient crever la coque du navire. Les hommes agitaient de lourdes cordes pour actionner des rouages et des poulies qui crissaient et tendaient ou détendaient les lourdes voiles de chanvre et de cuir.
Hrist s'approcha de la proue du navire. L'horizon était éclairé du reflet de la lune et la mer brillait à chacun de ses mouvements, sous ce ciel constellé d'étoiles et de nuages noirs grincheux qui laissaient tomber une petite pluie, elle crut voir une ombre se profiler doucement au large.
« Au loin, ce n'est pas ce qu'on cherche ? Le navire Shaakt ? »Un marin s'approcha d'elle et plissa les yeux pour mieux scruter le large.
Von Klaash quant à lui se pencha de la barre pour mieux distinguer ce que Hrist venait de voir.
Il éclata de rire.
« Par ma barbe ! C'est un navire oui, mais pour l'instant, impossible de savoir s'il appartient bien aux Shaakts. Mais j'ai bon espoir, il prend la direction de Darhàm. »Les marins connaissaient leur rôle. On cessa de parler car les voix, la nuit portaient loin et les lumières furent toutes mouchées pour ne pas trahir la présence de la Laide.
Hrist était revenue près du Capitaine Von Klaash et dit !
« Alors, qu'est ce qu'on fait ? »« Et bien, c'est un gros navire. Un navire pour le transport d'esclave, même si il est haut du son flot, il doit être vide. On dirait que je vais me contenter de votre argent et que je n'aurais pas d'esclaves. »« Ne dit-on pas que les matriarches sont riches et transportent souvent des richesses ? » Avoua-t-elle sans être au fond sûre de ce qu'elle avançait. Au final, elle craignait que le Capitaine ne renonce à un si maigre butin.
« Allez, tas de canailles ! On va égorger quelques noirauds pour se mettre en jambe, après, à nous les tavernes de Darhàm ! »« Comment on organise l'assaut ? »Von Klaash rigola à gorge déployée. Il envoya une grande tape sur le dos de Hrist qui manqua de tomber par dessus la balustrade sous le choc.
« Et bien, comme j'disais, la côte est pleine de piège. Il va falloir s'approcher en chaloupe au milieu de cette fichue nuit et saboter le navire. Faudra un marin expérimenté pour casser la chaîne du gouvernail, après, attendre qu'il ne percute un rocher ou un banc de sable. Et massacrer ce qui tient encore debout. »Hrist se montrait assez admirative. Au final, Von Klaash n'était pas un homme cruel et alcoolique sans coeur et n'écoutant que la violence, même si son fond était passablement mauvais - comme elle - il avait ce côté de fin stratège qu'elle appréciait. Elle se demandait à quoi ressemblerait sa vie s'il avait été dans la marine royale. Aurait-il été un grand amiral de flotte ?
« J'irais sur le navire avec le marin. J'assurerai sa protection pendant qu'il sabotera le gouvernail. »« J'en attendais pas moi d'vous, Princesse.»--- --- ---
Pendant encore une heure, le navire s'approcha en glissant sur le fil de l'eau aussi silencieux que possible. On murmurait les ordres et Hrist, de son côté, découpait maladroitement une cordelette de chanvre.
« Préférait pas utiliser vos coupe-lard, Princesse ? »« J'ai pris goût à la strangulation. De plus, il s'agit de Shaakts, si je peux sentir le dernier souffle de ces pourritures, c'est encore plus doux à mon cœur. »Von Klaash souriait et envoya de nouveau une grande tape sur le dos de la femme.
« Comprenez vite ! Et... J'serais vous, j'penserais à une entrée fracassante avec vos ennemis déchus lorsque vous retournerez à Omyre, je vous ferais traverser les eaux jusqu'au port. Vous avez le bateau jusqu'au bout.»Hrist lui rendit son sourire et passa par dessus bord pour rejoindre la chaloupe. Les gars du Capitaine profitaient que la lune soit dissimulée sous un épais nuage noir pour s'approcher du navire Shaakt. Par expérience, ils savaient que les marins ne regardaient pas toujours derrière eux, trop occupés à scruter les dangers qui se cachaient sous l'eau.
On envoya la chaloupe sur l'eau et les quatre marins ramaient aussi vite que possible. L'homme qui l'accompagnait était un solide humain d'une trentaine d'année, le visage mal rasé, un bandeau noir sur la tête, il s'était vêtu pour l'occasion d'une tenue sombre, pied nu pour ne pas faire de bruits.
« Devriez p'têtre faire pareil. J'ai peur qu'avec ces bottes, on vous entende sur le bois, en plus, vous pourriez glisser. »La chaloupe approchait, le navire Shaakt n'était qu'à une dizaine de minute de leur position. Hrist s'était déshabillée, elle n'avait que sa robe et une cordelette autour des cheveux pour ne pas être gênée lors de l'ascension du navire ennemi.
« La haut, il faudra faire vite. Normalement la barre n'est pas très surveillée la nuit. L'équipage dort sur le pont le plus souvent pour mieux réagir en cas de problème, le reste est dans la cale. Il y a toujours un quartier maître sur le pont ainsi que quelques matelots mais le temps est encore calme, à part cette petite pluie. On devrait pas avoir trop de monde, mais si l'alerte est donnée, il faudra quitter sans tarder. On ne pourra pas retenir tout l'équipage. »Il prodiguait ses conseils expérimenté, Hrist avait emporté ses deux lames et la cordelette de chanvre. Le marin quant à lui était plus chargé, il avait un sabre court et deux coutelas et le matériel nécessaire à sa besogne dans une poche de cuir qui pendait à son épaule.
Soudain, la lune s'échappa d'un nuage et éclaira l'embarcation alors qu'elle se trouvait qu'à quelques dizaines de mètres du navire. Tous restèrent figés, à la merci d'une volée de flèche ou d'un tir de baliste. Le flots claquaient doucement la coque de la chaloupe et ils retenaient tous leur souffle.
De là où ils se trouvaient, les lumières ennemies éclairaient le nom du navire " Phaitos ".
Hrist déglutit douloureusement en attendant un signe, allaient-ils repérer son arriver, la peur d'entendre une cloche d'alerte fit perler de la sueur sur son front et son dos.
Mais au bout de quelques secondes, longues comme une éternité, la lune de nouveau se cacha et après un soupir de soulagement, les marins recommencèrent à ramer avant d'abandonner les pagaies et d'utiliser les mains pour être encore plus silencieux.
Les vagues rapprochèrent la coque jusqu'à celle du Phaitos et Hrist et le marin commencèrent à escalader. Elle n'avait pas d'expérience dans ce domaine et se montrait assez maladroite, essayant plus de s'empêcher de tomber que de grimper avec efficacité. Le marin de temps en temps lui tendit la main pour la hisser avec force jusqu'à une décoration ou un relief confortable.
Il murmura :
« Allons, chaque doigt doit chercher une prise, comme un petit crochet. On y est presque. »Ils s'arrêtèrent à quelques centimètres du bord du pont supérieur et il passa la tête pour observer ce qui s'y trouvait.
« Il y en a deux. Un chacun, vous prenez lequel ?»Elle observa à son tour. A côté de la barre se dressaient deux Shaakts, deux femelles qui discutaient à voix haute, aucune agitation singulière sur le pont, leur arrivée avait été des plus silencieuses.
« Je prends celle de gauche. »Les deux Elfes noires portaient des tenues semblables. Une armure de cuir légère aux motifs noirs et violets, une capuche rabattue dissimulait leur nuque, les deux étaient armées jusqu'aux dents. Dagues, épées et une petite arbalète de poing que Hrist avait déjà vu chez quelques assassins.
Comme des ombres, ils s'approchèrent derrière les deux femmes, l'homme enfonça son coutelas dans la tempe de sa victime, Hrist elle cacha la bouche de la Shaakt et lui trancha la gorge. Pour seul bruit, le sang qui gicla dans un sifflement avant de tomber par terre pour se mélanger à la pluie.
« Commencez, vite ! »Le marin s'approcha de la barre et se mit à genoux. Il observa brièvement et dit :
« Il ne me faudra pas pour long. Un rouage et une chaîne à dévier. »Ses outils sortis, Hrist observait le pont inférieur depuis le derrière de la rambarde d'escalier qui menait jusqu'aux cabines et aux pont. Elle y vit deux marins qui fumaient une petite pipe à l'autre bout du navire et un mâle Shaakt qui faisait le tour du navire en marchant lentement.
« S'il vient vers nous, on est cuits. »« Tuez le ! Prenez l'arbalète et tuez le. »Hrist se pencha sur le corps de la quartier-maître morte et déploya le bras du cadavre. Le mécanisme était assez simple, une pression sur la manette de cuir et de métal qui était dissimulée sous la manche actionnait l'arbalète, il ne manquait plus qu'à bander la corde et tirer.
Hrist arma le carreau argenté et essaya d'ajuster au mieux l'arme, toujours rivée sur le bras du cadavre qu'elle malmenait. Elle tira mais rata sa cible d'un bon mètre et le carreau alla se planter dans un claquement sur une surface dure. Le Shaakt tourna subitement ses talons et alla voir la source du bruit.
« Merde ! »Faute de pouvoir faire mieux, elle descendit les escaliers, profitant de son faible poids pour ne pas faire grincer les planches, elle fondit sur le garde toujours dos tourné qui se baissa pour observer ce qui était un carreau. Il eut un sursaut lorsqu'il vit l'origine du bruit et tandis qu'il se redressait pour alerter d'un danger ses camarades, Hrist envoya sa lame au travers des côtes de l'homme en lui maintenant fermement la bouche pour l'empêcher de crier. Il se débattit brièvement, agitant ses bras dans le vide et Hrist lui administra un second coup, plus profond qui envoya le mâle dans l'autre monde. Elle guida son corps sans vie dans sa chute pour ne pas qu'il fasse de bruit et tâcha de lui donner une position semblable à celle d'un homme endormi, mais sans succès.
Elle abandonna son corps et se rendit auprès du marin qui rangeait ses outils.
« Bon travail, allons-y ! La barre est inutilisable. »